Les Monikins/Chapitre XXV

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 14p. 313-321).



CHAPITRE XXV.


Principe fondamental, loi fondamentale et erreur fondamentale.



Le peuple de Leaplow est remarquable par la prudence de ses actes, la modération de ses vues et une profonde sagesse. Il est superflu de dire qu’un tel peuple ne montre jamais un empressement peu convenable ; aussi, quoique j’eusse été légalement naturalisé et régulièrement élu au grand conseil dans l’espace de vingt-quatre heures, trois jours entiers me furent accordés avant d’exercer mes nouvelles et importantes fonctions, pour étudier les institutions et approfondir le génie d’une nation qui, suivant sa propre opinion, n’a pas d’égal dans le ciel, sur la terre, ou dans les profondeurs de l’Océan. Je mis ce délai à profit, et je saisis un moment favorable pour faire part au lecteur de quelques-unes de mes acquisitions sur cet intéressant sujet.

Les institutions de Leaplow se divisent en deux grandes catégories morales : — les légales et les substitutives ; les premières renferment tout ce qui émane du grand principe élémentaire, et les dernières, tout ce que produit le grand principe alimentaire. L’une se trouve donc limitée par la constitution ou la grande allégorie[1] nationale, tandis que l’autre n’est bornée que par la pratique. Celle-ci contient la proposition ; l’autre, ses déductions : la première est toute composée d’hypothèses ; la seconde, de corollaires. Les deux grandes démarcations politiques, les deux opinions publiques, les écourtés sur les écourtés, l’action de rotation, et les grandes et petites roues, sont de pures conséquences ; c’est pour cette raison que je n’en dirai rien dans ce traité, qui se rattache seulement aux lois fondamentales du pays ou à la grande et sainte allégorie nationale.

On a déjà dit que Leaplow était dans l’origine un rejeton de Leaphigh. La séparation politique eut lieu sous la dernière génération, lorsque les Leaplowers renoncèrent publiquement à Leaphigh et à tout ce qu’elle renferme, précisément de la même manière que vos catéchumènes renoncent à Satan et à ses œuvres. Cette renonciation, qu’ils appellent aussi quelquefois Déclaration, plaisait beaucoup plus aux habitants de Leaplow qu’à ceux de Leaphigh : une guerre longue et sanglante s’ensuivit. Après une lutte très-vive, les Leaplowers finirent par faire prévaloir leur ferme volonté de ne plus avoir rien à démêler avec Leaphigh. La suite montrera à quel point ils avaient raison.

Le sentiment de patriotisme et d’indépendance était si vif, même avant la rupture, que les citoyens de Leaplow, malgré les faibles ressources de leur propre industrie, eurent l’orgueilleuse fierté de refuser d’importer une épingle même de la mère-patrie, préférant ainsi la nudité à la soumission. Un vote solennel attesta que leur vénérable aïeule, au lieu d’être, comme elle l’aurait dû, une mère tendre, protectrice et indulgente, n’était au fait qu’une marâtre rapace, vindicative et tyrannique. On se rappellera que telle était l’opinion lorsque les deux nations étaient légalement unies, avaient le même chef, les mêmes usages, et agissaient nécessairement de concert dans une foule de circonstances concernant des intérêts communs ?

Tout fut changé par l’heureuse conclusion de la guerre. Leaplow se sépara de Leaphigh, et déclara l’intention où elle était de se conduire désormais à sa guise : pour mieux y parvenir, et en même temps humilier la mère-patrie, elle décida que sa propre politique, tout en s’en rapprochant le plus possible, serait cependant si évidemment supérieure à celle de Leaphigh que les imperfections de cette dernière frapperaient l’observateur le plus superficiel. Je vais à présent démontrer avec quelle fidélité cette patriotique résolution fut exécutée.

Le vieux principe humain qui fait dériver de Dieu l’autorité politique a longtemps prévalu à Leaphigh ; bien que, ainsi que le disait une fois M. Downright, je ne puisse découvrir le motif qui a pu l’établir en aucun lieu, le malin esprit ayant évidemment plus de part à l’action de ce pouvoir que nulle autre intelligence. Quoi qu’il en soit, le jus divinum, le droit divin, servit de régulateur au pacte social de Leaphigh jusqu’au moment où la noblesse intrigua pour s’emparer de la meilleure part du jus, laissant le divinum s’arranger comme il pourrait. C’est alors que naquit la constitution actuelle. Chacun peut avoir observé qu’un bâton mis debout tombera tout naturellement s’il n’est pas enfoncée dans la terre ; deux ne tiendront pas mieux, même en unissant leurs sommets ; mais trois se prêteront un mutuel appui. Cette simple et sublime idée a donné l’être au gouvernement de Leaphigh. Trois piliers moraux furent élevés au milieu de l’ordre social ; on plaça le roi au pied de l’un pour l’empêcher de glisser, seul danger qui menace un tel système ; les nobles se mirent au pied du second, et le peuple à celui du troisième ; les rouages de l’État se placèrent au sommet de ce trépied. Ceci fut trouvé une fort belle invention en théorie, quoique la pratique, comme cela arrive souvent, l’ait soumise à quelques modifications essentielles. Le roi, qui avait la libre disposition de son bâton, donnait beaucoup d’embarras à ses associés, ne voulant pas déranger la théorie qui semblait irrévocablement établie et consacrée ; la noblesse, qui, pour sa convenance particulière, soudoyait les principaux manœuvres placés au bâton du peuple, afin qu’ils tinssent ferme, chercha les moyens de tenir aussi le bâton royal dans une attitude plus uniforme et plus utile. Ce fut dans cette occasion que, découvrant qu’il était à jamais impossible au roi de laisser le bout du bâton à l’endroit où il avait juré de le maintenir, on décréta solennellement qu’il devait avoir oublié où se trouvait le point d’appui du trépied constitutionnel, et que sa mémoire était perdue sans retour. — Cette décision devint la cause éloignée de la calamité récente du capitaine Poke. — Dès que le roi fut ainsi constitutionnellement privé de sa mémoire, il fut aisé de le dépouiller de toutes ses autres facultés ; après quoi on eut l’humanité de décider qu’il ne pouvait pas faire mal, ce qui était juste et vrai pour un être aussi nul. Développant cette idée, appuyée sur un principe également humain et chrétien, et voulant que les pratiques s’accordassent entre elles, on décréta bientôt après qu’il ne ferait absolument rien. L’aîné de ses cousins, dans la ligne masculine, fut légalement proclamé son substitut. Un rideau cramoisi fut tiré devant le trône ; mais comme le cousin pouvait aussi à son tour faire vaciller le bâton et déranger la balance du trépied, les autres pouvoirs décidèrent que si Sa Majesté avait par la constitution le droit incontestable de désigner celui qui serait son premier cousin de la ligne masculine, eux avaient également le droit constitutionnel de dire celui qui ne le serait pas. Le résultat de tout cela fut un compromis ; Sa Majesté qui, semblable à toute autre personne, préférait aux amertumes de la puissance les douceurs qu’elle procure, consentit à se laisser hisser sur le haut du trépied ; là, paraissant assis au gouvernail, il peut recevoir les hommages, boire et manger en paix, laissant aux autres le soin de s’acquitter du reste de la besogne le mieux qu’ils pourront. Bref, telle est l’histoire, et telle était la politique de Leaplngh quand j’eus l’honneur de visiter ce pays.

Les Leaplowers étaient résolus de prouver que tout ceci était radicalement mauvais. Ils décidèrent d’abord qu’il n’y aurait qu’une seule grande poutre sociale, et dans le but de lui donner une solidité parfaite, ils firent à tous les citoyens un devoir de soutenir sa base. L’idée d’un trépied leur plaisait assez, mais au lieu de le placer à l’instar de Leaphigh, ils renversèrent sa forme, le posèrent au sommet de leur poutre les jambes en l’air, et sur chacune d’elles on plaça un agent pour faire mouvoir la machine de l’État ; on eut soin aussi d’y envoyer de nouveaux agents à des époques fixes. Ils raisonnaient ainsi : Si l’une des poutres glisse — ce qui pourra leur arriver par un temps humide, — alors le roi, les nobles, et le peuple se fourvoyant et se heurtent l’un l’autre, tous les rouages de l’État seront renversés, ou au moins tellement dérangés qu’ils n’iront jamais aussi bien qu’auparavant : c’est pourquoi nous n’en voulons pas. D’un autre côté, si l’un de nos agents a un étourdissement et tombe, il ne peut que se rompre le cou. De plus, il tombera au milieu de nous ; et, s’il n’est pas mort, nous pourrons le saisir et le lancer à son poste ; ou bien en envoyer un meilleur à sa place pour servir le reste de son temps. Ils prétendent aussi qu’une poutre soutenue par tous les citoyens est beaucoup moins sujette à glisser, que trois, soutenues par trois pouvoirs de forces très-incertaines, pour ne pas dire très-inégales.

Telle est, en effet, la substance des respectives allégories nationales de Leaphigh et de Leaplow : je dis allégories, parce que les deux gouvernements semblent confier à cette forme ingénieuse le soin d’exprimer leurs plus grands sentiments nationaux. Ce serait en effet un perfectionnement, si l’on adoptait à l’avenir ce genre de style pour toutes les constitutions : elles seraient plus explicites, plus intelligibles et plus sacrées qu’elles ne le sont par l’essai actuel du système libéral.

Après avoir développé les principes politiques de ces deux importants États, je prie le lecteur d’accorder un moment d’attention à quelques détails de leur modus operandi.

Leaphigh reconnaît un principe que Leaplow repousse, c’est celui de primogéniture. Étant fils unique, Je n’ai eu nulle occasion de me livrer à aucune recherche sur cet intéressant sujet, et j’ai ignoré les bases de ce droit singulier jusqu’au moment où j’ai lu l’ouvrage de Whiterock[2], le grand commentateur de Leaphigh, sur les règles du pacte social. J’avais appris que le premier-né, en considérant la chose sous le point de vue moral, est jugé avoir de meilleurs droits aux honneurs de l’arbre généalogique, du côté paternel, que n’en ont les enfants qui naissent à une époque plus tardive de la vie conjugale. D’après ce principe d’une si haute sagesse, le trône, les privilèges des nobles, et tous les autres droits, se transmettent de père en fils dans la ligne masculine, suivant la primogéniture.

Rien de semblable n’existe à Leaplow. Là, les derniers et les premiers nés sont également présumés légitimes, et les usages s’accordent avec cette croyance. Comme il n’y a pas de chef héréditaire qui puisse s’asseoir sur une jambe du grand trépied, le peuple qui est au bas de la poutre choisit, à des époques périodiques, l’un de ses propres membres, qu’on nomme le grand Sachem. Le même peuple élit aussi une autre assemblée, peu nombreuse, qui occupe un siège commun sur une autre jambe ; ceux-ci s’appellent les Riddles[3]. Un corps plus considérable, d’un aspect populaire en apparence, sinon en fait, remplit un large fauteuil sur la troisième jambe. Ces derniers reçoivent le nom familier de Légion[4], par suite de leur éminente réputation de popularité et de désintéressement. On leur donne aussi, en plaisantant, le surnom de [5]Bobees, sobriquet qui vient de ce que la plupart des membres de ce corps se sont soumis à la seconde tonsure, et ont en vérité presque effacé tout vestige de cauda. J’ai été fort heureusement choisi pour siéger dans la chambre des Bobees, emploi dont je me sentais digne au moins sous ce rapport essentiel ; — car les pommades et tous autres moyens mis en œuvre par Noé et moi, durant notre voyage et notre séjour à Leaphigh, n’avaient amené pour résultat qu’une touffe qui s’apercevait à peine.

Le grand Sachem, les Riddles et la Légion ont à remplir des devoirs qui leur sont communs, et d’autres qui leur sont propres. Tous trois sont redevables de leur allégorique élévation au peuple placé au pied de la grande colonne sociale, et c’est aussi de lui qu’ils attendent les éloges et les récompenses, — c’est-à-dire, toutes celles qu’ils n’ont pas le pouvoir de s’accorder à eux-mêmes. Il y a une autre puissance, ou agent public, qui est aussi perchée sur la poutre, sans être tout à fait aussi indépendante du peuple que les trois dont nous venons de parler, — étant soutenue par une disposition mécanique du trépied même ; on les appelle les arbitres suprêmes : ils sont chargés de réviser les actes des trois autres agents du peuple, et de décider s’ils sont ou non conformes aux vrais principes de l’Allégorie sacrée.

J’étais très-satisfait de mes progrès dans l’étude des institutions de Leaplow. J’avais d’abord découvert que la première chose à faire était de renverser l’édifice des connaissances politiques acquises à Leaphigh, de même qu’on renverse une cuve lorsqu’on veut y renfermer une liqueur nouvelle ; alors j’étais sûr d’être au moins dans l’esprit des lois de Leaplow. Tout paraissait simple, car tout se rapportait à l’appui commun placé à la base de la poutre sociale.

Ayant ainsi pris un aperçu du système de gouvernement sous lequel j’étais appelé à servir, j’allai rendre visite au capitaine Poke, pour m’assurer comment il comprenait la grande Allégorie de Leaplow.

Je trouvai l’esprit du marin, pour me servir d’une tournure déjà employée dans cette narration, profondément empreint des divers sujets qui se présentaient naturellement à un homme dans sa position. Il était transporté de colère à la seule pensée de l’impudence de Bob, qui avait osé se présenter comme candidat au grand conseil ; le capitaine s’étant mis aussi sur les rangs, ne sentait pas sa rage diminuer en voyant le jeune faquin en tête de la liste ; il jura d’une manière très-expressive que nul de ses subordonnés ne s’assiérait jamais dans le même corps législatif avec lui, qu’il était né dans une république, et connaissait les usages républicains tout aussi bien que le meilleur patriote de Leaplow ; toute espèce de gens pouvaient, il est vrai, entrer au congrès dans sa patrie, mais il n’y avait pas d’exemple qu’on y eût envoyé un mousse de chambre. Ils étaient libres d’élire qui bon leur semblait ; mais prendre terre et se mêler de politique, était tout autre chose que de nettoyer ses bottes, faire son café et préparer son grog. — Le capitaine avait justement été soutenu par un comité des perpendiculaires (la moitié de la république de Leaplow fait partie d’un comité ou d’un autre), qui l’avaient élu ; et ils venaient de le prévenir que des instructions seraient envoyées à l’avenir à tous leurs représentants pour exécuter la pirouette n° 3 le plus tôt possible après l’assemblée du conseil. Il n’était pas un habile danseur, et il avait envoyé chercher un maître de sauts politiques, qui venait de lui donner une leçon De l’avis de Noé lui-même, ses succès n’avaient rien de flatteur. — S’ils nous donnaient une grande salle, sir John, dit-il d’un ton plaintif, je n’en dirais rien ; — mais il faut aller dos contre dos, bras contre bras, et faire une culbute aussi adroitement qu’une vieille femme retournerait dans la poêle un gâteau de Saint-Jean. Il ne serait pas raisonnable de supposer qu’un vaisseau pût manœuvrer sans place ; mais, avec l’espace nécessaire, je m’engage à virer de bord et à revenir au même point aussi exactement que leur meilleur pilote, quoique pas tout à fait aussi vite. Ils sont remplis de malice, c’est certain !

Les grandes allégories nationales n’étaient pas sans quelques difficultés. Noé comprenait fort bien l’allusion des deux trépieds ; mais il était disposé à penser qu’ils n’étaient pas soutenus d’une manière convenable. Un mât, assurait-il, ne supporterait qu’une bourrasque, si on le laissait toujours gréé et garni sans être suffisamment affermi. Il ne voyait pas l’utilité de confier à personne la garde du pied des poutres ; de bons amarrages étaient tout ce qu’il fallait, et alors le peuple pourrait vaquer à ses affaires particulières sans craindre que la machine s’écroulât. Quant au manque de mémoire du roi de Leaphigh, il pouvait le certifier par une amère expérience, et il ne croyait pas qu’il eût de conscience ; il désirait surtout savoir si, lorsque nous siégerions au sommet des trois pieds retournés avec les autres Bobees, nous ferions la guerre au grand Sachem et aux Riddles, ou bien si nous considérerions le tout comme une bonne affaire dont le plus sage est de tirer le meilleur parti possible.

Je répondis à ces remarques et à ces questions aussi bien que me le permettait une instruction encore très-limitée ; j’eus soin d’avertir mon ami qu’il envisageait le but dans un sens trop littéral ; que ce qu’il avait lu sur la grande poutre politique, les trépieds et les sièges législatifs, était purement une allégorie.

— Alors, sir John, dites-moi, je vous prie, ce que c’est qu’une allégorie ?

— Dans le cas actuel, mon bon Monsieur, c’est une constitution.

— Et qu’est-ce qu’une constitution ?

— Comme vous le voyez, c’est quelquefois une allégorie.

— Nous ne serons donc pas en haut du mât, comme le livre le dit ?

— Seulement d’une manière figurative.

— Mais il existe actuellement des créatures telles que le grand Sachem, les Riddles, et par-dessus tout, les Bobees ! Ainsi nous sommes donc définitivement élus ?

— Définitivement.

— Et puis-je prendre la liberté de vous demander ce que nous aurons à faire ?

— Nous devons agir suivant le sens littéral des lois figuratives et allégoriques du grand contrat national, sous une interprétation légitime.

— Faire tant de choses en si peu de temps, sir John ! Il me semble que nous aurons à courir deux bordées à la fois. Voulez-vous dire, pour parler sincèrement, qu’il n’y a point de poutre ?

— Il y en a, et il n’y en a pas.

— Point d’avant, de grand mât, de mât d’artimon, malgré tout ce qui est écrit ici ?

— Il y en a, et il n’y en a pas.

— Au nom du ciel, sir John, parlez clairement. Et ces huit dollars par jour ; est-ce seulement une plaisanterie ?

— Je crois que ce dernier article est exactement littéral.

Comme Noé me parut un peu adouci, je saisis cette occasion de lui dire qu’il devait prend regarde à l’expédient qu’il emploierait pour empêcher Bob d’entrer au conseil. Les membres allant et venant en toute liberté, le capitaine pouvait, s’il manquait de prudence, avoir une désagréable collision avec le sergent. De plus, une querelle fondée sur une bagatelle ne s’accordait pas avec la dignité d’un législateur ; celui auquel les graves intérêts d’un État sont confiés doit attacher la plus grande importance à la gravité de son extérieur. C’est la qualité dont ses commettants font en général le plus de cas. Chacun peut dire s’il est sérieux ou non ; mais il n’est pas aussi facile de décider lequel des deux, lui ou ses constituants, a le plus de motif de paraître grave. Noé promit d’être prudent, et nous nous séparâmes pour ne plus nous revoir jusqu’au moment où nous serions admis dans l’assemblée.

Je veux dire ici, avant de continuer mon récit, que le matin nous nous étions défaits de notre cargaison commerciale. Toutes les brochures de Leaphigh se vendirent à merveille, et j’eus l’occasion de juger à quel point le brigadier connaissait bien la place, par la rapidité avec laquelle on enleva ses opinions sur l’état de la société à Leaplow. Mais, par un de ces hasards inattendus auxquels un si grand nombre des privilégiés de la terre doivent le rang qu’ils occupent, le cuisinier réussit mieux qu’aucun de nous. On se rappellera qu’il avait troqué un article de marchandise qu’il appelait graisse contre un ballot d’opinions distinctives de Leaplow, qui n’avaient nul succès à Leaphigh. Ces ouvrages, venant du dehors, furent pris à Bivouac pour une nouveauté ; il les vendit tous avant la nuit avec un bénéfice considérable, le bruit s’étant répandu qu’un objet nouveau et extraordinaire avait paru dans le marché.


  1. Allegory. Allégorie dans le sens de fiction, fable. Une fiction, une fable politique.
  2. Roc blanc.
  3. Énigmes.
  4. Le grand nombre.
  5. Écourtés.