Les Mystères du confessionnal/Épilogue/01

Imprimerie E.-J. Carlier (p. 119-121).


LE CONFESSIONNAL ORDINAIRE
ET
LE CONFESSIONNAL PARTICULIÈREMENT SECRET


L’église est le théâtre où se jouent les drames et les farces catholiques ; il y a du sang et des rires dans les cérémonies religieuses, l’horrible s’y allie au grotesque ; le brûlement des hérétiques s’y marie avec la bénédiction des ânes et des mulets.

L’homme noir se pose, à l’autel, comme le représentant de Dieu. La foule est à ses pieds, agenouillée, le front contre terre ; il est debout, dans tout l’orgueil du triomphe, il étend le bras, bénit les gens simples et crédules, les ouailles, les ignorants, les dévotes, les fanatiques, les victimes de l’exploitation cléricale. Le clergé catholique excelle dans la mise en scène, dans les fantasmagories religieuses ; des milliers de cierges jettent des flots de lumière autour de l’immense basilique, des nuages de fumée se dégagent des encensoirs agités par les jeunes lévites, l’orgue fait entendre ses gémissements puissants et harmonieux. Le prêtre, l’homme-dieu apparaît alors à la foule émue et frémissante, l’idole est revêtue de somptueux ornements, elle pénètre dans le sanctuaire, monte les degrés du maître-autel et domine l’assistance. Le prêtre officiant s’est transfiguré ; pour les vrais croyants, pour les femmes catholiques, ce n’est plus un homme, c’est Dieu.

Bientôt, cet être immatériel, ce Jéhovah descendra des hauteurs où il était apparu à la foule de ses adorateurs, de ses dévotes, et il se dirigera vers une des chapelles où se trouve le réduit mystérieux qu’on appelle le confessionnal, pour y recevoir les aveux des belles pénitentes. Le Dieu se fait agneau, il se prête aux doux épanchements à ces heures de la dernière partie du jour favorables aux orages du cœur, aux agitations des sens, surtout aux époques où le soleil darde ses rayons plus chauds dans nos contrées d’Europe. Tout semble convier le prêtre et la pécheresse aux confidences amoureuses. Le temple est rentré dans le calme, une demi-clarté a succédé aux flots de lumière et ne projette plus dans les chapelles que des ombres vaporeuses ; seule la grande rosace du portail flamboie au soleil couchant. Le confessionnal est placé au fond des sanctuaires, aux recoins obscures où l’œil a peine à distinguer pénitentes et confesseur. La guérite sacrée est divisée en deux ou trois compartiments séparés par une légère cloison ; dans le compartiment du milieu siége le prêtre, c’est là qu’il interroge, juge, bénit, absout ou condamne. Au-dessus de la porte une inscription en lettres capitales, le nom du satyre : le révérend père K… — carme, dominicain ou capucin — ou Mr le chanoine N…, ou le révérend père P… — jésuite, ou Mr l’abbé Q… ou Mr le curé X…

Chaque église, dans nos grandes villes, tient en réserve pour les dévotes hystériques une variété de boucs sacrés ; il y en a de toute couleur et pour tous les goûts, depuis l’abbé pimpant, frisé et musqué, jusqu’au capucín sale et puant. À droite et à gauche du compère en soutane ou en froc, deux loges où les pénitentes langoureuses vont se placer, s’agenouiller, ayant à hauteur du visage une ouverture de 30 à 40 centimètres garnie d’un treillis ; parfois ce treillis est mobile et s’ouvre du côté du prêtre ; nul obstacle aux baisers, aux attouchements entre confesseurs et pénitentes ; parfois aussi la cloison entière est disposée de manière à glisser sur des gonds discrets, ce qui permet les conjonctions impures ; tous les actes peuvent alors être consommés avec filles ou garçonnets. Le prêtre peut en effet se clore hermétiquement dans son armoire et s’isoler du pénitent qui est agenouillé dans le compartiment voisin, grâce à un petit volet qu’il pousse sur le treillis et qu’il ferme au verrou ; la porte du milieu est en bois plein ou à claire-voie, mais garnie de rideaux ; l’intérieur reste impénétrable aux regards profanes. Dans certaines églises les curés ont la précaution d’envelopper avec des rideaux les compartiments destinés aux fidèles ; tout y est savamment combiné pour le mystère. C’est là, dans cet antre, dans cette armoire à secrets, que le confesseur et une femme ou une belle jeune fille vont causer ensemble, si rapprochés l’un de l’autre que leur souffle se confond, qu’ils peuvent compter les battements de leurs cœurs : c’est là qu’ils vont parler de l’amour divin et de l’amour humain, et s’étendre complaisamment sur des sujets que des époux, dans la plus grande intimité, n’oseraient pas aborder ; c’est là qu’ils vont discuter, commenter et développer le texte du sixième commandement !… Luxurieux point ne seras, de corps ni de consentement.

Il existe encore dans les églises un autre confessionnal, désigné sous le nom de confessionnal particulièrement secret ; il est à deux compartiments, un pour le tonsuré, l’autre pour le pénitent. Cette armoire est destinée aux personnes atteintes de surdité ; on la relègue, d’ordinaire, au fond de la sacristie ou dans une pièce isolée. Les paroles échangées entre le prêtre et son client, devant être prononcées à haute voix, nul témoin ne peut assister à la confession. Le curé tire le verrou à l’intérieur de la sacristie ou de la chambre réservée, et demeure seul avec son pénitent ou sa pénitente. C’est là qu’il attire sous un prétexte quelconque les femmes et les filles, même les jolis garçons, dont il veut user et abuser.

Voilà le confessionnal, le meuble, l’outil, l’instrument à l’aide duquel s’accomplissent doux péchés d’amour, délits contre la morale, captations d’héritages, viols et stupres, crimes et forfaits.

C’est là que fonctionne la noire araignée, tissant, tramant, aux aguets, attendant la proie, pour l’étreindre, la sucer, la dévorer.

Pères, maris, veillez sur vos femmes, sur vos filles ! Séduire, corrompre, c’est la mission du confesseur ; flétrir les âmes, polluer les corps, c’est le rôle des curés. Tout prêtre est un bourreau patenté par la foi.



LE CONFESSIONNAL, FLÉAU DE L’ENFANCE, DE L’ADOLESCENCE
de la femme mariée, de la famille


« La confession, dit le cardinal Gousset dans sa Théologie morale, t. II p. 252, est obligatoire pour le fidèle qui a atteint l’âge de discrétion : Post quam ad annos discretionis pervenerit. » D’après le docte prélat, on doit attirer les enfants au tribunal de la pénitence, dès qu’ils savent discerner le bien d’avec le mal, ne serait-ce que pour leur apprendre à se confesser et leur faire contracter de bonne heure l’habitude de la confession. » Monseigneur Gousset, dans un autre passage du même ouvrage, ajoute ce commentaire : « C’est un abus que l’usage introduit en plusieurs endroits, d’attendre jusqu’à la première communion, pour absoudre des enfants qui ont commis certaines fautes plus ou moins graves. Selon ces principes, l’enfant, dès la septième année, communément regardée comme l’époque de l’éclosion de la raison, doit être envoyé au tribunal de la pénitence. Malgré la répulsion naturelle qu’inspire à l’enfant cet acte humiliant, il doit obéir à ses parents et aller au confessionnal s’agenouiller aux pieds du curé auquel il fera machinalement l’aveu de ses fautes. Après quoi il écoute son directeur et répond à ses interrogations. Mais qu’advient-il de cette pratique ? Le confesseur, même le plus expérimenté, ayant l’esprit faussé par l’étude des Diaconales, pose à son jeune pénitent des questions obscènes qui font naître en lui des idées qu’il n’aurait eues que bien plus tard et lui apprennent des choses qu’il eut ignorées peut-être toujours. Une longue expérience nous permet d’affirmer que, sur cent enfants envoyés au confessionnal, quatre-vingt-dix sont initiés à la science du mal et aux turpitudes par les directeurs spirituels.

La confession est funeste pour les adolescents, garçons ou filles, surtout pour les jeunes filles arrivées à l’âge de puberté. Dans ce moment de transition de l’enfance à l’adolescence, les parents redoublent de vigilance pour écarter de leur fille certains dangers : mais, cédant à de fatals préjugés, ils croient devoir confier la direction de cette jeune âme à un prêtre qu’ils supposent capable de la maintenir dans la bonne voie. Hélas ! ils conduisent leur fille à l’un de ces hommes en soutane ou à froc qui tient dans ses mains une puissance redoutable dont il va user pour séduire, pour corrompre. Le contact, le souffle même des hommes noirs est mortel pour la fleur délicate élevée à la ville, et pour le beau lys de nos vallées. Séduction ou corruption, l’œuvre infernale s’accomplira. La confession, fatale aux jeunes filles, n’a pas de meilleures conséquences pour les garçons ; indépendamment des habitudes honteuses d’onanisme dont elle est la cause déterminante, elle dégrade les caractères, elle habitue aux délations. C’est parmi les habitués du confessionnal que se recrutent toutes les polices. La bondieuserie engendre l’espionnage politique.

Pour la femme mariée, la fréquentation du tribunal de la pénitence a des effets désastreux. Michelet a tracé de main de maître le rôle du confesseur dans son livre « Du prêtre, de la femme et de la famille. » Il montre celui-ci arrivant par un travail incessant, une volonté ferme et la force de l’habitude, à faire de sa pénitente un être qui ne sent, ne pense, ne veut, ne vit et n’agit que pour lui.

« Le confesseur patient et rusé, qui, jour par jour, ôtant de la femme un peu du mari, substituant un peu de lui, a doucement subtilisé l’un, mis sa personnalité en son lieu. Les molles et faibles natures de femmes, presque aussi fluides que celle de l’enfant, se prêtent bien aisément à la transfusion. La même qui voit toujours le même prend, sans le savoir, son tour d’esprit, son accent, son langage, quelque chose de son allure et de sa physionomie. Il parle et elle parle ainsi ; il marche et ainsi elle marche. À la voir seulement passer, qui saurait voir, verrait qu’elle est lui. Mais ces conformités extérieures ne sont que de faibles signes du changement profond qui s’est fait au dedans. Ce qui s’est transformé c’est l’intime, et le plus intime. Un grand mystère s’est fait, ce que Dante appelle transhumanation, lorsqu’une personne humaine, fondant à son insu, a pris substance pour substance, une autre humanité : lorsque le supérieur, remplaçant l’inférieur, l’agent le patient, n’a plus même à le diriger, mais devient son être. Lui, il est, l’autre n’est pas, sinon comme un accident, une qualité de cet être, un pur phénomène, une ombre vaine, un rien…

On ne peut appeler cet état influence, domination, royauté ; c’est bien autre chose que royauté ; c’est divinité. C’est être le dieu d’un autre.

Le mariage est à deux, non pas à trois. Or, le confesseur y introduit la trinité. Il y est plus puissant que le mari. Par l’âme qu’il tient, il opère un mariage spirituel. On a tout quand on possède l’esprit. Permettre à sa femme de fréquenter le tribunal de la pénitence, c’est abdiquer, se donner un rival ou plutôt un maître, c’est surtout livrer la famille au clergé. Le directeur d’une femme sera, quand il le voudra, le chef du foyer domestique.

Le confesseur règne et gouverne. Guidé par un sentiment de curiosité, par un secret penchant pour la femme, par le désir d’être utile à l’Église ou de servir ses intérêts, en résumé poussé par l’ambition, la cupidité ou l’amour, peut-être par ces trois mobiles réunis, le prêtre s’est dit qu’il doit pénétrer sous le toit de la femme qui est à ses genoux au confessionnal. Comment procédera-t-il pour arriver à son but ? Aura-t-il même besoin de manifester ouvertement son désir ? Une simple insinuation suffira ; la pénitente comprend ses intentions et saisira le premier prétexte qui s’offrira à elle pour ouvrir la porte de la maison à deux battants devant le prêtre. Ce sera, par exemple, à l’occasion d’une quête, d’une œuvre de charité. D’ailleurs, « ce que femme veut, Dieu le veut ; » surtout quand la femme est doublée d’un confesseur.

Le jour de la visite est arrivé. Le prêtre se présente. Le terrain a été préparé. Sans l’avoir peut-être jamais vu, le maître de la maison connaît déjà le ministre des autels, et ne le connaît que par l’énumération qui lui a été faite de ses bonnes qualités. Un bourgeois ordinaire se trouve honoré dans une certaine mesure de la visite du curé. Si son éducation a été libérale ou s’il est homme du monde, par convenance il accueille avec bienveillance l’homme qui représente dans l’opinion publique un principe assez respecté. D’ailleurs le prêtre sait se donner des airs d’humilité qui flattent l’amour-propre du chef de la famille et le portent à se dire à part lui : « C’est un excellent homme fort simple. » Toutefois le confesseur parle assez bien pour qu’on ait de sa valeur et de son influence personnelles une haute idée.

Aussi la première entrevue lui est généralement favorable ; et, grâce à la femme, qui ne se possède pas de joie au moment où le confesseur se retire, Monsieur l’invite à revenir prochainement. Le premier pas est fait ; il n’y a plus qu’à consommer la prise de possession. Alors le prêtre agit envers le mari comme il a procédé à l’égard de la femme, mais en se livrant à d’autres manœuvres. Si d’un côté il a fait vibrer la corde sentimentale, de l’autre il met en mouvement celle de l’ambition ou de l’intérêt, dans ses visites sagement espacées. Finalement on l’invite à dîner. Il aborde dans la conversation les sujets qui plaisent à l’amphitryon. Celui-ci fait alors des demi-confidences, exprime son espoir ou ses craintes ; et, sans précisément demander un avis, tacitement il permet un conseil.

Directement ou indirectement le prêtre connaît les habitants de sa paroisse. Il peut donc être utile et ne manque pas d’offrir ses services.

Comment refuser une offre quand l’intérêt est en jeu, et surtout quand elle est faite avec bonhomie ? Les avances du tonsuré sont donc acceptées avec empressement. Le service est rendu : mais le mari s’est placé sous la dépendance du confesseur de sa femme. Il est son obligé, et même il a pu se convaincre que les relations du prêtre sont nombreuses, que partout on l’a reçu avec déférence, qu’il y a parlé avec autorité ; c’est donc un homme puissant et d’un commerce précieux. Il faut ménager l’oint du Seigneur et on le ménagera.

Telle est la stratégie ordinaire pour la prise de possession d’un ménage. Nous avons choisi les cas les plus défavorables : il aurait pu être question d’un emprunt à réaliser, d’une poursuite à éviter, d’un délai à obtenir devant les tribunaux, d’une affaire à étouffer. Alors un double lien se forme ; celui qui résulte de l’obligation morale contractée et celui qui provient de la crainte de se voir compromis. Dans ces hypothèses, le prêtre devient indispensable. Y a-t-il un nouvel embarras, une nouvelle affaire ? Le mari pense au curé. Mais craignant d’être indiscret, il fait agir sa femme. En allant à l’église, au confessionnal, tu lui diras un mot de l’affaire. » La femme accepte le rôle, et obtient ce qu’on est heureux de lui accorder. Mais la prise de possession du foyer domestique est désormais un fait accompli. Le prêtre y vient à son jour et à son heure : on ne se gêne plus avec le mari ; le confesseur est maître de la place. Maintenant le curé donne toujours son avis, reprend et morigène au besoin. Il affecte à l’égard du chef de la maison un air de protection, toléré à cause des services rendus. Bientôt, s’il a affaire à un esprit vulgaire et faible, il le domine absolument. Si au contraire, il se trouve en présence d’une nature intelligente et douée d’une certaine énergie, il l’assouplit peu à peu. Il ne s’occupe d’abord que des choses futiles ou indifférentes en apparence, pour passer ensuite à l’éducation des enfants qu’il impose, à la tenue de la maison, à la dépense, pour en venir à tout réglementer, à tout maîtriser.

Majestueusement assis à la première place de la table du festin, il préside aux fêtes de famille ; mêlé aux scènes les plus intimes de la vie privée, il se fait l’arbitre des différends qui s’élèvent entre les époux. Insensiblement le mari s’habitue à cette ingérence, à cette domination, et s’aveugle à ce point qu’il croit à son autorité quand son abdication est complète. Ici le prêtre déploie une habileté digne de la femme la plus rusée. Plus le chef de la famille s’efface, moins son maître paraît vouloir user de son omnipotence. Pourquoi heurter la susceptibilité du mari ? À quoi bon, d’ailleurs, courir les risques d’un conflit ? N’a-t-il pas une amie dans la place, dont l’action est incessante ? La femme, devenue son miroir, son esclave, à la suite d’un pacte tacite, né de la force elle-même des choses, reçoit communication de ses volontés. Ils combinent ensemble, au confessionnal, les moyens de les faire aboutir. Elle s’en charge. Guidée par le prêtre, elle attend son heure, profitant du moindre incident favorable pour glisser une insinuation, revenant sur ses pas si le mari est rebelle, pressant la conclusion s’il est bien disposé. Ce qu’elle déploie d’astuce, de prudence, de chatterie dans cette stratégie est inimaginable ; elle puise dans la confiance aveugle que lui inspire le prêtre et dans la certitude qu’elle a de bien faire, une souplesse d’allure, une force de persuasion dont la femme seule est capable. Elle calcule si exactement, l’occasion est si bien ménagée, elle sait donner à tout ce qu’elle fait, et la nuit et le jour, une couleur si séduisante, qu’au moment où la combinaison réussit, le mari se figure qu’il en a tout le mérite. Ô mari ! ô femme ! ô prêtre ! quelle trinité !

Le moment solennel et décisif est arrivé. Il s’agit de frapper un grand coup pour devenir maître absolu et perpétuel. Il faut y arriver par un fait qu’on fera naître s’il ne vient pas autrement. Il deviendra pour le prêtre un levier irrésistible : ce sera un de ces services rendus qu’on n’oublie jamais, comme par exemple un prêt qui sauve une situation commerciale ; le déshonneur épargné à toute une famille. Quand le prêtre possède un secret de famille qui, divulgué, pourrait amener la ruine ou la honte, il est seul maître au foyer domestique. Tel est son but, il ne l’atteint que trop souvent. Surpris en flagrant délit d’adultère, Tartuffe se redresse comme un serpent qu’on écrase du pied et répond à Orgon courroucé qui le chasse : « La maison est à moi ! »

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Voilà donc le confesseur amant de la femme et maître absolu de la famille ; il règne et gouverne.