Au Comptoir des imprimeurs unis (8p. 3-35).


XXV


CATALEPSIE.


Lady Campbell était une de ces femmes dont il faudrait retoucher le portrait à chaque page du récit. Son caractère avait beaucoup plus de bon que de mauvais, et le mal qu’elle faisait n’était point volontaire. Ses pareilles emplissent nos salons, où elles sont à juste titre aimées et souvent admirées. — Seulement il faut tâcher de ne leur point donner à garder de jeunes filles, parce que, nous l’avons déjà dit, l’excès de leur bon vouloir les porte à empiéter sur le rôle de leurs élèves. Elles choisissent pour elles, aiment pour elles, et peut-être, qui sait ? se marieraient volontiers pour elles.

Tant il est vrai que le dévoûment, chez les femmes, peut atteindre les proportions les plus héroïques.

Lady Campbell, au fond, ne méritait point les sévères paroles qui furent l’adieu de Perceval. Et pourtant, Perceval était en droit de les lui adresser. Ceci peut sembler contradictoire ; mais c’est l’exacte vérité. La spirituelle femme avait tué sa nièce de bonne amitié, sans autre envie que de la rendre la plus heureuse de toutes les misses du West-End. Elle avait le cœur net, la conscience tranquille, et se votait in petto une couronne avunculaire.

Qu’avait-elle fait, sinon le bien ? Et avec quelle peine, bon Dieu ! Que de soins pour mener à bonne fin ce mariage !…

Aussi, les dernières paroles de Frank ne firent point sur elle l’impression qu’on en aurait pu attendre. Elle ne les comprit pas.

D’ailleurs, elle était en proie à une inquiétude si vraie, à une douleur si réelle en ce moment que son défaut d’intelligence ne doit point surprendre. Lady Campbell aimait véritablement Mary plus que tout autre chose au monde, et, à le bien prendre, son engouement pour le marquis de Rio-Santo n’était qu’un ricochet de sa tendresse pour Mary. Il y avait long-temps qu’ils étaient mariés dans son esprit.

Une fois Frank sorti, elle prit la main de miss Stewart.

— Ma chère enfant, dit-elle, je sais que vous êtes bonne et vous me pardonnerez ma vivacité de tout à l’heure… Je vous aime, puisque vous aimez ma pauvre Mary, et je n’ai pu vouloir vous offenser… Mais, de grâce, ne me cachez rien ! Que s’est-il passé entre eux ?

— Je l’ignore, madame, répondit Diana, et si je le savais, je prierais Votre Seigneurie de remettre ses questions à un autre moment… Le plus pressé, je pense, est de porter secours à la pauvre Mary.

— C’est vrai, mon enfant… c’est vrai, mademoiselle, murmura lady Campbell ; je vais faire transporter ma pauvre nièce à Trevor-House.

— Je crains que vous ne le puissiez pas, madame… En tout cas, il faudrait l’avis d’un médecin… Enverrai-je chercher celui de ma mère ?

— Non, chère belle… Puisque vous êtes assez bonne… envoyez chercher M. Moore, 10, Wimpole-Street… c’est M. de Rio-Santo qui nous l’a donné.

Un groom partit aussitôt pour Wimpole-Street, afin de mander le docteur Moore, lequel occupait la maison immédiatement contiguë à celle qu’habitait Susannah, sous le nom de la princesse de Longueville.

En attendant la venue du docteur, lady Campbell et miss Stewart s’empressèrent, sans fruit, autour de Mary, pétrifiée. Ce mal étrange les remplissait de surprise et d’épouvante. Elles pensaient que miss Trevor vivait, mais elles n’en pouvaient point être certaines, car Mary n’avait ni souffle, ni pouls, ni chaleur.

Lady Campbell se désolait, accusait Dieu, le hasard, Frank, tout ce qui existe, elle-même exceptée.

Diana, agenouillée devant Mary, tenait une de ses mains froides et pleurait silencieusement.

Enfin, le docteur Moore arriva. Ce praticien, que nul membre de Royal-College ne pourra méconnaître, malgré le nom d’emprunt que nous lui donnons dans ce récit, avait une sûreté de coup d’œil qui était presque passée en proverbe parmi ses confrères. Sa célébrité, comme physician, était grande, et ses ouvrages, peu nombreux, mais éminents, sont estimés à juste titre par toute l’Europe savante. Les jeunes adeptes de la science de guérir, feuilletant avec respect les doctes pages que ce médecin illustre (le mot n’est pas trop fort et s’accole bien souvent au véritable nom du docteur Moore dans les chaires médicales de Londres, de Paris et de Vienne), les jeunes élèves, disons-nous, ne se doutent guère que ces lumineux travaux furent le fruit de quelques rares instants dérobés à une vie de honte et de rapines. À quoi bon les en instruire ? Si Dieu permet qu’un mauvais arbre produise par hasard des fruits savoureux et choisis, doit-on éloigner d’eux la main du passant qui veut les cueillir ? Assurément, ce serait faire acte de prévention stupide, et, en ce monde, où le bien et le mal se mêlent partout et toujours, il faut se garder d’imputer à crime au bien sa parenté fortuite avec le mal.

Nous pourrions dire à ce sujet des choses incontestables et nouvelles autant qu’une chose peut être nouvelle sous notre vieux soleil. Mais de certaines gens ont pris pour drapeau ce mot admirable : choisir, et leur drapeau ne nous plaît pas. En conséquence, nous nous taisons, redoutant, à l’égal de la peste, d’être pris pour un éclectique.

D’un seul regard, le docteur Moore reconnut l’état de miss Trevor. Son impassible physionomie n’exprima ni surprise ni inquiétude ; mais pour un observateur, l’accélération subite de son pas, d’ordinaire si mesuré, eût été une preuve de la gravité des circonstances.

— Monsieur, oh ! monsieur ! s’écria lady Campbell, — dites-nous bien vite ce que nous devons craindre et ce que nous pouvons espérer.

Le docteur lui recommanda le silence d’un geste.

Diana, qui s’était mise à l’écart, dévorait des yeux la muette physionomie de Moore et cherchait à deviner sa pensée ; — mais, sur ces traits de bronze, il n’y avait rien d’écrit.

Le docteur fit rouler un fauteuil de manière à s’asseoir juste en face de Mary.

Cela fait, il se renversa en arrière et la considéra attentivement durant une minute.

— Milady, je vous prie de faire préparer sur-le-champ des sinapismes, dit-il sans cesser de regarder la malade ; — qu’on apporte avant cela un bassin et de l’eau.

Quelque chose se montra seulement alors sur la physionomie du docteur, qui s’éclaira d’intelligence profonde et de curiosité.

Il se leva et mit sa joue devant la bouche de Mary. Ce que n’avaient pu sentir Diana et lady Campbell, M. Moore le découvrit. Mary respirait ; un souffle imperceptible et froid vint frapper légèrement la joue du docteur. Il posa sa main dégantée sur la poitrine de la pauvre fille ; le cœur battait si peu qu’il fallait des doigts exercés pour apprécier ces faibles pulsations.

— C’est cela ! c’est bien cela ! murmura-t-il avec une sorte de satisfaction.

Lady Campbell et Diana s’embrassèrent, tant ces mots leur donnèrent de joie.

Le docteur se frotta les mains et se rassit.

On apporta le bassin rempli d’eau. — Le docteur tira sa trousse et prit une lancette.

— Voyons, dit-il.

Le bras raidi de la pauvre Mary fut tendu. Sa veine ouverte laissa tomber goutte à goutte quelques larmes de sang.

— C’est bien ! dit le docteur.

À peine avait-il lâché le bras de miss Trevor, que ce bras, décrivant une courbe insensible, reprit sa position première.

— « Affection rare, mystérieuse, terrible, murmura Moore comme s’il eût fait une citation ; — qui semble porter dans la vie tous les caractères de la mort ; dans la mort, les principales conditions de la vie… » C’est bien cela !… De l’éther, miladies, de l’éther et de l’opium, s’il vous plaît !

Il fit avaler à Mary une petite dose d’éther et d’opium, et poursuivit :

— Remède de vieille femme !… Si cela réussit, il faudra déchirer ses diplômes… mais l’enfant résiste… bravo !… j’en étais sûr !

— Il va la sauver, madame, dit miss Stewart en joignant les mains.

— Oh ! chère belle, répondit lady Campbell ; — c’est M. de Rio-Santo qui nous l’a donné.

Une femme de chambre apportait en ce moment les sinapismes. Moore les appliqua, brûlants, sur les pieds délicats et mignons de Miss Trevor. Puis il se rassit encore et recommença, le lorgnon à l’œil, son observation.

— Faites préparer un lit, s’il vous plaît, mesdames, dit-il au bout de quelques minutes ; un lit dur, sans plumes, incliné… Oh ! il y avait bien long-temps que j’avais envie de tomber sur un cas pareil !

Diana et lady Campbell se regardèrent étonnées.

— Les médecins sont tous ainsi, ma chère enfant, hasarda timidement lady Campbell.

— Venez ! s’écria Moore à ce moment ; — venez voir : c’est curieux, sur mon honneur, plus que tout autre chose au monde !… Voici des sinapismes qui eussent piqué le cuir d’un taureau, — il approcha de ses narines le linge chargé de moutarde ; — farine excellente, eau qui brûlait : mes doigts en gardent la trace… Eh bien ! voyez !

— Ses pieds sont blancs comme de l’albâtre, mon cher monsieur, dit lady Campbell ; — est-ce bon signe ?

— Je le crois bien, milady !… J’ai craint d’abord une hystérie ordinaire, mais c’est une belle et bonne catalepsie ! — Une catalepsie ! reprit-il avec un enthousiasme dogmatique, « affection rare, mystérieuse, madam, terrible ! qui semble porter dans la vie tous les caractères de la mort ; dans la mort, les principales conditions de la vie… » Ah ! c’est la première fois que je vois cela depuis vingt-cinq ans que j’exerce !

— Cet homme est fou, milady ! s’écria miss Stewart effrayée.

Moore tressaillit et baissa les yeux.

— Madam, dit-il à Diana d’un ton de sévère reproche, — ceux qui se dévouent à la science pour lui donner tous les instants de leur existence, sont sujets à ne point connaître les lois transitoires et convenues qui régissent la vie du monde… Parfois, ils s’échappent à penser tout haut, et, comme leurs pensées sont au dessus de l’intelligence du vulgaire, ils entendent bien souvent murmurer autour d’eux : — Cet homme est fou ! — mais il ne s’en émeuvent point, madam, parce qu’ils savent dédaigner l’outrage et pardonner à l’ignorance.

Diana, la pauvre fille, balbutia des paroles d’excuse, tandis que lady Campbell disait :

— Ah ! ma chère belle ! comment avez-vous pu mécontenter M. le docteur !

En tout pays, les grands mots sont une arme souveraine contre les enfants, les femmes et les neuf dixièmes des hommes faits. La science de se draper est la plus utile de toutes les sciences. Elle sert également au vicaire d’un mince bénéfice, au pédant professeur d’une université, aux commoners, aux lords, aux ministres.

Aux ministres surtout.

D’un ministre qui ne saurait pas se draper, la Chambre des Communes ne ferait qu’une bouchée.

Les Français ont un mot qui, entre autres acceptions, s’emploie pour exprimer d’une façon courtoise la perfection de cet art estimable. Ils disent doctrinaire[1] pour ne pas dire charlatan.

Nous faisons des vœux pour que cette locution polie trouve accueil en notre vocabulaire.

Marie Trevor, cependant, demeurait toujours immobile et pétrifiée. Ni la saignée, ni l’opium, ni l’éther, ni les sinapismes n’avaient produit le moindre effet sur sa torpeur.

Il y avait quelque chose de singulièrement effrayant dans l’aspect de cette vivante statue. D’ordinaire, l’idée de la mort est inséparable de l’idée d’affaissement. On se représente une personne morte, couchée, ou tout au moins appuyée. Un mort debout, c’est un spectre, c’est l’épouvantable et le surnaturel.

Mary n’était point debout, mais sa taille redressée gardait une posture qui eût été fatigante pour une femme robuste et en pleine santé. L’un de ses bras pendait le long de son corps ; l’autre, soulevé à quelques pouces de son siège, était resté tendu, bien que le fauteuil de Perceval où ce bras s’appuyait naguère eût été reculé. Sa tête était levée, mais non pas au point de tendre d’une manière visible les muscles de son cou. Elle regardait droit devant soi, si l’on peut appeler regarder avoir l’œil grand ouvert, les prunelles démesurément dilatées, mais dépourvues, en apparence, de la faculté de percevoir les images.

La catalepsie est un mal presque inconnu sur le continent. Certains auteurs des facultés de France et d’Allemagne ont été jusqu’à révoquer en doute son existence. Chez nous, sans être commun, il se présente malheureusement assez souvent pour que personne ne puisse méconnaître ses étranges et mystérieux effets. Bizarre autant que terrible, cette affection, contre laquelle notre savant collège n’a point su trouver encore de remède, a eu son moment de vogue effrénée. C’était la maladie à la mode. Nos lions étaient cataleptiques les jours où ils n’avaient rien de mieux à faire, — le dimanche, par exemple ; — une petite lady, veuve de son serin, tombait immédiatement en catalepsie. Vous entendiez ce mot partout, et lord John Tantivy, le sportman, mourra persuadé que Peppercorn, son cheval alezan, est décédé en état de catalepsie.

Ce Peppercorn était le fils de Royal-Cocoa et de Viscountess, la fameuse jument de lord Sandwich, qui inventa (le lord) les tartines connues sous le nom de sandwiches dans les cinq parties du monde.

Il n’est point de médecin à Londres qui n’ait eu occasion d’approcher en sa vie quelque prétendu cataleptique. Mais les vraies catalepsies ne se rencontrent pas tous les jours et sont excessivement recherchées par les amateurs. Autre chose est ce mal funeste, dont les symptômes épouvantent, dont la marche lente, sûre, obstinée, conduit presque certainement à la mort, autre chose les syncopes volontaires ou non de quelque oisif qui veut se décorer d’une maladie excentrique.

N’a pas qui veut une catalepsie.

Le lecteur doit donc comprendre jusqu’à un certain point la joie du docteur Moore en face de ce cas précieux. C’était un joyau qu’il allait tailler, un mets nouveau qu’il allait goûter. — Sa première amputation ne l’avait pas réjoui davantage.

Or, souvenez-vous, messieurs, de votre premier rendez-vous d’amour, souvenez-vous, miladies, de votre premier cachemire et vous n’aurez qu’une faible idée des voluptés infinies d’une première amputation…

Deux femmes de chambre soulevèrent Mary dans leurs bras et la portèrent sur le lit préparé suivant les ordres du docteur Moore. Celui-ci la coucha lui-même et parvint, après de grands efforts, à plier ses membres raidis.

— C’est une chose bien simple, murmura-t-il. La jeune fille était depuis long-temps dans un état tout à fait contre nature… et je connais bien des femmes plus fortes qu’elle qui n’eussent point résisté tant de jours. Son système nerveux était irrité à l’excès… Sans cesse elle passait par des alternatives épuisantes de surexcitation et d’atonie… Bref, on lui faisait subir, d’une autre façon, un traitement analogue à celui qui me sert pour cette belle enfant que Bishop m’a vendue cent guinées, et sur laquelle j’expérimente dans Wimpole-Street… Aujourd’hui elle aura subi quelque choc violent… Son sang s’est coagulé dans ses veines… Et le cerveau est resté frappé de paralysie… C’est cela, mais ce n’est pas tout. — Il faut chercher, scruter, découvrir…

Il essaya de fermer les paupières de Mary. Elles cédèrent sans trop de résistance à la pression de son doigt, mais elles se relevèrent lentement.

— Madam, reprit-il tout haut, j’aurais besoin de savoir de quelle nature est l’événement qui a précédé, — qui a produit sans doute, l’évanouissement de miss Trevor.

— Ce n’est donc qu’un évanouissement, docteur ?

— La mort est un évanouissement prolongé à l’infini, madam… Permettez-moi de vous répéter que j’aurais besoin de savoir…

— Je l’ignore, monsieur, je l’ignore absolument… Et, à moins que miss Stewart ne puisse vous le dire…

— Tout ce que je sais, répondit Diana, c’est qu’elle a causé fort long-temps avec Frank Perceval.

— A-ah !… fit le docteur, en prolongeant cet élastique monosyllabe.

— Dès ce matin, quand elle est venue, elle semblait égarée et paraissait en proie à d’étranges idées…

— Parfaitement, madam… Et… n’y avait-il aucun motif à sa venue ?

Diana rougit et se tut.

— Madam, poursuivit Moore avec autorité, — miss Trevor est bien malade… il faut me répondre.

— Elle avait reçu une lettre de Frank, dit bien bas Diana.

— C’était donc un complot ! s’écria lady Campbell.

— Ah !… fit encore le docteur ; — l’Honorable Frank Perceval s’est guéri bien vite !… Je suis pour quelque chose dans cette cure, mesdames… Ainsi, nous ne pouvons savoir ce qui s’est passé entre miss Trevor et lui ?

— Non, monsieur, répondit Diana.

Moore jeta sur elle son regard observateur.

— Mesdames, je vous rends grâces dit-il en se retournant vers Mary.

Diana le considérait avec défiance. Quant à lady Campbell, son regard était attiré par une sorte de fascination vers l’œil vitreux et fixe de Mary. Elle ne pouvait se détacher de ces prunelles élargies sur lesquelles ne battaient plus les longs cils des paupières ouvertes, et ces prunelles lui semblaient parfois rouler lentement à droite et à gauche, comme les yeux d’émail de ces Maures que fait mouvoir le balancier d’une pendule.

Elle était oppressée, et il y avait sur sa conscience quelque chose comme un regret ou un remords.

Le docteur se leva au bout de quelque minutes et salua en silence pour prendre congé.

— Oh ! ne nous quittez pas ainsi, monsieur, s’écria lady Campbell ; — dites-nous au moins qu’il y a de l’espoir !

— Miss Trevor n’est pas morte, madame, répondit froidement le docteur.

Il mit ses gants avec grand soin et ajouta :

— Je vais vous envoyer Rowley, mon aide-pharmacien, qui appliquera une ventouse entre les deux épaules de la malade… Je reviendrai ce soir !

— Mon Dieu ! mon Dieu ! murmura lady Campbell avec accablement lorsque le docteur fut parti ; — quel affreux malheur !… si près d’être heureuse !… Mais voyez donc, ma chère enfant, comme les yeux de Mary ont un effrayant regard… Oh ! je mourrai, si je reste auprès de la pauvre fille !

— Madame, répondit miss Stewart, — si vous voulez, je veillerai seule…

Le docteur Moore, cependant, s’était jeté dans sa voiture et regagnait Wimpole-Street au galop.

— Faites descendre Rowley à mon cabinet, dit-il au groom qui lui ouvrit la porte de sa maison.

L’aide-chirurgien-pharmacien-assassin se présenta presque aussitôt.

— Eh bien ! Rowley, demanda le docteur, — notre bel oiseau ?

— Toujours en cage, monsieur, répondit le drôle en ricanant avec une sorte de bonhomie ; — et du diable si la petite ne donnerait pas une de ses jambes pour courir à cloche-pied sur l’autre en toute liberté…

— Elle est toujours à la diète ?

— Un joli petit morceau de pain d’une demi-once tous les deux jours.

— Et la chambre est bien noire ?…

— Comme un four… J’en serais mort vingt fois pour une, moi, monsieur.

Moore haussa les épaules.

— Ah ! réprit Rowley, ce n’est pas l’embarras, elle est bien changée, bien minée ; mais elle tient bon !… Ça me pique au jeu, moi !… Ce matin, je l’ai laissée s’endormir tout de bon, au lieu de l’éveiller au bout de dix minutes, — heure militaire ! — comme c’est convenu… Quand elle a été bien endormie, je suis entré pour la voir… histoire d’un peu de curiosité, monsieur… Ah ! ma foi, on peut dire que la chose a été bien menée ! elle n’a déjà plus que les os et la peau… Et de l’oppression, monsieur !… et des tressaillements… Ah ! ah ! c’est une besogne diablement réussie !

Rowley tira sa montre.

— Ta ta ta ta ! s’écria-t-il ; — elle a eu le temps de dormir treize minutes, cette fois, la petite espiègle ! Quel somme ! Pour sa peine je vais lui donner du porte-voix.

L’aide empoisonneur sortit à la hâte.

L’instant d’après, on entendit une voix tonnante mugir à l’étage supérieur. — Un faible cri de femme lui répondit.

  1. En français dans le texte.