Les Mystères du confessionnal/Épilogue/08

Imprimerie E.-J. Carlier (p. 142-145).



LES DRAMES DU CONFESSIONNAL
LA SIGNORA VIRGINIE DE LEYVA


Quel drame que l’histoire de la signora Virginie de Leyva qui date du commencement du XVIIe siècle ! Rien de plus émouvant, de plus terrible, de plus pathétique que le récit relevé dans les pièces authentiques que nous allons reproduire textuellement, même avec leurs imperfections de style. C’est le comte Tullius Dandolo qui a découvert le manuscrit original de ce procès curieux, qui l’a publié à la fois dans son texte latin et en italien.

Philalète Chasles, membre de l’institut, à Paris, s’est emparé de ce dramatique récit et en a fait une étude littéraire sous ce titre : Virginie de Leyva, ou l’intérieur d’un couvent de femmes en Italie au commencement du dix-septième siècle, d’après les documents originaux.

Un autre écrivain, A. Renzi, a publié le procès de la signora Virginie de Leyva en entier, dans le courant de l’année 1862, en y joignant le texte du procès-verbal relatif à la découverte du document original.

Voici le résumé de cette affaire, tel qu’il fut envoyé à Rome, en 1609, par le Vicaire Général de l’archevêché de Milan :

Enquête succincte de tout ce qui est arrivé dans les causes de Jean-Paul Osio de Monza et des sœurs Virginie-Marie, Octavie, Benoite, Candide et Silvie, religieuses-professes, dans le monastère de Sainte-Marguerite de Monza, de l’ordre de Saint-Benoit, humiliées.

« Il y a douze ans ou onze, Jean-Paul Osio, de son jardin contigu au monastère de Sainte-Marguerite de Monza, commença de remarquer sœur Virginie-Marie. Elle se laissait voir souvent, et regardait Osio d’une fenêtre du monastère qui donnait sur le jardin. Les sœurs Octavie et Benoite étaient instruites de ce manége.

« Osio et Virginie s’écrivirent ensuite des lettres d’amour et s’envoyèrent des cadeaux ; ils en vinrent à se parler la nuit dans le parloir, elle étant dedans et lui dehors, avec l’assistance et la garde des religieuses Octavie et Benoite.

« Quelque temps après, les trois religieuses, Virginie, Octavie et Benoite, introduisirent Osio dans le jardin du couvent avec de fausses clés, par la porte intérieure du monastère ; il y fit tomber en péché Virginie plusieurs fois. Plus tard les religieuses attirèrent Osio dans l’intérieur même de la sainte maison pour y passer la nuit avec la sœur Virginie deux et trois fois par semaine, tantôt plus, tantôt moins, suivant ses caprices.

« Cette vilaine pratique durait depuis environ trois ans lorsqu’on fit entrer dans ce monastère les sœurs Candide Brancolini et Silvie Casati, lesquelles, ayant été instruites de toute chose, vinrent en aide aux autres pour introduire Osio dans le monastère, afin qu’il se trouvât avec Virginie qui, pendant ce temps, devint enceinte plusieurs fois, fit des fausses couches et mit au monde une fille, qui vit présentement, étant âgée d’environ cinq ans.

« Mais cette intrigue ne put rester entièrement secrète ; une certaine Catherine de Meda, qui n’était pas encore professe dans le monastère, en conçut de forts soupçons. Catherine, indignée de la conduite des autres religieuses, leur déclara qu’elle était décidée à tout révéler à Monseigneur le Vicaire Général, qui, à cette époque, devait se rendre dans ledit monastère à cause de ses fonctions. Aussi toutes les religieuses sus-nommées, sachant parfaitement tout ce que Catherine pouvait dire et raconter sur elles au Vicaire, tinrent conseil toutes ensemble, firent une sorte de convention, et décidèrent de tuer Catherine, et pour mettre à effet leur très mauvaise détermination, elles firent entrer, la nuit qui précéda la fête de Saint-Nazaire de l’année 1606, dans le monastère, Osio, auquel elles racontèrent le tout. Ils allèrent tous ensemble dans la chambre où était enfermée Catherine, à cause de quelques légèretés, par ordre de la mère abbesse. Osio entra par la fenêtre, les religieuses en firent autant, et pendant qu’elles adressaient quelques mots à Catherine, qui était couchée sur une paillasse, Osio la frappa sur la tête de trois coups avec un pied de tabouret, doublé d’une lame de fer. Lorsqu’elle fut morte, ils la cachèrent dans le poulailler du monastère, et ils firent un trou dans le mur, pour laisser croire qu’elle s’était sauvée par là. La nuit suivante, Osio étant entré de nouveau dans le monastère, lui et les religieuses sus-nommées mirent le cadavre dans un sac et le portèrent dans la maison du même Osio, où ils l’ensevelirent.

« Dans le mois de décembre 1607, pour les raisons susdites, d’ordre de Rome, Virginie fut transportée dans un monastère de Milan ; les officiers du tribunal criminel de l’archevêché prirent des informations sur tous ces méfaits et crimes énormes. Les sœurs Benoîte et Octavie craignant, si leur complicité était découverte, d’être châtiées sévèrement, rompirent pendant la nuit avant la fête de Saint-André, de la même année 1607, le mur du jardin, avec l’aide de Osio, et prirent la fuite. Octavie, à peu de distance de Monza, fut jetée par Osio dans la rivière Lambro ; elle reçut quatorze blessures sur la tête, et quelques-unes sur les mains. Le matin suivant, elle fut trouvée vivante, en très-manvais état, sur le bord de la rivière. Sœur Benoite continua son voyage avec Osio, lequel, la nuit suivante, la jeta dans un puits profond de trente-deux brasses, mais sec, à six milles de Monza ; dans sa chute, elle se brisa une cuisse et deux côtes. Après avoir demeuré dans le puits deux jours et deux nuits, elle en fut retirée vivante. Elle a été interrogée comme les autres religieuses susdites . Elles ont avoué librement, et sans avoir besoin d’être mises à la question, tous les susdits crimes et excès, pour lesquels Osio a été condamné, par le Sénat, à la peine de mort, à être tenaillé, à avoir la main droite coupée et à la confiscation de tous ses biens. On a fait raser sa maison a fundamentis, et l’emplacement a été converti en place publique, sur laquelle on a fait ériger une colonne en marbre, avec une inscription infamante.

« Et à cause de ces crimes atroces, les susdites religieuses, excepté Octavie, qui mourut le jour de Saint-Etienne suivant, furent enfermées provisoirement dans quelques chambres comme lieu de prison, où elles sont entrées jusqu’à ce que leur cause ait pu être examinée par la justice, puis les susdites sœurs Virginie, Benoîte, Silvie et Candide ont été murées séparément, chacune dans une prison qu’on a assignée à chacune d’elles, à perpétuité, pour leur peine, avec d’autres pénitences salutaires. On n’a rien objecté de la part de sœur Virginie, contre la sentence ; mais on dit que les parents des autres veulent interjeter appel ; cependant, comme sur ce sujet elles ne sont pas et ne seront jamais écoutées, car le cas mérite cette expiation, on doute qu’elles en appelleront coram honestis viris, pour extorquer de Rome, avec mille mensonges et subreptions, quelque ordre ou révision de cause. Mais ici on exécutera, sans attendre, la sentence déjà prononcée, et déjà on a commencé à l’heure qu’il est de la mettre à effet ; on s’en occupe et on poursuivra les choses jusqu’à ce que le tout soit exactement exécuté, car le cas est très-laid et les crimes énormes et très-atroces ; et c’est pour cela qu’elles ne méritent aucune compassion.

« Déjà la sentence susdite a été exécutée et lesdites religieuses ont été murées séparément, chacune dans une prison, ainsi qu’on l’a dit plus haut, en y laissant de petites fenêtres qui laissent pénétrer l’air et par où l’on fait passer la nourriture, ainsi qu’il convient de faire dans de semblables circonstances. Ce jour, 4 août 1609, le présent résumé, dressé sur les pièces de la procédure, a été expédié par l’Ordinaire à Rome, par Monseigneur le Vicaire Général, en l’adressant à Monseigneur Trivulzio. »

Ce résumé laisse tout à fait à l’écart le promoteur de ces crimes, celui qui a ourdi les intrigues, qui a été la cause première de tous ces malheurs.

En réalité, toute la responsabilité des actes abominables accomplis doit retomber sur un prêtre, ami et confesseur de l’amoureux Osio, un curé ayant charge d’âmes, un moraliste auquel l’évêque du diocèse avait confié la mission de conduire les nonnes dans la voie du salut ; ce prêtre — aumônier du couvent — se nommait Arrighone.

Voici la sentence rendue contre le criminel agent qui avait joué le principal rôle dans la lugubre tragédie. Cette pièce témoigne contre le clergé et fournit de nouveaux arguments contre le catholicisme en faveur de la suppression du confessionnal.

« Ayant invoqué les noms de Jésus-Christ et de la vierge Marie sa mère, etc., etc.

« Nous, Mamurius Lancillottus, etc., séant sur notre tribunal, n’ayant que Dieu devant nos yeux, après avoir entendu nos conseils et obtenu l’assentiment des savants jurisconsultes, sur ce qui regarde la cause qui a été agitée en première instance devant nous, entre l’avocat du tribunal criminel, procureur fiscal, d’un côté, et le sieur Paul Arrighone, curé de St-Maurilio de Monza de l’autre côté, arrêté et poursuivi comme fortement inculpé, vigoureusement suspecté et respectivement, comme ayant fait des aveux et convaincu de crimes énormes, atroces, de méfaits, d’excès et péchés suivants :

« Premièrement ; d’avoir fait au nom de Osio, à sœur Virginie, des lettres d’amour en soutenant qu’il n’y avait pas péché à se livrer à un homme, et que celui qui pénétrait dans le cloitre n’encourait pas l’excommunication.

« Deuxièmement ; que ledit Arrighone baptisa — autrement dit, magnétisa — un aimant qu’il remit Osio, et celui-ci à Virginie.

« Troisièmement ; que le même Arrighone fut la cause principale et immédiate de la perpétration des méfaits exécrables suivants :

« 1o Que Osio eut pendant plusieurs années l’entrée libre dans le Monastère ; qu’il y tint une intrigue criminelle, très-vive, avec sœur Virginie ; qu’il la rendit mère de deux enfants, et qu’il la fit sortir du couvent en la conduisant dans sa maison ;

« 2o Que Osio, craignant la révélation de cette intrigue par une certaine Catherine de Meda, il la tua dans le monastère de Sainte-Marguerite, pendant la nuit, et qu’il emporta son cadavre enveloppé d’un sac, dans sa propre maison ;

« 3o Que le même Osio, par crainte que les sœurs Octavie et Benoite, instruites de cette intrigue et de l’homicide de Catherine, ne le dénonçassent, il les enleva pendant la nuit du monastère, jeta Octavie dans la rivière Lambro, après lui avoir fait des blessures graves avec la crosse de son fusil, et précipita Benoîte dans un puits de Velate ; c’est pourquoi Osio fut condamné par le Sénat à la peine de mort et sa maison fut rasée ;

« 4o Que ledit Arrighone provoqua Virginie par des lettres d’amour, par des vers et par des discours au parloir, afin d’arriver au but pervers pour son propre compte ;

« 5o Qu’enfin il entretint des relations criminelles avec plusieurs religieuses et notamment avec la sœur Candide ;

« Ayant présentes à notre esprit toutes ces choses et d’autres,

« Vu les actes, etc., etc., les dépositions des témoins, les charges, les indices très clairs et les fortes conjectures, etc., qui pèsent comme circonstances aggravantes sur le prêtre Arrighone et aussi ses aveux ;

« Considérant la défense que Arrighone a produite, ainsi que les allégations du seigneur fiscal, et aussi l’assignation par laquelle Arrighone a été sommé de se présenter les jours et heures fixés pour entendre prononcer sa sentence.

« Vu ce qu’il y avait à voir et considéré ce qu’il y avait à considérer, et après en avoir instruit le très illustre et révérend seigneur, le cardinal Borromée, archevêque ;

« Après avoir répété et invoqué les noms de Jésus et de Marie ;

« Nous disons, prononçons, déclarons et jugeons par sentence définitive que ledit Arrighone, convaincu coupable et, par conséquent, punissable suivant les lois, soit condamné à la peine de la galère pendant deux ans seulement, et cela, eu égard au long emprisonnement qu’il a subi déjà, et aussi par d’autres considérations qui ont eu de l’efficacité sur notre cœur ; — la crainte d’un plus grand scandale pour la religion.

« Il doit être conduit sans délai à subir sa peine, et nous prescrivons que là il doit effectivement ramer pendant tout le temps que nous avons prescrit.

« Ce temps passé, nous condamnons, dès ce moment, ledit Arrighone au bannissement perpétuel de Monza, et de quinze milles à la ronde, sous peine de la dégradation des ordres sacrés, de la perte du bénéfice de curé et de trois autres années de galère, s’il osait rompre son ban ; c’est-à-dire s’il se rendait à Monza ou dans son voisinage, dans la périphérie de quinze milles.

« C’est ainsi que j’ai jugé définitivement, moi, Mamorius Lancillottus, Vic. Crim. »

Les pièces du procès démontrent que c’était Arrighone qui avait poussé Osio à séduire la sœur Virginie. Osio, en effet, s’était précédemment rendu coupable d’un meurtre et redoutait que sœur Virginie de Leyva, cousine des princes d’Ascoli et maîtresse féodale de tout le district de Monza, n’attirât sur sa tête un terrible châtiment. Il fit part de ses appréhensions à Arrighone au tribunal de la pénitence.

« Vous voilà embarrassé pour peu de chose, répondit le prêtre confesseur à son pénitent. En vérité, je vous trouve naïf. Eh ! quoi, vous êtes jeune, vous êtes beau, riche, vous savez votre monde, et un si petit obstacle vous arrête ? Faites-vous donc aimer de sœur Virginie : ce sera désarmer l’ennemi. »

Osio se montre alors dans son jardin à sœur Virginie, vêtu de ses plus riches habits. La nonne le contemple et exprime à l’une de ses compagnes le ravissement où la jette l’aspect de ce beau cavalier. La religieuse, confidente de sœur Virginie, est la maîtresse et la pénitente du curé Arrighone. Celle-ci raconte la chose en confession, et le prêtre, ami de Osio, s’empresse de révéler le secret qui lui a été confié. Infraction au secret pénitentiel ! L’amoureux se trouvant encouragé par la confidence du prêtre, risque une déclaration brûlante et jette sa lettre dans le jardin du couvent. Virginie se montre d’abord scandalisée du procédé et renvoie l’épître à son auteur. Sœur Virginie fit les aveux suivants sur tout ce qui a trait à l’affaire : « Jean-Paul Osio était très lié d’amitié avec le prêtre Paul Arrighone ; il lui faisait des cadeaux et lui donnait de l’argent ; il le consulta, au tribunal de la pénitence, sur la conduite qu’il devait tenir pour me ramener à de meilleurs sentiments à son égard.

Le prêtre lui dit que le moyen qu’il avait employé n’était pas habile et qu’il ne réussirait pas dans son dessein, mais qu’il devait me tromper et m’écrire une lettre dans laquelle il ferait montre de respect et de sentiments religieux.

Alors Jean-Paul m’écrivit une autre lettre par laquelle il me demandait pardon de l’impolitesse qu’il avait commise envers moi, et ajoutait qu’il se garderait bien de m’offenser à l’avenir. Il promettait, dans sa lettre, de faire dorénavant tout ce qui pourrait m’être agréable. »

Le procès constate en effet que Osio demanda à Arrighone des conseils sur les moyens d’obtenir les bonnes grâces de la sœur Virginie et que celui-ci, pour mieux le servir, consentit — moyennant paiement et force cadeaux — à écrire plusieurs lettres d’amour à la religieuse au nom de Osio. Le rusé prêtre disait, dans ces lettres, qu’il n’y avait pas de péché dans un commerce amoureux entre un homme et une femme, qu’elle fût du monde ou entrée en religion, et — à l’appui de son opinion, — il citait des textes qu’il attribuait à Saint Augustin.

La stratégie machiavélique du prêtre confesseur réussit à merveille ; Virginie consentit à écouter les doux propos de Osio à travers les grilles du parloir.

Elle ne se rendit pas immédiatement aux désirs de son amant, elle résista même longtemps à toutes les séductions. Mais le prêtre Arrighone intervint encore ; il vendit à beaux deniers comptant à l’amoureux, son pénitent, un talisman qui avait, prétendait-il, la vertu de faire céder les plus rebelles et de les mettre à la merci de celui qui en était porteur.

Le véritable talisman du prêtre était la puissance qu’il exerçait directement et indirectement sur la sœur Virginie par le confessionnal.

« Je me sentais comme poussée par une force vraiment démoniaque vers Osio, — déclara la pauvre religieuse dans l’interrogatoire qu’elle eût à subir. — Pour tout l’or et le trône des Espagnes, je n’aurais pas voulu céder à ses instances. J’allai en pèlerinage ; je me châtiai moi-même : mon sang coula sous la discipline ; mais je luttai en vain contre cet amour ; il envahissait tout mon être. L’image de cet homme fatal était dans mon cœur, son souvenir le remplissait. Osio m’apparaissait en songe, et je croyais encore le voir devant moi à mon réveil. Un jour, il me supplia de déposer un baiser sur une bague et de toucher de la langue, — colla lingua — un bijou en or entouré de diamants, qu’il porta ensuite à ses lèvres. C’était une amulette que Arrighone lui avait fournie, et qui avait été trempée dans l’eau bénite. À partir de ce moment je cessai de lui résister. Il me donna aussi un livre de la Bibliothèque de ce même Arrighone où il était dit qu’un laïque peut entrer sans péché dans la cellule d’une religieuse et que tout le péché consiste pour elle à en sortir. J’étais sous une impression de terreur et de désespoir ; je voulais en finir avec la vie. »

Le procès relate, en effet, que le curé avait magnétisé, — ou baptisé, comme on disait alors, — ces objets et les avait remis à Osio. Or, celui-ci était venu au parloir des religieuses pendant la nuit, accompagné par Arrighone, qui resta au dehors pour faire le guet pendant l’entrevue des amants. Osio avait baisé et touché légèrement de la langue les bijoux, puis les avait remis à sœur Virginie afin qu’elle les baisât à son tour, comme elle le fit.

Mais l’audace du curé Arrighone ne s’arrête pas là. Par un singulier jeu des passions, après avoir jeté la nonne dans les bras de son ami Osio, il en devint, à son tour, éperdûment amoureux, et il voulut la posséder. C’est elle-même qui dénonce le fait dans l’interrogatoire.

« Arrighone me dit un jour que c’était lui qui avait conseillé à Osio de m’écrire comme il l’avait fait, pour excuser sa conduite ; mais que si la lettre avait été écrite au nom de Osio, l’amoureux c’était lui Arrighone, et il me fit sa déclaration. Je reçus fort mal ses protestations. Je suis informée, homme infâme et méprisable, lui répliquai-je avec indignation, que ton effronterie est arrivée à ce point que tu as mis en œuvre tes machinations habituelles contre mon honneur. Ce qui m’étonne, c’est que la justice de Dieu ne fasse pas étinceler le feu du ciel devant toi, et ne te fasse pas entraîner par cent couples de diables quand tu montes à l’autel. Sache pourtant, et je le jure par le très saint baptême que j’ai reçu et par le rang que je tiens dans le monde, que je veux apprendre à ceux qui sont dupes de ton hypocrisie, combien tu es acharné contre moi. Je te ferai connaître pour l’homme pervers et sacrilége que tu es, car tu es arrivé à commettre toutes les insolences, jusqu’à la présomption de tenter même ici les épouses de Jésus-Christ, pour déshonorer notre monastère. Je garde soigneusement les lettres que tu as eu l’audace d’écrire comme preuves de ce qui se passe. »

Virginie faisait allusion aux relations du curé Arrighone avec sœur Candide et aux lettres qu’il avait écrites à cette religieuse. L’acte d’accusation relaté au procès contient en effet les passages suivants conformes à la déposition de la religieuse :

« 4o… Que ledit Arrighone demanda à sœur Virginie d’entretenir avec elle, pour son propre compte, un commerce amoureux, en lui envoyant des lettres et des vers, en la provoquant par ses discours au parloir, et en essayant toutes les voies pour atteindre ce but pervers ;

5o Que ledit Arrighone, pour son propre compte, depuis quatre ans — 1603 — entretient des relations criminelles avec la sœur Candide Colombe, religieuse professe dans Ste Marguerite ; qu’il lui écrivait beaucoup de lettres d’amour, qu’il en recevait des réponses et, ce qui est pire et plus détestable…… »

Qu’était donc ce pire et détestable ? Virginie nous le fait connaître dans son interrogatoire.

« Arrighone, après m’avoir persécutée par des lettres que je déchirai un jour en sa présence, commença à se lier avec plusieurs de nos sœurs ; il continua ses relations sacriléges avec la sœur Candide ; il persuada aux unes et aux autres d’aller la nuit au parloir pour causer avec lui. » Au moment où la sœur Virginie fut informée de la correspondance qui existait entre le prêtre Arrighone et les autres religieuses, elle fit des reproches au jardinier du monastère, Dominique, qui remettait les lettres, et le fit congédier. « Arrighone en fut courroucé au dernier point et me voua depuis une haine mortelle. »

Les manœuvres du curé Arrighone eurent le fatal dénouement que révèle le procès ecclésiastique ; la sœur Virginie était devenue la maîtresse d’un jeune seigneur Italien, Osio ; une autre religieuse entretenait des relations criminelles avec le curé confesseur ; trois nonnes complaisantes ou complices des débordements du prêtre avaient aidé à un meurtre abominable sur l’une de leurs compagnes ; puis deux tentatives d’assassinat sur les religieuses fugitives par Osio, et pour dernière scène de ce long drame, l’exécution de l’amant de la sœur Virginie.

Débauches dans un lieu réputé saint, chez les catholiques, dans un couvent ; scandales, avortements, trafic sacrilége, fornications sur les marches de l’autel, le sang humain versé ; une nonne étranglée et assommée, une autre jetée à la rivière, une autre précipitée dans un puits ; quatre religieuses murées dans leurs cellules, c’est-à-dire enfermées vivantes dans leurs sépulcres ; un jeune et beau cavalier torturé et subissant le dernier supplice. Œuvres d’un prêtre, conséquences de la confession !