Les Mystères du confessionnal/Épilogue/09

Imprimerie E.-J. Carlier (p. 146-147).


LE CONFESSIONNAL, FLÉAU DU PRÊTRE CHASTE
RARA AVIS !
OISEAU RARE, TRÈS-RARE DANS NOS CAMPAGNES ET INCONNU DANS LES VILLES


« On est toujours puni par où l’on a péché, » dit le proverbe des nations. Le prêtre trouve son châtiment dans ce confessionnal même où il exerce une autorité si pernicieuse pour le monde catholique ; il en est la première victime.

Quelle est son attitude au tribunal de la pénitence ? Celle d’un misérable cloué sur place, contraint d’entendre le récit des joies et des félicités des autres sans qu’il lui soit permis d’en prendre sa part, — du moins ouvertement.

Le prêtre est le paria de la société ; c’est Priape remplissant les fonctions de l’eunuque dans le harem du Sultan et gardant les odalisques avec lesquelles il ne peut forniquer. Le rôle de l’eunuque est de vivre au milieu des femmes du harem ; il peut les contempler nues, frémissantes dans les bras du maître, ou se livrant entre elles à des jeux lascifs ou échangeant des caresses passionnées ; l’eunuque est privé des attributs de la virilité, et son impuissance rend le supplice qu’il endure à peu près supportable ; mais, supposez à sa place le dieu Priape avec son phallus, en état d’érection perpétuelle, comme le représente la Mythologie, et vous comprendrez la violence des tortures qui lui seraient infligées. Le martyre du prêtre catholique, du confesseur, est absolument du même genre ; une existence plantureuse et oisive le prédispose aux actes vénériens, aux doux combats de l’Amour, et il doit s’en abstenir ; nous voulons parler du prêtre chaste, rara avis, oiseau rare qui ne se trouve guère dans nos campagnes et encore moins dans les villes.

Le jeune prêtre a étudié et commenté l’œuvre étrange de Monseigneur Bouvier ; il est tout ému des révélations du Manuel des Confesseurs ; son imagination fortement échauffée peuple ses nuits et ses jours de fantômes charmants ; il est dans l’effervescence de l’âge et des passions, doué d’un tempérament ardent ; il s’efforce inutilement de repousser les pensées lubriques qui l’assiégent ; la nature est plus forte que sa volonté, il se trouve dans un état d’éréthisme presque continuel. Et c’est dans de semblables dispositions, que ce martyr du célibat va entendre au confessionnal une belle jeune fille qui aura à lui raconter ses rêves d’amour, ou une jeune femme qui lui dévoilera les mystères de la couche nuptiale, ou quelque matrone qui aura à s’expliquer dans une confession générale sur toute espèce de lubricités. Aussi ne doit-on pas s’étonner que, pendant tout le temps que demeurent agenouillées aux pieds du prêtre ces belles pénitentes, son engin se maintienne rigide… la brute est en rut… Pères et maris imprudents, écoutez la sentinelle vigilante : Prenez garde à vous !

Paul Louis Courrier, le vigneron philosophe, a tracé en quelques lignes éloquentes le tableau de cette triste condition à laquelle sont réduits les prêtres par le vœu imprudent de célibat qu’ils ont fait et par la loi de l’Église.

« Quelle vie, quelle condition que celle de nos prêtres ! on leur défend l’amour, et le mariage surtout ; on leur livre les femmes. Ils n’en peuvent avoir une et vivent avec toutes familièrement ; c’est peu ; mais dans la confidence, l’intimité, le secret de leurs actions cachées, de toutes leurs pensées. L’innocente fillette, sous l’aile de sa mère, entend le prêtre d’abord, qui bientôt l’appelant, l’entretient seul à seule ; qui, le premier, avant qu’elle puisse faillir, lui nomme le péché. Instruite, il la marie ; mariée, la confesse encore et la gouverne. Dans ses affections il précède l’époux, et s’y maintient toujours. Ce qu’elle n’oserait confier à sa mère, avouer à son mari, lui prêtre le doit savoir, le demande, le sait, et ne sera point son amant. En effet, le moyen ? N’est-il pas tonsuré ? Il s’entend déclarer à l’oreille, tout bas, par une jeune femme, ses fautes, ses passions, ses désirs, ses faiblesses, recueille ses soupirs sans se sentir ému, et il a vingt-cinq ans.

« Confesser une femme ! imaginez ce que c’est. Tout au fond de l’église, une espèce d’armoire, de guérite, est dressée contre le mur exprès, où ce prêtre, non Maingrat, le prêtre meurtrier, mais quelque homme de bien, je le veux, sage, pieux, comme il n’en existe guère, homme pourtant et jeune — ils le sont presque tous, — attend le soir après vêpres sa jeune pénitente qu’il aime ; elle le sait l’amour ne se cache point à la personne aimée. Vous m’arrêterez là : son caractère de prêtre, son éducation, son vœu…… Je vous réponds qu’il n’y a vœu qui tienne ; que tout curé de village, sortant du séminaire, sain, robuste et dispos, aime sans aucun doute une de ses paroissiennes. Cela ne peut être autrement ; et si vous contestez, je vous dirai bien plus, c’est qu’il les aime toutes, celles du moins de son âge ; mais il en préfère une, qui lui semble, sinon plus belle que les autres, plus modeste et plus sage, et qu’il épouserait ; il en ferait une femme vertueuse, pieuse, n’était le pape. Il la voit chaque jour, la rencontre à l’église ou ailleurs, et, devant elle assis aux veillées de l’hiver, il s’abreuve, imprudent ! du poison de ses yeux.

« Or, je vous prie, celle-là, lorsqu’il l’entend venir le lendemain, approcher de ce confessionnal, qu’il reconnaît ses pas et qu’il peut dire : C’est elle ; que se passe-t-il dans l’âme du pauvre confesseur ? Honnêteté, devoir, sages résolutions, ici servent de peu, sans une grâce du ciel toute particulière. Je le suppose un saint ; ne pouvant fuir, il gémit apparemment, soupire, se recommande à Dieu ; mais si ce n’est qu’un homme, il frémit, il désire, et déjà malgré lui, sans le savoir peut-être, il espère. Elle arrive, se met à ses genoux, à genoux devant lui, dont le cœur saute et palpite. Vous êtes jeune, ou vous l’avez été ; que vous semble, entre nous, d’une telle situation ? Seuls la plupart du temps, et n’ayant pour témoins que ces murs, que ces voûtes, ils causent ; de quoi ? hélas ! de tout ce qui n’est pas innocent. Ils parlent, ou plutôt murmurent à voix basse, et leurs bouches se rapprochent, leur souffle se confond. Cela dure une heure ou plus, et se renouvelle souvent. Ne pensez pas que j’invente. Cette scène a lieu, telle que je vous la dépeins, et dans toute la France ; chaque jour se renouvelle par quarante mille jeunes prêtres, avec autant de jeunes filles qu’ils aiment parce qu’ils sont hommes, confessent de la sorte, entretiennent tête à tête, visitent parce qu’ils sont prêtres, et n’épousent point parce que le pape s’y oppose. Le pape leur pardonne tout, excepté le mariage, voulant plutôt un prêtre adultère, impudique, débauché, assassin, comme Maingrat, que marié. Maingrat tue ses maîtresses ; on le défend en chaire : ici on prêche pour lui ; là on le canonise. S’il en épousait une, quel monstre ! il ne trouverait d’asile nulle part. Justice en serait faite bonne et prompte, comme du maire qui les aurait mariés. Mais quel maire oserait !

« Réfléchissez maintenant, et voyez s’il était possible de réunir jamais en une même personne deux choses plus contraires que l’emploi de confesseur et le vœu de chasteté ; quel doit être le sort de ces pauvres jeunes gens, entre la défense de posséder ce que nature les force d’aimer, et l’obligation de converser intimement, confidemment avec ces objets de leur amour ; si enfin ce n’est pas assez de cette monstrueuse combinaison pour rendre les uns forcenés, les autres je ne dis pas coupables, car les vrais coupables sont ceux qui, étant magistrats, souffrent que de jeunes hommes confessent de jeunes filles, mais criminels, et tous extrêmement malheureux ? Je sais là-dessus leur secret. »

Crimes envers la société, attentats sur les autres ou sur lui-même, sacrilége envers l’Église, telles sont les alternatives qui restent au prêtre.

Qu’elle soit maudite cette institution de la confession si fatale à ceux-là même qui l’érigent en dogme !

En outre de l’abolition de la pratique de la confession, la morale réclame impérieusement la suppression du célibat forcé pour les prêtres et les congréganistes. Dans la primitive église, les ministres des autels étaient mariés, non-seulement les simples prêtres, mais encore les hauts dignitaires, les évêques, les patriarches, même les papes, Prêtraille et mitraille forniquait avec évêchesses et prêtresses, les maris engrossaient leurs femmes, procréaient, engendraient ; la confession n’était pas encore inventée, les fidèles ne se plaignaient que médiocrement de la paillardise cléricale. Les choses ont empiré depuis. Par la vertu du confessionnal les maris des ferventes catholiques sont tous cornards ou presque tous, avec l’aide des frocards et des soutaniers, et leurs filles sont dépucelées par les curés et leurs vicaires…… ad majorem Dei gloriam ! pour la plus grande gloire de Dieu. C’est le pape lui-même, Pie IX, surnommé l’Infaillible par les dévots chrétiens, qui a proclamé cette vérité ébouriffante du cocuage universel des bons catholiques par les confesseurs de leurs femmes, dans une allocution à de pieux pèlerins qui étaient venus offrir à Sa Sainteté une somme ronde provenant du denier de saint Pierre. Le diable, qui était présent et qui écoutait le colloque, se tordait de rire et répétait après le pape : « Oui, vous êtes tous cocus, bons catholiques ! Mais il y a des grâces d’état particulières pour les croyants et les fidèles ; nul, parmi les assistants, ne comprenait la malice du pontife gouailleur et n’entendait les moqueries de Satan.

Que nos amis, plus clairvoyants, profitent de la leçon et des aveux : époux sages et prudents, signifiez à vos femmes d’avoir à choisir entre le mari et la soutane. À bas la confession ! Pères et mères qui avez souci de l’innocence de vos filles, de la moralité de vos garçons, opposez-vous énergiquement à ce que vos enfants aillent trouver les hommes crapuleux qui siégent dans les immondes confessionnaux. À bas la confession !

Le mariage doit être rétabli pour les membres du clergé catholique, comme il existe pour les ministres protestants et anglicans, pour les rabbins juifs, pour les popes du rite grec, pour les muftis de la religion mahométane, pour les brahmanes de l’Inde, les bonzes chinois et les prêtres de mille autres cultes qui existent sur la terre.

Lorsque nous préconisons le mariage dans la famille religieuse comme dans la société civile, nous entendons désigner une forme d’union établie sur les principes de justice et d’égalité entre les sexes, et non cet accouplement dit légitime entre l’homme et la femme où, le plus souvent et suivant les coutumes des pays, celle-ci est l’objet d’un marché ou la victime des préjugés, des convenances sociales et de la lubricité d’un maître.

Le mariage doit revêtir les conditions d’un contrat civil, d’un acte de société entre mari et femme ; il doit être subordonné pour sa durée aux convenances réciproques, chacun des conjoints demeurant toujours libre de mettre un terme à la société, à quelque moment que ce soit. L’individu libre dans la famille. De même la famille libre dans la Commune, la société se chargeant de l’éducation des enfants, — éducation commune, gratuite, obligatoire, professionnelle et laïque ; — la société devant, en outre, pourvoir d’instruments de travail tous et toutes, garçons et filles, suivant les forces et les aptitudes respectives et selon les besoins de la communauté. Telle sera la loi de l’avenir.

Les droits des individus seront ainsi sauvegardés, et de même les droits des familles, ceux des communes, des États et des nations ; le prêtre sera rentré alors dans le sein de la grande famille humanitaire.