Les Merveilles de la science/Le Drainage

LE DRAINAGE

Celui qui, en 1842, se serait élevé sur une colline, en un point quelconque des campagnes de l’Angleterre, et eût porté ses regards sur toute l’étendue du pays qui se déroulait à ses pieds, eût été le témoin d’un spectacle singulier et assez difficile à comprendre au premier aspect. Il eût vu sur tout le territoire, des légions d’ouvriers occupés à ouvrir la terre par des tranchées profondes, et à placer dans ces tranchées des tuyaux disposés bout à bout, en une ligne continue.

Quel était donc l’objet précis de cette opération, entreprise simultanément dans toute l’étendue du pays le plus justement renommé par ses hautes connaissances en agriculture, et où la science de l’exploitation du sol a fait de si remarquables progrès ? Cette opération, c’était le drainage.

Quels devaient être en Angleterre les résultats de ce grand travail, exécuté avec tant d’ensemble et de résolution ? Les plus mauvaises terres changées en terres fertiles ; — les bonnes terres améliorées d’une manière permanente ; — le sol réchauffé, ameubli, fertilisé ; — ses produits doublés ; — la loi des céréales, audacieux défi jeté à l’Europe agricole et manufacturière, rendue possible ; — le climat et l’état sanitaire de certaines contrées complétement améliorés : tels devaient être ces résultats.

Mais les bienfaits du drainage ne devaient pas être exclusivement réservés à l’Angleterre. En Belgique, où ses progrès furent très-rapides, ses effets furent également remarquables. On vit, en Belgique, des terres marécageuses tripler de valeur, et les frais de drainage être souvent couverts par l’augmentation de produit d’une seule année.

En France, les bienfaits du drainage furent aisément constatés peu d’années après son application. Les résultats obtenus, par MM. Duchâtel et de Bryas, en 1856, et plus tard par d’autres agronomes distingués triomphèrent des dernières résistances de la routine ; et s’il est reconnu que la France, en raison du défaut habituel d’humidité dans son sol, retire beaucoup moins d’avantages du drainage que l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande, les faits cependant se pressent en foule pour démontrer que cette opération a été souvent, chez nous, un incontestable bienfait.

Mais pour réaliser de tels résultats les moyens sont sans doute difficiles, coûteux, compliqués. Le drainage consiste, au contraire, dans le plus élémentaire des procédés agricoles, et les frais qu’il occasionne sont peu de chose en regard des avantages qu’il assure.

Qu’est-ce que le drainage ? Une comparaison très-juste et très-frappante a été présentée par M. Martinelli, avocat de Bordeaux, pour faire comprendre la donnée essentielle et la formule simple du drainage.

« Prenez ce pot de fleurs, dit-il : pourquoi ce petit trou au fond ? Je vous demande cela parce qu’il y a toute une révolution agricole dans ce petit trou. Il permet le renouvellement de l’eau, l’évacuant à mesure — et pourquoi renouveler l’eau ? Parce qu’elle donne la vie ou la mort. La vie lorsqu’elle ne fait que traverser la couche de terre, car d’abord elle lui abandonne les principes fécondants qu’elle porte avec elle, ensuite elle rend solubles les aliments destinés à nourrir la plante ; la mort au contraire lorsqu’elle séjourne dans le pot, car elle ne tarde pas à se corrompre et à pourrir les racines, et puis elle empêche l’eau nouvelle d’y pénétrer. »

Bouchons le trou du pot à fleurs, et arrosons la plante : toute la terre sera bientôt saturée d’eau, et la pauvre plante, noyée, affamée, asphyxiée, dépérira. Rétablissons l’ouverture du pot de fleurs : il se fait immédiatement une circulation, un renouvellement d’air et d’eau, absolument nécessaire à la vie végétale, et la plante ne tarde pas à renaître. Une terre reposant sur un sous-sol imperméable, forme comme un immense pot à fleurs, dont le trou du fond serait bouché. Cette terre sera stérile : la drainer, c’est déboucher le trou, c’est lui rendre ce courant d’air et d’eau qui vivifie la végétation, et qui maintient le sol frais, mais non humide.

Après cette idée générale du principe du drainage, nous devons entrer dans l’examen détaillé des divers éléments dont se compose cette question. Nous allons donc étudier successivement : 1o le drainage chez les anciens, 2o l’invention du drainage moderne et son développement en Angleterre, en Belgique et en France ; 3o ses effets généraux et secondaires ; 4o la profondeur, l’écartement et la direction des drains ; 5o les moyens divers de construire les drains ; 6o la pente, la dimension et la longueur qui leur sont nécessaires ; 7o l’exécution pratique des travaux de drainage ; 8o la fabrication des tuyaux ; 9o les bénéfices que procure cette opération.


CHAPITRE PREMIER

aperçu historique. — columelle. — olivier de serres. — walter blight. — développement du drainage en angleterre. — travaux d’elkington, de smith et de john read. — intervention du gouvernement britannique. — avances au drainage faites par le parlement. — ses résultats. — introduction du drainage en france. — son développement. — lois de 1854 et de 1856.

L’art d’assainir les terres au moyen de rigoles propres à l’écoulement de l’eau, remonte à une époque reculée. Les Romains le connaissaient. Mais l’avaient-ils inventé ou le tenaient-ils de peuples plus anciens ? On l’ignore. Toujours est-il que l’emploi des fossés couverts ayant un fond empierré, ou formé de branchages, était connu des Romains. Columelle, le plus célèbre agronome de l’antiquité, qui vivait au temps d’Auguste et de Tibère, l’a décrit avec assez de précision.

« Si le sol est humide, dit Columelle, il faudra faire des fossés pour le dessécher et donner de l’écoulement aux eaux. Nous connaissons deux espèces de fossés : ceux qui sont cachés et ceux qui sont larges et ouverts… On fera pour les fossés cachés, des tranchées de trois pieds de profondeur que l’on remplira jusqu’à moitié de petites pierres ou de gravier pur et on recouvrira le tout avec la terre tirée du fossé. Si l’on n’a ni pierres ni gravier, on formera au moyen de branches liées ensemble des câbles auxquels on donnera la capacité et la grosseur du fond du canal et qu’on disposera de manière à remplir exactement ce vide. Lorsque les câbles seront bien enfoncés dans le fond du canal, on les recouvrira de feuilles de cyprès, de pin ou de tout autre arbre, qu’on comprimera fortement, après avoir couvert le tout avec la terre tirée du fossé ; aux deux extrémités, on posera, en forme de contre-fort, comme cela se pratique pour les petits ponts, deux grosses pierres qui en porteront une troisième, le tout pour consolider les bords du fossé et favoriser l’entrée et l’écoulement des eaux[1]. »

Columelle est l’auteur de l’ouvrage le plus étendu que les anciens nous aient laissé sur l’agriculture. Cet ouvrage est divisé en douze livres. Quatre de ces livres traitent de la culture des terres et de l’entretien du bétail ; les autres sont consacrés à la vigne, à l’olivier, aux abeilles, aux arbres et au jardinage. Dans le douzième livre, Columelle donne quantité de recettes empiriques et économiques.

Dans les parties de son ouvrage spécialement consacrées à l’agriculture, Columelle cite assez souvent Virgile et ses Géorgiques, dont il s’est plus d’une fois inspiré.

Palladius, fils d’Exsuperantius, préfet des Gaules, né vers 405 après Jésus-Christ, donne les mêmes conseils qu’avait donnés Columelle, pour la construction des tranchées, et il ajoute :

« L’extrémité de ces tranchées doit aboutir en pente à un fossé ouvert dans lequel toute l’humidité se rendra sans entraîner avec elle la terre des champs. »

Le procédé suivi par les Romains fut probablement transmis par leurs armées victorieuses, aux autres parties du monde. Ainsi la Gaule en conserva l’usage ; car de tout temps, dans la Beauce, la Picardie, la Bresse et la Franche-Comté, etc., on a suivi la méthode décrite par Columelle ; mais presque partout ailleurs elle a été abandonnée.

Fig. 413. — Olivier de Serres.

Olivier de Serres, qui vivait sous Henri IV et qu’on a justement surnommé le Père de l’agriculture française, recommande l’emploi des tranchées souterraines, et insiste sur le besoin de remédier au vice du trop d’eau « qui excède en malice celui des ombrages et celui des pierres, » On lit dans l’ouvrage célèbre d’Olivier de Serres, Théâtre d’agriculture et ménage des champs, les détails qui suivent sur la manière de dessécher les terrains trop humides.

« S’il advient que le champ soit par le dedans occupé de fontaines et sources souterraines croupissantes, les seuls fossés aux bords des terres ne suffisent ; ains sera besoin d’autre remède plus particulier, comme sera monstré, pour desgager le milieu de la terre de ces incommodités. Et d’autant que le vice du trop d’eau excède en malice et celui des ombrages et celui des pierres, ainsi qu’a esté dict, plus qu’à ceux-ci faut-il employer de labeur pour y remédier ; dont finalement le profit en sort plus grand que de nulle autre réparation qu’on puisse faire à la terre, tant fructueuse est celle qui la despestre des eaux malignes ; car non-seulement par là les terres trop humides sont amendées, ains les marécages et palus sont convertis en esquis labourages… est nécessaire le fonds que voulés dessécher avoir pente petite, ou grande sans laquelle les eaux n’en pourroient vuider. Cela présupposé, un grand fossé sera faict depuis un bout du lieu jusques à l’autre, de long en long, commençant toujours par le plus bas endroit et par où remarquerez des sources et humidités ; dans lequel fossé plusieurs autres, mais petits, pendans en plume, des deux côtés se joindront pour y descharger leurs eaux, qu’ils ramasseront de toutes les parties du terroir. Par ce moyen, en contribuant chacun sa portion au grand fossé, icelui les recueillant toutes, les rapportera assemblées à son issue. Le grand fossé à telle cause est appelé mère, et tous ensemble pied-de-géline, pour la conformité, qu’ils ont, ainsi disposés, à la figure du pied de cest animal, dont les griffes tendent au tronc de la jambe… Pour qu’en quelque part qu’on creuse les fossés, faut y aller jusques à quatre pieds ou environ, pour bien coupper les racines des sources, but de ce négoce… Ayant le plan, raisonnable pente et estendue, raisonnablement larges seront aussi les petits fossés, de trois pieds et la mère de cinq ; moyennant laquelle mesure satisferont à vostre intention. Et à ce qu’on ne se déceoive, faut faire tant de fossés, en tant d’endroits, si longs et si amples, sans crainte d’excéder en cest endroit, que source et fontenelle aucune ne soit oubliée, afin de parfaitement bien dessécher le terroir par le général ramas des eaux d’icelui. Ces fossés et grands et petits seront à demi remplis de menues pierres, et le demeurant achevé de combler de la terre qui en aura esté tirée auparavant, dont on le réunira par le dessus avec le plan, si bien que la trace mesme n’y paraisse, pour la commodité du labourage. S’il advient que pour le remplage des fossés la pierre défaille, ne vous mettés en peine d’en faire porter de loin avec grands frais ; mais en lieu d’icelle servés-vous de la paille, ce que pourrés utilement faire en cette sorte. La paille pour la force, sera plus tôt choisie de seigle que d’autre espèce, et à son défaut sera employée celle de froment : on en fera un plancher dans le fossé pour suspendre, causer un vuide en bas pour le passage de l’eau et au-dessus d’icelui plancher y estre mis deux pieds de terre. »

Nous avons rapporté avec plaisir ces pages de notre Olivier de Serres. On y lit, en vieux français, quelle juste part appartient à notre pays dans la propagation du procédé des rigoles couvertes. Cette simple citation peut réduire dans une certaine mesure les prétentions de nos voisins d’outre-Manche, qui se sont proclamés, à tort, les uniques inventeurs de ce procédé agricole.

En effet, Olivier de Serres n’a pas seulement parlé, comme Columelle, de la construction des tranchées isolées : il les a considérées dans leur ensemble, il a décrit le fossé principal, et il est entré dans des considérations propres à assurer l’efficacité des travaux d’assainissement.

Toutefois, si l’Angleterre ne peut se flatter d’avoir inventé le drainage, elle a eu du moins le mérite, comme nous le verrons tout à l’heure, de le perfectionner, de l’appliquer sur une grande échelle, et de constater, la première, l’importance de ses résultats.

On peut, du reste, aller plus loin encore en revendiquant pour la France la découverte du drainage. Une découverte faite de nos jours, tendrait à prouver que l’emploi des tuyaux souterrains pour l’assainissement des terres, serait une invention d’origine française. Nous aurions donc prévenu l’Angleterre dans ce perfectionnement décisif de l’art du drainage. Voici les faits curieux que l’on trouve consignés, dans une lettre qui fut adressée, en 1856, par M. Gustave Hamoir, à M. Barral.

« Il y avait avant 93, dans la petite ville de Maubeuge, un couvent de moines Oratoriens. Le jardin qui entourait ce couvent a été connu de temps immémorial pour la fécondité de son sol. En 1851 on transforma le jardin légumier en un parc anglais et les travaux que nécessita cette transformation firent découvrir deux drainages complets et réguliers faits au moyen de tuyaux et s’étendant sur toute la surface du jardin à une profondeur de 1m,20. La longueur de ces tuyaux est de 275 millimètres et leur largeur prise extérieurement de 80.

« Ils sont en grès et ont été faits à la main sur le tour du potier. Quelle est la date de ce drainage ? On ne la connaît pas exactement. Dans tous les cas, dit M. Hamoir, elle ne peut être postérieure à celle de 1620. Des enterrements datant de cette époque et qui n’ont pu être faits qu’après l’établissement des drains en sont une preuve suffisante.

« Pour ceux qui douteraient, je dirai que ce travail est dû aux moines, parce que, informations prises, on sait qu’il n’a pas été fait depuis 93. Or, à cette époque, l’art du drainage n’était pas plus avancé qu’en 1620 et les moines n’étaient pas meilleurs horticulteurs qu’alors. Il n’y aurait donc rien de merveilleux à ce que cette date fût réelle. »

Nous avons cité ici cette page curieuse de l’histoire du drainage, parce que la date présumée de ces travaux coïncide avec celle de l’apparition du Théâtre d’agriculture d’Olivier de Serres, livre qui parut avant celui de Walter Blight, le prétendu inventeur du drainage chez les Anglais.

Le passage de cet auteur anglais sur lequel on s’appuie pour lui attribuer la première idée du drainage, est le suivant :

« Quant à la tranchée, écrit Walter Blight, tu dois la faire assez profonde pour qu’elle aille au fond de l’eau froide qui suinte et qui croupit. Un yard ou quatre pieds de profondeur si tu veux drainer à ta satisfaction. Et de nouveau, arrivé au fond où repose la source suintante, tu dois aller plus profond d’un fer de bêche, quelque profond que tu sois déjà, si tu veux drainer ta terre à souhait… Mais pour les tranchées ordinaires que l’on fait souvent à un pied ou deux, je dis que c’est une grande folie et du travail perdu, que je désire éviter au lecteur[2]. »

Mais ces préceptes étaient déjà contenus dans l’ouvrage d’Olivier de Serres. Ils demeurèrent, d’ailleurs, enfouis dans les livres, et ne reçurent aucune application.

Aucun travail de desséchement de ce genre n’existait en Angleterre, lorsque, à la fin du dernier siècle, Elkington, fermier du Warwickshire, inaugura par une véritable découverte, l’ère de l’avénement du drainage dans l’industrieuse et active Angleterre.

Elkington imagina un procédé d’assainissement qui prit son nom et qui consiste dans l’emploi simultané des fossés couverts et des puits.

Il y a trois manières de dessécher les terres par la méthode d’Elkington.

1o On perd les eaux dans des couches perméables inférieures, à l’aide d’un puits rempli de pierres sèches, comme le représente la figure 411.

Fig. 411. — Perte des eaux de drainage à l’aide d’un puits rempli de pierres sèches.

2o On perd les eaux à l’aide d’un trou de sonde, qui va jusqu’au terrain absorbant comme le représente la figure 412.

Fig. 412. — Perte des eaux de drainage par un trou de sonde.

3o Ou bien on laisse les eaux remonter à la façon des eaux artésiennes et on les conduit dans des tuyaux de décharge ; mais ce dernier moyen n’était qu’une suggestion de la théorie et ne fut pas mis en pratique.

Elkington, doué d’une grande sagacité et de certaines connaissances en géologie, réussissait dans toutes ses entreprises d’amélioration du sol, et arrivait souvent, avec peu de frais, à des résultats surprenants. Le parlement d’Angleterre lui accorda, à titre d’encouragement, une somme de 1 000 livres (25 000 fr.). Ce fut le premier pas du gouvernement anglais dans cette voie de libéralité sage et hardie dont il devait donner plus tard tant de gages à l’agriculture nationale.

Cependant la méthode d’Elkington était loin d’être parfaite : elle ne convenait bien qu’à des terrains criblés de sources. Elle exigeait, pour être exécutée, autant d’habileté que d’expérience.

La pratique des desséchements agricoles ne se serait probablement répandue que très-lentement en Angleterre, sans l’heureuse intervention de Smith, mécanicien d’une filature de coton située à Deanston, en Écosse. Smith, frappé de l’infertilité d’un terrain voisin de son usine, en attribua la cause à une trop grande humidité. Il imagina, pour l’assainir, de creuser des fossés, qu’il recouvrit ensuite de pierres. Il mettait ainsi en usage, sans les connaître, les procédés des anciens cultivateurs français.

L’expérience tentée par Smith fut couronnée d’un plein succès, et ce succès fit grand bruit dans le voisinage. Des cultivateurs vinrent lui demander des conseils, et des propriétaires l’appelèrent auprès d’eux, pour diriger le desséchement de leurs champs. Smith fut ainsi amené à abandonner la filature. Apôtre de la réforme agricole, il parcourut successivement l’Écosse et l’Angleterre, assainissant et améliorant les terres sur son passage.

La méthode de Smith était déjà connue et pratiquée depuis longtemps, quand l’auteur en donna une description détaillée, dans un petit livre qui ne parut qu’en 1833. Cette méthode consistait à ouvrir des rigoles assez rapprochées de 0m,60 à 0m,75 de profondeur, destinées à recevoir les eaux de pluie, ou les eaux de source venant des couches inférieures. Les fossés étaient recouverts de pierres, pour tamiser l’eau et supporter le poids de la terre qui les contenait.

Smith imprima assurément au drainage un véritable progrès ; mais le développement et l’importance de cet art ont été dus, en grande partie, à la substitution que l’on fit à la pierraille, de deux tuiles, dont l’une est plate et l’autre creuse. Une tuile plate pour semelle et une tuile creuse surmontant celle-ci, furent alors le nec plus ultra de l’art des desséchements.

Les premières tuiles pour le drainage furent faites à la main, mais on ne pouvait en rester là. En 1852, Irving inventa une machine qui moulait à la fois les tuiles creuses et les tuiles plates, pour en former un ensemble.

Le dernier et suprême perfectionnement apporté à l’art du drainage, fut la substitution des tuyaux cylindriques aux tuiles, et la confection mécanique de ces tuyaux.

En 1843, divers spécimens de tuyaux et les premières machines propres à les fabriquer, parurent, en Angleterre, à l’exposition agricole de Derby.

Pendant que l’industrie privée et le génie agricole perfectionnaient l’art du drainage, et créaient les instruments qui devaient le vulgariser en le rendant plus pratique, quel était le rôle du gouvernement anglais ? Il favorisait par tous les moyens en son pouvoir l’essor des agriculteurs. Il changeait l’hésitation du peuple en enthousiasme, et par sa puissante initiative, semait partout la confiance. Nous emprunterons les renseignements qui vont suivre à l’excellent ouvrage de M. Barral, Drainage des terres arables, véritable compendium de cet art[3].

Dès que Smith, de Deanston, eut élevé le drainage au rang de méthode, le gouvernement, par une loi votée en 1840, se mit à la disposition des propriétaires d’Angleterre et d’Irlande. Ceux-ci devaient payer d’avance les premiers frais des travaux préparatoires, tels que la levée des plans, et s’engager à rembourser le gouvernement au moyen d’annuités disposées de manière à amortir la dette dans l’espace de 12 à 18 ans au plus.

En 1842, le parlement d’Angleterre soumettait à une même législation les travaux d’assainissement, l’amélioration de la navigation et l’emploi des eaux comme force motrice, et les plaçait sous la surveillance de cinq commissaires, trois pour l’Irlande et deux pour l’Angleterre.

Ces mesures énergiques eurent les meilleurs résultats, et firent faire de grands progrès au drainage. Cependant le gouvernement ne tarda pas à s’engager davantage encore dans la même voie. En 1846, l’Irlande se trouvait menacée d’une famine, et en Angleterre même, la récolte des céréales était extrêmement incertaine. C’est dans ces conditions que sir Robert Peel obtint des deux chambres la célèbre réforme agricole, conçue en vue des intérêts populaires, qui donna un libre accès aux grains étrangers, en les soumettant cependant à un certain droit. En même temps, et pour relever la confiance des propriétaires et des fermiers, on aplanit pour eux le chemin des améliorations agricoles, en mettant à leur disposition, par un prêt d’argent, les sommes nécessaires à l’exécution des travaux de drainage. À cet effet, un crédit de 78 millions leur fut ouvert. Ce crédit se décomposait ainsi : 9 millions pour l’Angleterre, 41 millions pour l’Écosse, 25 millions pour l’Irlande. Tout propriétaire ou fermier put, sur sa simple demande, obtenir du gouvernement, à titre de prêt, les sommes nécessaires pour exécuter les opérations du drainage. L’État se réservait seulement de surveiller l’exécution des travaux, d’en estimer la qualité, et de n’accorder de crédit qu’aux opérations qui devaient donner au sol une amélioration durable.

Grâce à ces mesures, libérales autant qu’intelligentes, les fonds votés en 1846 étaient épuisés en 1849. Les demandes s’étaient élevées à plus de 100 millions de francs. Les agriculteurs déclaraient unanimement, que le drainage était un excellent moyen d’améliorer les terres ; qu’une terre drainée produisait sans engrais, plus qu’une terre fumée et non drainée. Plusieurs fermiers annonçaient qu’ils aimaient mieux payer 5 à 6 pour 100 de plus sur leur fermage, et avoir à travailler des terres drainées. D’autres prétendaient même qu’ils ne voudraient pas prendre à ferme gratis une terre non drainée.

L’État fit ses dernières avances en 1850, et rentra peu à peu dans les sommes qu’il avait prêtées.

Aujourd’hui le drainage est un fait accompli en Angleterre, et dans certains districts il existe dans presque toutes les terres. Depuis 1842, époque où l’amélioration du sol commença de s’opérer avec méthode, la Grande-Bretagne a drainé, savoir : en Irlande (tant sur les terres de l’État que sur celles des particuliers) 80 000 hectares ; en Angleterre, en Écosse et dans le pays de Galles, 552 000 ; en sorte que dans le Royaume-Uni tout entier, il existe une somme totale de 632 000 hectares drainés.

Pendant que ce grand travail, qui fait tant d’honneur à l’Angleterre, se produisait, de l’autre côté du détroit, que faisait la France ? Elle prêtait l’oreille, non sans quelque méfiance, à tous les bruits du dehors. Peu disposée aux innovations en agriculture, elle s’en tenait à la routine. C’est un Anglais, M. Thackeray, qui, le premier, fit connaître en France, les avantages que l’Angleterre retirait du drainage. M. Thackeray publia, sur ce sujet, plusieurs brochures, et écrivit de nombreux articles dans les journaux d’agriculture. En 1846, il fit venir de Londres, à ses frais, six mille tuyaux de drainage et deux ouvriers, pour faire des expériences dans le domaine de Forges, près Montereau.

Ces expériences furent couronnées de succès. Peu de temps après, M. Thackeray importait une machine pour fabriquer des tuyaux et le modèle d’un four pour les cuire économiquement. À l’exposition des produits de l’industrie nationale de 1846, M. Thackeray obtint du Jury des récompenses, une médaille d’argent.

Cependant la France agricole conservait toujours son immobilité et son indifférence. Un petit nombre d’agriculteurs distingués avaient entrepris quelques travaux de drainage ; mais ils ne l’avaient fait qu’avec hésitation et sur de petites étendues de terrain. Les demandes de tuyaux n’étaient pas suffisantes pour encourager la fabrication des potiers et des tuiliers, qui hésitaient à créer des machines et un outillage pour des produits dont le succès ne leur était pas garanti.

Les progrès du drainage auraient sans doute été fort lents parmi nous, sans l’intervention, libérale et éclairée, du Gouvernement. Encouragé par les résultats heureux de la grande entreprise qui venait de se faire en Angleterre, le gouvernement français résolut d’entrer dans la même voie. À partir de l’année 1849, il mit à la disposition des comices agricoles et des départements quelques sommes pour l’achat des machines à fabriquer les tuyaux, et des instruments de drainage. Des instructions sur le drainage furent publiées aux frais de l’État, ou des départements. Des ingénieurs ou des savants, parmi lesquels se distingua surtout M. Hervé Mangon, ingénieur des ponts et chaussées, furent envoyés à l’étranger, pour étudier les procédés du drainage.

En 1854 parut la loi qui procurait aux propriétaires, pour l’asséchement du sol, des facilités analogues à celles dont ils jouissaient pour l’irrigation. Jusque-là en effet, d’après un article du Code Napoléon, les fonds inférieurs du sol n’étaient assujettis, envers ceux qui sont plus élevés, qu’à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l’homme y ait contribué.

Le rapporteur de la loi présentée au Corps législatif, le 1er avril 1854, sur le libre écoulement des eaux provenant du drainage, s’exprimait ainsi :

« Les études géologiques démontrent que les terrains qui retiennent l’eau, soit dans leur couche arable, soit dans leur sous-sol, s’élèvent à la quantité de près de dix millions d’hectares, le quart environ des terres livrées à la culture.

« Supposez un moment que ces dix millions d’hectares aient été, par l’asséchement et la bonne culture, amenés à leur maximum de production, que le quart seulement ait été semé en céréales, et vous aurez une augmentation que, dans les années humides, on ne peut évacuer à moins de vingt-cinq millions d’hectolitres de grains. »

« L’assainissement des terres au moyen du drainage, disait à ce sujet M. Magne, dans une de ses circulaires aux préfets, est appelé, dans la pensée du gouvernement ; à rendre les plus grands services à l’agriculture et à augmenter notablement la production du sol. Je compte sur votre concours pour en favoriser la propagation par tous les moyens possibles. Accroître la fertilité de nos campagnes, mettre la production en rapport avec la population, c’est mettre le pays à l’abri de la disette. »

La même année, M. Rouher, ministre de l’agriculture, adressait un mémoire à l’Empereur, dans lequel on lisait :

« La fabrication économique et surtout bien entendue des instruments de drainage, est l’un des produits qui doivent appeler l’attention la plus sérieuse du gouvernement. C’est la condition nécessaire des progrès de cette opération. Déjà des sommes assez importantes ont été distribuées dans divers départements pour l’acquisition de machines destinées à leur fabrication. Il importe que ce bienfait soit généralisé, et que chaque département participe à une mesure qui en répandant les bonnes méthodes fournira aux populations à la fois un encouragement et un modèle à suivre. »

M. Rouher terminait en demandant l’autorisation de disposer d’une somme de 100 000 francs, prélevée sur l’ensemble des fonds affectés au ministère de l’agriculture, du commerce et des travaux publics, pour encourager dans les départements la fabrication économique des tuyaux de drainage et développer la pratique de ce procédé. Ce rapport fut approuvé par l’Empereur. En même temps des ordres étaient donnés pour que les ingénieurs des ponts et chaussées, chargés du service hydraulique, ou pour que des agents spéciaux, fussent mis gratuitement à la disposition des agriculteurs qui voudraient exécuter des travaux de drainage. En outre, les droits d’importation des machines étrangères, les tarifs des chemins de fer pour le transport des tuyaux, furent considérablement réduits.

La loi du 15 juin 1854, votée à la suite du rapport cité plus haut, porte :

« Art. 1er. Tout propriétaire qui veut assainir son fonds par le drainage, ou un autre mode d’asséchement, peut, moyennant une juste et préalable indemnité, en conduire les eaux, souterrainement ou à ciel ouvert, à travers les propriétés qui séparent ce fonds d’un cours d’eau, ou de toute autre voie d’écoulement. »

Enfin en 1856, parut une loi qui était comme le couronnement de tous ces efforts, et qui ne contribua pas peu à hâter la propagande de la réforme agricole. En vertu de cette loi, une somme de 100 millions était affectée à des prêts destinés à faciliter les opérations de drainage. Les prêts effectués en vertu de cette loi, devaient être remboursés en vingt cinq ans, par annuités, comprenant l’amortissement du capital, et l’intérêt calculé à 4 pour 100.

Une autre loi, du 28 mai 1858, substitua pour ces avances, le Crédit foncier de France à l’État, et autorisa cette compagnie à faire pour les travaux de drainage, jusqu’à concurrence de cent millions, des prêts, remboursables par annuités.

Enfin, un décret du 23 septembre 1858 régla la forme et le mode d’instruction des demandes, les conditions des prêts, et créa pour leur admission, une commission spéciale, sous le titre de Commission supérieure du drainage.

Sous cette haute impulsion, des entrepreneurs se présentèrent et quelques sociétés se formèrent pour l’exécution des travaux de drainage.

Cependant, il faut le dire, sur les 100 millions pour lesquels le Crédit foncier était autorisé à émettre des obligations de drainage, des prêts s’élevant à quelques centaines de mille francs seulement, ont été réalisés. Le but que s’était proposé le Gouvernement n’a donc pu être atteint. L’élan populaire qui avait accueilli, en Angleterre, les offres du Gouvernement, a fait chez nous complétement défaut.

Il est vrai que beaucoup d’entreprises particulières ont été exécutées avec les ressources des propriétaires eux-mêmes, et que souvent une amélioration très-sensible a pu être constatée ; mais quelquefois aussi, cette amélioration ne s’est pas soutenue, de sorte que des travaux importants n’ont pas été suffisamment compensés par l’augmentation des récoltes. En un mot, les immenses résultats qu’on espérait obtenir, en France, de l’emploi général du drainage, sont restés bien au-dessous de ce qu’on en attendait. Ce qui n’empêche pas que le drainage ne soit une pratique agricole de la plus haute importance, et digne de figurer au nombre des inventions les plus remarquables de notre siècle.

La vulgarisation du drainage en France, n’est pas due tout entière à l’initiative gouvernementale. Il serait injuste de passer ici sous silence les noms de quelques intelligents agronomes, qui, les premiers, ont proclamé les bienfaits, encore discutés, de cette méthode. Citons entre tous, MM. Duchâtel et de Bryas.

Le 14 août 1855, pendant l’Exposition universelle et au milieu des expériences agricoles qui avaient lieu à Trappes, M. de Bryas donnait à qui voulait l’entendre ce victorieux argument :

« J’ai drainé en entier une propriété près de Bordeaux qui valait 700 000 francs et dont voici les plans. Je l’afferme aujourd’hui sur le pied de 1 100 000 francs, et mes fermiers sont enchantés de leur marché. »

Aujourd’hui, les opérations du drainage sont devenues presque usuelles. Cependant on ne peut s’empêcher de reconnaître que cette opération, nécessaire en Angleterre, ne saurait avoir d’importants résultats en France dont le sol pèche plutôt par un état habituel de sécheresse, que par un excès d’humidité.

Les autres nations entrèrent peu à peu dans la pratique de l’assainissement des terres ; mais nous devons citer à part, et en seconde ligne après l’Angleterre, le royaume de Belgique. L’importation du drainage dans ce pays date de 1835. M. Vitart l’appliqua le premier. Mais c’est seulement en 1850, qu’il prit son complet essor. Grâce à l’habile et vigoureuse intervention du Gouvernement, en quelques années le développement de la méthode nouvelle fut extraordinaire. Ses progrès sont résumés dans le tableau suivant.

ANNÉES.
NOMBRE
de fabriques de tuyaux
en exercice.
NOMBRE
des agriculteurs
qui ont appliqué
le drainage.
NOMBRE
d’hectares de terrains
drainés.
1850 9 35 150
1851 20 205 566
1852 33 599 888
1853 56 1 198 1 645
1854 76 2 114 3 168
1855 88 3 448 5 631
1856 106 4 021 7 244
    11 620 19 292

Nous ne terminerons pas cette rapide esquisse de l’histoire du drainage, sans bien préciser ce qui constitue la nouveauté, l’originalité de cette opération agricole. Le drainage moderne n’est pas une pratique ancienne. Le drainage des anciens n’était que le germe du système de nos jours, car jusqu’à l’année 1850, il fut à peine soupçonné par les agriculteurs. Le système actuel comprend l’assainissement complet, méthodique, admirablement simplifié, des terrains argileux, des terres froides et crues, dans lesquelles les eaux pluviales s’accumulent lors de la mauvaise saison, et qui y sont retenues par un sol ou par un sous-sol imperméable. Les saignées souterraines pratiquées par les anciens, et celles qui ont été décrites par Olivier de Serres ou Walter Blight, étaient seulement destinées à l’asséchement des terrains marécageux, à l’écoulement des eaux de fond, ou provenant de sources voisines. Ainsi, indépendamment des perfectionnements sans nombre apportés aux moyens d’exécution, les saignées souterraines appliquées à l’assainissement général et complet des terrains argileux, des terres froides et crues, constituent le côté réellement neuf et original du drainage moderne.

Mais le lecteur se demande peut-être, pourquoi cette excellente méthode, déjà entrevue dans l’antiquité, n’avait pas été appliquée et généralisée plus tôt ? C’est qu’il y eut toujours plus de poëtes pour chanter les épis de la moisson que de savants pour enseigner à les faire germer. C’est que dans les temps qui ont précédé le nôtre, l’intelligence humaine, usant ses meilleures forces sur les champs de bataille, ou dans les ruineux préparatifs de la guerre, négligeait nécessairement les arts fructueux de la paix. C’est que le colon romain, le serf du Moyen âge, le vilain de la féodalité, le paysan des siècles derniers, exploités, ruinés, écrasés par les charges d’impôts excessifs, arrachant avec peine à la mamelle avare de la terre, quelques gouttes d’un lait, que lui disputaient toutes les tyrannies, n’avaient eu, jusqu’à notre époque, ni la pensée, ni le temps, ni l’argent nécessaires pour se livrer à des expériences agricoles. Ne pouvant songer qu’à leur propre conservation, toujours précaire, toujours menacée, les agriculteurs du Moyen âge, de la Renaissance et des siècles suivants, ne pouvaient s’inquiéter du progrès des arts, ni s’appliquer à la science difficile de l’exploitation du sol. Toujours opprimés, ils ne pouvaient être novateurs. L’agriculture a dû suivre les progrès de la civilisation. Ce n’est donc que dans notre siècle qu’elle a pu entrer dans la voie des améliorations utiles, et le drainage figure parmi l’une des plus précieuses conquêtes qu’il lui ait été donné d’accomplir depuis son affranchissement.


CHAPITRE II

qu’est-ce que le drainage ? — ses effets généraux et secondaires. — signes extérieurs du besoin du drainage.

Pour bien comprendre le sens du mot drainage, reprenons cette ingénieuse comparaison du pot à fleurs, énoncée dans nos premières pages. Le petit sol artificiel que ce vase renferme, se compose de mottes de terre, lesquelles ne sont jamais en contact parfait, à cause de la grande variété de forme et de grosseur de ces particules. Il existe donc entre ces mottes des vides, qui communiquent plus ou moins directement ensemble, et constituent comme un système de petits canaux. Mais ces mottes de terre elles-mêmes ne sont pas d’une densité absolue ; elles sont criblées de trous, poreuses, et ressemblent à autant de petites éponges. Quand la terre est parfaitement sèche, les canaux qui existent entre les particules de terre et les pores dont nous venons de parler, sont remplis d’air. Qu’arrivera-t-il si nous bouchons le trou du pot à fleurs, et si nous arrosons le sol abondamment ? L’eau pénétrera immédiatement dans le réseau des canaux extérieurs, puis enfin dans les pores des mottes de terre, à la manière de l’eau qui monte, de proche en proche, d’une des extrémités d’un morceau de sucre à l’autre extrémité. Toute la terre sera ainsi saturée d’eau, et il n’y aura plus d’air. La plante se trouvera alors dans de mauvaises conditions. Si la nature ne l’a pas destinée à se plaire dans ce marécage en miniature, elle dépérira bientôt ; ses racines se pourriront, ses feuilles et ses fleurs se flétriront, et elle mourra. Pauvre Picciola !

Rétablissons maintenant l’ouverture du pot à fleurs. L’eau, circulant dans l’intérieur des canaux dont nous avons parlé plus haut, et s’écoulant au dehors, abandonne, en passant, les principes réparateurs qu’elle apporte, et se trouve remplacée elle-même, par de l’air. Les pores constitutifs des particules, retiennent, au contraire, l’eau qu’ils ont absorbée, en sorte que le sol est frais, sans être noyé.

Ainsi le trou percé au fond du pot à fleurs permet le renouvellement de l’eau et le renouvellement de l’air, éléments dont dépend la vie de la plante. Eh bien ! le drainage des terres arables n’a pas d’autre but. C’est ce petit trou du pot à fleurs que l’on réalise dans les champs ! Prenons un exemple. Les terres froides, c’est-à-dire celles qui, sans être imperméables par elles-mêmes, reposent sur un sous-sol imperméable, sont placées dans les mêmes conditions défavorables que notre pot à fleurs, quand son ouverture du fond se trouve bouchée. Il s’agit donc, pour mettre ces terres dans des conditions normales, pour établir cette circulation nécessaire de l’air et de l’eau, pour conserver cette terre fraîche et non pas humide, de déboucher le trou de ce vaste pot à fleurs, en un mot, de drainer cette terre. Les travaux de drainage consistent à ouvrir dans la terre des tranchées étroites, au fond desquelles on dispose des tuyaux de poterie, placés bout à bout, et débouchant à l’air libre, au point le plus bas de chaque système de rigoles. L’eau qui imprègne le sol arrive en s’infiltrant jusqu’aux tuyaux de conduite ; elle s’y introduit à travers les joints qui unissent leurs extrémités, et s’écoule en suivant la pente du terrain.

Le rapide écoulement des eaux de pluie à travers le sol, l’abaissement du plan des eaux stagnantes à une profondeur suffisante pour ne plus nuire au développement des racines ; tels sont les effets généraux, les résultats directs et immédiats d’un drainage bien fait. De ces deux effets généraux résultent des effets secondaires très-importants, que nous allons passer en revue.

Démontrons d’abord que le drainage réchauffe le sol.

Quand un sous-sol imperméable contient, à une faible profondeur, une nappe d’eau stagnante, en sorte que la chaleur solaire, arrêtée par cette barrière liquide, ne puisse lui transmettre son action qu’à une profondeur insignifiante, il y a très-près de la surface du sol, une couche qui est insensible aux variations de la température extérieure, et dont la chaleur est bien inférieure à la température moyenne des mois les plus chauds de l’année. Le drainage, en supprimant la nappe d’eau stagnante, fait descendre plus bas cette couche du sol insensible aux variations atmosphériques, de sorte qu’elle n’a plus aucune influence fâcheuse sur le développement des racines. D’autre part, les eaux de pluie ont, pendant une grande partie de l’année, une température supérieure à celle des couches un peu profondes du sol. Ces eaux, relativement chaudes, sont comme pompées, de haut en bas, par le drainage, et viennent ainsi augmenter la chaleur du sol. Enfin, en abaissant, par le même procédé, la nappe d’eau stagnante à une profondeur convenable, on diminue considérablement l’évaporation qui se fait toujours à la surface de la terre, et l’on réchauffe d’autant le sol ; car, pour passer à l’état de vapeur, l’eau liquide absorbe, comme nous l’apprend la physique, une quantité énorme de chaleur.

Pour qu’on ne nous accuse pas de nous complaire dans des considérations scientifiques, nous invoquerons des faits, des expériences directes. Un agriculteur anglais, M. Parkes, a fait, en 1854, des observations thermométriques très-suivies, dans un marais tourbeux, drainé seulement en partie. La température du sol naturel, non drainé, s’élevait à 8°,3 à une profondeur de 0m,18 ; à une même profondeur, dans la partie drainée, le thermomètre marquait 18°,8. Or, sur 35 observations, M, Parkes a trouvé, pour la même profondeur, une augmentation moyenne de 5°,5 dans la température du terrain drainé, par rapport à celle du même terrain non drainé.

Le corollaire naturel des faits que nous venons d’exposer, c’est la précocité des récoltes dans les terres drainées. Il y a quelquefois, sous ce rapport, une avance de 15 jours à un mois ; et l’on a obtenu de très-curieux résultats dans les cultures jardinières. En Angleterre la maturité des fruits de certains arbres, des cerisiers par exemple, a pu avoir lieu un mois plus tôt que de coutume.

Le drainage modifie et ameublit le sol ; c’est ce que nous établirons sans peine. Considérons ce qui se passe dans les terres fortes, ou argileuses. Elles ne laissent pas assez facilement pénétrer l’eau de la surface, et la retiennent trop fortement lorsqu’elles en sont imprégnées. Elles pèchent donc alternativement, suivant la saison, par un excès de sécheresse ou par un excès d’humidité. Sous l’influence des vents et du soleil, elles deviennent tellement dures que la végétation en souffre ; par l’action des pluies continues, elles sont tellement humides, que les plantes noyées et soumises au refroidissement qui résulte de l’évaporation, sont de plus déchaussées et détruites par des gelées et des dégels successifs. Ajoutons que la culture de ces terres est difficile, pénible, longue et coûteuse, à cause de l’état du sol, qui tantôt est si dur et si compacte, que les instruments de labour ne peuvent l’entamer, et qui tantôt, au contraire, est si détrempé, si pâteux, que les attelages s’y embourbent et éprouvent une grande résistance. Un bon drainage, en donnant aux sols argileux une porosité relative, qui semble au premier abord incompatible avec la nature de ces terrains, les rend faciles à travailler, et prévient les désordres dont nous venons de tracer le tableau.

Un autre avantage de drainage c’est qu’il augmente la fertilité du sol. Qu’une terre soit trop mouillée, les principes solubles des engrais, disséminés, noyés dans une trop grande masse d’eau, n’agissent plus sur la végétation qu’à des doses qu’on pourrait appeler homéopathiques, et ils sont quelquefois même entraînés bien loin des racines. D’un autre côté, on sait que l’air, la chaleur et une petite quantité d’humidité, sont les agents nécessaires à une bonne végétation. Or, ces conditions font complétement défaut dans un terrain trop humide. C’est par le drainage que ce sol noyé retrouvera la quantité d’humidité, d’air et de chaleur, nécessaire pour utiliser les engrais confiés à la terre. De plus, l’eau de pluie chargée d’ammoniaque ou d’azotates solubles, ne s’arrête plus à la surface du sol, où les sels ammoniacaux s’évaporeraient promptement : elle pénètre jusqu’à la racine des plantes, et met à leur portée les principes fertilisants des engrais.

Qui nous assure pourtant que, grâce à cette facilité d’infiltration, l’eau n’entraîne pas avec elle, et sans profit pour le sol, ces précieux éléments de fécondité ? Ce doute n’est pas possible. M. Boussingault, ayant analysé l’eau provenant de l’écoulement des drains, y trouva l’ammoniaque en quantité beaucoup moindre que n’en contenaient les eaux de pluie. Les plantes avaient donc absorbé à leur profit, cette ammoniaque.

En résumé, les effets et les avantages du drainage sont les suivants :

1o Le drainage abaisse le niveau des eaux stagnantes à une profondeur suffisante pour qu’elles ne puissent plus nuire au développement des racines des récoltes.

2o Il facilite le passage, à travers la couche arable et active, des eaux pluviales et des éléments de fertilité que ces eaux peuvent apporter sur le sol qui les reçoit.

3o Il facilite à l’air le moyen de pénétrer dans le sol jusqu’à la portée des racines, et jusqu’au contact des engrais dont il active la décomposition au profit des récoltes.

4o Il contribue à l’ameublissement des terres fortes.

5o Il augmente la chaleur du sol, en diminuant l’évaporation superficielle de l’eau, et, par suite, en atténuant le refroidissement que cette évaporation produit toujours.

6o Il augmente la fertilité du sol, par suite d’une introduction plus facile, d’un transport plus régulier, d’une transformation plus avantageuse des gaz et des substances propres à contribuer au développement des plantes cultivées.

À quels caractères peut-on reconnaître qu’une terre a besoin d’être drainée ? — On distingue aisément, grâce à l’aspect du sol et à la nature de la végétation qui le recouvre, si un champ a besoin d’être drainé.

« Partout où, quelques heures après une pluie, dit M. Barral, on aperçoit de l’eau qui séjourne dans les sillons ; partout où la terre est forte, grasse, où elle s’attache aux souliers, où le pied, soit des hommes, soit des chevaux, laisse après son passage des cavités dans lesquelles l’eau demeure comme dans de petites citernes ; partout où le bétail ne peut pénétrer après un temps pluvieux sans enfoncer dans une sorte de boue ; partout où le soleil forme sur la terre une croûte dure, légèrement fendillée, resserrant comme dans un étau les racines des plantes, partout où l’on voit les dépressions du terrain notablement plus humides que le reste des pièces, trois ou quatre jours après les pluies ; partout où un bâton enfoncé dans le sol à une profondeur de 0m,40 à 0m,50, forme un trou qui ressemble à une sorte de puits, au fond duquel l’eau stagnante s’aperçoit ; partout où la tradition a consacré comme avantageux l’usage de la culture en billon, on peut affirmer que le drainage produira de bons effets[4]. »

Les plantes qui croissent sur le sol arable, nous offrent d’autre part des indices très-caractéristiques de la nécessité du drainage. Celles qui habitent les terrains humides, y régnent presque complétement, et bannissent toute récolte fructueuse. On ne saurait les faire disparaître ; comme elles s’y trouvent bien, elles y demeurent et multiplient. On ne s’en rend maître que par le drainage, qui les prive de cette humidité permanente, sans laquelle elles ne sauraient vivre. Voici les noms de quelques-unes de ces plantes, que presque tout le monde connaît de vue et de nom : le Jonc commun, le Plantain lancéolé, le Colchique d’automne, la Prêle ou queue de cheval, la Renoncule, la Laîche, l’Orchis latifolia ou Pentecôte à larges feuilles, l’Iris des marais, la Renouée, le Scirpe, le Souchet, la Scrophulaire aquatique, le Narcisse, etc.

Un examen attentif du sous-sol permet, d’ailleurs, de reconnaître exactement sa nature, et de prononcer sur la nécessité du drainage. Cet examen se fait au moyen de tranchées, que l’on pratique dans le sol, et de trous d’essai.

Si l’on veut étudier la constitution du sol, sans cependant multiplier outre mesure les tranchées et les trous d’essai, on se sert d’une petite sonde à main, de la sonde dite de Palissy, que représente la figure 414.

Fig. 414. — Sonde de Palissy.

On manœuvre cette sonde à peu près comme une tarière. On l’enfonce de 0m,40 environ ; on la retire, pour examiner la nature du sol, puis on l’enfonce encore de 0m,40, et l’on continue ainsi jusqu’à la profondeur de 1m,80 qu’elle atteint facilement. Avant de commencer chaque sondage, on tasse fortement le sol à la place où l’on doit opérer, pour que la terre se maintienne à l’entrée du trou.

Pour bien juger de la nature des échantillons que la sonde rapporte, et qui sont toujours un peu altérés, il est bon de faire une première opération tout auprès d’une tranchée, afin d’obtenir des termes précis de comparaison.


CHAPITRE III

exécution pratique du drainage. — profondeur, écartement, direction des drains. — exemples de drainage.

Après ces considérations générales, nous passons à la description des opérations pratiques du drainage. Beaucoup de questions différentes se rattachent à cette pratique ; nous serons obligés de les examiner chacune avec attention.

Profondeur à laquelle il faut placer les tuyaux de drainage. — Nous commencerons par rechercher à quelle profondeur les drains doivent être placés, pour produire les meilleurs effets possibles. Cette question est une des plus importantes de toutes celles qu’il s’agit de résoudre dans le problème du drainage. Les sociétés anglaises d’agriculture ont longtemps retenti des vives discussions qui s’élevèrent entre les partisans du drainage profond et leurs adversaires. En effet, deux systèmes se trouvaient en présence : l’un, représenté par M. Smith, de Deanston, consistait à placer les drains à une profondeur de 0m,75 au plus ; l’autre, qui avait pour défenseur M. Parkes, déclarait que les drains devaient s’enfoncer au moins à 1m,21 dans le sous-sol. Hors des drains profonds d’une part, hors des drains superficiels d’autre part, il n’y avait point de salut ! L’expérience fit bientôt voir que le salut n’était ni dans l’une ni dans l’autre des deux écoles exclusivement. En effet, la profondeur des drains varie en raison de la nature du sol et de la pente du terrain. L’étude attentive des tranchées d’essai, qu’on a dû pratiquer sur le sol à drainer, détermine définitivement la profondeur qu’il convient d’adopter. Cette profondeur pourra varier suivant des cas particuliers. Selon M. Leclerc, elle oscillera entre 1m,21 et 1m,46 dans les terrains sablonneux de diverses espèces ; de 1m,26 à 1m,56 dans les terrains argileux plus ou moins consistants ; dans les terrains tourbeux et spongieux elle atteindra 1m,71[5]. Au reste, dans le drainage des tourbières peu profondes, il importe de pousser les canaux jusqu’au terrain solide, car la tourbe est une mauvaise fondation pour les tuyaux de drainage. De plus, il faudra toujours placer les drains plus profondément qu’on ne veut les établir définitivement, à cause du tassement que ces terrains subissent en se desséchant, et qui peut atteindre 1/5 ou 1/6 de leur épaisseur primitive. Quand on opère dans un sol poreux, avec sous-sol saturé d’eau, parce qu’il repose sur une couche imperméable, il faut, autant que possible, donner assez de profondeur à la tranchée pour que les tuyaux reposent sur cette couche imperméable ; car dans ces espèces de sols l’action d’un drain s’étend d’autant plus loin que sa profondeur est plus considérable. Les drains seront donc plus espacés. Si, dans les sols argileux, à une profondeur qui varie de 1m,50 à 1m,80, on rencontre, ce qui arrive assez souvent, une couche aquifère, composée de matériaux très-poreux, cette couche sera un excellent auxiliaire pour le drainage. On pousse en effet jusqu’à son niveau un moindre nombre de drains qu’il ne serait nécessaire de le faire en général, et on y décharge les eaux de toute la surface.

Il nous reste à montrer que la profondeur minimum à laquelle on peut placer des tuyaux de drainage, est de 0m,70 à 0m,80. En effet, les labours profonds atteignent 0m,25 à 0m,30 : la partie supérieure du conduit de drainage doit se trouver à 0m,08 ou à 0m,10 au-dessous de la profondeur moyenne atteinte par les instruments de culture, pour n’être pas endommagée par ces instruments. Si l’on ajoute maintenant l’épaisseur de la couche préservatrice qui doit exister au-dessus des tuyaux de drainage, on verra qu’en tenant compte des dépressions de certains points du sol, le chiffre que nous avons donné est bien une moyenne minimum de la plus petite profondeur à donner aux drains.

L’expérience, du reste, a démontré qu’une diminution, même peu importante, dans la profondeur des drains, peut avoir de très-regrettables résultats, et il vaut mieux à coup sûr drainer un peu plus profondément que ne l’ont indiqué des calculs plus ou moins rigoureux, pour ne pas s’exposer à recommencer des travaux faits trop superficiellement.

Écartement des drains. — Relativement à l’écartement des drains, les mêmes divergences d’opinions s’élevèrent entre M. Smith et M. Parkes. Les chiffres adoptés par M. Smith sont en général trop faibles, et ceux de M. Parkes souvent trop forts. En général, la distance entre les drains est comprise entre 5 et 20 mètres. Cette distance, comme la profondeur, est, d’ailleurs, très-variable.

Il y a sans doute une relation entre la profondeur et l’écartement des drains ; mais le problème est si compliqué, que, dans l’état actuel de la science, on n’a pu formuler mathématiquement cette relation. M. Barral a établi une formule, mais elle présente une inconnue difficile à déterminer par l’expérience. Cette inconnue, c’est la faculté rétentive du terrain pour les eaux. Si cette force rétentive était égale à zéro, l’eau descendrait de la hauteur de 4m,9 pendant la première seconde de sa chute ; si elle était absolue, tous les drains du monde n’empêcheraient pas l’eau de séjourner à la surface du sol. Quoi qu’il en soit, cette distance dépend surtout de la nature du sous-sol. Un sol compacte et rétentif oppose une grande résistance au mouvement de l’eau qui filtre dans son intérieur ; un sol poreux ou plus léger, laisse un plus libre cours à l’eau, que les drains enlèvent facilement. Dans les terrains de cette dernière sorte, les drains seront écartés et en même temps profonds : dans les terrains compactes, les drains devront être plus rapprochés ; en sorte que, en général, pour obtenir un asséchement uniforme dans des sols de nature différente, il faut rapprocher de plus en plus les drains à mesure que le terrain devient de plus en plus compacte.

Du reste, on peut évaluer directement l’espacement qui convient le mieux à chaque espèce de terrain. On établit à une certaine distance, deux drains, dont la profondeur soit égale à celle qu’on a cru devoir adopter pour le drainage définitif. On creuse un trou au milieu de la distance qui sépare les deux drains, puis un autre trou à côté d’un d’entre eux. Après une saison pluvieuse, on examine le niveau de l’eau dans les deux trous ; s’il est à peu près le même, on en conclura que les lignes de drains ne sont pas trop écartées, et l’on adoptera le même espacement dans toutes les parties du champ où le sous-sol a la même nature.

Fig. 415. — Détermination de l’écartement des tranchées.

Voici un autre moyen propre à fixer expérimentalement l’écartement des drains dans un terrain donné. On creuse, à droite et à gauche d’une tranchée d’essai, une série de trous de 0m,50 de côté, et de même profondeur que la tranchée T (fig. 415). Ces trous sont placés à une distance de 10 à 12 mètres, afin qu’ils ne puissent pas agir les uns sur les autres. Ils sont du reste disposés en échiquier, de manière que leur distance à cette tranchée soit de 2, 4, 6, 8, 10, 12, 14 mètres. On recouvre ces trous de branchages et de paillassons, pour éviter l’évaporation. Si le sol n’est pas assez imprégné d’eau pour que celle-ci emplisse naturellement les trous, on attend les pluies, et on se livre alors aux observations, qui durent plusieurs jours de suite, et qu’on répète à deux ou trois époques de l’année. On note plusieurs fois le niveau de l’eau dans les trous et on reconnaît bientôt qu’il s’abaisse d’autant plus vite et d’autant plus dans chaque trou, que ce trou est plus rapproché de la tranchée. On remarque que l’eau est plus élevée au-dessus du fond de cette tranchée, T, dans le point B que dans le point A, dans le point C que dans le point B, dans le point D qu’en C, et ainsi de suite, jusqu’à une distance où, l’action de la tranchée ne se faisant plus sentir, le niveau de l’eau reste le même dans deux trous voisins. Lorsque le niveau de l’eau semble stationnaire, ou bien lorsqu’il varie sensiblement de la même façon dans tous les trous, d’une observation à l’autre, le double de la distance à la tranchée du dernier trou où l’effet de la tranchée s’est fait sentir, donnera l’écartement des drains.

Il est encore une autre manière de contrôler l’espacement des saignées sur un champ à drainer, et de recevoir un avertissement utile, quand on aura à drainer un terrain du même genre. Si vers le milieu de l’intervalle de deux saignées successives, la végétation paraît chétive et languissante, c’est une preuve que l’espacement est trop considérable.

Direction des drains. — Occupons-nous maintenant de la direction à donner aux drains. Un réseau de drainage se compose de tuyaux de divers calibres, dont les uns ont pour mission de dessécher le sol, et les autres de recevoir les eaux qui découlent des précédents. Les premiers se nomment tuyaux de desséchement, ou petits drains ; les seconds se nomment drains principaux, ou collecteurs. Les collecteurs du premier ordre sont ceux qui reçoivent directement les eaux des petits drains ; les collecteurs du deuxième ordre reçoivent les eaux des collecteurs de premier ordre ; ceux de troisième ordre reçoivent les eaux des drains de deuxième ordre, et ainsi de suite.

La force qui détermine l’écoulement de l’eau à travers les canaux capillaires du sol sur lequel doit agir un drain, étant la pesanteur, le tracé des lignes de drain devra, autant que possible, favoriser l’action de la pesanteur. Tous les drains de desséchement devront être dirigés suivant les lignes de plus grande pente de la surface du sol, ou s’en écarter le moins possible, car cette ligne est celle que suivent les eaux en coulant sur la surface du sol. Le canal placé au fond d’une tranchée dirigée suivant la ligne de plus grande pente, est symétriquement placé par rapport à la surface ; et dans un terrain homogène, son action se fait sentir à égale distance à droite et à gauche. Au contraire, si le drain s’écarte de la ligne de plus grande pente, toute son action se porte du côté où le terrain s’élève, et cette action se réduit souvent à zéro du côté où le terrain descend. D’autres raisons, qu’il est superflu de rapporter ici, confirment encore le principe de la direction des petits drains suivant la ligne de plus grande pente du terrain. On ne devra s’écarter de cette règle générale que dans les terrains plats, et dans ceux dont la surface n’est que faiblement irrégulière. Il faut négliger les petites irrégularités de la surface du sol, et ne s’attacher qu’à celles qui affectent une certaine étendue de terrain, en sorte qu’en somme il convient de placer les petits drains suivant des lignes droites rapprochées le plus qu’il est possible de la direction générale et moyenne des lignes de plus grande pente.

Les drains collecteurs qui recueillent et conduisent à un réceptacle convenable, les eaux des petits drains, ou drains de desséchement, doivent occuper toutes les parties du terrain vers lesquelles les eaux sont dirigées par ces petits drains. On les place donc dans les parties basses. L’angle suivant lequel les drains collecteurs et les drains de desséchement se rencontrent doit être aigu ; et de plus il faut faire en sorte qu’au point de jonction le courant de l’eau dans les premiers soit dirigé dans le même sens que dans les seconds.

Outre les drains du dernier ordre, tracés par groupes de lignes parallèles suivant la plus grande pente générale du terrain, il existe quelquefois, dans les pièces de terre, de petits drains dont la fonction est d’arrêter les eaux provenant d’infiltrations supérieures : on les nomme drains de ceinture. En effet, ils suivent, en général, le périmètre des parties drainées : ils communiquent, tous les 40 ou 30 mètres, avec un drain ordinaire.

L’extrémité des drains principaux est garnie, au point où ils débouchent dans les ruisseaux, ou canaux de décharge, d’un petit grillage en fer, qui empêche les rats, les grenouilles, les taupes, etc., de s’introduire dans les drains, et d’y causer des obstructions, après leur mort.

On défend quelquefois aussi l’entrée du drain par une petite construction faite avec des pierres ou des briques, contre l’indiscrète curiosité ou la malveillance des enfants et des passants.

La grille en fer qui garnit le débouché extérieur des drains et la petite maçonnerie qui la supporte, forment ce qu’on appelle une bouche.

Enfin, on établit, de distance en distance, aux points d’intersection des drains principaux des divers ordres, des regards, qui permettent d’observer facilement la manière dont l’écoulement se fait.

Nous emprunterons aux Instructions pratiques sur le drainage, rédigées par M. Hervé-Mangon, et publiées par ordre du Ministre de l’agriculture et du commerce, la description du mode d’établissement des regards et bouches des tuyaux de drainage.

Les regards, dit M. Hervé-Mangon, se construisent de deux manières.

La première consiste à prendre deux ou trois gros tuyaux (fig. 416 et 417), à les poser verticalement sur une pierre plate ou sur une large tuile, et à les recouvrir de la même manière. Un petit enrochement, maçonné au besoin, est placé à la base de ces regards. Les tuyaux qui y aboutissent, en plus ou moins grand nombre, sont solidement posés et quelquefois entourés de maçonnerie, sur une petite longueur, pour éviter tout déplacement de ces tuyaux.
Fig. 416. — Coupe d’un regard.
Fig. 417. — Plan d’un regard.

Le tuyau de décharge, B (fig. 416), est placé à quelques centimètres en contre-bas du dessous des tuyaux d’arrivée, A. Ceux-ci doivent faire un peu saillie sur la paroi intérieure du regard, pour que l’eau qu’ils amènent tombe dans ce regard et puisse produire un son, que l’on entend du dehors à travers les terres, et qui est l’indice de la marche régulière du drainage.

Quand on veut établir des regards plus importants, on les construit en pierres sèches ou maçonnées. On leur donne 0m,60 environ de largeur dans œuvre. Ordinairement, on les élève jusqu’au niveau du sol et on les ferme avec une planche ou une dalle. Leur forme ne diffère de celle que représente la figure 417 que par cette particularité qu’ils arrivent au niveau du sol, de manière que l’on puisse déplacer facilement la pierre plate qui les recouvre.

On peut laisser les regards ouverts, et alors on les entoure d’une petite balustrade avec parois treillagées en fil de fer. Mais le plus souvent on les ferme avec une planche qu’on puisse facilement lever, pour constater si tous les tuyaux d’arrivée donnent de l’eau.

Les bouches des drains, c’est-à-dire les points où ils arrivent aux canaux de décharge, doivent être construites en briques ou en pierres, et préservées par une grille en fonte ou en fer.

Fig. 418. — Élévation d’une bouche dans un talus.
Fig. 419. — Coupe par l’axe d’une bouche dans un talus.

Selon que le drain débouche dans le talus ou à l’origine d’un fossé, on peut adopter la disposition indiquée par les figures 418 et 419, ou bien par les figures 420 et 421. La construction de ces dernières bouches n’exige que quelques briques. Cette légère dépense est largement couverte par la sécurité qui résulte de l’établissement de ces petits ouvrages pour la conservation des débouchés et le maintien du profil des fossés de décharge.

Fig. 420. — Élévation d’une bouche à l’origine d’un fossé.
Fig. 421. — Coupe d’une bouche à l’origine d’un fossé.

Le tuyau de drainage, ajoute M. Mangon, doit être enveloppé, sur une certaine longueur, en arrivant à la bouche, dans un petit massif en maçonnerie hydraulique, ou dans un bon corroi de terre glaise, pour éviter toute infiltration. Quand on ne craint pas une petite augmentation de dépense, on remplace 1 mètre environ de tuyau en terre, près de la bouche, par un tuyau de fonte ou de tôle bitumée.

La grille en fonte ou en fer qui ferme la bouche des drains, doit être assez serrée pour s’opposer à l’introduction des plus petits animaux, et des corps étrangers que la malveillance pourrait tenter d’introduire dans le tuyau.

La meilleure manière de fixer cette grille consiste à la maintenir, comme l’indiquent les figures 420 et 421, par deux boulons traversant la maçonnerie et maintenus par des clavettes, dont les têtes se trouvent sous les gazons ou le perré du talus, de manière qu’il soit facile de les enlever, si la grille a besoin de nettoyage.

Exemples de drainage. — Afin de mieux faire comprendre les indications générales, et par cela même assez vagues, que nous venons de donner, nous offrirons au lecteur quelques exemples de drainages qui ont été effectués dans des circonstances diverses. Dans la figure 422, on voit le plan d’un champ de 4 hectares environ, et d’une faible inclinaison. Les petits drains ont été dirigés suivant cette pente, et sont espacés à peu près de 9 mètres les uns des autres. Ces petits drains débouchent dans trois drains collecteurs ab, cd, qui communiquent, en b et en d, avec le canal de décharge débouchant à l’extérieur.

Fig. 422. — Exemple d’un champ drainé.

Dans la figure 423, on voit que le champ présente deux inclinaisons différentes, et que les petits drains ont été disposés suivant ces deux inclinaisons. Les drains collecteurs ou maîtres-drains ab, bc, recueillent les eaux que les petits drains leur abandonnent, et ils communiquent, en c, avec le canal de décharge. Ce maître-drain, abc, est établi, dans la partie ab de sa longueur, sur le pli du terrain formé par l’intersection des deux directions générales de la surface du sol.

Fig. 423. — Autre champ drainé.

Si un champ présentait une trop grande longueur dans la direction de sa pente générale, il ne serait pas convenable d’y établir des lignes de drains d’une seule portée. Dans ce cas, on recoupe le champ par des drains collecteurs, c, f (fig. 424), qui versent les eaux qu’ils reçoivent d’en haut dans des collecteurs particuliers, lesquels amènent les eaux des parties inférieures du champ et les bouches des collecteurs dans le canal principal de décharge.

Fig. 424. — Autre disposition d’un champ drainé.

Dans cette figure, comme dans les précédentes, les gros traits indiquent la position des maîtres-drains, et les lignes plus fines les files des tuyaux de premier ordre. Dans la figure 424 le déversement des eaux des maîtres-drains dans le canal de décharge, est établi en a et en b.

Les exemples de champs drainés que nous venons de citer ont été donnés par M. Hervé-Mangon dans ses Instructions pratiques sur le drainage. Nous reproduirons encore quelques autres travaux, qui serviront à éclaircir les indications précédentes.

Fig. 425. — Plan d’une pièce drainée dépendant de la ferme de Crèvecœur.

La figure 425 est, dit M. Hervé-Mangon, le plan de l’une des pièces de la ferme de Crèvecœur, dans le département du Nord. Son étendue considérable et la forme accidentée de sa surface, bien indiquée par les courbes de niveau tracées sur la figure, expliquent la disposition un peu compliquée du réseau d’assainissement de ce terrain. Les croissants placés à l’extrémité des drains, indiquent la position des bouches. Les regards placés à l’intersection des drains collecteurs, sont figurés par un petit rond. Enfin, les chiffres inscrits auprès des courbes de niveau, expriment leur hauteur au-dessus du plan général de nivellement de toute la ferme. Ces courbes de niveau ont été levées de mètre en mètre ; mais, pour simplifier la figure, on en a supprimé près de la moitié dans le croquis ci-dessus.

Fig. 426. — Drainage d’une partie de la ferme de Crèvecœur.

La figure 426 offre un autre exemple de drainage, emprunté à la même ferme que le précédent. L’eau de drainage d’une partie du terrain situé au-dessus du chemin alimente l’abreuvoir de la cour de la ferme ; le puits b de la ferme est également alimenté par l’eau de drainage conduite par le tuyau ab ; l’eau en excès sort par le tuyau bc, qui sert de trop-plein. Un regard placé en a permettrait, au besoin, d’empêcher les eaux de se rendre dans le puits b et les dirigerait en ligne droite vers le drain général d’écoulement.

Fig. 427. — Plan de drainage de l’étang de Chevrier.

Les dispositions générales du drainage de l’ancien étang de Chevrier (département du Cher) sont représentées par la figure 427, également empruntée aux Instructions pratiques sur le drainage de M. Hervé-Mangon.

Les eaux recueillies par les lignes de drains sont amenées dans le canal principal de décharge, qui traverse cette pièce sur une longueur de 1 200 mètres environ. Les points marqués de croix (+) indiquent l’emplacement de drainages verticaux.

Une partie des eaux de source étaient incrustantes et ont nécessité la construction de regards d’une forme particulière.

Les lignes ponctuées (……) sont des drains de défense contre les racines des peupliers qui bordent l’ancienne digue de l’étang.

Ce terrain, de 60 hectares environ, est presque horizontal ; la pente d’une partie des drains n’excède pas 0m,002 par mètre, et n’a pu être obtenue qu’en augmentant leur profondeur de l’origine à l’extrémité.

Enfin la figure 428 donne une idée du projet général de drainage du camp de Satory, près de Versailles, dressé par M. Hervé-Mangon. Cette surface est d’une superficie de 157 hectares environ, dont 10 hectares ont été déjà drainés avec succès.

Fig. 428. — Plan de drainage du camp de Satory.

Les eaux sont reçues dans l’aqueduc de Trappes, qui longe le côté droit de la figure.


CHAPITRE IV

moyens divers de construire les conduits des drains.

Nous avons déjà dit qu’il fallait, en général, donner la préférence aux tuyaux en poterie pour l’exécution des travaux de drainage. Cependant, comme les agriculteurs remplacent quelquefois, et dans des circonstances tout à fait spéciales, les tuyaux en poterie par les divers procédés qui ont été antérieurement employés, nous devons décrire tous ces procédés, afin de montrer leurs avantages et leurs inconvénients sous le rapport de la durée, de la facilité et de l’économie de leur construction, de leur disposition plus ou moins heureuse pour favoriser l’absorption et l’écoulement de l’eau.

Drainage dit en coulée de taupe. — Le drainage en coulée de taupe a été pratiqué autrefois en Angleterre, dans les districts où se trouvent beaucoup de prairies permanentes à sous-sol argileux. Le drain ainsi exécuté est bien le plus simple de tous. Il n’y entre ni tuyaux, ni pierres, ni fascines : c’est une trace souterraine, analogue à la galerie des taupes, et que laisse, en passant dans le sol, un instrument désigné, en raison de son mode d’action, sous le nom de charrue-taupe. La partie essentielle de cet instrument est toujours un coutre de charrue extrêmement fort, terminé, à sa partie inférieure, par un cône de fer ou de fonte. Ce cône pénètre dans le sol, et si ce sol est très-compacte, il laisse derrière lui un vide que la terre ne remplit pas.

Ce n’est que dans l’argile qu’on arrive ainsi à un bon résultat. On manœuvre la charrue-taupe au moyen d’un cabestan à manége, conduit par des chevaux, et fixé à l’extrémité de la ligne de drain à ouvrir. Mais un tel mode de drainage est très-imparfait et toujours très-superficiel. Comme l’outillage est très-cher, et se détériore promptement, le prix de revient des travaux serait considérable.

Drains en gazon. — Il est une autre manière très-simple de construire des drains : on se sert de simples morceaux de gazon, enlevés de la surface du sol. Pour exécuter ce genre de saignée, on enlève d’abord une forte motte de gazon ; puis, on extrait une deuxième tranche de terre, avec une bêche un peu plus étroite ; enfin, on enlève une troisième et dernière tranche, avec une bêche très-étroite : on a ménagé ainsi deux épaulements. Cela fait, on enfonce la motte de gazon, enlevée de la superficie, jusqu’à ce qu’elle s’appuie sur les épaulements, en sorte qu’il y ait en dessous un vide qui servira de conduit. On achève de remplir avec la terre qui a été extraite.

Ce genre de travail a été employé pour l’assainissement des tourbières, en Angleterre et pour le drainage des terres fortes. Mais, pour les terrains ordinaires, il n’est que temporaire. Au reste, il ne revient pas à beaucoup meilleur marché que le drainage avec des tuyaux de poterie.

Dans le drainage des terrains tourbeux et marécageux, on a réussi à employer des tuyaux exécutés avec la tourbe elle-même, à l’aide d’un louchet, d’une forme particulière. On découpe avec cet instrument, des prismes de tourbe, percés d’une ouverture demi-cylindrique. En ajustant ces prismes d’une manière convenable, on obtient un véritable tuyau. Un ouvrier habile produit 2 000 à 3 000 de ces prismes de tourbe par jour. Avant d’être employés ils sont séchés au soleil et prennent alors une grande résistance. Mais ce système n’est applicable que très-exceptionnellement.

Drains en fascines. — On a employé en Angleterre, en France, et surtout en Allemagne, une méthode très-imparfaite, et qui avait déjà été mise en usage dans l’antiquité. Elle consiste à mettre au fond des saignées, des fagots de petit bois, de la paille, ou des perches de bois d’aune, fortement serrées les unes contre les autres.

La forme des drains de fascines varie avec les localités. Quelquefois leur section transversale est un trapèze, sur le fond duquel les fascines sont simplement posées, ou bien supportées, de distance en distance, par des croisillons en bois. D’autres fois, on ménage au fond de la tranchée, un double épaulement, sur lequel on place la fascine, qui sert seulement alors à recouvrir la petite rigole pratiquée au-dessous d’elle. Quelle que soit la disposition adoptée, on place au-dessus des fascines des gazons ou branchages légers, et les premières couches de terre sont fortement tassées au-dessus.

Au reste, on ne doit recourir aux fascines que dans des cas extrêmes, c’est-à-dire quand d’autres matériaux sont rares et coûteux. En effet, les matières végétales se décomposent assez rapidement dans les terrains humides, et la terre les remplace bientôt. Ces drains s’obstruent vite, et, en général, ne laissent à l’eau qu’un passage lent et difficile.

Drains en pierres. — Dans les localités où les terrains sont très-pierreux, et où il est difficile, sinon impossible, de faire mieux, on garnit le fond des tranchées avec des pierres. Ces drains sont de deux sortes : les uns, que l’on nomme drains à pierres perdues, sont formés de pierres cassées, jetées pêle-mêle au fond de la tranchée. Ils ont été fortement recommandés par Smith, de Deanston, et très-employés en Angleterre : les autres sont construits avec des pierres plates, disposées de façon à former de véritables canaux. Dans les drains à pierres perdues, on met au fond des saignées, sur une hauteur de 0m, 30 à 0m, 40, des cailloux très-propres ou des galets carrés, de manière que les plus gros puissent passer à travers les mailles d’un crible ayant 0m, 076 d’ouverture : c’est entre leurs interstices que l’eau s’introduit et peut couler. On les recouvre d’une couche de gazon, de mousse, de paille ou de pierres cassées très-fin pour empêcher la terre de descendre entre les pierrailles.

Fig. 429, 430, 431. — Coupe de canaux souterrains en pierres sèches.

Les figures 429, 430, 431 représentent, en coupe, quelques-unes des formes que l’on donne au canal de drainage construit avec de petites pierres superposées à quelques-unes plus grosses.

Les drains ainsi préparés sont coûteux, à cause du temps nécessaire pour charger, nettoyer, briser les pierres, et à cause du grand diamètre qu’il faut donner aux tranchées. Ils opposent au mouvement de l’eau une grande résistance et sont très-sujets à s’obstruer.

Les drains avec conduits en pierres plates, sont plus durables que ceux dont nous venons de parler ; mais il faut mettre un grand soin à les construire, et ils sont très-coûteux. Les pierres plates se disposent au fond des tranchées comme on le voit dans la figure 432.

Fig. 432. — Coupe d’un canal en pierres sèches.

On les recouvre, en général, d’une petite couche de pierrailles, pour boucher le mieux possible les ouvertures par lesquelles la terre pourrait pénétrer dans le conduit. La figure 433 donne la coupe verticale de la tranchée au fond de laquelle on a ménagé cette rigole par l’assemblage des pierres.

Fig. 433. — Profil d’ouverture de la tranchée destinée à recevoir le canal en pierres.

Il existe aux portes de Paris un drainage, établi en pierres plates, qui remonte probablement à plus de trois siècles, et qui fonctionne encore très-bien de nos jours. Un vaste réseau de drains ainsi construits s’étend sous le sol des prés Saint-Gervais, de Romainville et de Ménilmontant. Ce drainage absorbe les eaux d’un bassin qui se développe sur un diamètre de plus de 2 500 mètres, et qui comprend les marnes de la formation gypseuse parisienne. On attribue l’exécution de ce réseau de desséchement aux religieux qui possédaient les terres de ce bassin avant Louis XIV.

Avec des briques ordinaires disposées au fond des tranchées, comme l’indiquent les figures précédentes, on a construit des conduits dont la durée peut dépasser un siècle. Ils conviennent mieux pour l’écoulement des eaux, et sont plus durables que ceux en pierres plates, mais ils sont coûteux et lents à construire.

Les drains construits avec des pierres ont rendu d’immenses services. Avant la généralisation du drainage, c’est ainsi que l’on établissait les canaux de desséchement, et nous avons vu dans le midi de la France pratiquer plusieurs fois des rigoles souterraines d’écoulement par ce procédé, que tout propriétaire peut mettre en œuvre. Aujourd’hui même, malgré le bas prix des tuyaux, le drainage s’exécute encore assez souvent avec des canaux formés de pierres. Il est donc de toute nécessité d’entrer à cet égard dans quelques explications.

Les meilleurs matériaux pour construire ces drains, sont évidemment des cailloux, ou des galets assez forts. À leur défaut, on emploiera des pierres bien débarrassées de terre et cassées de manière que les plus grosses puissent passer dans un anneau de 0m,007 de diamètre. De plus gros matériaux arrêteraient l’écoulement de l’eau. Les petits matériaux remplissent, d’ailleurs, plus également l’espace, soutiennent mieux les parois de la tranchée, et s’opposent plus efficacement aux ravages des taupes et des rats d’eau.

On ne doit pas casser les pierres sur le bord des drains, mais dans des chantiers spéciaux. De là on apporte les pierres au moyen de camions à bras.

Les camions qui servent au transport des pierres, doivent être garnis d’une planche à rebord disposée, comme l’indique la figure 434, pour arrêter les pierres qui pourraient se répandre sur le sol, quand on les extrait avec une pelle de l’intérieur de la voiture.

Fig. 434. — Partie postérieure d’une voiture à transporter les pierres pour le remplissage des drains.

Pour remplir les tranchées, on ne doit pas se borner à jeter pêle-mêle les pierres ; on leur fait subir un triage et un dernier nettoyage, au moyen d’un crible d’une forme particulière.

Fig. 435. — Crible pour le remplissage des drains en pierre.

Ce crible (fig. 435) est supporté par quatre montants verticaux de 1m,50 de hauteur environ, fixés aux deux côtés d’une brouette ordinaire. On peut changer l’inclinaison du crible au moyen des vis qui le fixent aux montants. Le crible repose sur le fond d’une auge en planches dont l’extrémité se prolonge de manière à arriver un peu au delà du bord de la tranchée à remplir. La planche verticale fixée aux côtés prolongés du crible, a pour but de forcer les pierres qui roulent sur le plan incliné de l’appareil, à tomber verticalement au fond de la tranchée, sans aller choquer et dégrader sa face latérale. Cette planche doit venir s’appliquer contre le bord de la tranchée opposé à celui où se trouve la brouette.

Au-dessous du crible, dont on vient de parler, existe un second crible plus fin, débouchant dans la brouette. Il retient les petites pierres qui ont traversé le premier crible ; il les jette dans la brouette et laisse passer la terre et la poussière mêlées aux pierres. Ces impuretés tombent sur le sol.

La longueur des cribles est de 0m,80 environ ; l’écartement des fils du crible supérieur varie de 0m,04 à 0m,05, et celui des fils du crible inférieur de 0m,010 à 0m,015.

« L’emploi de l’instrument précédent, dit M. Hervé-Mangon dans ses Instructions pratiques sur le drainage, est extrêmement simple ; les pierres, prises à la pelle dans les camions dont on a déjà parlé, sont versées (et non jetées) sur la partie supérieure de l’appareil, que l’on garnit de tôle pour éviter sa trop prompte usure par le choc réitéré de la pelle en fer. Les pierres les plus grosses tombent au fond du drain, et les plus petites dans la brouette. Quand les pierres sont arrivées dans la tranchée à la hauteur voulue, on déplace un peu la brouette et on continue le remplissage. On régularise alors, sur une petite longueur, avec un râteau, la surface de l’empierrement, et on jette dessus les plus petites pierres recueillies dans la brouette. On continue ainsi sur une certaine longueur. On pilonne l’empierrement avec une espèce de dame en bois, pour le tasser et rendre la surface aussi compacte que possible, et, enfin, on remplit le drain avec la terre qui en avait été extraite. »

Fig. 436. — Drain garni de pierres.

La figure 436 représente la coupe en travers d’un drain de 1m,25 de profondeur, exécuté comme on vient de l’expliquer et qui dispense d’exécuter au fond de la tranchée un véritable canal. L’eau trouve son chemin à travers les interstices des grosses pierres qui reposent au fond de la tranchée, elle s’introduit par la couche de pierrailles qui les y surmonte.

Les drains en pierres sont, en général, plus coûteux que les drains formés de tuyaux en poterie. Ils exigent plus de main-d’œuvre et des précautions plus minutieuses pour leur exécution. Ils doivent durer moins longtemps. Enfin, ils causent à la terre beaucoup plus de dommages, pendant leur exécution, en raison des transports considérables qu’ils exigent et des plus grandes dimensions qu’il faut donner aux tranchées. Ce système primitif ne peut donc être adopté avec avantage que dans un terrain qui aurait besoin d’être débarrassé des pierres qu’il renferme. On évite des frais de transport quelquefois considérables et des pertes de terrain, en jetant dans les drains les produits de l’épierrement d’une terre. Ces avantages peuvent compenser ce que la méthode, en elle-même, a de défectueux.

Conduits en tuiles. — Nous avons dit plus haut, que l’emploi des tuiles creuses posées au fond des tranchées, sur une sole plate, fut un véritable perfectionnement sur la plupart des méthodes employées précédemment. Cette disposition parut même alors constituer le nec plus ultra du drainage. Cependant les tuyaux cylindriques ont été un progrès bien plus décisif, car ils ont remplacé avec grand avantage les tuiles courbes et les soles plates, pièces séparées et plus fragiles que des tuyaux.

Quoi qu’il en soit, l’emploi des tuiles courbes et des soles plates permit de réduire d’à peu près 1/7 le prix total du drainage comparé au système par empierrement, surtout à partir du moment où ces tuiles furent fabriquées à l’aide de machines.

Comme on pourrait avoir l’occasion d’employer les tuiles creuses dans quelques circonstances spéciales, par exemple dans des localités où les tuiles seraient un objet de fabrication courante, ou dans le cas où l’on voudrait épuiser d’anciens approvisionnements de tuiles, nous dirons en peu de mots comment on applique au drainage des matériaux de cette nature.

Les tranchées destinées à recevoir des conduits en tuiles courbes, ont une profondeur qui varie de 0m,90 à 1m,50. Leur largeur dans le fond, doit être suffisante pour que la tuile plate y entre librement, et y prenne bien son assiette, comme le représente la figure 437.

Fig. 437. — Tuiles courbes recouvrant une sole plate.


Chaque sole devra porter deux tuiles entières et être soigneusement mise en contact avec la terre et avec ses voisines. On les recouvre ordinairement avec de la paille ou du gazon, et on tasse par-dessus les premières couches de terre. On procède comme de coutume au remplissage de la tranchée.

La coupe de ce tuyau présente la forme représentée par la figure 438.

Fig. 438. — Coupe d’un canal formé de tuiles courbes et de soles plates.

On raccorde deux lignes de drains au moyen de tuiles échancrées, en les disposant comme le représente la figure 439. Les drains de grande dimension sont formés par la réunion de deux tuiles courbes séparées par une sole plate, comme le représente la figure 440, ou même de trois, comme le représente la figure 441.

Fig. 439. — Raccordement de deux fils de drains.
Fig. 440. — Canal de grande dimension formé de deux tuiles courbes.
Fig. 441. — Autre canal formé de trois tuiles.

Conduits formés de tuyaux en terre cuite. — Nous arrivons enfin aux tuyaux cylindriques en terre cuite qui sont aujourd’hui ou qui doivent être exclusivement employés. Ce sont les plus durables, les plus économiques et les meilleurs sous tous les rapports. Leur longueur varie de 0m,30 à 0m,40 ; leur diamètre intérieur de 0m,25 à 0m,20 suivant le volume d’eau dont ils doivent assurer l’écoulement ; leur épaisseur est de 0m,01. La figure 442 représente un de ces tuyaux de poterie.

Fig. 442. — Tuyau de drainage.

Les tuyaux sont simplement placés bout à bout, dans le fond des drains. Cependant on a imaginé divers moyens de les rendre solidaires. Un des plus simples consiste à les relier par des manchons ou colliers, de 0m,75 de longueur, dans lesquels sont emboîtées les extrémités des tuyaux successifs (fig. 443). Suivant M. Leclerc, ces manchons sont très-utiles dans tous les sols, pour les tuyaux d’un petit diamètre ; ils donnent de la solidité aux conduits, ils les empêchent de se déranger. Dans les terrains légers, ils ne permettent pas aux matières terreuses de pénétrer dans les tuyaux. Toutefois, dans les terrains compactes, fermes et résistants, les tuyaux de 0m,06 à 0m,08 d’ouverture, qui servent à faire les drains collecteurs, peuvent, à la rigueur, être employés sans manchon.

Fig. 443. — Tuyau avec collier.

Le raccordement de deux lignes de drain s’effectue grâce à une ouverture circulaire pratiquée dans le plus gros tuyau, et dans laquelle on engage le plus petit (fig. 444).

Fig. 444. — Raccordement de deux tuyaux de drains.

Il arrive quelquefois que l’on a à raccorder deux lignes de drains de même diamètre. On fait alors ce raccordement au moyen d’un tuyau d’un diamètre plus fort, comme le montre la figure 445.

Fig. 445. — Raccordement de deux lignes de drains de même diamètre.

Pour éviter l’emploi des colliers et pour donner une sorte de solidarité aux tuyaux, on a proposé de terminer leurs extrémités par des lignes courbes, rentrant les unes dans les autres. Mais cette prétendue simplification n’est qu’une complication qui exige beaucoup d’attention de la part des ouvriers lors de la pose des tuyaux. L’emploi des manchons est bien préférable.

On a pris récemment en Belgique et en France des brevets d’invention pour une machine fabriquant directement à l’une des extrémités des tuyaux cylindriques, un renflement, destiné à remplir les fonctions de collier. Ces tuyaux présentent certains avantages économiques et pour le fabricant et pour le cultivateur.

On a proposé aussi de se servir de colliers criblés de trous pour rendre plus facile l’introduction de l’eau dans les tuyaux. Mais il a été démontré expérimentalement que l’eau trouvait toujours assez d’issue entre les points imparfaits des tuyaux.

On a proposé diverses formes de tuyaux autres que celle du cylindre ; mais les avantages de la forme cylindrique sont de toute évidence. Elle permet d’obtenir la plus grande section d’écoulement avec une quantité de matière déterminée. La section du tuyau peut être ainsi réduite à son minimum, car c’est la forme qui oppose au mouvement le moins de résistance, et dans laquelle la vitesse est le plus considérable. C’est encore la forme qui résiste le mieux aux chocs et aux pressions extérieures, en sorte que l’épaisseur des parois peut être réduite à son minimum.

En résumé, les tuyaux de poterie à section circulaire, sont de tous, les moins coûteux, les plus légers, les plus faciles à transporter, ceux qui occupent le moins de place au fond des tranchées, ceux qui s’obstruent le plus difficilement. Si donc les tuyaux sont de bonne qualité et si les travaux ont été exécutés avec soin, un drainage fait d’après ce système doit être d’une durée presque sans limites.


CHAPITRE V

pente, dimension et longueur des drains.

Pente des drains. — La pente des drains doit être telle qu’elle puisse vaincre les résistances qui s’opposent au mouvement de l’eau, et permettre à cette eau de couler avec une rapidité convenable. Plus le liquide éprouvera de frottements, et par conséquent, sera ralenti dans les drains, plus la pente devra être prononcée. Ainsi, la pente devra être plus grande dans les drains empierrés, où l’eau décrit de nombreux circuits à travers les pierrailles, que dans les tuyaux et les conduits en briques. Pour les conduits en tuyaux, par exemple, la pente minimum sera de 0m,002 par mètre, et la pente moyenne de 0m,003 ; tandis que pour les conduits empierrés, la pente minimum sera de 0m,005 par mètre.

Les drains de desséchement étant dirigés suivant la déclivité du terrain, on obtient aisément une pente supérieure à la limite que nous avons donnée. Quand le sol est assez incliné, le fond des drains suit ses inclinaisons ; mais, quand il n’est que peu accidenté, on conserve au fond des saignées, une inclinaison régulière sans la modeler sur les insignifiantes ondulations du sol. Il en résulte que les drains ont plus de profondeur dans les points de surélévation et un peu moins dans les dépressions.

Si le terrain est horizontal, ou moins incliné que la limite nécessaire à la pente des drains, ou même s’il présente une pente inverse de celle que doivent avoir les drains pour que l’écoulement puisse s’effectuer, on donne aux tranchées une profondeur variable allant en décroissant de leur extrémité d’aval à leur partie supérieure. La pente des drains collecteurs doit, de même, être aussi forte que possible, et sa limite minimum est égale à 0m, 002 par mètre. Cependant, on doit éviter une pente tellement considérable que la vitesse de l’eau pourrait détériorer le conduit. Aussi, quand des pentes exagérées se présentent, faut-il les éluder. On partage alors chaque conduit en une série de lignes à faible déclivité, raccordées par des chutes d’eau à l’intérieur du tuyau.

Dimensions des drains. — La dimension du conduit des drains devrait être déterminée d’après la longueur de la pente et l’écartement des tranchées : en effet, cette dimension dépend de la quantité d’eau que le conduit doit débiter, et de la vitesse d’écoulement. Mais on ne procède pas ainsi dans la pratique. On se sert de tuyaux d’un diamètre uniforme dans toutes les circonstances, et l’on règle la longueur des drains d’après leur écartement, d’après leur pente, et d’après le diamètre des tuyaux.

Au point de vue de l’économie, il y a avantage à réduire le plus possible la dimension des tuyaux, sans dépasser pourtant une certaine limite ; car il ne faudrait pas croire, comme on l’a dit, que les tuyaux de drainage soient toujours trop larges. De trop petits tuyaux pourraient s’engorger, et l’on a vu des drains coulant à gueule bée, ce qui indiquait qu’ils ne pouvaient débiter assez vite l’eau qui les pénétrait. Des tuyaux de 0m,025 de diamètre semblent parfaitement convenir dans le cas où les drains n’ont à écouler que les eaux pluviales qui tombent sur la surface du sol. Des tuyaux de cette dimension et présentant une pente de 0m,083 par mètre, peuvent, selon M. Leclerc, débiter en 24 heures, 301 384 litres d’eau, c’est-à-dire autant qu’il en tomberait dans le même temps, sur une surface de 81 mètres de longueur et de 15 mètres de largeur. En admettant que la pluie fût telle qu’elle puisse fournir en 24 heures une hauteur d’eau de 0m,025, les drains du dernier ordre, ou les plus petits, dit M. Barral, ne doivent pas avoir moins de 0m,030 à 0m,035.

Quant au diamètre du conduit des drains collecteurs, il dépend de l’étendue de terrain occupée par les drains de desséchement, de la pente de ces drains et de leur propre inclinaison. Les drains collecteurs reçoivent d’autant plus d’eau dans un temps donné, et, par conséquent, doivent être d’autant plus larges, que la pente des drains de desséchement est plus considérable. Leur diamètre doit, de même, être en rapport avec le nombre des drains d’un ordre inférieur auxquels ils serviront de décharge.

Quand on aura à se décider pour le choix du diamètre des tuyaux collecteurs, il ne faudra pas oublier que dans les tuyaux à section circulaire, la surface d’écoulement augmente comme le carré du diamètre ; qu’ainsi, la section intérieure d’un tuyau de 0m,05 vaut quatre fois la section d’un tuyau de 0m,025 d’ouverture, et que celle d’un tuyau de 0m,08 vaut plus de dix fois cette même section de 0m,025. Suivant M. Leclerc, quand on ne doit enlever au sol que les eaux de pluie qui tombent à sa surface, un tuyau de 0m,03 de diamètre est suffisant pour recevoir les drains qui se ramifient sur une superficie d’environ 1 hectare et demi, et un tuyau de 0m,08 pour ceux de 4 hectares.

Longueur des drains. — Un drain d’un diamètre donné ne peut avoir une longueur indéfinie, car il arriverait un moment où la quantité d’eau à écouler du terrain, au moment des pluies, par exemple, serait trop considérable et pour la section et pour la pente du tuyau : c’est donc en réglant convenablement la longueur des drains qu’on leur fait recevoir un volume d’eau sensiblement égal à celui qu’ils peuvent débiter.

On a pu déterminer par le calcul, dans presque tous les cas, la longueur que peuvent atteindre les conduits faits avec des tuyaux de 0m,025 de diamètre, la distance et la pente des drains étant connues. Dans l’hypothèse défavorable où l’espacement des drains atteint 16 mètres et où la pente n’est que de 0m,002, des tuyaux de 0m,025 peuvent encore servir pour des drains de 57 mètres de longueur. Dans les cas ordinaires, où l’écartement est de 10 à 11 mètres et la pente de 0m,005, la longueur des tranchées peut atteindre et même dépasser 140 mètres.

Les tuyaux de 0m,035 de diamètre peuvent avoir, toutes choses égales d’ailleurs, une longueur double de celle des tuyaux de 0m,025. Quand la disposition du terrain est telle que les petits drains y ont une longueur supérieure à la limite que les tuyaux de 0m,025 peuvent atteindre, au point où la longueur limite se termine, on porte le diamètre des conduits à 0m,035 ; ou bien, ce qui vaut peut-être mieux, on interrompt les petits drains par un collecteur placé vers le milieu de leur longueur.

Quant aux drains collecteurs, une longueur de 200 à 250 mètres semble être le maximum.


CHAPITRE VI

saisons et sols convenables pour l’exécution des travaux. — reconnaissance du terrain. — piquetage des travaux, — ouverture des tranchées. — pose des tuyaux. — remplissage des tranchées. — charrues de drainage. — charrue à vapeur de fowler. — obstructions qui peuvent se produire dans le conduit des drains.

C’est dans l’intervalle qui s’écoule entre l’enlèvement d’une récolte et l’ensemencement de la suivante, que les travaux de drainage peuvent s’exécuter sur le sol, libre en ce moment. D’un autre côté, on peut se procurer à peu de frais de la main-d’œuvre en hiver. Ces deux époques sont donc principalement choisies pour les travaux d’assainissement des terres arables.

Cependant la nature du terrain est bien à considérer aussi pour déterminer le moment le plus convenable aux travaux d’assainissement. Les sols marécageux, pleins de sources, demandent une saison sèche ; les terres argileuses, une saison humide, parce qu’alors les tranchées se creusent très-aisément. Pour le drainage des prés et des terres qui viennent d’être mises en céréales, l’automne est une époque très-favorable. À la fin de mars et au commencement d’avril, on peut drainer avantageusement les terrains dans lesquels les éboulements sont à craindre. Si l’on opère sur des terres enherbées, il faudra mener rapidement les travaux, de peur de compromettre le pâturage et la récolte des foins. Dans un assolement, les sols en pâture, en vieux trèfle, en luzerne à défricher, se prêtent facilement au drainage, à cause de la consistance des terres. En résumé, il faut profiter du moment le plus favorable pour occasionner le moins de dépense et pour rendre le plus vite possible à la culture, les champs assainis.

Reconnaissance du terrain. — L’étude du terrain, qui doit précéder toute autre opération, est délicate et importante. Le succès du drainage en dépend.

Le draineur parcourra la terre à assainir, en s’informant de la nature, de la dureté du sol, des difficultés du travail de la terre, soit après les pluies, soit après les sécheresses. Il tiendra compte de la végétation du sol et des indications qui lui seront fournies sur son humidité habituelle. Il remarquera si des sources jaillissent en quelque point ; s’il est des places où la végétation soit en retard ; si le sol est inégal, ondulé, creusé de vallées, etc.

Ces observations préliminaires seront complétées par l’ouverture d’une tranchée, au moins. On creuse également des trous, en différents endroits qu’on a jugés les plus propres à éclairer utilement l’agriculteur. Ces trous doivent avoir 3 mètres à 3 mètres 50 de côté, et environ 2 mètres de profondeur. Pour ne pas trop augmenter leur nombre, on fait, en outre, pour connaître si la composition géologique du sol est constante, des trous de sonde avec la sonde à main que nous avons représentée dans un des chapitres précédents. On l’enfonce de 0m,40 environ et on la retire, pour examiner la nature du sol ; on l’enfonce de nouveau de 0m,40, et on continue jusqu’à une profondeur de 0m,80 que l’instrument peut aisément atteindre.

On creuse la tranchée d’essai suivant la plus grande pente apparente du terrain. Si d’après les observations recueillies par ces divers sondages, on est fondé à conclure à l’uniformité du sol dans la totalité de la pièce qu’il s’agit de drainer, on pourra donner aux drains une profondeur uniforme. Si, au contraire, la constitution du sol est variable, la profondeur des drains devra varier également.

Il faudra souvent attendre plusieurs jours pour que l’eau puisse se frayer un chemin jusqu’à la tranchée d’essai, et pour qu’on puisse être fixé sur la nature plus ou moins perméable du sol, et sur les parties du champ qui fournissent de l’eau en plus grande quantité. C’est en procédant ainsi qu’on se rendra compte des accidents de terrain, des difficultés qui pourront se présenter dans l’exécution des travaux, enfin de la profondeur et de l’écartement que devront avoir les drains, pour qu’ils produisent le plus grand effet possible, avec la moindre dépense relative. Dans toutes ces recherches pratiques, il faudra songer toujours qu’il importe d’enlever au sol la plus grande quantité d’eau que l’on pourra, et ne point laisser subsister, même à une grande distance de sa surface, des nappes d’eau provenant des terres élevées.

Quand la reconnaissance du sol est ainsi achevée, on procède, ou l’on fait procéder par un homme spécial, au lever du plan, et au nivellement de la terre à drainer. On arrive ainsi à bien connaître les hauteurs respectives, par rapport à l’horizon, des différents points du terrain : cette détermination des points culminants et des points les plus bas est très-essentielle.

Passons au mode d’exécution des travaux.

Piquetage des travaux sur le terrain. — Le plan du drainage a fait connaître la position à donner à tous les drains de la pièce de terre, et la situation de ces drains par rapport au contour du champ, ou à divers points de repère, comme des clôtures, des fossés, des arbres, etc. Le contre-maître retrouve ainsi facilement l’emplacement des drains tracés sur le plan, en s’aidant de la chaîne d’arpenteur.

On indique provisoirement les lignes de drains sur le terrain, par des jalons portant des morceaux de papier diversement colorés. Nous disons provisoirement, parce que ces jalons peuvent être dérangés par accident. On les remplace bientôt par de forts piquets en bois, qu’on enfonce à coups de maillet, de manière que leurs têtes soient toutes à la même hauteur au-dessus du fond des tranchées. Cette hauteur doit être égale à la profondeur de la tranchée, augmentée de 0m,10 ou 0m,20. On les numérote, de peur de confusion, et la distance qui les sépare l’un de l’autre ne doit pas dépasser 50 mètres.

Ouverture des tranchées. — L’opération à laquelle on procède après le piquetage des travaux, c’est l’ouverture des tranchées. Pour atteindre la plus grande économie possible il faut donner aux tranchées de très-petites dimensions. Elles doivent être très-étroites du bas, pour rendre la pose des tuyaux plus facile, plus régulière et plus solide, et pas plus larges en haut qu’il n’est strictement nécessaire. La largeur de la tranchée au sommet et l’inclinaison des talus, doivent être telles que l’ouvrier puisse descendre et se tenir à une distance de 0m, 80 du fond et atteindre à la profondeur adoptée avec des outils appropriés.

Fig. 446, 447, 448, 449, 450. — Formes et dimensions de diverses tranchées de drainage.

Les figures 446, 447, 448, 449, 450 représentent les profils de différentes tranchées de drainage avec les dimensions relatives de leur section. Ces dimensions ont été prises sur différents travaux exécutés.

Les travaux de déblai doivent être faits de manière que les eaux que l’on peut rencontrer, ou celles qui tombent du ciel pendant le travail, ne puissent gêner et interrompre les ouvriers. Pour cela, on creuse d’abord dans les parties les plus basses du champ. On commence à l’embouchure du collecteur, pour chaque système de drains, et on avance vers les parties supérieures. Puis on creuse, en allant de bas en haut, tous les petits drains qui s’y rattachent. C’est ainsi que l’on ménage aux eaux un écoulement facile et non nuisible pendant les travaux.

Les instruments employés pour creuser les tranchées, ont une forme simple, mais spéciale, et qui varie, de même que le travail, selon la nature et la manière d’être du terrain. Nous allons passer successivement en revue les divers cas qui peuvent se présenter dans le creusement des tranchées, en supposant que les conduits de ces tranchées doivent être des tuyaux.

Soit d’abord un terrain qu’on puisse aisément travailler à la bêche, sans ameublement préalable, et assez consistant pour que les talus des tranchées se soutiennent bien. Avant de procéder au creusement de chaque tranchée, un ouvrier tend, suivant la direction de celle-ci, un cordeau de 23 à 30 mètres de longueur, puis, au moyen d’une lourde bêche (fig. 451), il fait une profonde incision dans la terre. Quand le sol est garni d’un gazon épais ou couvert de racines de genêt, de bruyère, de jonc, on remplace avantageusement la bêche par une espèce de hache, analogue à celle dont on fait usage dans les Vosges pour l’ouverture des rigoles d’irrigation. On peut employer aussi le louchet, ou la fourche à plusieurs dents, pour entamer la première couche gazonnée.

Fig. 451. — Bêche à couper le gazon.
(Échelle de 0m,10.)

Le chef-ouvrier reporte ensuite le cordeau parallèlement à lui-même d’une quantité égale à la largeur qu’il veut donner au fossé, et fait une incision semblable à la première. C’est alors que les terrassiers commencent la fouille.

Les instruments dont les terrassiers font usage pour creuser les tranchées, varient selon la nature et la difficulté du terrain. Nous commencerons par le cas le plus ordinaire, c’est-à-dire celui d’une terre compacte, se laissant entamer par la bêche.

Fig. 452, 453, 454. — Bêche de drainage à poignée.
(Échelle de 0m,10.)

Un ouvrier travaillant à reculons, et armé de la bêche qu’il tient des deux mains, par la poignée supérieure, enlève une tranche de terre d’environ 0m,40. La bêche dont on fait usage dans ce cas, est représentée ici (fig. 452, 453, 454), Cet outil est, comme on le voit, terminé par une poignée. Cependant on fait plus souvent usage d’un manche à béquille comme le représentent les figures 455, 456, 457.

Fig. 455, 456, 457. — Bêche de drainage à béquille.
(Échelle de 0m,10.)

Un second ouvrier suit le premier et enlève la terre ameublie avec la bêche creuse que représentent les figures 458, 459, ou, avec de plus grandes dimensions, les figures 460 et 461.

Fig. 458, 459. — Autre bêche de drainage.
(Échelle de 0m,10.)
Fig. 460, 461. — Autre grande bêche.
(Échelle de 0m,10.)

Un troisième ouvrier armé d’une bêche plus étroite fait une seconde levée de 0m,30 de profondeur et le second ouvrier nettoie le fond de la tranchée, avec sa pelle, et arrange proprement les talus qui ont une légère inclinaison.

Un quatrième ouvrier extrait la troisième levée de terre dont la profondeur est, en général, de 0m,23 à 0m,33 à l’aide d’une bêche encore plus étroite.

Fig. 462, 463, 464. — Drague plate pour curage.
Fig. 465, 466. — Écope de drainage.
(Échelle de 0m,10.)
Fig. 467, 468. — Autre écope de drainage
(Échelle de 0m,10.)

La terre qui reste au fond du fossé et que la bêche n’a pas enlevée, est extraite par l’ouvrier même qui bêche la terre, après qu’il a reculé de 2 à 3 mètres. Il se sert pour cela d’une drague plate à long manche, qu’il manie sans bouger de place. Cette drague a une largeur d’environ 0m,18 qui est la largeur même du fossé à cette profondeur. Les figures 462, 463 et 464 représentent cet instrument, de nettoyage. On achève la tranchée à l’aide d’une des écopes représentées par les figures 465, 466 ou 467, 468. Le fer des écopes ne doit avoir qu’une largeur à peu près égale à celle des tuyaux que l’on doit poser. Cette écope est à long manche, et se manie du bord de la tranchée.

Le dernier terrassier donne au fond une forme cylindrique, à l’aide de l’une des curettes que représentent les figures 469, 470, 471, 472, 473, 474 et 475, 476, 477.

Fig. 469, 470, 471. Curette de drainage.
(Échelle de 0m,10.)
Fig. 472, 473, 474. — Autre curette de drainage.
(Échelle de 0m,10.)
Fig. 475, 476, 477. — Autre drague.
(Échelle de 0m,10.)

Les bêches, écopes et curettes dont les ouvriers se servent pour l’exécution des tranchées de drainage, varient dans leurs dimensions selon la profondeur des tranchées à creuser, mais leurs formes sont toujours à peu près les mêmes. Nous avons figuré les instruments employés dans les terrains ordinaires ; bien entendu que les dimensions changent selon la nature du terrain et la largeur de la tranchée, etc.

Nous venons d’indiquer rapidement le mode de creusement de la tranchée opéré par une brigade de cinq ouvriers. M. Hervé Mangon dans ses Instructions pratiques sur le drainage, pense que la brigade de trois ouvriers est préférable ; et c’est, en effet, le groupe le plus généralement employé, M. Mangon ajoute pourtant que la division par groupes soit de trois, soit de cinq hommes, n’est pas indispensable. Des ouvriers habiles préfèrent souvent être seuls : d’autres font le creusement de la tranchée à deux seulement. Ajoutons encore que les ouvriers habiles n’ont pas besoin d’outils très-variés.

Les ouvriers draineurs attachent quelquefois sous leurs souliers, avec une ficelle contournant le pied, une semelle de fer, avec laquelle ils appuient sur le bord de la bêche, pour l’enfoncer en terre. Au lieu d’une semelle entière, on fait usage plus souvent d’une demi-portion de semelle, que représentent les figures 478, 479, 480 et qui ne pèse que 225 grammes.

Fig. 478, 479, 480. — Semelle en fer.

Nous venons de considérer dans ce qui précède, les sols compactes, mais se laissant facilement entamer par la bêche. Quand le terrain est trop dur pour se laisser entamer par la bêche ordinaire, soit dans toute la profondeur de la tranchée, soit dans une partie seulement, il faut faire usage d’une bêche étroite que nous représentons (fig. 481, 482). Cette bêche désagrége bien le sol, mais elle n’enlève pas des portions bien définies de terre, de sorte que le curage à la drague devient plus important.

Fig. 481, 482. — Bêche pour les terrains graveleux.
(Échelle de 0m,10.)

Quand les terrains sont très-durs, pleins de cailloux, il faut substituer à la bêche la pioche, le pic, ou l’une des formes de pics armés de pédale que nous représentons dans les figures 483, 484 ou dans la figure 485.

Fig. 483, 484. — Vue de face et de profil du pic à pédale français.
(Échelle de 0m,10.)
Fig. 485. — Pic à pédale anglais.
(Échelle de 0m,10.)

Dans ce cas, il faut que chaque piocheur soit suivi d’autres ouvriers armés d’une pelle, qui enlèvent les débris, à mesure qu’ils sont détachés par le premier instrument.

Quand le terrain est consistant et pierreux, le travail devient difficile, irrégulier, et ne peut plus être exécuté avec les outils dont nous avons parlé jusqu’ici. La largeur des tranchées doit alors être augmentée, pour que les ouvriers puissent travailler à leur aise. Quelquefois même il faut élargir encore plus que cette dernière circonstance ne le demande. Ce cas se présente quand on rencontre des pierres volumineuses, qu’on est obligé de déchausser, pour les enlever. Il peut même arriver que les blocs soient trop volumineux pour qu’ils puissent être enlevés ainsi ; alors, il faut les tourner, en déviant la tranchée.

Des obstacles de cette nature se présentent souvent dans les terrains à pierres meulières. On est alors obligé d’ameublir préalablement la terre, à l’aide de la pioche ou du pic. Un fouilleur enlève avec la pelle la terre ameublie, et trace les talus. Quand on est arrivé au fond de la tranchée, fond auquel on donne une largeur aussi faible que possible, on procède au nivellement comme nous l’avons indiqué plus haut.

Fig. 486. — Tranchée étrésillonnée.

Une autre classe de terrains légers ou ébouleux, se compose de sols qui ne sauraient se maintenir avec l’inclinaison du talus des tranchées. Alors, on étançonne les parois latérales, à l’aide de planches soutenues par des traverses (fig. 486). Ce boisage augmente beaucoup la dépense et ne laisse pas que de présenter de grandes difficultés. Dans ce cas, il faut avoir recours à des constructeurs de profession et à de bons ouvriers, de peur d’accroître fortement la dépense en employant des hommes inexpérimentés, et même de compromettre la vie des travailleurs par quelque faute, si légère qu’elle paraisse.

Nous n’insisterons point sur les terrains tourbeux qui se laissent fouiller à la bêche.

La longueur, qu’on peut déblayer avant de construire les conduits, dépend de la nature du terrain, de la quantité des eaux et de l’état de l’atmosphère. Si le sol est peu consistant et si les eaux abondent, on opère sur une faible longueur, on place les conduits et on retourne la terre. Mais si le sol le permet, il faut approfondir les drains sur la plus grande longueur possible avant de procéder à l’établissement des conduits.

Il y a avantage à faire faire le creusement des tranchées à la tâche, mais il faut bien surveiller les ouvriers. Cinq hommes habiles ayant chacun sa besogne propre, peuvent faire, selon M. Leclerc, de 130 à 140 mètres de rigoles de 1m, 20 de profondeur en 12 heures de travail dans un terrain de moyenne consistance, et sans pierres.

Vérification des travaux. — Dès que la tranchée est achevée, l’inspecteur des travaux doit la vérifier sous deux points de vue : sous celui de ses dimensions et sous celui de la pente.

Fig. 487. — Le gabarit.

Pour vérifier les dimensions de la tranchée, on y introduit un gabarit. C’est un instrument formé de règles parallèles d’inégale longueur, AB, CD, fixées horizontalement sur une règle verticale, de manière à représenter la forme voulue de la tranchée (fig. 487). On doit avoir autant de gabarits que l’on a de types de section pour les différentes tranchées.

Mais le point le plus important et aussi le plus difficile, c’est de donner aux tranchées une pente régulière, uniforme, indépendante des irrégularités de la surface du sol. Pour obtenir le nivellement du fond des tranchées, nous indiquerons la méthode décrite par M. Mangon, et qui réussit parfaitement.

Nous avons dit que les têtes des piquets qui servent au tracé des drains, sont toutes à la même hauteur au-dessus du fond des tranchées, et que ces piquets sont espacés de 50 mètres au plus les uns des autres. Il est donc très-facile, au moyen de trois mirettes de paveur, d’enfoncer au milieu de l’intervalle qui sépare deux piquets consécutifs, un petit piquet provisoire, dont le sommet soit précisément sur la ligne droite qui passe par les têtes de ces deux piquets. Si l’on tend un cordeau entre les têtes de ces trois piquets, ce cordeau sera évidemment parallèle à une hauteur connue au-dessus du fond de la tranchée à ouvrir.

Il suffira alors, pour fixer en chaque point la profondeur du fond de cette tranchée, d’appuyer sur le cordeau a (fig. 488) la petite branche d’une croix en bois léger, dont la grande cd aurait la longueur qui doit exister entre le fond de la tranchée et le cordeau lui-même.

Fig. 488. — Règlement des pentes au moyen de la croix de bois.

L’emploi de la croix de bois, et la position du cordeau à une certaine distance du bord de la tranchée, où peuvent quelquefois se trouver des dépôts de déblai, rendent assez peu commode cette manière de procéder, que l’on simplifie, comme l’indique M. Hervé Mangon.

Fig. 489. — Règlement des pentes.

« On enfonce horizontalement, dit M. Mangon, dans la paroi légèrement inclinée de la tranchée (fig. 489), au droit des gros piquets a, a primitivement placés et qui sont tous à la même hauteur au-dessus du fond des tranchées et à 0m,40, par exemple, au-dessous de leur tête de petits piquets provisoires b, b. Si la distance des piquets a, a excède 20 à 25 mètres, on place un troisième piquet provisoire b′ entre les piquets b, b et sur la même ligne, et enfin on tend un cordeau sur ces trois piquets b, b′, b à quelques centimètres en avant de la face du terrain. Ce cordeau est parallèle à la ligne qui joint les têtes de piquets a, a, et par conséquent il est lui-même parallèle au fond de la tranchée. Dès lors il suffit de tenir à la main une petite baguette, d’une longueur égale à la distance qui doit exister entre cette ligne bb′b et le fond de la tranchée pour reconnaître les points qu’il faut approfondir ou ceux qu’il faut remblayer, si, par maladresse, on a trop creusé quelques parties de la fouille[6]. »

Pose des tuyaux. — Les tuyaux doivent être droits, d’une section bien circulaire, et sans rugosité sur leurs bords intérieurs. Deux tuyaux frappés l’un contre l’autre, dont l’un est suspendu légèrement entre le pouce et l’index, doivent rendre un son clair et argentin. Si leur cuisson est parfaite, ils ne doivent point se déliter après quelques jours d’immersion dans l’eau. On devra rejeter ceux qui absorberaient au delà de 15 pour 100 d’eau, après vingt-quatre heures environ d’imbibition.

On s’assurera de la résistance des tuyaux par la méthode qui sert à éprouver le degré de géliveté des pierres à bâtir.

Les constructeurs appellent pierres gélives, celles qui se brisent en éclats, plus ou moins considérables, sous l’influence de la gelée. Ce phénomène physique s’explique comme il suit. L’eau qui a pénétré dans les pores d’une pierre, augmente de volume en se congelant ; elle tend à briser ses enveloppes. Le bloc de pierre qui a été ainsi pénétré d’eau, doit donc éclater lorsqu’il survient une gelée. Un procédé ingénieux a été imaginé, au commencement de notre siècle, par le minéralogiste Brard, pour reconnaître d’avance si une pierre à bâtir est ou non gélive. Ce procédé consiste à exposer des échantillons des pierres que l’on veut essayer, à l’action d’une dissolution saturée de sulfate de soude. On retire les échantillons, et on les abandonne à eux-mêmes pendant vingt-quatre heures. Au bout de ce temps, ils sont couverts d’une efflorescence blanche. On les lave dans la dissolution de sulfate de soude, et on répète cette dernière opération toutes les fois que les efflorescences sont abondantes. Le sulfate de soude, en cristallisant au sein de la masse poreuse de la pierre, augmente de volume, et produit le même effet que l’eau qui augmente de volume quand elle se congèle. Si donc on trouve au fond des vases dans lesquels on a fait le lavage, des fragments de pierre, et si les échantillons soumis à l’épreuve ont perdu leurs angles et arrondi leurs arêtes, c’est que la pierre est gélive. En pesant les débris recueillis, et comparant le poids obtenu au poids primitif de l’échantillon d’essai, on connaîtra sensiblement le degré de géliveté de la pierre.

Si l’on opère de la même façon sur les tuyaux de drainage, on peut se former une idée de leur qualité, et s’assurer à l’avance de leur conservation au sein de la terre.

La marche que l’on suit dans la pose des tuyaux, varie selon la consistance, le degré d’humidité et l’état du terrain. Si le sol est sec au moment où on travaille, ou bien s’il est assez consistant, quoique humide, pour ne se point mettre en boue, on construit d’abord les drains collecteurs, ainsi que les raccordements des petits drains qui débouchent dans ces collecteurs, puis on procède à la pose des tuyaux.

Quand le terrain est détrempé par l’eau, il existe au fond des drains une couche de boue, dans laquelle les conduits pourraient s’enfoncer, et par conséquent s’obstruer. Il faut donc enlever la boue avant de placer les tuyaux ; ce qui se fait avec des curettes comme celles que représentent les figures précédentes.

Il est même utile de faire aux tuyaux un lit de paille, pour qu’ils ne s’enfoncent point dans le sol détrempé qui constitue le fond des rigoles, même après l’enlèvement de la boue.

On pose, en premier lieu, le conduit des petits drains, en commençant par les parties les plus élevées du champ, et l’on termine par le drain collecteur.

Quand le terrain est mouvant, et que les tranchées ne sauraient rester longtemps ouvertes, il faut envelopper les tuyaux de conduite dans d’autres tuyaux un peu plus larges, en ayant soin d’alterner les joints. On peut toujours obtenir un fond solide dans le sable mouvant, en y enfonçant des pierrailles ou des branchages.

Aussitôt que la tranchée a été préparée, comme il vient d’être dit, sur une faible longueur, on y jette un peu de terre très-forte ou d’argile, et après avoir tassé légèrement cette terre, on place les tuyaux par-dessus. Ces tuyaux sont aussitôt recouverts de terre fortement tassée, et l’on comble immédiatement la tranchée. Dans les terrains mouvants ce travail est délicat et doit être fait avec grand soin.

Mais comment se fait la pose des tuyaux ? Les tuyaux de grande dimension se placent à la main, parce que les tranchées qui doivent les recevoir, sont assez larges pour qu’un ouvrier puisse travailler au fond. On les fait joindre aussi exactement que possible les uns aux autres, et on les cale de chaque côté, de peur qu’ils ne se dérangent quand on rejettera la terre au-dessus d’eux. Quant aux tuyaux d’un faible diamètre, qui doivent occuper le fond des tranchées étroites, ils sont placés par un ouvrier, qui se tient debout un pied sur chaque bord de la tranchée, et qui manie un instrument, nommé broche ou crochet.

Fig. 490, 491. — Broche à poser les tuyaux sans collier, vue de face et de profil.
Fig. 492, 493. — Broche à poser les tuyaux à collier.

Quand on place des tuyaux simples, c’est-à-dire sans colliers, on peut employer la broche. (Les figures 490, 491 représentent cette broche.) Mais quand on se sert de colliers ou manchons, on emploie l’instrument représenté par les figures 492, 493. L’ouvrier le tient par le manche en bois et introduit la tige a dans le tuyau : il enlève ainsi le tuyau et le dépose à sa place. L’extrémité du tuyau touche l’épaulement b. La longueur bd de l’épaulement est égale à la moitié de celle du collier ; le diamètre de cet épaulement dépasse le diamètre intérieur du tuyau et est moindre que celui du collier ; il en résulte que le tuyau et le collier sont dans la position relative qu’ils doivent occuper. On introduit donc facilement le bout du tuyau dans la partie libre du manchon, précédemment placé au fond de la tranchée.

Quel que soit le posoir dont se serve l’ouvrier, celui-ci en imprimant à la broche qui porte le tuyau une série de petites secousses, communique à ce tuyau un mouvement rotatoire, qui permet de trouver la position la plus convenable pour que le tuyau soit bien établi dans le fond de la tranchée, et en contact aussi exact que possible avec le tuyau précédent.

Moins les rigoles sont profondes, plus les tuyaux et les colliers sont bien exécutés, plus aussi le travail se fait rapidement. Un ouvrier habile peut placer environ quatre cents tuyaux à l’heure, dans une rigole de 1m,20 de profondeur. Quand on n’emploie pas de colliers, il faut mettre beaucoup de temps et de soins pour bien ajuster les tuyaux et de plus les caler avec de la terre ou de petites pierres pour les empêcher de se déranger. Dans ce cas et dans les mêmes conditions, on ne saurait, avec beaucoup de fatigue, poser plus de 120 à 130 tuyaux par heure.

Fig. 494. — Niveau de fil à plomb.

Avant de laisser procéder au comblement de la tranchée, le surveillant des travaux doit vérifier la pose des tuyaux avec une grande précision, c’est-à-dire s’assurer si tous les tuyaux sont bien ajustés, s’ils forment une ligne droite continue à pente régulière.

Cette vérification peut se faire à l’aide d’un grand niveau de maçon. Cet instrument (fig. 494) porte une division parcourue par la pointe du fil à plomb, et qui exprime les pentes que doit avoir la tranchée. On pose le niveau sur la ligne dont on veut vérifier la pente, et l’on s’assure que le fil s’écarte de la verticale d’une quantité correspondante à la pente adoptée.

Fig. 495. — Vérification des pentes des tranchées.

Cependant ce moyen de vérification de la pente des tranchées n’a pas une précision suffisante. Pour obtenir une vérification complète, on se sert de trois mirettes analogues à celle des paveurs, mais ayant environ 1m,80 à 2 mètres de hauteur.

On place deux de ces mirettes (fig. 495) au droit de deux piquets de repère a, a, en s’assurant que leur pied est à la profondeur voulue au-dessous de la tête de ce piquet ; puis, se plaçant en arrière de la mirette b, et bornoyant la ligne de foi de la seconde, d, on fait placer la troisième, c, en différents points de la tranchée, et l’on s’assure que, dans ces diverses positions, la ligne divisée bd affleure toujours exactement le dessus de la mirette intermédiaire c.

Pour placer le pied des deux mirettes extrêmes b et d à la profondeur voulue au-dessous des têtes des piquets de repère, on pose sur le piquet, en le plaçant perpendiculairement à la tranchée, le grand niveau de maçon représenté plus haut (fig. 494), et l’on s’assure que le dessous de sa règle rencontre le pied de la mirette contre lequel on l’appuie, le fil étant au repère, précisément contre une marque faite à l’avance à une distance du pied égale à la hauteur adoptée pour la position des piquets au-dessus du fond des tranchées. Cette pointe doit toujours s’arrêter au même point dans toutes les positions de l’instrument sur une même ligne de tuyaux. Dans les endroits douteux on fera descendre un ouvrier.

Avant de parler du remplissage des tranchées, disons un mot du raccordement des lignes de drains. Pour raccorder une ligne de petits drains avec une ligne de drains principaux, on pratique dans le plus grand tuyau une ouverture circulaire. On y fait entrer le tuyau du petit drain, sous un angle de 43 à 60 degrés, de façon que le petit tuyau soit plus élevé.

Lorsqu’il faut raccorder entre elles deux lignes de tuyaux de même diamètre, on dispose au point de rencontre un tuyau d’un diamètre supérieur. Nous avons déjà représenté ce mode de raccordement. Il suffit de se rapporter à ces deux figures pour comprendre le mode d’ajustement dont il s’agit. Si l’on n’a pas de tuyaux percés latéralement par avance, il est facile de les entailler avec un marteau tranchant.

Remplissage des tranchées. — Les files de drains ne doivent jamais rester découvertes, de crainte d’accident produit par une ondée ou par la malveillance. Il faut donc, aussitôt après la vérification de la pose des tuyaux, procéder au remplissage de la tranchée. On place immédiatement sur les drains la terre la plus argileuse extraite de la saignée ; on jette avec précaution cette terre sur les tuyaux, après l’avoir soigneusement émiettée. La couche ainsi formée peut atteindre 0m,25 et on doit la battre avec un petit pilon en bois, ou la piétiner avec soin. Quand la première couche d’argile a été bien placée, on fait tomber par-dessus, avec une pelle, ou avec une houe à deux ou trois dents, une nouvelle quantité de terre qu’on dame de même soigneusement.

Les figures 496, 497 représentent la houe employée par les ouvriers draineurs pour le remplissage des tranchées.

Fig. 496, 497. — Houe pour remplir les tranchées.

Si le temps est beau, on peut alors suspendre le remplissage pour laisser l’air agir sur les parois des tranchées. Cette action est très-utile dans les terrains argileux. En effet le sol se dessèche et se fendille, sous l’action du soleil ; et ces fentes préparent des voies par lesquelles l’eau arrivera vers les drains. On achève de remplir la tranchée par couches de terre de 0m,20 à 0m,30 d’épaisseur, qu’on tasse comme précédemment. Enfin on jette en dernier lieu la terre végétale qu’on a dû mettre de côté à cet effet, lors de l’ouverture de la tranchée.

Charrues de drainage. — De nos jours, où la force mécanique se substitue peu à peu à l’emploi de la force vivante, il était impossible qu’on ne songeât pas à faire jouer un rôle aux machines dans l’exécution du drainage. Ouvrir la tranchée, placer les tuyaux et combler la tranchée aussitôt, tel fut le problème compliqué que l’art du mécanicien s’est proposé de résoudre. Ce problème, disons-le, n’a pas été complétement résolu ; mais il a été poursuivi avec tant de persévérance et de tels efforts d’invention, que nous ne saurions résister au désir de donner une idée des appareils mécaniques qui ont été proposés ou essayés dans ce but.

MM. Fowler et Fry avaient envoyé à la première Exposition universelle de Londres, en 1851, une machine destinée à creuser mécaniquement les tranchées et à poser les tuyaux. Cette machine se composait de deux pièces distinctes, une charrue et un cabestan, dont la corde était mue par un manége. La charrue était formée de deux armatures en fer, reliées par des traverses et des boulons, ayant un certain écartement au coutre et à l’arrière, mais se rejoignant à l’avant, et emmanchant une poulie destinée à recevoir la chaîne du cabestan.

Le soc de la charrue pénétrait dans le sous-sol, et creusait le passage à la tranchée. Voici comment on opérait. On plaçait le cabestan à 130 mètres environ de la charrue, et on l’amarrait fortement. La corde qui reliait le cabestan à la charrue, était en chanvre recouvert de fil de laiton. On ouvrait ainsi une tranchée, dont la profondeur était en raison de l’enfoncement voulu du drain, et dont la longueur était égale à cette profondeur. On engageait le soc de la charrue au fond, en attachant ce soc à une corde, revêtue de tuyaux, qui s’y trouvaient enfilés comme des perles sur un ruban. Ces dispositions prises, à un moment donné, on mettait les chevaux en mouvement. La charrue s’avançait, et le soc pénétrait dans le sous-sol, traînant après lui les tuyaux, juxtaposés et enfilés dans la corde, au nombre de 30 ou de 40. Quand ces 30 ou 40 tuyaux étaient établis, on s’arrêtait, pour ajouter une nouvelle chaîne de 40 tuyaux, et ainsi de suite jusqu’au moment où la charrue venait toucher au cabestan. Alors on ouvrait une seconde tranchée semblable à la première. Là on s’arrêtait. À l’aide des engrenages on dégageait le soc et l’on retirait les cordes. Pendant toute la pose, le chef-ouvrier, comme un pilote près de son gouvernail, dirigeait l’engrenage, et maintenait le niveau et les pentes voulues, en donnant l’impulsion au soc dans les points où le terrain présentait quelque ondulation.

Cette première application de la mécanique à l’exécution des travaux de drainage, frappa beaucoup les hommes de l’art. Un agronome, qui avait vu fonctionner cet appareil, M. de Montreuil, écrivait à ce propos, en 1851 :

« N’est-il pas féerique de suivre cette charrue silencieuse dans le travail souterrain qu’elle opère, de comprendre par l’esprit la précision mathématique de son exécution ? Nous étions dans une prairie, environnés de troupeaux ; eh bien ! quand nous avions passé sur un point que les herbes foulées accusaient à peine, ces troupeaux paissaient paisiblement jusque sur les lèvres refermées de la plaie que nous avions faite ; rien n’avait disparu dans ce pâturage. Six hommes, deux chevaux et une demi-heure, montre en main, avaient suffi pour descendre à 1m,03 sous terre 300 tuyaux, qui sans la puissance mécanique, eussent demandé une semaine de travail et bouleversé le sol[7]. »

Cependant cet appareil mécanique laissait beaucoup à désirer. Les tuyaux étaient, sans doute, placés en ligne droite et bien juxtaposés, mais la pente n’était jamais régulière. À partir de 1854, M. Fowler présenta aux divers concours de drainage qui eurent lieu en Angleterre, des appareils supérieurs au précédent. Dans un concours agricole tenu à Paris, en 1856, le jury international fut chargé d’examiner le travail d’une charrue de drainage à vapeur de M. Fowler. L’expérience se fit à Trianon le 6 juin. L’appareil se composait de deux parties : la charrue proprement dite, et le moteur, qui était une locomobile puissante. Ces deux parties étaient réunies par un câble. Le câble en s’enroulant sur un tambour, entraînait la charrue, qui laissait seulement une trace « analogue, dit M. Barral, à la fente produite par un couteau dans un pain de beurre[8]. » Tous les 40 ou 50 mètres on creusait un trou dans le sol, pour attacher les uns aux autres les chapelets de tuyaux. La traction que la machine à vapeur exerçait sur le grand câble, fut évaluée à 8 000 kilogrammes.

Cependant l’expérience de Trianon n’était pas décisive, et son succès fut loin d’être complet. La charrue ne put franchir un banc rocheux, qui la renversa. Le poids énorme de l’appareil et son prix considérable étaient aussi de graves défauts. Le jury décerna, néanmoins, une médaille d’or à M. Fowler. Il voulut en cela récompenser le génie inventif appliqué à l’art agricole, mais non couronner la solution d’un problème qu’on cherchera peut-être vainement à résoudre.

En effet, il est bien difficile de concevoir une machine exécutant à elle seule toutes les opérations du drainage : l’inégalité des niveaux du sol opposera toujours les plus grands obstacles à la pose régulière et efficace des tuyaux.

Il est, toutefois, une partie des opérations qui peut aisément s’exécuter sans le concours de la main de l’homme : nous voulons parler de l’ouverture des tranchées et de leur remplissage. Le premier creusement des tranchées peut se faire, en effet, non sans quelque avantage, au moyen de la charrue rigoleuse de l’École d’agriculture de Grignon. Cette charrue est en bois. La coutelière est armée de deux coutres, dont l’un, celui de droite, se place dans les trous une fois pratiqués, de manière à faire varier la largeur de la rigole. Un régulateur sert à régler la profondeur du sillon souterrain. On obtient par une seule allée, une profondeur de 0m,25 à 0m,30, et en faisant passer la charrue deux ou trois fois dans le même sillon, on augmente la profondeur.

Si l’on faisait succéder au travail de cette charrue, ou d’une autre de même espèce, le travail d’une charrue fouilleuse du sous-sol, par exemple celle de John Read, on pourrait pousser le défoncement de la tranchée jusqu’à 0m,50 ou 0m,60. Au reste, on possède en France plusieurs charrues fouilleuses très-convenables pour exécuter le travail dont nous parlons. Telle est celle de M. Gustave Hamoir qui est toute en fer.

Jusqu’ici la charrue n’a fait que remplacer la bêche pour l’exécution de la tranchée, car on fait les déblais à la pelle. M. Paul, dans le comté de Norfolk, ne s’est pas contenté d’imaginer une machine pour ameublir le sol, il lui a fait aussi effectuer le déblai. Une roue armée de dents est destinée à piocher la terre. Cette roue est mise en mouvement par une chaîne s’enroulant sur un cabestan, mû par un manège à chevaux. Une chaîne-levier permet d’élever et d’abaisser la roue fouilleuse. En même temps que la roue avance, entraînée par la chaîne, elle fouille le sol, le soulève, et jette la terre sur un des côtés de la tranchée. On peut, avec cet instrument, pratiquer une tranchée de 0m,91 à 1m,52 de profondeur et de 0m,40 de largeur, sur une longueur d’environ 1m,22 par minute.

Nous nous bornons à signaler ces divers appareils mécaniques sans nous y arrêter davantage, car ils sont restés tout à fait en dehors de l’usage pratique.

Fig. 498. — Ouvriers posant des tuyaux de drainage.

Obstructions des drains. — Quel que soit le mode de construction des conduits des eaux de drainage, ces conduits peuvent s’obstruer. Il vaut mieux, évidemment, prévenir les obstructions que d’avoir à les détruire. Aussi, indiquerons-nous les causes de ces obstructions et les moyens de s’en garantir.

Les drains faits avec des pierres ou des fascines, peuvent s’obstruer par des dépôts de sables ou de matières terreuses. Dans ce cas, il faut empêcher les eaux pluviales de descendre trop rapidement vers les conduits. Au reste, les drains en pierre doivent être complétement bannis des terrains sablonneux. On doit, dans ces sortes de terrains, employer des tuyaux de poterie, garnis de colliers, et quand le travail a été consciencieusement établi, on ne peut craindre aucun engorgement. Dans les terres fermes, l’eau ne s’introduit que lentement par les joints des tuyaux, et les graviers ne peuvent ainsi être entraînés dans les conduits. Si des matières terreuses y pénétraient exceptionnellement, la rapidité du courant qui traverse les petits drains, suffirait pour dissiper ces obstacles.

Des obstructions d’une autre nature, et vraiment redoutables, sont causées par des dépôts de substances minérales dans l’intérieur des conduits. Là où le sol est calcaire ou crayeux, les eaux tiennent en dissolution du carbonate de chaux. Ce sel n’étant dissous qu’à l’aide d’un excès d’acide carbonique, et cet acide carbonique se dégage dès que les eaux arrivent à l’air libre, c’est-à-dire dans les conduits de drainage, et il en résulte que le carbonate de chaux se dépose à l’intérieur des tuyaux, et forme des incrustations solides, qui finissent par les engorger complétement. Les mêmes effets se produisent avec des eaux séléniteuses ou ferrugineuses.

Des engorgements de cette nature sont surtout à redouter dans les drains faits de pierrailles, dans lesquels l’eau, très-divisée, se trouve en contact avec l’air par des surfaces multipliées, et s’écoule lentement. Cet inconvénient est moins à craindre dans des tuyaux de poterie, d’un faible diamètre, qui sont presque constamment remplis d’eau, et dans lesquels le courant est assez rapide pour entraîner les matières étrangères que les eaux ont pu déposer.

Il faut également se tenir en garde contre les obstructions que pourraient produire les racines de certaines plantes, qui vont chercher l’humidité jusque dans les conduits des drains. Quand un filet radiculaire s’introduit dans ces tuyaux, il produit bientôt une masse fibreuse. Cette masse de radicules s’étale, se ramifie à l’intérieur du conduit, et peut opposer un obstacle sérieux au passage de l’eau. Le Tussilage, la Prêle, la Renouée amphibie, le Saule, le Frêne, le Peuplier, le Marronnier, sont les plantes le plus à redouter sous ce rapport. Il faut donc éloigner autant que possible, les tranchées de drainage des haies, des plantations ou des arbres. Si l’on se croit obligé de les rapprocher de plus de 7 à 10 mètres des plantations ou des arbres, on devra garantir les conduits au moyen de tuyaux plus grands, qui les enveloppent, ou même imprégner de goudron la terre qui environne les tuyaux.

Un dernier mode d’obstruction est celui que peuvent produire de petits animaux des champs, qui s’introduisent, par l’entrée des drains, dans les conduits, et venant à y mourir, peuvent faire obstacle au courant de l’eau. Nous avons dit plus haut que les grillages en fer, dont on garnit l’embouchure des drains, ont pour but de prévenir cette cause d’engorgement.

Utilisation des eaux de drainage. — Dans beaucoup de pays les eaux qui s’écoulent des rigoles de drainage, sont distribuées. Elles sont généralement très-bonnes pour les usages domestiques, et peuvent toujours être consacrées aux usages industriels.

En Angleterre, les eaux de drainage alimentent les fontaines et les abreuvoirs nécessaires au service de fermes importantes, et même de villages entiers. Ce fait n’a rien qui doive nous surprendre, car les sources naturelles ne sont autre chose, comme les eaux de drainage, que le produit de l’infiltration de l’eau pluviale à travers des couches intérieures de la terre.

La force et les bonnes qualités de la végétation naturelle qui croît autour des bords des canaux de décharge des eaux de drainage, est l’indice que les eaux qui s’écoulent de ces tuyaux sont de bonne qualité, et qu’elles peuvent être employées avantageusement pour l’irrigation.

Cette combinaison du drainage et de l’irrigation, quand celle-ci s’effectue avec des eaux enrichies à l’aide d’engrais liquides ou facilement solubles, constitue certainement, l’un des plus hauts degrés de perfection où puisse atteindre l’art agricole.

Nous terminerons cette partie de notre sujet, en parlant des dépenses que peuvent occasionner les opérations du drainage, et en essayant d’évaluer les bénéfices que l’agriculteur peut en espérer.

Frais d’établissement du drainage. — C’est généralement à l’hectare qu’on évalue les frais d’établissement d’un drainage complet. Cependant cette évaluation n’est guère possible, car la dépense qu’occasionne le prix du drainage d’un hectare d’un terrain, varie d’une localité à l’autre, et même pour des champs voisins. En effet, la profondeur des saignées, leur espacement, la manière d’être du terrain, le mode de construction des conduits, la valeur des matériaux de ces conduits, le prix de leur transport, l’habileté des ouvriers, etc., sont autant de circonstances qui influent sur les frais d’établissement du drainage. C’est seulement quand on a bien étudié le terrain et dressé le plan des travaux, qu’on peut avoir quelque idée de la dépense, en prenant pour base des calculs les données que des opérations exécutées antérieurement et dans des circonstances analogues, ont pu fournir. Il est donc très-important d’avoir sur les dépenses qu’exige le drainage, un certain nombre d’indications fournies par des travaux effectués dans des circonstances diverses. M. Leclerc a recueilli, à cet égard, des renseignements précieux, et c’est à son ouvrage que nous emprunterons les résultats généraux qui vont suivre[9].

M. Leclerc fait observer avec raison qu’il faut commencer par connaître la longueur des drains à creuser sur 1 hectare de terrain. Ce premier élément permet de calculer le nombre des tuyaux qu’il faudra employer, et d’évaluer la dépense de main-d’œuvre nécessitée par le creusement des tranchées. Cette longueur, qui peut varier avec la forme des contours des champs et les irrégularités de leur surface, dépend principalement de la distance qu’on peut laisser entre les saignées. Pour calculer la longueur des drains nécessaire au drainage d’une certaine étendue de terrain, il faut faire de nombreuses observations sur des travaux de drainage exécutés dans des circonstances variées, et prendre ensuite la moyenne des résultats obtenus. C’est en procédant ainsi que M. Leclerc a formé un tableau donnant la longueur des drains à creuser sur un hectare pour divers espacements. De ce premier tableau, il a déduit le suivant, qui donne la longueur moyenne des drains par hectare pour divers espacements.

ESPACEMENT
des drains.
LONGUEUR DES DRAINS PAR HECTARE
totaux
petits drains. drains
collecteurs.
10m 847 171 1 018
11m 808 171 979
12m 726 171 897
13m 684 171 855

Quand la longueur des drains est connue, la quantité de tuyaux nécessaire pour assainir 1 hectare de terrain est facile à calculer. En supposant aux tuyaux une longueur de 0m,30 on en trouve la quantité en divisant par 3 le nombre qui représente la longueur des drains et en multipliant le quotient par 10. Il faut tenir compte du déchet, qu’on peut estimer en moyenne à 5 p. 100. M. Leclerc a fixé comme il suit, le nombre des tuyaux nécessaires au drainage de l’hectare de terrain pour divers espacements.

ESPACEMENT
des drains.
NOMBRE DES TUYAUX PAR HECTARE
pour drains
totaux
de desséchement. collecteurs.
10m 2 964 587 3 551
11m 2 827 587 3 414
12m 2 541 587 3 128
13m 2 394 587 2 981

D’après le même auteur, la moyenne générale du prix des tuyaux nécessaires pour un hectare, s’élève à 93 francs. Les tuyaux qui garnissent un mètre courant de drains, coûteraient, en moyenne, 8 centimes et demi. Quant aux frais de transport des tuyaux, on comprend qu’ils doivent varier avec la distance à parcourir et la nature des voies de communication. À mesure que les fabriques de tuyaux se multiplient, ces frais tendent à diminuer. M. Leclerc évalue, en moyenne, à 16 fr. les frais de transport des tuyaux nécessaires au drainage d’un hectare.

Il reste un dernier élément à considérer : c’est la dépense de main-d’œuvre. Elle comprend le creusement des rigoles, la pose des tuyaux, le remplissage des tranchées, l’apprêt des manchons, le transport des tuyaux le long des rigoles. Elle dépend, comme nous l’avons dit plus haut, de la profondeur des tranchées, de leur espacement, de la nature du sol, du taux des salaires et de l’habileté des ouvriers. Le prix de la main-d’œuvre est donc très-variable. M. Leclerc l’évalue en moyenne à 97 fr. par hectare. Si l’on ajoute aux dépenses dont nous venons de parler des frais divers, peu importants, et qui s’élèvent, en moyenne, à 4 francs, les frais de l’établissement du drainage par hectare s’élèveront ainsi, en moyenne, à 200 francs.

Résultats du drainage. — Si nous voulions donner une évaluation qui soit plutôt au-dessous qu’au-dessus de la vérité, nous dirions que les sommes employées en travaux, rapportent 10 p. 100 net. Cependant il existe plusieurs exemples de travaux qui ont rapporté 25 p. 100 et plus du capital engagé. M. Neilson a estimé que, dans les argiles fortes, le drainage augmente la production en céréales de 9 hectolitres par hectare. Des fermes ont doublé de valeur, sous l’influence de ce même procédé d’assainissement.

Les faits que nous venons de citer et qui appartiennent à la chronique agricole en Angleterre, sont parfaitement authentiques ; ils résultent d’enquêtes sérieuses, et nous pourrions aisément les multiplier. En Belgique et en France de semblables avantages ont pu être signalés, et ils ne sauraient laisser de doutes sur les bénéfices certains des travaux de drainage. Mais ces travaux doivent être exécutés dans de bonnes conditions, et ne pas être appliqués sans discernement à tous les terrains et dans toutes les circonstances. L’agriculteur doit peser avec prudence, et en connaissance de cause, les considérations qui devront le décider à recourir aux travaux de drainage ; car, selon l’expression de M. Hervé Mangon, « il ne suffit pas qu’il y ait amélioration abstraite, il faut encore que l’amélioration soit lucrative, » c’est-à-dire qu’elle puisse dépasser les intérêts des sommes employées aux travaux.


CHAPITRE VII

drainage des sources.

Dans tout ce qui précède, nous n’avons considéré que les opérations qui ont pour but d’assainir les terres imprégnées des eaux pluviales. C’est là le cas le plus ordinaire, la condition habituelle. Mais dans quelques circonstances, les terrains sont inondés par de véritables sources ; ou bien les eaux de sources viennent s’ajouter, en quantités surabondantes, aux eaux du fonds, et constituent alors une masse considérable de liquide, qui noie le sol. Le desséchement d’un terrain, ainsi occupé par de véritables sources, est une opération délicate, et qui sort des procédés ordinaires du drainage des terres arables. Cependant, comme ce cas peut se présenter, nous devons dire quelques mots des moyens qu’il faut alors mettre en œuvre.

La méthode générale pour opérer le drainage des terres occupées par des sources, revient à fournir aux eaux de cette espèce un écoulement régulier, qui les empêche de sourdre en différents points du sol, et à les évacuer, soit par des puits, soit en les amenant dans la région occupée par un réseau de drainage.

Les communications à établir entre les drains et les parties poreuses d’un terrain pénétré par les eaux de source, s’exécutent par l’une des méthodes suivantes.

Quand la profondeur de la couche perméable au-dessous du sol à assainir, n’excède pas 2 mètres, on doit pousser les drains jusqu’à cette profondeur, que ces drains soient composés de tuyaux en poterie ou simplement de pierres.

Mais si la couche perméable se trouve, au-dessous du sol, à une profondeur telle qu’il serait impossible de l’atteindre sans une dépense trop considérable, on doit ouvrir, de distance en distance, et à côté du drain lui-même, creusé à la profondeur habituelle, des puits ou des trous de sondage, que l’on pousse jusqu’à la rencontre de la couche aquifère.

Ces puits sont rectangulaires ou cylindriques, et d’une largeur seulement suffisante pour qu’un ouvrier puisse y travailler sans trop de gêne. On les remplit de pierres cassées jusqu’à quelques décimètres au-dessus du tuyau de terre qui sert de conduit.

La forme et la disposition du puits rempli de pierres, qui est destiné à faire écouler les eaux dans les terrains occupés par des sources, se trouvent représentées exactement dans l’une des figures de la présente Notice. Le lecteur est donc prié de se reporter à la figure 411.

Lorsque la profondeur du puits doit excéder 4 à 5 mètres, on le remplace par un simple forage placé à côté du drain même.

Le canal de sondage à exécuter dans ce cas se trouve représenté par la figure 412, à laquelle le lecteur doit également se reporter.

Les trous de sondage s’exécutent ordinairement avec une petite sonde de 0m,05 à 0m,08 de diamètre.

Pour le drainage des terrains bourbeux et criblés de sources, M. Mangon emploie un procédé autre que les précédents, et qu’il désigne sous le nom de drainage vertical. L’économie que procure ce procédé, son succès dans des terrains complétement détrempés, où tout autre travail serait impossible, le rendent précieux. M. Mangon décrit ainsi le desséchement, au moyen du drainage vertical, des terres occupées par les sources.

« On ouvre, comme de coutume, une tranchée de drainage, et on la prolonge à travers les parties les plus bourbeuses du terrain. Si cela est nécessaire, on ouvre quelques autres tranchées partant du centre du terrain bourbeux, et prolongées en pattes d’oie jusqu’à une certaine distance de leur origine, comme l’indique la figure 499. On prépare ensuite des tuyaux ordinaires, et on les entre librement et à joints croisés (fig. 500 et 501) dans des tuyaux du numéro immédiatement supérieur, qui forment pour les premiers des manchons de même longueur qu’eux ; il suffit, pour cela, de commencer par un demi-tuyau. On a soin, comme le montre la figure, d’échancrer les tuyaux pour rendre facile l’introduction de l’eau extérieure dans l’intérieur de ces tuyaux.

Fig. 499. — Plan d’un drainage vertical.
Fig. 500. — Coupe d’un drainage.
Fig. 501. — Plan d’un drainage vertical au niveau des tuyaux d’écoulement.

On fait passer dans la file de tuyaux ainsi préparés une tige de fer rond de 0m,015 à 0m,025 de diamètre ; ou bien, suivant les cas, une tige de bois, d’un diamètre inférieur de 0m,005 à 0m,006 à celui des tuyaux.

Fig. 502. — Enfonçage des drains verticaux.

On enfonce l’extrémité inférieure de cette tige de bois ou de fer dans un cône en bois dur (fig. 502) ferré à la pointe si le terrain est résistant. Cette espèce de sabot a 0m,01 de diamètre de plus environ que celui du tuyau extérieur. Il n’est que très-légèrement réuni à la tige cylindrique, pour que l’on puisse séparer ces deux pièces l’une de l’autre sans éprouver une forte résistance, en le tirant en sens opposé.

Les choses ainsi disposées, on enfonce verticalement, au fond des tranchées ouvertes à l’avance, les tuyaux précédés du sabot. Si le terrain est très-bourbeux, comme celui de certains prés à bouillons, la colonne s’enfonce, pour ainsi dire, par l’action seule de son poids. Si le terrain est plus résistant, on la fait descendre en frappant sur le sommet de la tige de bois ou de fer dont on a parlé. Dans le cas où le terrain serait plus dur encore, et où l’on ne pourrait faire descendre la colonne de tuyaux par ce moyen, on préparerait leur emplacement avec un petit pieu en bois dur saboté en fer à la pointe, et fretté à sa tête comme un pilotis, que l’on enfoncerait à la masse ou avec un petit mouton, et que l’on arracherait ensuite. Enfin, on aurait recours à la sonde dans les terrains où l’on rencontrerait de grosses pierres isolées ou des couches minces trop dures pour céder à l’action du pieu ferré.

Lorsque la colonne de tuyaux est mise en place, quelle que soit la méthode employée, on soulève la tige qui traverse les tuyaux ; elle se sépare du sabot, qui reste sous la colonne de tubes, et peut être ramenée à l’extérieur, pour servir à d’autres opérations.

La tête des tuyaux ainsi placée est entourée de quelques pierres formant enrochement, et s’introduit dans le tuyau horizontal du drain, percé à cet effet d’une ouverture circulaire, comme pour un raccordement ordinaire.

Quand l’abondance des eaux oblige à placer plusieurs tuyaux verticaux les uns à côté des autres, on peut les recouvrir, comme l’indique la figure 18, par une espèce de voûte en pierres sèches formant l’origine du drain de décharge.

La disposition des tranchées, en plan, varie nécessairement avec la disposition des lieux ; mais il est bien rare que quelques tuyaux groupés au centre même du terrain bourbeux ne suffisent pas à son assainissement. Des tuyaux verticaux placés dans un drain à 8 ou 10 mètres les uns des autres enlèvent déjà un énorme volume d’eau.

Quand on a placé des tuyaux verticaux dans un terrain, il convient, avant de recouvrir le drain de décharge, d’attendre que le régime des eaux soit bien établi, afin de proportionner le diamètre ou le mode de construction du drain au volume d’eau à débiter.

La longueur des colonnes de tuyaux dépend nécessairement de la nature du sol où l’on opère. On les enfonce autant que le permet la résistance du terrain ; souvent on atteint des profondeurs de 4, 5 et 7 mètres et plus, qui, ajoutées à la profondeur de la tranchée, placent l’extrémité inférieure du tuyau à 8 ou 9 mètres au-dessous du sol. Chacun de ces tuyaux fonctionne, sur toute sa longueur, comme un drain ordinaire. On opère donc ainsi un drainage vertical d’une très-puissante action sur les eaux remontantes, ou sur les eaux descendantes, si l’on atteint une couche absorbante ; ce qui, du reste, arrive assez rarement[10]. »


CHAPITRE VIII

fabrication des tuyaux de drainage. — préparation des terres. — machines à fabriquer les tuyaux. — machine économique. — séchage et cuisson des tuyaux.

Nous avons déjà insisté sur ce point, que, parmi tous les matériaux à employer pour garnir les saignées souterraines destinées au drainage, les plus économiques, les plus durables, sont les tuyaux en poterie, à section circulaire. Nous devons donc entrer dans quelques détails sur la fabrication de ces tuyaux.

Développer cette fabrication dans une contrée, c’est y populariser le drainage. L’Angleterre, la Belgique et la France, se sont particulièrement fait remarquer dans cette voie.

La fabrication des tuyaux comprend quatre opérations distinctes, que nous allons passer rapidement en revue. Ce sont : la préparation des terres, le moulage, le séchage et la cuisson.

Préparation des terres. — Les tuyaux de drainage doivent être résistants, pour subir les transports sans se briser, pour être maniés sans trop de précautions, pour ne pas s’altérer sous la longue action des eaux souterraines. Des argiles, plus ou moins sableuses, des marnes argileuses, mais non pas calcaires et des terres plastiques, sont employées à la confection des tuyaux de drainage. C’est en mélangeant ces matières entre elles, ou avec d’autres substances, qu’on obtient une bonne pâte.

Cette pâte doit être plastique, c’est-à-dire se laisser façonner sous la pression intelligente des doigts de l’ouvrier, et supporter sans se gercer ni se déformer sensiblement, les efforts et les résistances inertes des machines. Mais cette plasticité ne doit pas être poussée trop loin ; car les pâtes douées d’une ductilité excessive, sèchent difficilement et inégalement, se déforment et souvent se fendent au feu. Pour arriver à une pâte convenable, on corrige les terres l’une par l’autre. Si, par exemple, on a sous la main de la marne argileuse, c’est-à-dire une terre trop forte, on la dégraisse avec du sable, ou avec des pâtes déjà cuites et pulvérisées (ciment) ou avec des scories de forge, quelquefois même avec des cendres de houille. Si, au contraire, la terre manque de liant, si elle n’est pas assez plastique, on y mêle de la terre glaise.

Il peut arriver pourtant qu’on rencontre une terre assez bonne pour n’exiger aucun mélange, et servir immédiatement à la fabrication des tuyaux. Indiquons, en conséquence, les propriétés dont cette terre doit jouir. 1o Elle doit être ductile, ferme et adhérente, c’est-à-dire se laisser bien modeler, conserver les formes qu’elle aura reçues, ne pas se gercer dans son passage à travers les filières des machines. 2o Elle ne doit contenir aucune parcelle de craie pure, ou de pyrite de fer, qui, sous l’influence de la cuisson, pourrait faire éclater les tuyaux. 3o Elle doit se sécher facilement et également sans se fendre ni se déformer.

L’extraction des terres, doit se faire longtemps à l’avance, par exemple en automne, si on veut les employer au mois de mars de l’année suivante. On les expose, pendant tout l’hiver, à l’action des gelées et de l’air. Il est très-peu de terres argileuses qui ne se bonifient par ce moyen.

Quand la terre dont on dispose est pure et qu’elle a subi l’influence de l’air et des gelées, on se contente de la corroyer avant de la mettre en œuvre. Pour cela on la divise en fragments, et on la fait tremper pendant un ou deux jours dans une fosse plus ou moins profonde ; puis on la porte dans l’appareil nommé malaxeur, ou tonneau mélangeur, dans lequel le corroyage doit s’effectuer.

Fig. 503. — Coupe d’un tonneau mélangeur.

Cet appareil (fig. 503) se compose d’une caisse prismatique, AB, munie, à son centre, d’un arbre vertical, CD, autour duquel sont étagées des lames de fer, F, F, assemblées perpendiculairement à l’arbre. Quand l’arbre est mis en mouvement par un manége, par une chute d’eau, ou par une machine à vapeur, la terre comprimée descend, et sort par une ouverture pratiquée à la partie inférieure du tonneau.

Un couteau horizontal, G, situé au bas de cet arbre, sert à racler le fond de la caisse, et à empêcher la terre d’y séjourner. À l’extrémité supérieure de l’arbre CD, dont on n’a pu représenter qu’une partie sur la figure, s’adapte un levier auquel on attelle les chevaux si c’est à la force des chevaux qu’on a recours comme moteur.

Avec cet appareil les matières qui doivent concourir à la composition de la pâte argileuse sont parfaitement mélangées, divisées et comprimées. Avec deux chevaux, on peut préparer chaque jour la matière nécessaire à la fabrication de 20 000 petits tuyaux environ.

Quand on n’a pas de tonneau mélangeur, on peut faire marcher, c’est-à-dire piétiner le mélange des terres, par les ouvriers, comme on le fait encore dans quelques tuileries.

Les terres destinées à la fabrication des tuyaux, ne doivent renfermer aucun gravier de plus de 0m,001 à 0m,002 de diamètre. Avant de procéder au corroyage des terres dans l’appareil qui vient d’être décrit, on est donc souvent obligé de les épurer. Pour les sables et les terres franches assez maigres, et même quelquefois pour certaines argiles qui s’émiettent par la gelée et qu’on écrase ensuite facilement, il suffit de les faire passer à travers une claie de fer très-serrée.

On se débarrasse économiquement des graviers que peut contenir la terre, en les brisant à l’aide d’un appareil usité en Angleterre, mais peu employé en France. Il se compose de deux cylindres en fonte horizontaux tournant en sens contraire et surmontés d’une trémie dans laquelle est placée la terre légèrement humide qui doit passer entre les deux cylindres. Les graviers sont brisés entre ces cylindres, la terre en sort en feuillets minces et forme une masse assez homogène qui, corroyée et condensée dans le malaxeur, est propre à être mise en œuvre.

Fig. 504. — Élévation latérale d’un broyeur à cylindres.
Fig. 505. — Vue de face d’un broyeur à cylindres.

Les figures 504, 505 représentent le broyeur de graviers ou moulin d’argile. Les cylindres en fonte a, a′ (fig. 504) ont 0m,90 de longueur environ et 0m,36 de diamètre ; leurs axes en fer tournent dans des coussinets à l’aide de vis, c, c′. Le cylindre, a, porte, à ses extrémités, deux rebords saillants, qui s’opposent au déplacement longitudinal de l’autre cylindre. AD est la trémie en bois, dans laquelle on met l’argile. Elle est maintenue au-dessus des cylindres par les tiges e, e (fig. 505), fixées au bâti en fonte f par des boulons. Ce bâti est consolidé par un tirant en fer gg (fig. 504), et repose sur un cadre rectangulaire en charpente. La surface des cylindres est débarrassée de la terre qu’ils entraînent dans leur mouvement par deux forts couteaux en fer, placés à leur partie inférieure.

Les arbres des cylindres portent à l’extrémité opposée à celle représentée par la figure 504 des roues dentées de même diamètre, engrenant l’une avec l’autre ; de sorte que le mouvement imprimé au premier cylindre se transmet au second, et qu’ils tournent ainsi en sens contraire avec des vitesses égales.

L’axe de l’un des cylindres est ordinairement réuni à l’arbre moteur du manége par un genou à la cardan ; le manége ayant 7m,05 de diamètre, cet arbre moteur fait environ deux tours quand le cheval en fait un.

On place ordinairement les cylindres à 1m,80 ou 2 mètres au-dessus du sol, pour faciliter le service de l’enlèvement des terres.

Le produit journalier du moulin dépend de l’écartement des cylindres et de la nature de la terre. Dans les circonstances ordinaires, un moulin à un cheval fournit, par jour, l’argile nécessaire à la fabrication de 18 000 à 20 000 petits tuyaux. Nous devons dire cependant que ce moulin à argile est peu répandu.

Souvent on effectue la séparation des graviers dans le tonneau mélangeur lui-même (fig. 503), en plaçant à son fond une grille qui retient ces graviers, au moment où le mélange des terres va en sortir. Dans d’autres machines, on place ces argiles au-dessus du tonneau mélangeur, de sorte que la terre est déjà débarrassée des graviers avant de s’introduire dans cet appareil.

Passons aux machines mêmes qui servent à fabriquer les tuyaux.

Exercer sur la pâte, une compression, qui la force à passer à travers une ouverture percée dans une plaque, de manière à figurer le tuyau à obtenir, en d’autres termes à travers un moule métallique, tel est le principe de toutes les machines à fabriquer les tuyaux de drainage.

On peut diviser ces machines en deux catégories : les machines à action intermittente et les machines à action continue. Dans tous ces appareils, la terre est poussée à travers les moules, par deux cylindres lamineurs, qui la compriment.

Le principe commun des machines intermittentes les plus usitées, est de faire avancer, à l’aide d’une crémaillère, mue par un engrenage, un piston dans l’intérieur d’une boîte, dont la face opposée au piston porte le moule. Aussi les nomme-t-on généralement machines à piston.

Nous décrirons, à titre d’exemple, une machine recommandée par M. Hervé Mangon dans ses Instructions pratiques sur le drainage, et qui peut être considérée comme le type de ce genre d’appareils. On peut l’employer avantageusement quand on ne veut faire annuellement qu’une petite quantité de tuyaux, et un grand propriétaire pourra s’en servir quand il voudra fabriquer lui-même les tuyaux nécessaires au drainage de ses terres. Elle se compose (fig. 506 et 507) d’une caisse en fonte, aa, d’une capacité d’environ 34 litres, dans laquelle se meut horizontalement un piston, c, dont la tige est une crémaillère de fer. Cette tige se meut à l’aide de la manivelle M qui met en action un système de roues dentées et de pignons propres à multiplier l’effort du moteur. La caisse est fermée par un couvercle b qui glisse dans des rainures longitudinales.

Fig. 506. — Coupe en long d’une machine à fabriquer les tuyaux de drainage.
Fig. 507. — Vue de face d’une machine à fabriquer les tuyaux de drainage.

La paroi antérieure de la caisse est fermée par une plaque de fonte, percée d’un nombre variable de trous, semblables au contour extérieur des pièces que l’on veut mouler, et portant chacun, en son centre, un noyau en fonte, dont la forme est appropriée au contour intérieur de ces mêmes pièces. Cette plaque de fonte constitue le moule, ou filière. La figure 509 montre, à une plus grande échelle, la face d’une filière à quatre trous propre à faire des tuyaux à section circulaire.

Fig. 508, 509. — Filière à quatre trous.

Revenons à la machine elle-même. On voit en avant de la caisse aa (fig. 506) une table horizontale AB, composée de plusieurs toiles sans fin, portées sur de petits rouleaux de bois très-mobiles. En sortant de la filière, les tuyaux viennent se placer d’eux mêmes sur cette table. Par-dessus la toile mobile sont des archets i, i, i, garnis chacun d’un fil de laiton propre à couper les tuyaux à la longueur voulue. Ils sont fixés sur une barre de bois longitudinale et pouvant s’abaisser lorsqu’on tire de haut en bas la tringle de bois E. |fs=80%}}

Pour manœuvrer cette machine, il faut deux hommes et trois enfants. Un homme projette avec force, la terre préparée, dans la caisse, préalablement ouverte, de manière à la tasser, et à expulser l’air autant que possible. Puis, il ferme la boîte, et met le piston en mouvement, à l’aide de la manivelle qui fait marcher la grande roue. La terre ainsi comprimée s’échappe par les ouvertures de la lunette. Les tuyaux tombent sur les toiles sans fin de la table AB, auxquelles ils communiquent le mouvement par leur simple poids, et s’avancent jusqu’au bout de la table sans se déformer. Là, on abaisse les archets propres à les couper, et on les relève aussitôt. Le mouvement du piston recommence jusqu’à ce qu’il soit arrivé au bout de sa course.

L’appareil à moulage est porté sur deux roues glissant sur un rail, afin de faciliter son mouvement de déplacement, quand il s’agit de le rapprocher ou de l’éloigner de la table qui porte les rouleaux.

Toutes les pièces moulées sont successivement enlevées par des enfants qui les soulèvent, en introduisant à l’intérieur de ces tuyaux, des baguettes de bois, au nombre de trois ou quatre, portées sur un même manche, et qui forment une sorte de râtelier (fig. 510 et 511).

Fig. 510, 511. — Élévation et plan d’un râtelier pour l’enlèvement des tuyaux frais.

Les tuyaux sont déposés, en cet état, sur des rayons, qu’on transporte au séchoir dès qu’ils sont remplis.

Pour nettoyer la machine que nous venons de décrire, on se sert d’une curette que représentent les figures 512 et 513.

Fig. 512, 513. — Curette vue de côté et en élévation.

Avant de décrire le séchoir et de parler de la cuisson des tuyaux, il est nécessaire de dire quelques mots de la fabrication, par la même machine, des colliers de raccordement.

Fig. 514. — Planche à couper les colliers.

Pour préparer les colliers, on commence par mouler des tuyaux à peu près de la longueur ordinaire et d’un diamètre convenable. On les laisse sécher en partie et on les roule sur une planche de bois qui est garnie de deux lames d’acier faisant saillie (fig. 514) et qui sont espacées entre elles de la longueur que l’on veut donner au collier. Le tuyau se trouve ainsi divisé en tronçons, qui n’ont entre eux qu’une assez faible adhérence. On les sèche et on les cuit comme les autres. Après le défournement, il suffit d’un coup sec, donné au point de séparation, pour détacher les tronçons du tuyau et obtenir les colliers.

Les ouvertures circulaires que doivent présenter les tuyaux destinés à former les raccordements, sont exécutées à la main, sur les tuyaux à moitié desséchés, par des enfants munis d’un patron et d’un petit couteau avec lequel ils découpent la terre argileuse.

La machine que nous venons de décrire, confectionne à la fois quatre tuyaux de 0m,025 de diamètre, et peut donner 9 000 tuyaux en dix-huit heures de travail. Mais avec cet appareil, on perd tout le temps nécessaire pour reculer le couvercle, remplir la caisse, la refermer et enlever les bavures. Pour supprimer, ou au moins pour réduire ce temps d’arrêt, on a imaginé de construire une machine du même système, mais munie de deux caisses et de deux pistons. Quand un des pistons est parvenu au bout de sa course, les ouvriers font tourner la manivelle en sens inverse : le premier piston rétrograde, et l’autre agit sur la terre contenue dans la seconde caisse. Pendant ce temps, l’ouvrier qui doit alimenter la machine recule le couvercle de la caisse vide, et à mesure que le piston rétrograde, jette de la terre dans la caisse, qui se trouve pleine quand ce même piston est revenu à son point de départ, et que le piston qui a travaillé est arrivé au bout de sa course. On referme le coffre, et le travail recommence. Avec cette machine, on peut fabriquer 12 086 tuyaux par jour.

Si la terre qu’on emploie n’a pas besoin d’être épurée, le moulage de 1 000 tuyaux reviendra à 70 centimes ; si la terre est impure et qu’on procède à l’épuration avec les deux caisses à la fois, la main-d’œuvre reviendra à 1f,20 pour 1 000 tuyaux ; si on fait des tuyaux d’un côté et qu’on épure la terre de l’autre, la main-d’œuvre sera de 1f,14 pour le même nombre de tuyaux.

La machine que nous venons de décrire est excellente, quand on ne veut faire annuellement qu’une faible quantité de tuyaux. Mais quand on veut en fabriquer un nombre considérable, il est bon d’employer la machine de Clayton, dont la construction est ingénieuse, la marche régulière, le travail excellent et économique. Elle est disposée de manière à produire l’épuration des terres, en même temps qu’à fabriquer les tuyaux.

Cette machine se compose de deux cylindres en fonte, qui reçoivent la terre et servent alternativement au travail. Ils sont ouverts par les deux bouts et reliés à un arbre vertical, autour duquel ils peuvent tourner. De plus une pédale sur laquelle s’appuie cet arbre, permet de les soulever séparément.

La tige du piston qui presse la terre est reliée en haut, à une pièce de fer, munie de branches verticales qui se terminent inférieurement en crémaillères, sur lesquelles agissent des pignons auxquels le mouvement de la manivelle est transmis par un système de roues dentées. La face antérieure de la caisse en fonte reçoit le moule, et la table recouverte de toiles sans fin portées par des rouleaux en bois sert à supporter les tuyaux que les archets coupent à la longueur voulue.

Voici comment fonctionne cet appareil. Tandis qu’un ouvrier fait descendre le piston dans le cylindre, pour comprimer la pâte, un autre ouvrier remplit le cylindre avec de l’argile qu’il tasse fortement. Quand le piston est arrivé au bas de sa course, on découvre une petite ouverture, pour permettre à l’air de rentrer dans le cylindre ; puis quatre tours de manivelle suffisent pour ramener le piston au haut de sa course. Cela fait, l’ouvrier qui se tient à l’arrière, agissant successivement sur les pédales, amène le premier cylindre sur une table, dans une position analogue à celle qu’occupait le second cylindre, et poussant ce dernier cylindre au-dessus de la plaque d’assise, le laisse descendre et l’y assujettit à la place du premier. Pendant qu’on fait de nouveau descendre le piston, l’ouvrier remplit le cylindre qu’il substituera tout à l’heure, de la même manière, au cylindre précédent quand celui-ci sera vide. Des aides manœuvrent l’appareil à couper les tuyaux, les enlèvent et les transportent au séchoir. Le travail marche presque sans interruption.

Avec cet appareil on peut faire 14 280 tuyaux en dix heures de travail.

Cette machine jouit d’un autre avantage précieux pour l’épuration des terres et la fabrication des tuyaux d’un diamètre assez considérable, c’est qu’on peut la faire travailler verticalement.

Un ouvrier se tient assis près de la machine, pour recevoir les tuyaux. Au moment où les tuyaux commencent à sortir, il y introduit un mandrin, et le laisse descendre jusqu’à ce que la poignée repose sur la plaque, et quand ils touchent au rebord de cet appareil, on les coupe avec un fil de laiton. Les tuyaux de 0m,06 et 0m,08 de diamètre seuls sont fabriqués verticalement.

Les machines à action continue ne peuvent se répandre autant que celles dont nous venons de parler, parce qu’elles ne pourraient pas travailler avec toute espèce de terre. Cette classe de machines comprend trois types principaux, dont nous donnerons successivement des exemples.

La machine d’Ainslie est la première qui ait été importée en France. Elle se compose de deux cylindres en fonte, placés horizontalement l’un au-dessus de l’autre, auxquels on peut imprimer, à l’aide d’un système convenable d’engrenages, un mouvement de rotation en sens contraire.

L’argile déposée sur une toile sans fin légèrement inclinée, est entraînée par le laminoir, et conduite dans une boîte carrée, qui porte la filière. Cette boîte est bientôt remplie. À mesure qu’une nouvelle quantité de terre y arrive, une égale quantité en sort, et se moule en tuyaux en passant par la filière. Comme dans les machines précédemment décrites ces tuyaux glissent sur une toile sans fin, soutenue par des rouleaux en bois très-mobiles ; on les coupe à la longueur voulue et on les porte au séchoir.

Dans le deuxième type de ces machines l’argile est poussée à travers le moule par un malaxeur qui triture en même temps la terre. Un modèle de ce genre nous est offert par la machine de Franklin, qui peut être considérée comme offrant une réalisation assez heureuse des principes dont MM. Murruy et Etheridge avaient tenté l’application. Elle a été introduite d’Angleterre en France, par M. Mergez.

On jette la terre dans la partie supérieure du cylindre, où elle est d’abord broyée par des couteaux. Un piston la force ensuite à descendre, et à passer, sous forme de tuyaux, par la seule issue qui lui soit ouverte, c’est-à-dire par les filières. Glissant sur les rouleaux de la table sans fin, les tuyaux sont coupés à la longueur voulue, par des fils de fer tendus sur des arcs. Le système est mis en mouvement par des chevaux attelés aux extrémités des brancards. Il paraît qu’on peut faire avec cette machine 10 000 à 12 000 tuyaux par jour. Elle coûte de 800 à 1 000 fr.

Le troisième type dans lequel des vis sans fin exercent sur la terre la pression nécessaire pour lui faire prendre la forme désirée est représentée par la machine remarquable, mais compliquée, que MM. Randell et Saunders avaient envoyée à l’Exposition universelle de Londres, en 1851. Nous ne ferons qu’en donner ici un rapide aperçu.

La terre est mise dans une trémie qui surmonte la caisse de la machine. Elle descend dans cette caisse, sur les parois de laquelle deux filets de vis courant l’un à droite et l’autre à gauche, s’adaptent exactement. Charriée en avant par l’action combinée de ces vis, la terre passe enfin au travers du moule, sur une toile sans fin tendue sur des rouleaux, qui tournent sous la pression même de l’argile. Les tuyaux sont coupés spontanément, c’est-à-dire sans l’intervention de la main, par un appareil très-compliqué.

Cette machine convient surtout dans les circonstances qui permettent d’employer la vapeur comme force motrice, et dans une grande fabrique. Quand elle fonctionne avec une force de deux chevaux, elle produit 1 800 tuyaux de 0m,05 de diamètre par heure. Elle coûte près de 1 000 francs en Angleterre. Elle a été importée en Belgique et en France.

Comme toutes ces machines ne sont qu’à l’usage des fabricants, il serait inutile d’en donner les figures détaillées.

Nous terminerons cette rapide excursion dans le domaine des machines à étirer les tuyaux, par la description du plus simple et du plus économique de ces appareils. Il a été inventé par M. Kielmann, directeur de l’École agricole de Kassenfelde, dans la province de Brandebourg (Prusse). Cette machine fut arrêtée longtemps par la douane française, qui demandait des droits exorbitants. C’est M. Barral qui, averti officieusement et après avoir payé tout ce qu’on lui demandait, put la retirer et la faire connaître. Nous emprunterons à ce savant agronome la description de la machine dite à 40 francs qu’il a légèrement modifiée.

« Qu’on imagine, dit M. Barral, une simple caisse en bois divisée en deux compartiments. Dans le compartiment d’arrière s’élève un montant vertical traversé par deux barres boulonnées à une extrémité et serrées à l’autre extrémité par des écrous. La caisse est ainsi fixée sur le bâti qui doit la supporter. Nous plaçons simplement ce bâti par terre et nous attachons par une corde le montant d’arrière à un arbre, à un pieu, à un pilier. Le compartiment d’avant est le réservoir à glaise, présentant sur la face antérieure un orifice dans lequel on assujettit la filière voulue avec un simple boulon, à un piston de bois dont la tige est articulée avec un levier dont l’extrémité tourne autour d’un axe fixé en haut du montant d’arrière et doit exercer la pression nécessaire. Lorsque la caisse est pleine d’argile, on enfonce le piston en appuyant à l’autre extrémité du levier, et les tuyaux sortent moulés sur une table garnie de rouleaux. On relève le piston, on le fait sortir de la boîte, on tasse de nouveau l’argile, on replace le piston à l’orifice de la boîte, on appuie de nouveau sur le levier, et ainsi de suite. Lorsque la file de tuyaux est arrivée au bout de la table, on abat un châssis qui tient tendus des fils de laiton, et on la coupe en bouts de la longueur usuelle[11]. »

Cette machine, dont une expérience de quelque durée pourra seule établir l’utilité, est peut-être destinée à former le véritable outil du petit draineur.

Séchage des tuyaux. — Le séchage des tuyaux, se fait généralement sous des hangars couverts. On dispose les tuyaux à plat, les uns à côté des autres, sur des étagères, s’ils ne sont pas d’un trop grand diamètre. Mais s’ils atteignent par exemple le diamètre de 8 centimètres, il vaut mieux les sécher debout, de crainte des déformations.

Fig. 515. — Coupe en travers d’un séchoir à tuyaux.
Fig. 516. — Élévation latérale d’une portion de séchoir à tuyaux.

Les figures 515 et 516 représentent un séchoir établi d’après le système de M. Mangon. La charpente se compose de planches réunies par des voliges recouvertes de papier goudronné. Un hangar ainsi construit ne revient pas à plus de 4 à 5 francs le mètre carré, et dure une douzaine d’années.

Les étagères sont disposées sous ce hangar, de manière à laisser entre elles un passage suffisant pour le transport des tuyaux. Au milieu se trouve ménagée une large travée, dans laquelle on fabrique les tuyaux. On fait avancer la machine au fur et à mesure du remplissage des étagères, pour que le transport des tuyaux fraîchement moulés, soit le moindre possible.

Fig. 517, 518. — Vue de face et vue latérale d’une étagère de séchoir.

Les étagères qui sont placées sous ce hangar pour recevoir les tuyaux sont représentées à part (fig. 517, 518). Les pièces verticales qui supportent les traverses horizontales sont enfoncées dans le sol de manière à donner au système une stabilité suffisante. On les place à une distance de 1m,50 à 3 mètres les unes des autres.

Les séchoirs doivent être protégés du côté du vent par des nattes de paille ou des toiles, que l’on déplace suivant le besoin et l’état d’avancement de la dessiccation.

Pendant le séchage, on doit retourner de temps en temps les tuyaux, en les changeant de place.

Pour une fabrication peu importante ou momentanée, on peut sécher très-économiquement en employant de simples claies en bois blanc.

On met deux rangées de petits tuyaux à plat sur les claies, et on place celles-ci les unes au-dessus des autres. On recouvre chaque pile de claies avec une petite toiture en planches. M. Leclerc nous dit qu’en Belgique, en employant ce procédé, on peut, avec une somme inférieure à 250 francs, établir des claies et des toitures en nombre suffisant pour recevoir et abriter 10 000 tuyaux du plus petit calibre.

La durée du temps nécessaire au séchage varie avec l’état de l’atmosphère. Tantôt il faut attendre cinq jours pour cuire les tuyaux, tantôt on peut les cuire le lendemain même du moulage.

Il est une opération très-importante à exécuter pendant le séchage des tuyaux : c’est le roulage, que l’on fait à une certaine époque de la dessiccation. Les tuyaux doivent, en effet, être roulés, pour les rendre plus denses, en polir l’intérieur, et leur rendre la forme circulaire, qu’une cause quelconque a pu leur faire perdre plus ou moins. Cette opération régularise la forme des tuyaux, en faisant disparaître les déformations qui se sont produites pendant le séchage.

On roule les tuyaux quand ils ne sont pas encore assez secs pour se crevasser sous l’action du rouleau, ni encore assez humides pour se déformer de nouveau. Ce moment délicat à saisir exige beaucoup de tact et d’habitude de la part de l’ouvrier chargé de cette partie du travail.

Voici, d’ailleurs, comment on y procède. Quand les tuyaux paraissent arrivés au degré de dessiccation voulu, on les roule, un à un, sur une pierre plate. Pour n’avoir pas à transporter une masse aussi embarrassante, on fait voyager la pierre en la plaçant sur une brouette, que l’on transporte successivement dans les diverses parties du séchoir. La figure 519 montre comment la pierre plate est posée sur la brouette.

Fig. 519. — Table mobile pour rouler les tuyaux.

Quant aux petits tuyaux, on se contente de les rouler entre la pierre dont on vient de parler et une planche rectangulaire, à peu près de même dimension, garnie de deux poignées sur sa face supérieure.

On procède autrement pour les tuyaux d’un plus gros calibre. On fait entrer librement un cylindre en bois (fig. 520), et on les roule sur la pierre plate, en saisissant avec les deux mains les extrémités du cylindre en bois qui dépassent le tuyau de terre.

Fig. 620. — Cylindre pour le roulage des gros tuyaux.

Cette opération du roulage est indispensable, nous le répétons, pour obtenir des tuyaux de forme très-régulière.

Cuisson des tuyaux. — Nous arrivons enfin au terme de la fabrication des tuyaux, c’est-à-dire à leur cuisson. On sait que la cuisson d’une poterie détermine la combinaison chimique des diverses substances qui sont seulement mélangées dans la pâte. Sous l’influence de la chaleur, il se forme des combinaisons nouvelles, sur lesquelles les agents atmosphériques et l’eau n’ont plus d’action. Les éléments essentiels des poteries sont l’acide silicique et l’alumine ; secondairement, et en petite proportion, l’oxyde de fer, la magnésie, la potasse, la soude et l’oxyde de manganèse. L’acide silicique et l’alumine se combinent, sous l’influence de la chaleur, et le silicate d’alumine, dur, infusible, ne se désagrégeant pas au sein des liquides, constitue nos poteries ordinaires. La même chose se passe dans la cuisson des tuyaux.

Le degré de la cuisson exerce une grande influence sur la qualité des tuyaux de drainage. Quand ils ne sont pas assez cuits, ils restent tendres, terreux, sans sonorité, se délitent, s’effritent et se désagrègent par l’action de l’eau. Si, au contraire, le feu a été trop longtemps soutenu, la pâte se calcine, se vitrifie, et peut même entrer en fusion. La chaleur la plus convenable pour la cuisson des tuyaux, varie du rouge sombre à un rouge très-vif. Nous avons déjà dit que, quand ils sont bien cuits, les tuyaux doivent rendre un son clair, si on les frappe l’un contre l’autre.

Les fours ordinaires des tuiliers pourraient servir à la cuisson des tuyaux de drainage ; mais elle se fait généralement dans des fours en maçonnerie. On cuit les tuyaux au bois, à la tourbe, ou au charbon de terre. On règle la capacité des fours d’après le nombre des tuyaux que l’on veut y mettre, en comptant qu’il entre environ 1 200 tuyaux de 0m,025 de diamètre par mètre cube. Il est des fours à briques en usage chez les tuiliers et les briquetiers, qui sont excellents pour la cuisson des tuyaux. Tel est le four de Saint-Meuge (Vosges), décrit par M. Brongniart dans son Traité des arts céramiques. Les tuyaux sont placés verticalement sur des voûtes faites en briques qui forment berceau au-dessus des foyers et laissent des interstices pour la circulation de la flamme. Une voûte qui recouvre le four supporte au milieu la cheminée.

Les fabricants de tuyaux de drainage emploient généralement des fours à coupole.

Fig. 521. — Coupe en travers du four à coupole.
Fig. 522. — Plan et coupe horizontale d’un four à coupole.

Les figures 521 et 522 données par M. Mangon dans ses Instructions pratiques représentent le four dont il s’agit. On ne voit pas sur ces figures les carneaux construits dans le prolongement des alandiers, ni le parquet en briques placé au-dessus des carneaux qui composent les conduits de la flamme, parquet sur lequel on place ces tuyaux. Ces détails ne diffèrent pas des parties analogues des fours à tuiles ordinaires, dont tous les ouvriers briquetiers connaissent parfaitement la disposition.

Ce fourneau est en briques communes, garni intérieurement d’argile réfractaire. Quelques fourneaux sont même entièrement en terre et construits d’une manière analogue aux ouvrages en pisé.

On place le combustible sur les grilles des alandiers disposés à la circonférence du four. Des conduits pratiqués dans le prolongement des alandiers, conduisent les gaz résultant de la combustion, sous un parquet de briques sèches disposées en échiquier. C’est sur ce parquet qu’on place les tuyaux verticalement les uns au-dessus des autres.

On peut cuire à la fois, dit M. Mangon, dans un four de cette espèce, 30 à 35 000 tuyaux de 0m,045 de diamètre extérieur, disposés verticalement les uns au-dessus des autres. La cuisson dure trente-trois à trente-quatre heures, et consomme 3 à 4 tonnes environ de houille de qualité moyenne.

On défourne vingt-quatre ou trente-six heures après l’extinction du feu, en démolissant la cloison légère établie, après l’enfournement, dans la porte ménagée dans la paroi du four.

Deux fours semblables au précédent suffisent pour cuire le produit de la fabrication d’un bon tonneau broyeur et de deux machines analogues à celle qui est représentée par les figures 506 et 507.

En supprimant les grilles et en modifiant légèrement la forme des alandiers, on peut employer dans le four précédent du bois ou des fagots, au lieu de houille.

M. Barbier avait envoyé à l’Exposition universelle de 1855, le modèle d’une fabrique de tuyaux pouvant livrer chaque jour 10 000 tuyaux.

Le système de cuisson des tuyaux de M. Barbier, dit M. Barral, est fondé sur l’emploi d’un foyer mobile qui porte successivement la chaleur dans toutes les parties de la masse à cuire et sur l’action continue des gaz qui traversent les produits sur une grande longueur, et dont la température décroît à mesure qu’ils s’éloignent du foyer. Ces gaz cuisent ainsi les tuyaux en même temps qu’ils essaiment et préparent les autres progressivement. Il se prête à une grande variété de plans, selon les exigences de l’emplacement de la matière à cuire et du combustible disponible. Il a pour type, quel que soit le plan qu’on adopte, deux canaux horizontaux et parallèles dont l’un forme le four, l’autre une cheminée. Il consiste en une série continue de laboratoires à petite section, disposés à la suite les uns des autres, selon une directrice horizontale, ayant chacun une embouchure destinée à recevoir la tuyère du foyer, et communiquant d’une part entre eux, et d’autre part avec une cheminée horizontale qui leur est adossée et qui communique à son tour avec une ou plusieurs cheminées verticales. Il est surmonté d’un séchoir qui utilise toute la chaleur rayonnée par les parois. L’axe général de tirage est horizontal. Le foyer construit à volonté pour le bois, la tourbe ou la houille vient se présenter successivement devant chaque laboratoire, y séjourne le temps nécessaire pour cuire les produits qu’il contient et fait ainsi d’une manière continue le tour de l’appareil. Il est monté sur un double système de railways superposés : le système supérieur permet de l’engrener et de le désengrener ; le système inférieur lui fait accomplir sa rotation autour du four[12]. »

Réduire à ses dernières limites la dépense du combustible, graduer avec précision l’échauffement et le refroidissement des produits ; cuire uniformément les tuyaux, en les soumettant presque isolément à l’action des gaz ; opérer le moulage et le séchage en tout temps et en toute saison ; obtenir par une action continue une production considérable et économique : tel est le problème que semble avoir résolu M. Barbier avec l’appareil ci-dessus décrit. Un four construit à Troyes, dans ce système, mais d’une manière provisoire, cuit 5 000 tuyaux de drainage par vingt-quatre heures et a coûté 350 francs.

Nous indiquerons enfin le mode de construction d’un four économique, dit four de campagne qui peut contenir 30 000 tuyaux de petit calibre, qui ne coûte à établir qu’environ 150 francs, et peut servir pendant plusieurs campagnes, si l’on a soin de le garnir de fagots ou de litière, pour le protéger contre les pluies et les gelées de l’hiver.

Pour construire un de ces fours, on fait autour de l’emplacement qu’il doit occuper, une tranchée de 1m,20 de largeur et autant de profondeur. La terre déblayée sert à construire les parois du four dont le dessus demeure ouvert. Il y a quatre foyers qui débouchent dans la tranchée et dont la construction nécessite environ douze cents briques ordinaires. Dans le cas où l’on veut cuire à la houille, il faut garnir les alandiers de grilles de fer.

Les figures 523 et 524, en coupe et en élévation, représentent ce four de campagne.

Fig. 523. — Coupe et élévation du four de campagne en terre.
Fig. 524. — Four de campagne en terre.

Ce four est circulaire, il a 3m,30 de diamètre et 2m,15 de hauteur environ. La terre qui forme les murs, peut être prise dans une tranchée de 1m,20 ouverte au pied du fourneau, et dans laquelle débouchent les alandiers, au nombre de trois quand on consomme du bois, et de quatre, si l’on employait de la houille. Il entre environ 1 200 briques dans la construction de ces parties du fourneau.

Le four précédent donne une cuisson moins égale que le four à coupole. Les tuyaux placés à la partie supérieure doivent toujours être passés au feu une seconde fois.

M. Mangon fait encore connaître les détails d’un petit four qu’il recommande comme très-commode et très-économique.

Les figures 525, 526, 527 donnent les détails de construction de ce petit four. Ces figures n’exigent aucune explication particulière.

Fig. 525. — Coupe d’un four à tuyaux.
Fig. 526. — Coupe longitudinale d’un four à tuyaux.
Fig. 527. — Plan suivant les lignes ab, cd, de la figure 526.

Ordinairement, on réunit deux, ou mieux quatre fours semblables, autour d’une même cheminée.

Dans ce dernier cas, il y en a toujours deux en feu pendant que l’on charge, que l’on décharge ou que l’on répare les deux autres. Un seul chauffeur à la fois suffit pour les diriger.

Chacun de ces fours peut contenir 8 à 12 000 tuyaux. La consommation en combustible, par mètre de tuyaux cuits, n’est que peu supérieure à celle des fours à coupole. Mais ceux-ci sont plus faciles à conduire et donnent, à soins égaux, une cuisson plus régulière.


CHAPITRE IX

conclusion.

Nous venons d’exposer aussi complétement que nous l’avons pu les procédés d’exécution de la méthode moderne d’assainissement des terres. Le moment est venu de porter un jugement motivé sur cette intéressante invention de notre siècle.

Le drainage avait peut-être été trop vanté à l’époque de son introduction en France, c’est-à-dire vers 1856. Les espérances conçues à cette époque, ne se sont pas, tant s’en faut, réalisées. Les sommes offertes par le gouvernement pour les travaux d’assainissement, sont restées à peu près sans emploi, faute de demandes. Mais les propriétaires ont mis cette méthode à exécution à leurs frais, sur d’assez grandes étendues de terrain, et l’expérience générale qui a été faite dans notre pays, est venue fixer les opinions à cet égard.

Il en a été du drainage, comme de beaucoup d’innovations, que l’on a voulu à tort généraliser avant d’en avoir bien apprécié les effets dans tous les pays. Le drainage est une admirable méthode pour assainir les terres humides, dont le sous-sol, trop compacte, retient les eaux et les laisse séjourner trop longtemps dans la couche de terre arable. Mais en ce qui concerne notre pays, un fait domine toute la question. C’est qu’une grande partie du sol de la France, loin d’avoir besoin d’être drainée, ou assainie, n’a pas d’humidité suffisante, se dessèche en peu de jours, et demanderait des pluies fréquentes, qui lui manquent trop souvent, surtout dans nos régions méridionales, où des sécheresses de plusieurs mois consécutifs sont un fait très-ordinaire.

Hors le cas particulier où la terre végétale repose immédiatement sur un fond d’argile, le sous-sol de nos terres arables constitue presque partout un drainage naturel excellent. La craie, les sables siliceux, les roches calcaires, plus ou moins divisées et fendillées, qui forment la plus grande partie du sous-sol de la France, sont d’excellents conducteurs des eaux pluviales, et se laissent pénétrer sans difficulté par ces eaux.

Le propriétaire français, surtout dans nos départements du Midi, devra donc agir avec prudence, et ne pas céder à un entraînement irréfléchi. Il évitera de faire des frais inutiles sur des terres naturellement saines, ou même trop promptes à se dessécher. Sans doute le drainage, comme on l’a dit, ne peut jamais nuire ; si les terres ne renferment pas d’humidité surabondante, il arrivera tout simplement qu’aucun écoulement n’aura lieu par les tuyaux des drains ; mais une dépense de 200 francs par hectare, ne doit pas être faite légèrement, et sans qu’il soit démontré qu’elle est vraiment nécessaire à l’amélioration des fonds.

fin du drainage.
  1. « Si locus humidus erit, abundantia uliginis ante siccetur fossis. Earum duo genera cognovimus, cœcarum et patentium. Opertæ rursus obcœcari debebunt sulcis in altitudinem tripedaneam depressis, qui, cum parte dimidia lapides minutos vel nudam glaream receperint, operientur superjecta terra quæ fuerat effossa. Vel si nec lapis erit vel glarea, sarmentis connexus velut funis informabitur in eam crassitudinem, quaro solum fossæ possit angustæ, quasi accommodatam coarctatamque, capere. (Col., lib. II, cap. ii.)
  2. 3e édition, 1652.
  3. 2e édition, 1856-1860, 4 volumes in-18.
  4. Drainage des terres arables, t. Ier.
  5. Traité de drainage, ou Essai théorique et pratique sur l’assainissement des terres humides. Paris, 1856, in-18.
  6. Instructions pratiques sur le drainage, page 130.
  7. Journal d’agriculture pratique, 1851, et Barral, Drainage des terres arables, t. II, p. 347.
  8. Voir la description de ce remarquable système dans l’ouvrage de M. Barral, Drainage des terres arables, t. II, pages 359 et suivantes.
  9. Traité de drainage, ou Essai théorique et pratique de l’assainissement des terres, in-18. Paris, 1856.
  10. Instructions pratiques sur le drainage, in-18, 2e édit., p. 82, 85.
  11. Drainage des terres arables, t. I, p. 309.
  12. Drainage des terres arables, t. I, p. 403.