(p. 225-230).


LES PÂTÉS DE SABLE





Sur la plage, à basse marée,
Quand la mer au loin retirée
Remonte à l’horizon sans fin,
Pelles en main, jupes roulées,
Voici, les enfants, par volées,
Se jouant dans le sable fin.

Actifs, affairés, pleins de flammes,
Par-ci, par-là, de tous côtés,
Petits hommes, petites femmes,

Ils font des pâtés.


Avec des mines ingénues,
Bien campés sur leurs jambes nues
Que le chaud soleil briqueta,
Ils dressent sur le sable humide
Quelque naïve pyramide,
Quelque modeste Golgotha,
Qui devront tenir tête aux lames,
Résister aux flots irrités…
Petits hommes, petites femmes,

Ils font des pâtés.


Remparts épais, tours crénelées,
Fossés profonds, larges vallées,

Demi-lunes et bastions,
S’élèvent à grands coups de pelles,
Suivant les règles fort nouvelles
De leurs fortifications.
Puis ils plantent des oriflammes
Sur les travaux exécutés…
Petits hommes, petites femmes,

Ils font des pâtés.


Chers enfants, fines têtes roses,
À ces très importantes choses
Donnez vos soins et vos efforts :
Jeunes Vaubans en jupes hautes,
Tout le long, le long de nos côtes,
Dressez vos châteaux et vos forts.
Ignorant la vie et ses drames,
Ses soucis et ses duretés,
Petits hommes, petites femmes,

Faites des pâtés.


Toi, mon gros père, qui barbotes,
Portant le sable à pleines hottes
Pour consolider le rempart,
Qui sait où le destin te mène,
Et, dans notre mêlée humaine,
Quelle peut bien être ta part ?
Traiteras-tu les dieux d’infâmes,
Ou chanteras-tu leurs bontés ?…
Petits hommes, petites femmes,

Faites des pâtés !


Toi, mignonne commère blonde,
Qui, dans cette fosse profonde,
Veux faire entrer « toute la mer »,
Quand un jour — car il faut qu’on aime ! —
Il te prendra malgré toi-même,
L’amour te sera-t-il amer ?
Connaîtras-tu des nobles âmes
Les révoltes et les fiertés ?…

Petits hommes, petites femmes,

Faites des pâtés !


Sans souci de vos destinées,
Enfants, que vos jeunes années
Brillent en pleine floraison :
Là-bas, impossible à connaître.
L’horizon est sombre peut-être…
Ne regardez pas l’horizon !
Avant d’être de belles dames,
De beaux messieurs bien cravatés.
Petits hommes, petites femmes,

Faites des pâtés !