Les Mémoires du Diable/Édition 1858/11

Michel Lévy (tome Ip. 152-182).


PORTRAITS.


XI

LE FARCEUR. — L’EX-NOTAIRE.


Et le Diable, ayant posé ses jambes sur la banquette de devant, répondit :

— Celui-ci s’appelle Ganguernet. C’est un de ces hommes comme chacun en a rencontré une fois dans sa vie, un de ces hommes petits, gros, rebondis, les cheveux portés droits et courts, le front bas, les yeux gris, le nez épanoui, les joues ventrues, le cou dans les épaules, les épaules dans l’estomac, l’estomac dans le ventre, le ventre sur les jambes, roulant, boulant, riant, criant ; un de ces hommes qui vous prennent la tête par derrière en vous disant : Qui çà ? qui vous ôtent votre chaise au moment où vous allez vous asseoir, qui vous tirent votre mouchoir quand vous allez vous moucher ; un de ces hommes, enfin, qui, si vous les regardez d’un air courroucé, vous répondent avec un merveilleux aplomb : Histoire de rire !

Ce monsieur Ganguernet est de Pamiers, où, jusqu’à présent, il a toujours vécu. Il sait tous les tours de son métier de farceur. Il est fort habile à attacher un morceau de viande à la chaîne des sonnettes de porte cochère, afin que tous les chiens errants de la ville viennent sauter après ce morceau de viande et éveillent les domestiques dix fois dans la nuit. Il est très-expert dans l’art de décrocher les enseignes et de les substituer les unes aux autres. Une fois, il enleva l’enseigne d’un coiffeur, la scia, et en ajouta la dernière partie à celle d’un voisin ; il en résulta ceci : M. Roblot loue des voitures et des faux toupets à l’instar de Paris. Un autre jour, ou plutôt une autre nuit, il arracha l’affiche peinte sur bois d’un entrepreneur de marionnettes, la suspendit au-dessus d’une pharmacie, et tout Pamiers put lire le lendemain : M. F…, apothicaire, théâtre de la Foire. M. Ganguernet n’est pas moins aimable à la campagne qu’à la ville. Il sait comment on coupe adroitement les crins d’une brosse dans les draps d’un ami, de manière à ce qu’il devienne furieux de picotements, pour peu qu’il reste un quart d’heure dans son lit. Il perce à merveille une cloison pour y faire passer une ficelle qu’il a fort adroitement accrochée à votre couverture, puis, quand il vous sent dormir, il tire gentiment jusqu’à ce que la couverture soit toute ramassée au pied. On s’éveille transi, car Ganguernet choisit pour ce tour les nuits froides et humides ; on remonte sa couverture, on s’enveloppe soigneusement, on se rendort innocemment, puis Ganguernet retire sa ficelle, vous remet à nu, vous regèle, et, quand on se laisse aller à jurer tout seul, il vous crie par un trou : Histoire de rire ! Si Ganguernet rencontre un niais, une de ces figures qui appellent la mystification, il lui enlève, pendant son sommeil, son pantalon et son habit, rétrécit le tout en le cousant lui-même, puis il vient éveiller la victime, en l’invitant à s’habiller pour aller à la chasse. Le malheureux veut mettre son pantalon et n’y peut plus entrer.

— Bon Dieu ! s’écrie Ganguernet, qu’avez-vous donc, mon cher ? vous êtes tout enflé ? — Moi ? — C’est prodigieux ! — Vous croyez ? — Je ne sais si je me trompe ; mais habillez-vous, nous allons descendre, et chacun vous le dira comme moi. Eh ! sans doute, vous êtes enflé !… C’est une attaque d’hydropisie foudroyante.

Et cela dure tant que Ganguernet n’a pas dit son fameux mot : Histoire de rire !

Au nombre de ses tours, il en est un qui me paraît abominable ; il le fit à un homme qui passait pour brave et qui éprouva une peur horrible. Après s’être couché, ce monsieur sent au bout de son lit quelque chose de froid et de gluant ; il tâte avec son pied, c’est un corps rond allongé ; il y porte la main, c’est un serpent roulé sur lui-même ; il saute à terre en poussant un cri d’effroi et de dégoût, et Ganguernet paraît en s’écriant : « Histoire de rire ! » Il a eu peur d’une peau d’anguille pleine de son mouillé. Ce monsieur, furieux, voulait rompre les os à Ganguernet. Ganguernet lui jeta un immense pot d’eau sur la tête, et s’échappa en criant : « Histoire de rire ! » Les maîtres de la maison, accourus au bruit qui se faisait, calmèrent le mystifié en lui expliquant comment Ganguernet était un charmant garçon, un vaillant boute-en-train dont on ne pouvait se passer sous peine de périr d’ennui, surtout à la campagne.

Prends garde à lui, baron, c’est un de ces êtres insupportables qui passent dans l’existence des autres comme un chien dans un jeu de quilles, en dérangeant de leur patte tous les arrangements de votre joie ou de votre tristesse. Plus insupportables que le chien et plus difficiles à chasser, ils sont aux aguets de tous les sentiments que vous pouvez avoir, de tous les projets que vous pouvez faire, pour les déconcerter par un mot ou une plaisanterie. Ces êtres sont d’autant plus redoutables qu’ils vous exposent à rire de vos plus cruels ennemis et de vos meilleurs amis, ce qui est également délicieux, et que presque toujours ils vous rendent complices, par le plaisir que vous y prenez, des mystifications faites aux autres.

Il en résulte que, lorsqu’ils s’adressent à vous, vous ne trouvez nulle part la pitié que vous n’avez eue pour personne, et qu’on vous laisse seul avec le ridicule de vous en fâcher, s’il est toutefois possible de se fâcher. Parmi les hommes de ce caractère, il y en a quelques-uns que leur vulgarité finit par déconsidérer : ceux-là s’en tiennent au répertoire des farces connues. Passer la tête par le carreau de papier d’un savetier, pour lui demander l’adresse du ministre des finances ou de l’archevêque ; tendre une corde dans un escalier, de façon à faire faire à ceux qui descendent un voyage sur le rein (c’est le mot propre) ; aller éveiller au milieu de la nuit un notaire pour l’envoyer faire un testament très-pressé chez un client qui se porte à merveille, et mille autres farces de cette espèce : c’est le fond du métier, et Ganguernet le sait mieux que personne. Mais il en a inventé quelques-unes pour son compte, et celles-là lui ont fait une réputation colossale.

La seule véritablement spirituelle qu’il ait faite eut lieu dans une maison de campagne où l’on était en assez grand nombre. Parmi les femmes qui s’y trouvaient, Ganguernet avait remarqué une femme de trente ans, fort passionnée pour les élégances parisiennes, et qui préférait à la face empourprée de Ganguernet le pâle visage d’un beau jeune homme passablement niais. Ganguernet avait beau le mystifier aux yeux de la dame ; celle-ci traduisait sa gaucherie en préoccupation poétique, sa crédulité en bonne foi respectable. Un certain soir, tout le monde se retire après une vive apologie du pâle jeune homme, toléré par Ganguernet avec une patience de mauvais augure. Au bout d’une demi-heure, la maison retentit des cris aigus : Au feu ! au feu ! partis du salon du rez-de-chaussée. Chacun s’y précipite, hommes et femmes, à moitié déshabillés ou à moitié rhabillés, comme tu voudras. On entre pêle-mêle, le bougeoir à la main, et l’on trouve Ganguernet étendu sur un fauteuil. Aux questions réitérées qu’on lui fait, il ne répond rien, mais il va prendre solennellement le pâle jeune homme par la main, et, le menant vers la belle dame, il lui dit gravement :

— Je vous présente le cœur le plus poétique de la société en bonnet de coton.

Tous éclatèrent de rire, et la dame ne l’a jamais pardonné à Ganguernet ni au bonnet de coton.

Cependant toutes les farces de cet homme n’ont pas eu pour but une vengeance. L’histoire de rire est le grand principe de ses tours. Avant d’arriver à l’anecdote qui te montrera cet homme sous son véritable aspect, je vais encore te raconter quelques-uns des traits dont il s’enorgueillit le plus. Il demeurait à Pamiers, en face de deux vénérables bourgeois qui occupent seuls une petite maison, leur propriété. Ces graves personnages avaient l’habitude d’aller tous les dimanches dîner et faire une partie de piquet chez un de leurs parents, qui logeait à une assez grande distance ; on y prenait quelque peu de punch, ou bien on y mangeait du millas frit, saupoudré de cassonade ; on arrosait le tout de blanquette de Limoux, de façon que les deux époux rentraient vers onze heures en chantonnant et en trébuchant. Un certain fatal dimanche, ils revenaient cahin-caha chez eux. Ils arrivent devant la porte du voisin et continuent encore l’espace de dix pas, juste la distance qui sépare leur porte de la porte qu’ils viennent de passer. Le mari cherche le passe-partout dans sa poche et le trouve ; il cherche la serrure, plus de serrure.

— Où est la serrure ! s’écria-t-il. — Tu as trop bu de blanquette, monsieur Larquet, lui dit sa femme (il s’appelait Larquet) ; tu cherches la serrure, et nous sommes encore devant le mur du voisin. — C’est vrai, répondit M. Larquet, avançons encore quelques pas.

Ils continuent, mais cette fois ils ont été trop loin ; car, après avoir reconnu la porte du voisin de droite, ils reconnaissent la porte du voisin de gauche. Leur porte est entre ces deux portes. Ils retournent en tâtant le mur, ils arrivent à une autre porte : c’est la porte du voisin de droite. Les deux bonnes gens s’alarment sur l’état de leur raison, ils se croient tout à fait ivres ; ils recommencent leur inspection, et de la porte du voisin de droite ils retombent sur celle du voisin de gauche ; ils trouvent toujours ces deux portes, excepté la leur : leur porte a disparu, qui a pu enlever leur porte ? L’effroi les gagne : ils se demandent s’ils deviennent fous, et craignant le ridicule jeté sur d’honnêtes bourgeois qui ne peuvent retrouver leur porte, ils vont durant une heure, tâtant, inspectant, mesurant ; mais il n’y a pas de porte, il n’y a qu’un mur inconnu, un mur implacable, un mur désespérant. Alors la peur les prend tout à fait ; ils poussent des cris, ils appellent au secours, l’on finit par reconnaître que la porte a été exactement murée et recrépie ; et quand chacun s’informe qui a pu jouer ce tour à d’honnêtes bourgeois, Ganguernet, du haut de sa fenêtre de laquelle il assistait avec quelques fous au spectacle de la désolation de monsieur et de madame Larquet, Ganguernet jeta à la foule son infatigable refrain :

— Histoire de rire ! — Mais ils en feront une maladie ? — Bah ! répète-t-il, histoire de rire !

On pria M. le procureur du roi de modérer l’envie de rire de Ganguernet ; il en eut pour quelques jours de prison, malgré son habile défense, qui consistait à répéter sans cesse : « Histoire de rire ! monsieur le président. »

Malgré sa vanité, Ganguernet ne se fait pas gloire de tous ses tours, et il en est un qu’il a toujours nié, attendu qu’il y a menace de couper les oreilles à son auteur si on parvient à le découvrir. Celui-ci lui avait été inspiré par le mépris qu’on avait fait de sa personne, dans certain salon aristocratique. Il ne s’agissait pas moins que d’une antique dame fort noble qui recevait le plus beau monde de la ville. Entre autres habitudes de vieille race, elle avait conservé : 1o celle de ne point mélanger sa société d’hommes mal nés comme Ganguernet ; 2o d’aller en chaise à porteurs. Elle était venue à un bal, chez le sous-préfet : Ganguernet y avait assisté. Elle en sort vers minuit, portée dans sa chaise et pendant une pluie battante. Au moment où elle arrivait sous une de ces gueules de loup qui versent les eaux du ciel dans la rue en longues cascades bruyantes, deux ou trois coups de sifflet partent à droite et à gauche, et quatre hommes se présentent. Les porteurs se sauvent et abandonnent la chaise ; mais, au moment où la noble dame se croit sur le point d’être assassinée, elle sent une horrible fraîcheur sur sa tête. Le dessus de la chaise avait disparu comme par enchantement, et la gueule de loup versait des torrents de pluie dans l’intérieur de la chaise, dont la propriétaire essayait vainement d’ouvrir la portière. Elle se débat, monte sur le siége, et là, comme le Diable encagé dans une chaire, elle se met à appeler la colère divine sur les assassins qui lui faisaient prendre une douche si cruelle et qui ne répondaient à ses malédictions que par les salutations les plus humbles. Ce qui fut trouvé le plus infâme, c’est que la dame portait de la poudre et que les mystificateurs avaient des parapluies.

À Pamiers, au milieu de toutes les existences mortes ou brutes parmi lesquelles il vit, Ganguernet passe depuis dix ans pour le plus jovial, le plus aimable, le plus amusant de son monde ; à peine en est-il quelques-uns à qui il inspire une sorte de mépris, il en est même qui ont peur de cet homme. Ce rire inamoviblement fixé sur ces lèvres rouges vous fait mal à voir ; cette gaieté implacable mêlée à toutes les choses de la vie doit troubler, autant que peut le faire l’aspect incessant d’un hideux fantôme ; ce mot rebutant qu’il jette comme moralité au bout de toutes ses actions : Histoire de rire ! est souvent aussi sombre que le mot du trappiste : Frère, il faut mourir ! Aussi il devait se trouver un malheur dans l’existence de cet homme ; il s’est nécessairement rencontré une vie qui a péri, parce qu’il a voulu la faire passer sous le fatal niveau de son amusement. Il a fallu qu’il arrivât un jour où ce serait sur une tombe qu’il prononcerait son fameux mot : Histoire de rire !

Il y a trois semaines, M. Ernest de B… invita plusieurs amis à une grande partie de chasse. Ganguernet était du nombre. Au moment où les invités arrivèrent, Ernest achevait une lettre ; il la cacheta et la posa sur la cheminée. Ganguernet, curieux, la prit et lut la suscription :

— Tiens, tu écris à ta belle-sœur ?

— Oui, répondit Ernest indifféremment ; je la préviens que nous irons ce soir, vers sept heures, à son château, lui demander à dîner. Nous sommes quinze, je crois ; et ce serait courir le risque d’un mauvais dîner, si elle n’était pas avertie de bonne heure.

Ernest sonna un domestique, lui remit la lettre, et personne ne s’aperçut que Ganguernet disparut avec le valet. L’on partit. Une fois en chasse, Ganguernet et l’un des chasseurs gagnèrent un côté de la plaine, tandis que les amis battaient l’autre :

— Il y aura de quoi rire ce soir, dit Ganguernet à son compagnon.

— Et pourquoi ?

— Imaginez-vous que j’ai donné un louis au domestique pour qu’il ne portât pas la lettre à son adresse.

— Est-ce que vous l’avez prise ?

— Non, pardieu ! j’ai dit au messager qu’il s’agissait d’une bonne farce et qu’il fallait porter la lettre au mari. Il siége en ce moment comme juge au tribunal. Quand il va voir qu’il y aura ce soir quinze gaillards de bon appétit chez lui, il va se ronger la rate de colère. Il est avare comme Harpagon, et l’idée que nous allons mettre sa cave et sa basse-cour à feu et à sang va lui donner une telle humeur, qu’il est capable de faire condamner dix innocents pour arriver à temps à la campagne et prévenir le pillage.

— Cela me semble un assez méchant tour.

— Bah ! histoire de rire ! D’ailleurs, le plus drôle, ce sera quand nous arriverons. Les autres crèveront de faim et de soif, ils se rendront au château bien persuadés qu’ils vont trouver un excellent souper ; mais rien, absolument rien !

— Et vous croyez que cela me convient plus qu’à un autre ? repartit le jeune homme que Ganguernet avait choisi pour confident. Vous-même, ne serez-vous pas la première dupe de votre plaisanterie ?

— Que non, que non ! j’ai là un poulet froid et une bouteille de bordeaux, je vous en offre la moitié.

— Merci ! j’aime mieux retrouver Ernest et le prévenir.

— Ah ! mon Dieu ! mon cher, s’écria Ganguernet, il n’y a pas moyen de rire avec vous.

Le jeune homme s’éloigna et chercha ses amis, pour leur demander où il pourrait trouver Ernest. Ils lui dirent qu’il s’était dirigé du côté du château de sa belle-sœur. Il marcha vers cet endroit, décidé à aller prévenir madame de B… du tour de Ganguernet. Au détour d’un chemin, il aperçut Ernest qui allait vers le château ; il doubla le pas pour l’atteindre, et gagna assez de vitesse pour arriver presque au même instant que lui. Seulement Ernest avait déjà franchi la porte quand le jeune chasseur s’y présenta. Comme celui-ci allait entrer, elle se ferma violemment, et il entendit presque aussitôt l’explosion d’une arme à feu. Puis une voix s’écria :

— Eh bien ! puisque je t’ai manqué, défends-toi…

Le jeune homme se précipita vers une grille à hauteur d’appui qui ouvrait dans la cour, et là il vit le spectacle le plus affreux. Le mari, l’épée à la main, attaquait Ernest avec une rage désespérée.

— Ah ! tu l’aimes et elle t’aime ! s’écria-t-il d’une voix rauque et furieuse. Ah ! tu l’aimes et elle t’aime ! À toi d’abord, puis à elle !

La lettre remise au président lui avait appris un secret qui était resté caché depuis plus de quatre ans, et, avant de venger les injures de la société, le juge était accouru pour venger la sienne. Vainement l’ami d’Ernest, monté après la grille, criait et en appelait à leur nom de frères ; M. de B… poussait Ernest d’un coin de la cour à l’autre avec une fureur aveugle. Tout à coup une fenêtre s’ouvrit, et madame de B…, pâle, échevelée, parut à leurs yeux.

— Léonie ! s’écria Ernest, va-t’en !

— Non, qu’elle reste, dit le mari. Elle est enfermée : n’aie pas peur qu’elle vienne nous séparer.

Et il se précipita de nouveau sur son frère avec une si violente exaspération que le feu jaillit des épées.

— C’est moi qui dois mourir ! criait madame de B… ; c’est moi, tuez-moi, tuez-moi !

Le jeune homme, malheureux spectateur de cette horrible scène, mêle ses cris à ceux de madame de B… ; il appelle, il ébranle la grille ; il va escalader le mur, lorsque, poussée par son désespoir, égarée, folle, éperdue, Léonie se précipite par la fenêtre et tombe entre son amant et son mari. Celui-ci, à qui la rage a ôté toute raison, dirige son épée contre elle ; mais Ernest la détourne, et perdant à son tour toute crainte, il s’écrie :

— Ah ! tu veux la tuer ? Eh bien, défends-toi donc !

Et à son tour il attaque son frère avec une rage inouïe.

À ce moment, personne ne pouvait rien pour les séparer : ils étaient enfermés dans la cour, et la malheureuse Léonie s’était cassé la jambe en tombant. C’était un épouvantable combat. Déjà le sang des deux frères coulait ; il semblait que ce ne fût que pour accroître leur fureur. Cependant le jeune chasseur était arrivé au sommet du mur, et il allait sauter dans la cour, quand il vit quelques-uns de ses amis accourir. Ganguernet était à leur tête ; il s’approche en lui disant :

— Vous criez comme un homme qu’on écorche, nous vous avons entendu d’un quart de lieue. Qu’est-ce qu’il y a donc ?

À la vue de cet homme, le chasseur s’élança vers lui, le saisit à la gorge, et, le poussant avec fureur contre la grille, il lui cria à son tour :

— Regardez : histoire de rire, Monsieur, histoire de rire !

M. de B…, percé d’un coup d’épée, gisait à côté de sa femme.

— Et qu’est-il arrivé de cette fatale rencontre ? dit Luizzi.

M. de B… est mort, Ernest a disparu, et madame de B… s’est empoisonnée le lendemain de cet horrible duel.

Comme le Diable finissait, Ganguernet se retourna en murmurant : Histoire de rire !

— Mais c’est un infâme misérable que cet homme ! comment quelqu’un lui parle-t-il encore ?

— Bah ! mon cher, qui sait cela ?

— Tout au moins ce jeune chasseur à qui Ganguernet a fait sa confidence.

— Mais, repartit sèchement le Diable, si ce jeune chasseur a fait une action non moins abominable que celle de Ganguernet ; s’il a perdu une femme et en a tué une autre par un lâche mensonge, et si ce Ganguernet se trouve par hasard pouvoir ajouter à l’initiale d’un nom, cité dans un billet d’une certaine dame Dilois, les lettres qui diront quel est le gai calomniateur qui a commis ces crimes, le jeune chasseur se taira et tendra la main au misérable infâme.

— Quoi ! dit Luizzi, ce spectateur ?…

— C’était toi, mons baron, toi qui n’as rien dit.

Armand oublia tout ce qu’il venait d’entendre ; une seule chose le frappa, et il s’écria tout joyeux :

— Tu vois bien que tu me racontes ma vie passée.

— En tant qu’elle se mêle à celle des autres, très-volontiers.

— Oh ! alors, dit le baron transporté ; car il espérait, en s’informant ainsi des autres, se renseigner sur son propre compte : dis-moi quel est cet homme maigre et soucieux qui se retourne à tout propos en murmurant : « Oui, ma femme. »

— Cet homme est une espèce de crétin qui ne te touche guère.

— C’est ce que nous verrons, reprit Luizzi, qui se méfiait du Diable.

— À ton aise, mais tant pis pour toi s’il t’en arrive malheur.

— N’aie pas peur, je ne me jetterai pas par la portière comme à la forge par la croisée.

— Pauvre niais, qui, parce qu’il prend des précautions contre une espèce de danger, s’imagine qu’il ne peut pas s’en présenter d’autres qui l’atteindront ! Tu es comme un homme qui, s’étant heurté la tête en marchant, regarde toujours en l’air et se croit en sûreté, et qui, dans cette sotte confiance, se jette dans un trou qu’il ne voit pas.

— Eh bien ! j’en brave le péril.

— Le premier de tous, mon cher baron, c’est de m’entendre faire des théories.

— Ne peux-tu t’en dispenser ?

— Allons donc ! mon cher ami, ne m’as-tu pas menacé de me faire imprimer, et crois-tu que le Diable soit un assez honnête homme de lettres pour ne pas se prélasser comme les autres dans les considérations générales, la dissertation métaphysique et la digression moralisante ?

— À toi permis, dit Luizzi, la nuit est noire, je suis éveillé comme un homme qui a dormi six semaines, et je t’écoute.

Et le Diable parla ainsi :

— C’était au temps où les bêtes parlaient, dit votre La Fontaine ; c’était dans un temps bien plus extraordinaire, le temps où les jeunes gens d’esprit se faisaient notaires. Ce temps est passé. Quelques-uns ont remarqué qu’un exercice modéré du notariat conduisait nécessairement à l’obésité et à l’atonie morale, et qu’une habitude trop assidue de ses fonctions menaient à l’imbécillité. Aussi, les hommes qui ont quelque désir d’échapper au suicide intellectuel ont fui cette périlleuse carrière. Comme on n’a pas encore soumis le notariat à une analyse chimique, je ne pourrais dire par quelle substance pernicieuse il arrive à ces fâcheux résultats, mais ces résultats n’en sont pas moins vrais. Si tu veux te donner la peine de regarder autour de toi, tu te convaincras que ce que j’avance ici n’est pas un paradoxe. Le notaire, une fois notaire, est un être à part. L’étude est un sol où il s’implante et pousse à la manière de ces végétaux animalisés que l’histoire naturelle classe indifféremment parmi les lichens et les crustacés. Il n’existe pas une carrière qui ne laisse à ceux qui la suivent quelques facultés libres pour s’occuper des choses de la pensée : nous connaissons des avoués, des médecins, des boulangers et des rémouleurs qui ont quelques idées de style et de poésie ; on trouve des usuriers qui aiment les arts, et il n’y a pas jusqu’à des agents de change qui se connaissent en peinture, en musique, en littérature, et qui en parlent avec distinction. Mais je défie qu’on me produise un notaire de cinquante ans ayant une idée. Je ne veux pas aborder ici les questions intimes ; mais y a-t-il au monde une classe qui soit plus féconde en maris trompés que celle des notaires ? Cela tient à de hautes considérations morales sur l’état des femmes, qu’il est inutile de t’expliquer longuement. Mais il est facile de s’imaginer que dans une carrière qui donne presque toujours une opulence au moins relative, et qui met celui qui l’exerce en contact avec toutes les positions sociales, il est presque impossible qu’une femme ne trouve pas au-dessus ou au-dessous d’elle celui qui doit la distraire de l’ennui de son mari. Un homme enfermé depuis huit heures du matin jusqu’à huit heures du soir dans son étude, qui laisse sa femme sans occupation et sans inquiétude de fortune, un homme pareil a toutes les chances d’être cocu ; car sa femme a toutes les chances de mal faire, l’oisiveté et l’ennui. La femme d’un spéculateur, qui joue sa fortune à chaque entreprise, peut s’intéresser à cette vie agitée, elle peut s’informer du succès d’une affaire d’où dépendent son bien-être et sa position ; mais la femme d’un notaire ! le bien lui vient en dormant comme à son mari, et il lui reste toutes ses longues journées à dévorer. Quand l’aliment devient lourd, elle le partage : c’est si naturel !

— Mons Satan tient plus qu’il ne promet, dit Luizzi ; il avait annoncé qu’il serait ennuyeux, et il me paraît assommant.

— Cela te prouve seulement qu’il est impossible de guérir l’humanité.

— Et pourquoi ?

— Parce qu’elle ferme les yeux du moment qu’on veut lui montrer pourquoi elle se crétinise.

— Et que me fait à moi le crétinisme du notaire ?

— Tu verras. Tout homme riche, exposé à hériter ou à se marier, doit s’intéresser au notaire, cette machine à testaments et à contrats.

Luizzi crut deviner que le notaire dont il allait être parlé pouvait se trouver, comme Ganguernet, mêlé à sa vie. Il prit patience, et le Diable continua :

— Cette atrophie morale du notaire a besoin de temps pour arriver à son dernier période. Ainsi le maître-clerc est presque toujours un homme assez chaud, vivant dans le monde des femmes galantes, de la bouillotte et des soupers bruyants ; le notaire de trente à quarante ans ne manque pas d’une certaine allure du monde, il joue gros jeu, loue des loges aux spectacles, donne à dîner, dit des galanteries surannées aux très-jeunes femmes, et se permet quelques escapades avec les moins chères de ces belles filles dont l’esprit ou la beauté fait scandale. Passé quarante ans, le notaire se rabat sur le whist ; il dîne pour lui, il est ennuyé du théâtre, il aime la campagne, sort à pied avec un parapluie pour prendre de l’exercice, donne des meubles à la fille de son portier, fait retaper ses vieux chapeaux, et demande la croix de la Légion d’honneur. À cinquante ans, le crétinisme arrive ; à soixante, il est complet. Le notariat est un métier insalubre, contre lequel nos savants sont invités à trouver des préservatifs. C’est un article à joindre au programme qui propose un prix pour la découverte d’un procédé qui protége la santé des étameurs de glaces et des doreurs sur métaux.

Or, il existait autrefois à Toulouse un notaire appelé M. Litois. Cet homme n’est pas mort, mais il n’est plus, c’est-à-dire qu’il n’existe plus, quoiqu’il ait soixante-cinq ans, soixante mille livres de rente et trente ans de notariat. M. Litois est l’homme-contrat. Si on l’invite à dîner, il vous répond : « J’ai contracté un autre engagement. » S’il passe chez Herbola pour en rapporter quelques friandises, il dit : « Je voudrais faire l’acquisition de cette bartavelle ou de ce coq de bruyère ; je prends cette hure de sanglier avec ses dépendances ; apportez-moi cette truite comme elle se comporte. » Du reste, il est tellement épris de sa carrière, que devenir notaire, être notaire, avoir été notaire, lui a toujours semblé devoir être toute l’ambition, tout le bonheur et toute la consolation d’un homme. Tu ne t’étonneras donc pas si, avec ces dispositions, M. Litois est resté longtemps notaire. Cependant des coliques néphrétiques, résultat d’une fidélité trop constante à son fauteuil de maroquin, l’avertirent qu’il était temps de se tenir debout, de marcher et de sortir du notariat. Il y a douze ans, il se décida à vendre sa charge. Il jeta les yeux sur son maître-clerc, M. Eugène Faynal, garçon de vingt-huit ans, spirituel, complaisant, gai, rieur et amoureux. M. Litois lui connaissait bien tous ces défauts ; mais Eugène n’avait pas le sou, et c’est pour cela qu’il le préféra. Vendre sa charge à un homme riche qui le payerait en beaux écus, c’était se séparer violemment de sa vie passée, c’était jeter aux bras d’un autre son amour de trente ans, sa charge, sa maîtresse toujours jeune et toujours fidèle. M. Litois ne se sentit pas ce courage. Il calcula qu’un jeune homme qui lui devrait deux cent mille francs serait bien plus à sa merci, et que quelquefois encore il pourrait se glisser furtivement dans l’étude, butiner encore par ci par là comme l’abeille matinale, becqueter une vente comme le passereau un fruit mur, effleurer de sa plume un contrat de mariage comme le papillon une rose, et veiller sur sa charge, créature inestimable et chérie, laquelle, comme le disait M. Litois, était devenue sa fille après avoir été sa femme.

Eugène Faynal accueillit avec joie les propositions de M. Litois. Celui-ci savait qu’avec un mariage Eugène payerait sa charge ; et, pour que le jeune homme ne fût pas inquiet, M. Litois annonça qu’il avait, dans une petite ville aux environs de Toulouse, une cliente dont il comptait gratifier son successeur avec trois cent mille livres de dot. C’était une si belle chance de fortune, qu’Eugène accepta les yeux fermés ; il se laissa même aller, dans ce premier mouvement d’enthousiasme, à certaines conditions dont il ne calcula pas toute la portée. Lorsque M. Litois avait fait une affaire, il aimait assez qu’elle fût conclue et qu’il n’eût plus de chances à courir. Comme Eugène pouvait mourir avant de s’être marié, son patron le fit assurer sur la vie pour une somme de deux cent mille francs, de manière à être payé de sa charge si Eugène mourait, et à laisser aux héritiers du jeune homme le soin de la vendre. Eugène était jeune, bouillant, il aimait le monde et les plaisirs, et c’était un peu pour satisfaire à ses penchants qu’il avait si inconsidérément tenté la fortune. Avant tout, cependant, Eugène était un honnête homme, et sa première pensée était de s’acquitter envers M. Litois. Celui-ci avait donné des termes, il avait compris qu’il fallait que le jeune notaire établît sa réputation avant d’être présenté comme un mari convenable à une belle dot.

Durant la première année, Eugène n’eut donc à souffrir que de l’importunité des visites de son ancien patron ; et ce qui est remarquable, c’est que M. Litois, qui, avant ce temps, ne faisait rien que par les conseils de son maître-clerc Eugène, prétendait le régenter dans tout ce qu’il faisait en sa qualité de notaire. Mais ces petits ennuis importaient peu à Eugène, car il était riche, considéré et heureux. Heureux en effet ! il aimait une femme belle, gracieuse dont il avait fait les affaires à propos d’une séparation de biens. Cette femme était du monde, elle avait été malheureuse avec son mari, et se servait très-habilement d’une pâleur habituelle pour faire croire à une profonde tristesse ; elle grasseyait en minaudant faiblement ; elle s’habillait à ravir, et adorait M. de Chateaubriand. C’était, en termes d’étude, une conquête charmante pour Eugène. Il n’en parlait à personne, mais tout le monde le savait. Cette publicité alla si loin que le mari finit par l’apprendre. Ce mari-là consentait à être séparé de biens d’avec sa femme ; mais, comme on ne l’avait pas séparé de nom, il ne voulut pas que le sien fût l’objet de commentaires peu obligeants. Il attendit une occasion, et, un jour que sa femme et Eugène sortaient ensemble du spectacle, le mari souffleta le notaire aux yeux de deux cents personnes. Rendez-vous fut pris pour le lendemain.

À huit heures du matin, Eugène était chez lui avec ses témoins ; il allait sortir pour se rendre à une demi-lieue de la ville, lorsque M. Litois entra impétueusement, avec l’air d’une profonde indignation. Avant que personne eût pu reconnaître l’homme qui s’introduisait ainsi sans se faire annoncer, M. Litois sauta à la gorge d’Eugène, et, le prenant au collet, s’écria :

— Vous n’irez pas, vous n’irez pas !

— Mais, Monsieur, dit Eugène en se dégageant, que prétendez-vous ?

— Je prétends vous faire rester honnête homme.

— Monsieur ! que signifie ?

— Cela signifie que vous n’irez pas vous battre.

— J’ai été insulté.

— C’est possible.

— J’ai moi-même insulté mon adversaire.

— C’est possible.

— Il m’attend, et je brûle de le rencontrer.

— C’est possible.

— Et l’un de nous deux restera sur la place.

— Ce n’est plus possible.

— C’est ce que nous allons voir.

— Ah ! vous n’irez pas, s’écria l’ex-notaire en se plaçant furieusement entre la porte et Eugène.

Celui-ci avait grande envie de prendre le vieillard par les épaules et de le jeter de côté, mais il se contint.

— Allons, monsieur Litois, lui dit-il, soyez plus raisonnable ! votre intérêt pour moi vous emporte trop loin, je ne suis pas encore un homme mort.

— Tant pis !

— Comment, tant pis ?

— Oui, Monsieur, tant pis : car si vous étiez mort, vous ne me feriez pas la friponnerie d’aller vous battre.

— Monsieur !

— Pas de cris, mon cher Eugène, et lisez.

— Qu’est-ce ? la police d’assurance sur ma vie ?

— Lisez : là, au bas de la page.

Eugène lut : « La compagnie ne sera pas tenue de payer le capital assuré si l’assuré meurt hors du territoire de l’Europe ou s’il est tué en duel. »

— Ou s’il est tué en duel ! entendez-vous bien, monsieur Eugène ? ergo vous ne vous battrez pas, à moins que vous n’ayez deux cent mille francs à me donner en espèces sonnantes et ayant cours.

Eugène, humilié, confondu, ne savait que répondre :

— Monsieur, dit-il à l’un des témoins, veuillez aller prier mon adversaire d’attendre à demain.

— Pas plus demain qu’aujourd’hui ; j’ai averti la police, reprit l’ex-notaire, et vous serez suivi.

— Mais, Monsieur, vous me déshonorez !

— Vous voulez me ruiner !

— Mais, Monsieur, je n’emporterai pas votre charge dans la terre ?

— Je n’ai plus de charge, j’ai un débiteur de deux cent mille francs. Est-ce que je sais ce qu’est devenue l’étude dans vos mains ? Un notaire qui a une maîtresse dans le monde, un notaire qui se bat, cela ne s’est jamais vu. Je ne donnerais pas trente mille francs de votre charge. Vous m’en devez deux cent mille, votre personne est mon garant ; la risquer, c’est commettre un stellionat, une violation de dépôt, c’est une friponnerie, et j’en fais juges ces Messieurs.

— Ma foi, dit l’un des témoins, nous reviendrons quand ce débat sera jugé.

Eugène ne put se débarrasser de Litois. L’heure du rendez-vous était passée. Vainement le jeune notaire avait écrit au mari pour lui demander une autre rencontre ; celui-ci, qui avait appris la cause du retard d’Eugène, n’accepta pas, disant que celui qui manque à un pareil rendez-vous donne à penser qu’il manquerait à un second ; puis, en homme d’esprit, bien sûr qu’il se vengerait mieux avec un ridicule qu’avec un pistolet, il raconta l’histoire du notaire marchandant sa liberté au vieux patron. Ce fut une scène fort drôle, où le jeune homme faisait ses offres au vieillard :

— À dix mille francs, et laissez-moi sortir… — Non ! — Vingt mille… — Non ! — Trente mille… — Trente mille fois non ! Deux cent mille francs, ou rien.

Cela fit grand bruit dans Toulouse, et Eugène ne s’en releva pas comme homme du monde. Son crédit comme notaire en fut même très-sensiblement atteint. Un jeune homme qui n’avait su se battre ni pour lui ni pour la femme qui l’aimait, c’était un homme sans dignité. La clientèle l’abandonna par les femmes, ostensiblement ou d’une manière cachée. M. Litois s’alarma sérieusement de ce discrédit et usa de tous ses moyens pour le relever ; mais, avant tout, il songea à s’assurer le payement de sa charge, il annonça à son cessionnaire la cliente qu’il lui avait promise : elle devait arriver dans deux mois. Depuis sa mésaventure, Eugène, qui n’osait plus se montrer dans les salons un peu choisis, avait contracté l’habitude d’aller chez quelques clients modestes. Il rencontra chez l’un d’eux une fille d’une ravissante beauté, d’une modestie suprême, d’un caractère flexible et doux, un ange. Elle ne vit d’Eugène que les bonnes grâces du jeune homme, l’élégance des manières, la politesse de l’esprit, la bonté du cœur ; elle l’aima, ils s’aimèrent, et Eugène, dans un transport d’amour où il oublia ses cruelles obligations, lui jura de l’épouser. Elle le crut, et la pauvre Sophie… Mais ceci est une histoire à part et qu’il ne me convient pas que tu saches encore. Je reviens à Eugène Faynal… Le lendemain de cette sainte promesse, Eugène reçut une invitation à dîner de M. Litois. Le malheureux s’y rendit sans défiance. À peine est-il arrivé, que l’ancien patron le fait entrer mystérieusement dans un cabinet de travail, et lui annonce qu’il va voir sa future. Eugène pâlit :

— Mais je ne le savais pas, dit-il.

— Comment ! vous ne le saviez pas ? Voilà deux mois que vous êtes prévenu.

— Mais…

— Comment, mais !… Avez-vous oublié que le terme de votre premier payement de cent mille francs est échu, et que, si votre mariage n’est pas conclu d’ici à huit jours et le payement fait, je vous dénonce à la chambre des notaires ?

— Monsieur, c’est une barbarie !

— Comment, une barbarie ? Je vous donne une femme qui vous apporte trois cent mille francs de dot !… Mais, mon cher, vous êtes fou !

Eugène pensa que véritablement il était fou, selon les affaires, et il se laissa conduire au salon. Il entre, il regarde, il voit, ô surprise ! une jeune fille, belle, charmante, gracieuse. Malgré son amour, il tremble d’un doux espoir.

— Où est votre tante ? dit le vieux notaire.

— Me voici ! répond une voix aigre, sortant d’une face maigre.

— Mademoiselle Dambon, je vous présente notre futur.

Eugène s’inclina avec respect.

— Mademoiselle, laissez-nous, dit le notaire à la belle enfant, nous avons à parler d’affaires.

Eugène la suit amoureusement des yeux ; elle lui rit au nez, et il se tourne vers la tante.

— Allons, Eugène, lui dit le notaire, baisez la main de votre future.

Eugène tomba moralement à la renverse, et, si ses jambes le soutinrent, ce fut par habitude, car il se crut au milieu d’un tremblement de terre. La vieille future comprit l’effet qu’elle avait produit, mais le mari lui avait plu, et elle pensa qu’une fois qu’il serait sien, elle en profiterait bon gré mal gré. Elle laissa donc à Eugène le temps de se remettre, et bientôt elle parla si vivement et si catégoriquement de ses terres, de ses vignes et de ses prairies, que le jeune praticien, que le notariat avait déjà gangrené par ci par là, la trouva moins couperosée, moins maigre et presque avenante. Cependant, ce fut un long combat entre ses promesses et la nécessité ; il en fut assez malheureux pour en parler à un ami, la veille du mariage. Beaucoup d’autres notaires ont épousé de vieilles filles fort laides pour leur dot, mais on sait qu’ils s’en sont donné la peine, et on les répute habiles. Ce mariage fut reproché à Eugène comme une lâcheté. D’une autre part, le ridicule l’avait entamé ; les blessures que fait cette arme dangereuse ne se ferment jamais, et, pour peu qu’on les écorche par un nouveau coup, elles s’enveniment mortellement.

Le jeune notaire et sa vieille fille de femme, comme on l’appelait, furent un objet de risée universelle. En effet, madame Eugène Faynal avait gardé sa roideur, sa pincerie et son air prude de vieille fille. À ce malheur, Eugène ajouta celui de devenir père de deux garçons jumeaux : on voit que, pour les femmes, le temps perdu se répare. Les deux jumeaux furent un nouveau ridicule. Bientôt la dame s’aperçut qu’elle était une curiosité qu’on invitait pour la faire parler de ses charmants jumeaux ; elle accusa son mari de ne pas savoir la faire respecter ; la vie d’Eugène devint une querelle sans fin, l’acrimonie de madame lui monta en érésipèle au visage, et, de laide qu’elle était, elle devint abominable ; son caractère suivit le progrès de sa laideur, et, au bout de dix-huit mois, la maison d’Eugène était un enfer.

Ce fut alors que, pour se distraire, il s’adonna exclusivement aux affaires ; mais il n’était plus temps, l’étude avait été désertée, les clients étaient casés ailleurs. Il porta un regard scrutateur sur les dépenses : il vit que, les deux cent mille francs payés, plus les intérêts, il ne lui était resté que quatre-vingt mille francs sur la dot ; les quatre-vingt mille francs étaient passés en partie dans les dépenses de la maison, auxquelles ne suffisaient pas les bénéfices de l’étude. Il fallait se réduire considérablement ou faire de mauvaises affaires. Eugène n’accepta ni cette humiliation ni cette honte. Il se décida à vendre sa charge. Le 1er mars 1815, il était près de conclure pour trois cent cinquante mille francs ; il retarda de huit jours la signature de l’acte, et, un an après, il vendit pour cinquante mille francs.

Aujourd’hui, M. Faynal est un habitant de Saint-Gaudens, ayant une femme de quarante-huit ans, quatre enfants, deux mille deux cents livres de rentes ; il s’est adonné à la culture des roses ; il porte des souliers en veau d’Orléans, avec des guêtres de coutil ; fait des parties de boston à un liard la fiche, et joue de la clarinette. Après avoir été notaire, il a encore du cœur et des idées ; il sent son malheur et se trouve ridicule. C’est lui qui dort en face de toi.

— Et que me fait cet homme, pour que tu m’aies si longuement raconté les tribulations de sa vie ?

— Comment ! tu ne comprends pas, repartit le Diable, comment un notaire peut se trouver mêlé à ta vie ?

— Quand on n’a fait ni ventes, ni acquisitions, ni mariage, contrat double où l’on vend son nom sans acheter le bonheur…

— Mauvais, très-mauvais ! dit le Diable.

— Plaît-il ?

— Continue, je ne répète pas.

— Eh bien ! quand on n’a rien fait de tout cela, on n’a pas de grands intérêts à démêler avec un notaire.

— N’en avais-tu aucun avec M. Barnet ?

— Assurément, mais M. Barnet était mon notaire.

— Mais n’était-ce pas comme notaire d’un autre que tu as désiré le consulter ?

— En effet, dit Luizzi, comme notaire du marquis du Val. Eh bien ?

— Eh bien, pauvre garçon ! tu ne comprends pas ? et tu veux aller vivre à Paris, où il faut deviner à peu près tout ! car c’est un pays où l’on ne dit presque rien des intérêts cachés, tant on a la conscience que chacun les apprécie.

— Tu es trop fin pour moi, mons Satan.

— Eh bien donc ! monsieur le baron, il est presque inévitable que dans un contrat de mariage il se trouve deux notaires, celui de la famille du mari et celui de la famille de la mariée.

— C’est probable.

— Qu’était M. Barnet ?

— Le notaire du marquis du Val.

— Et quel était le notaire de mademoiselle Lucy de Crancé, devenue marquise du Val ?

— Ce serait ce monsieur qui dort ?

Très-bien ! répondit le Diable en nasillant comme un frère ignorantin qui interroge un enfant sur l’existence coéternelle de Dieu le père et de Dieu le fils, et qui est satisfait de la réponse qu’il a reçue.

— Et sans doute il assistait à cette scène extraordinaire dont Barnet a si bien gardé le secret ?

— Encore très-bien, repartit le Diable du même ton nasal.

— Et crois-tu qu’il veuille me la raconter ?

— Tu sais que j’ai promis de te la dire ; mais s’il veut m’épargner ce soin, il me rendra service, car j’ai affaire ici.

— Dans cette diligence ?

— Oui.

— Quoi donc ?

— Un tour de ma façon.

— Lequel ?

— Tu verras.

Sur ces paroles, le Diable disparut. Luizzi, grâce à la vision surnaturelle qui lui était accordée de temps en temps, vit le Diable se transformer en une mouche de petite dimension, de si petite dimension que personne autre que lui n’eût pu l’apercevoir. Elle voltigea un moment dans l’intérieur, et, tout en badinant, elle piqua le nez de l’ex-notaire, qui, machinalement, prit les genoux de la dame assise à côté de lui. La dame, que le Diable n’avait pas piquée, donna à M. Eugène Faynal un coup de ridicule sur les doigts : il y avait trois clefs dans le sac. Le notaire s’éveilla en sursaut, et Ganguernet lui sauta à la gorge en lui criant : La bourse ou la vie !

— Qu’est-ce ? s’écria l’ex-notaire épouvanté.

— Histoire de rire ! répondit Ganguernet ; et, tout le monde s’étant éveillé, la conversation devint générale.

Cependant Luizzi, plus curieux en ce moment de ce qui allait arriver dans la diligence que de connaître ses compagnons de voyage, ferma les yeux pour faire semblant de dormir : ce qui ne l’empêcha pas de pouvoir suivre dans son vol la mouche microscopique, qui n’était autre que le Diable. Elle sortit de l’intérieur et entra dans le cabriolet.

À côté de M. de Mérin, l’Indien des prisons de Berlin, se trouvait un jeune homme de vingt ans tout au plus. Il était beau garçon, mais il portait en lui un air de niaiserie ambitieuse que Luizzi n’eût point sans doute remarqué sans cette perspicacité subtile que le Diable lui avait communiquée. Cette faculté permit au baron de comprendre la nature de ce jeune homme, sans prévoir toutefois où elle pourrait le conduire. Il reconnut qu’il était doué d’une faculté impressive extraordinaire qui l’avait continuellement jeté dans les rêves d’une existence d’autant plus fantastique qu’elle s’était, pour ainsi dire, accomplie en imagination. Étant encore au collége, où il avait lu les Brigands de Schiller, ce monsieur s’était pris d’amour pour les longues figures errantes des détrousseurs de grands chemins. Il se mirait, dans son imagination, en grandes moustaches, en culotte rouge, avec des bottes jaunes, des gants noirs à la Crispin, un sabre et trois paires de pistolets. Son cours de droit, qu’il commença un an après, lui apprit le néant de ces vanités. Les gendarmes français lui parurent trop nombreux et les cavernes trop rares chez nous, et Fernand renonça à être un sujet de drame allemand. Bientôt, et comme à beaucoup d’autres jeunes gens, il lui tomba dans les mains le détestable roman de Faublas, et voici Fernand se créant, dans toutes les loges de l’Opéra, des marquises de B…, voyant dans toutes les petites femmes rieuses des jeunes dames de Lignolles, et pensant qu’il ferait des charades tout comme un autre. Ce fut une danseuse qui le guérit de cette folie, et son médecin qui le guérit de sa danseuse. Une autre fois, après avoir dévoré Werther, Fernand s’imagina qu’il devait se tuer d’amour : Potier, qui était allé donner quelques représentations à Toulouse, mit fin à cette prétention. L’histoire des guerres de la révolution faillit faire engager Fernand en temps de paix, et, s’il eût pu traverser la Garonne sans haut-de-cœur, il se serait fait marin pour rivaliser avec Améric Vespuce ou le capitaine Cook.

Au moment où Luizzi observait Fernand, ce jeune homme venait de faire la lecture de l’histoire des papes, et ce n’était pas sans quelque ravissement qu’il avait sondé les secrets du Vatican. Cette domination absolue, qui s’élève au-dessus de celle des rois, cette représentation immédiate de Dieu, cette pompe brillante des cérémonies chrétiennes, avaient étourdi sa facile imagination, et, soit qu’il enviât les lubricités de Borgia ou la gloire douce et artiste de Médicis, soit qu’il fût entraîné par la politique et la philosophie de Ganganelli, toujours est-il que la papauté le tenait à la gorge. Être pape lui paraissait, à vingt ans, une plus belle destinée qu’aimer et être aimé. Cela tenait de la folie.

Enfin c’était dans cette disposition de cœur et d’esprit que Fernand parcourait la route de Paris à Toulouse. Luizzi voyait la mouche-Diable tournoyer au bout du nez du jeune homme, lorsqu’on arriva à un village appelé Boismandé. Rien de remarquable ne le recommanderait à l’attention du voyageur, si ce n’est qu’on y dîne, et il n’existe dans le monde que deux individus qui sachent véritablement la valeur d’un dîner attendu : c’est l’homme qui voyage en diligence et le convalescent à sa première côtelette. L’énorme voiture aux armes de France s’arrêta donc à Boismandé, devant l’auberge accoutumée. Elle dégorgea ses nombreux voyageurs, les hommes coiffés de foulards et de bonnets de soie, les femmes de chapeaux cassés et de marmottes grasses, les uns et les autres emmaillotés de redingotes déformées, de pelisses flétries, de manteaux usés, etc., tous crottés à faire reculer la brosse la plus ardue dans la main la plus agile ; la seule dame voilée n’entra pas dans l’auberge et continua sa route. Qui ne sait ce que c’est qu’une descente de diligence à l’auberge, ce premier mouvement si grotesque de tout ce monde qui se rajuste ? Celui-ci secoue vivement la tête et les épaules, se frotte les mains et tousse avec vigueur pour se retirer un moment de l’état de hareng où il était, et se remettre en l’état d’homme ordinaire, en jouissance de toutes ses facultés ; celui-là agite rudement sa jambe pour faire redescendre sur sa botte le pantalon trop étroit que le frottement d’une jambe voisine a replissé jusqu’au genou ; telle femme, encore fraîche, rebombe, à l’aide de son doigt et de sa chaude haleine, les plis empesés de son bonnet qui n’est pas sans coquetterie ; telle autre rétablit la tournure trop affaissée d’une douillette feuille-morte. Après ce petit temps d’arrêt, tout le monde se précipite dans une immense cuisine où murmurent de toute éternité, dans de vastes casseroles, la gibelotte douteuse et l’implacable fricassée ; tandis que la broche roule devant un foyer ardent le canard bourbeux de la mare voisine et la longe de veau, ressource des gens dégoûtés.

Lorsque les hommes, grâce à la fontaine de cuivre qui reluisait à l’un des angles de la cuisine, se furent légèrement rafraîchi le visage et les mains, et que les femmes, un moment disparues, revinrent plus aises et plus accortes, on s’assit à la longue table qui occupait la vaste salle à manger et c’est alors que commença le repas à un petit écu par tête. D’abord la conversation s’engagea sur l’excellence des chevaux du dernier relais, sur l’habileté du postillon, la complaisance du conducteur, la commodité de la voiture, puis sur les villes où l’on avait passé, le département où l’on se trouvait, le village où l’on s’était arrêté, l’auberge où l’on dînait.

Luizzi écoutait avec d’autant plus d’attention, que cette conversation lui apprenait l’histoire du commencement de son voyage. Mais il ne perdait pas de vue l’infernal insecte acharné sur le nez de Fernand. D’ordinaire il suffit d’avoir dix-huit ans, d’être garçon et d’avoir vu Toulouse et son Capitole, Paris et tous ses monuments, pour se croire le droit de tout mépriser ; et Luizzi ne sut trop pourquoi le Diable se donnait la peine de quitter le nez de Fernand pour piquer un petit jeune homme à l’air assez impertinent, qui retournait à Paris pour y finir son droit commencé à Toulouse. Cela n’était pas nécessaire pour lui faire dire hautement qu’on était dans un misérable village, dans un misérable pays et dans une misérable auberge. À coup sûr l’amour de la patrie, celui de la contrée, celui même plus étroit du foyer domestique, sont de nobles sentiments, et pourtant ils inspirèrent bien mal la jolie Jeannette ; car, si Jeannette n’avait pas voulu défendre sa pauvre auberge, que de malheurs son silence eût épargnés ! Mais le Diable s’était mis de la partie, et Dieu sait si le Diable a jamais fait autre chose que de servir de bons sentiments pour faire commettre de mauvaises actions ! Du nez de l’étudiant, la mouche sauta sur celui d’une jeune servante qui l’écoutait, et, à peine celui-ci avait-il laissé tomber de sa bouche le mot de misérable auberge, que la jeune fille, qui n’avait pas plus de seize ans, s’écria :

— Bah ! Monsieur, de plus grands seigneurs que vous y ont logé sans en dire tant de mal.

Ces mots appelèrent l’attention des voyageurs sur cette jeune fille. Elle était grande et la grossièreté de ses vêtements ne pouvait dissimuler l’extrême élégance de sa taille. De petits pieds dans des sabots, des mains admirables, quoique gercées, annonçaient une nature distinguée, une origine qui mentait à la situation. Tenez-vous pour assuré que, toutes les fois que vous rencontrerez dans le peuple un de ces signes d’une vie non sujette aux pénibles travaux, c’est quelque oubli de la retenue de fille ou de la foi conjugale en faveur de quelque beau seigneur qui a créé cette anomalie. Le travail et la misère dégradent vite sans doute ces nobles proportions, apanage de la riche oisiveté ; mais à seize ans elles sont encore fraîches et vivantes, et Jeannette avait à peine seize ans. Fernand y fit-il attention ? nullement. Il rêvait pape, et rien ne l’atteignait au delà de cette sphère souveraine ; à peine si la pourpre cardinale lui eût fait lever les yeux. Il n’avait donc rien remarqué, ni l’observation, ni la réponse qu’elle avait fait naître, ni la voix frêle qui avait parlé, ni cette bouche étincelante de dents d’ivoire, ni ces longs cheveux d’un blond cuivré, ni ces grands yeux d’un bleu gris, dont la vague expression dénotait une âme facilement emportée au hasard des circonstances. Un vieillard seul, arrêtant ses yeux avec attention sur Jeannette, lui dit d’une voix polie et peu connue aux servantes d’auberges :

— Quels sont donc ces illustres voyageurs, Mademoiselle ?

— Eh ! parbleu ! reprit Ganguernet, qui interrompit une aile de poulet en l’honneur de la gloire française, presque tous les généraux qui ont fait la guerre d’Espagne.

— Ce n’est pas de ceux-là que je veux parler, dit Jeannette.

— Ah ! je comprends, ajouta le Ganguernet, il s’agit du pape Pie. Pie a logé ici. Et il se prit à rire, du rire énorme qui le distinguait.

— Qui ? s’écria Fernand, que voulez-vous dire ?

— Oui, Monsieur, répondit Jeannette avec un accent de respect pour ce qu’elle allait dire, oui, notre saint-père le pape a logé dans notre auberge.

— Lui ! lui ! le pape ! s’écria soudainement Fernand en portant des yeux effarés sur les murs mal tapissés et les poutres noires de la salle à manger : lui ! ce généreux martyr !

Cette exclamation appela sur Fernand l’attention qu’on avait d’abord donnée tout entière à la belle servante. Voyageur taciturne et résigné dans le cabriolet de la diligence entre le conducteur et l’Indien, Fernand était resté presque étranger, jusqu’à ce moment, au petit monde ambulant dont il faisait partie. Mais ce cri, si singulier de la part d’un jeune homme de dix-huit ans, le désigna vivement aux regards curieux de l’assemblée. Alors seulement on remarqua sa haute taille, son visage austère, ses grands yeux noirs cernés, et ce front large et méditatif qui révèle presque toujours une capacité puissante dans les grande choses ou une exagération folle dans les petites.

— Oui, vraiment ! reprit Jeannette enchantée d’avoir trouvé un auditeur si ardent ; et la chambre n’a plus jamais servi à personne, on n’y a rien changé, elle est fermée avec soin, et l’on n’y entre qu’avec respect et recueillement.

En ce moment la mouche diabolique entra dans le nez de Fernand et sembla lui vouloir monter dans le cerveau. Il s’écria :

— Ne peut-on la voir ? Il faut que je la voie !

— Je vais vous y conduire, répondit la jeune fille.

Ils sortirent ensemble.

Luizzi cependant cherchait à deviner ce que le Diable avait à faire de cette servante d’auberge et de ce jeune homme. Leur absence commençait à être remarquée, lorsqu’un bruit très-vif se fit entendre dans la cuisine qui précédait la salle à manger. Le nom de Jeannette, violemment prononcé, frappa plusieurs fois l’oreille des voyageurs ; ils voulurent savoir quelle pouvait être la cause de ce tumulte, et ils entrèrent tous dans la cuisine au moment où Fernand rentrait dans la salle à manger par une autre porte.

Un jeune homme de vingt-cinq ans environ, décoré et en costume de chasse, tenait Jeannette par le bras, avec une violence que rien ne saurait exprimer.

— Donne-moi cette clef, s’écria-t-il, donne-la-moi !

La malheureuse fille, pâle et immobile, le regardait sans répondre et comme fascinée par un charme ; cinq ou six pièces d’or tombées à ses pieds attiraient les regards avides de quelques paysans qui se parlaient chaudement ; la maîtresse de l’auberge, le visage hagard et enflammé, s’écriait :

— La clef est dans la poche de son tablier, prenez-la, monsieur Henri, prenez-la.

Ce Henri, que la fureur avait d’abord rendu incapable d’aucune réflexion, finit par comprendre ce qu’on lui disait, et, fouillant brutalement dans les poches du tablier de la pauvre Jeannette, il se précipita comme un furieux vers l’escalier qui conduisait au premier étage. Les voyageurs s’avançaient pour demander l’explication de cette scène de violence, lorsque le baron, de la porte de la salle à manger près de laquelle il était demeuré, vit le jeune homme décoré s’élancer d’un seul bond du haut de l’escalier. Pendant quelques secondes il promena autour de lui des regards furieux. Un paysan s’approcha et lui dit :

— Eh bien ?

— C’est vrai.

— Dans cette chambre ?

— Oui, dans cette chambre.

— Sacrilége et infamie !

— Possible ! dit un autre.

À ce moment, Luizzi crut reconnaître ce petit rire aigre dont lui-même avait été poursuivi :

— Mais que diable y a-t-il ? dit Ganguernet.

— Là, dans cette chambre, répétait le paysan, dans cette chambre où est le lit du pape !

— Bon ! s’écria Ganguernet, qui comprit alors ; fameux ! c’est une idée.

Mais toutes les voix des paysans répondirent par des cris de fureur et de malédiction. Ils s’élancèrent vers Jeannette, qui, l’œil fixé devant elle, semblait avoir perdu tout sentiment de la raison. Enfin, elle s’écria tout à coup :

— Le lit du pape ! Ah ! je suis damnée !

Une voix que Luizzi seul entendit répondit en riant à cette exclamation, et Jeannette s’affaissa sur elle-même avec un soupir plaintif et doux ; elle tomba comme si tous les muscles de son corps eussent été brisés. Au moment où elle avait prononcé ces mots : Je suis damnée ! ses yeux s’étaient tournés du côté de la salle à manger, dont le baron occupait la porte. Ce regard, en passant devant lui pour aller jusqu’à Fernand, montra à Armand qu’il avait quelque chose de la sauvage expression qui animait l’œil de Satan, et quand Luizzi, en regardant Fernand, vit dans son œil immobile un reflet de ce feu sinistre qui semblait l’avoir brûlé, il comprit la menace du Diable. Mais, emporté par un sentiment de première pitié, il ferma violemment sur Fernand et sur lui la porte de la salle à manger.

— Fuyez ! dit Armand à Fernand.

— Oui, répondit-il sans s’émouvoir.

— Fuyez, ou vous êtes perdu !

— Moi ? reprit-il avec un sourire mélancolique, ils ne peuvent pas me faire de mal, j’ai ma destinée ; mais je fuirai pour eux.

— Cachez-vous plutôt, montez sur l’impériale et jetez-vous sous la bâche.

Fernand ouvrit la fenêtre. À peine était-il au sommet de la voiture que la porte de la salle à manger s’ouvrit et que quelques paysans armés de faux, de pioches, de bâtons et de fléaux, se précipitèrent vers Luizzi.

— Ce n’est pas lui, ce n’est pas lui ! crièrent plusieurs voix, et Luizzi fut aussitôt interpellé de dire où était Fernand.

Il n’avait pas achevé de leur répondre qu’il l’avait vu prendre de l’avance du côté de la grande route, qu’ils y coururent tous avec des imprécations et des menaces atroces. Pendant qu’on attelait les chevaux, Luizzi prévint le conducteur de l’endroit où Fernand était caché.

— C’est bien imaginé, lui dit-il ; car, s’il était sur la route, ils le rattraperaient bientôt, et Dieu sait ce qu’ils feraient de lui !

— Et Jeannette, qu’est-elle devenue ?

— On a cru d’abord qu’elle était morte, répondit-il, c’est pour cela qu’ils ne l’ont pas tuée. Mais M. Henri l’a fait porter dans une chambre où on l’a soignée.

— Quel est ce M. Henri ?

— Le fils du maître de poste, ajouta le conducteur, un militaire d’avant les Bourbons, mon ex-capitaine.

— Est-ce qu’il connaissait Jeannette ?

— Lui !… s’il connaissait Jeannette ! tiens !

Le fouet du postillon se fit entendre. « En voiture ! en voiture ! » cria le conducteur ; et chacun se hâta, triste et silencieux. Armand monta le dernier, il remarqua que le conducteur fit un mouvement de surprise en voyant le postillon se mettre en selle. Le conducteur reçut des mains du postillon une boîte enveloppée d’une couverture en cuir, et murmura entre ses dents :

— En voilà un de…

Les claquements du fouet empêchèrent d’entendre le reste. Au train dont on était mené, on eut bientôt rejoint les paysans ; ils arrêtèrent la voiture et voulurent à toute force monter dessus pour rattraper Fernand, qu’ils croyaient être en avant. Mais le conducteur refusa formellement ; et le postillon, aiguillonnant ses chevaux de la voix, du fouet et de l’éperon, eut bientôt laissé derrière lui cette troupe irritée. Aucun des voyageurs qui occupaient l’intérieur de la diligence n’avait jusque-là rompu le silence ; mais, lorsqu’ils crurent être délivrés complétement de la poursuite des paysans, ils se demandèrent ce qu’avait pu devenir Fernand. Luizzi le leur apprit.

En ce moment, comme on était dans un lieu assez solitaire, la diligence s’arrêta tout à coup. Le postillon mit pied à terre, et, élevant la voix :

— Descends, misérable ! s’écria-t-il, descends maintenant.

Le baron mit la tête à la portière, et sous la blouse du postillon reconnut l’ex-capitaine. Fernand descendit, et s’approchant de son adversaire :

— Que voulez-vous de moi ? dit-il.

— Ta vie ! ta vie ! s’écria Henri, et tout de suite, et ici même !

— Je me battrai au prochain relais.

— Ah ! tu refuses, lâche !

Et en prononçant ces mots, Henri fit un geste de menace qui laissa Fernand tranquille. Mais, rapide comme la foudre, celui-ci saisit la main qui allait le frapper, et, forçant Henri à le suivre, il s’approcha de la diligence ; puis, passant le bras qu’il avait libre sous le moyeu de l’une des roues, il souleva l’énorme machine à plus d’un pouce de terre. Abandonnant alors la main d’Henri :

— Vous le voyez, dit-il en souriant, à ce jeu vous seriez bien vite battu. Je vous ai dit qu’au prochain relais je serai à vos ordres. Comme sans doute c’est un combat à mort que vous me proposez, vous trouverez bon que je fasse quelques dispositions avant d’y marcher.

Puis, sans écouter ce que son adversaire lui répondait, il adressa la parole à Luizzi d’un ton doux et poli :

— Serez-vous assez bon, lui dit-il, pour me servir de témoin ? Je désirerais vous parler un moment ; si vous vouliez prendre une place auprès de moi dans le cabriolet, vous m’obligeriez.

L’arrangement fut accepté, et, le conducteur s’étant retiré sur l’impériale, Armand se trouva avec Fernand et l’Indien de Berlin. Henri était remonté sur les chevaux et les pressait de toute sa fureur ; la lourde voiture courait comme la calèche la plus légère.

— Avant de vous apprendre, dit Fernand, le secret de ce qui vient de se passer, permettez-moi de vous demander quelques petits services et d’espérer que vous me les rendrez. J’ai à écrire plusieurs lettres… que vous voudrez bien remettre à Paris ?

Sur un signe de consentement, Fernand continua :

— Vous ferez décharger mes bagages pendant que j’écrirai, et, en arrivant au relais, vous serez assez bon pour me faire préparer des chevaux de poste. Après le combat, je veux changer de route, quitter celle de Paris, où je n’irai pas.

Le baron marqua quelque étonnement de cette résolution, et surtout de cette prévoyance tranquille.

— Vous vous étonnez, lui dit Fernand, de ce que je parle si résolument d’une rencontre dont l’issue vous paraît douteuse ? Voyez cet homme ! ajouta-t-il en désignant Henri du doigt, cet homme est mort aussi infailliblement que s’il était déjà dans la tombe.

— Lui ! s’écria Luizzi.

— Oui, dit Fernand. Ils appellent courage l’ivresse de la colère ; je tuerai cet homme, vous dis-je ! Quand je l’ai regardé tout à l’heure, j’ai lu sa mort dans ses yeux. Voyez, il fait voler notre voiture ; cet homme est trop pressé de se battre, il a peur. Mais n’en parlons plus, c’est lui qui le veut… Maintenant, ajouta-t-il avec un accent presque moqueur, je veux me justifier à vos yeux de ce que tous sans doute vous appelez mon crime. Les circonstances seules m’en ont inspiré la pensée, et seules elles prêtent à mon action un caractère affreux de profanation. Au fond, je me crois moins coupable d’une demi-heure de délire que cet homme qui veut ma vie et qui depuis six mois marche avec persévérance dans une voie de séduction. Dans le peu d’entretiens que vous avez eus avec moi, vous avez pu juger des pensées qui me tourmentaient, et vous avez dû être moins surpris de ma vive exclamation et de mon violent désir de visiter cette singulière chambre. J’y étais à peine arrivé, que, par une réflexion inouïe, moi qui ne vis guère que d’illusions, je me trouvai ramené soudainement à la réalité. Je levai les yeux sur Jeannette ; elle me considérait attentivement, et son âme était, à ce que je pus croire, bien loin du respect que demandait ce lieu révéré.

Luizzi écoutait cet homme qui s’attribuait l’honneur de sa mauvaise action, tandis qu’il savait, lui, qu’il n’avait été que le jouet d’un caprice du démon. La mouche riait sur le nez de Fernand ; cependant celui-ci passa sa main sur son front d’une manière très-dramatique, et, parlant d’une voix profonde, il continua :

— Jeannette n’est point une fille ordinaire ; aussi ne puis-je savoir laquelle de toutes les voix que je fis entendre à son âme y fut écoutée. Quoiqu’on ait trouvé l’or que je lui ai donné, je ne puis croire qu’elle se soit vendue. Il y avait en elle une pensée qui répondait à la mienne.

La mouche riait toujours.

— Je le saurai, dit Fernand violemment ; je la reverrai, car cette fille m’appartient ; je l’ai payée du repos de ma vie, je vais encore la payer de la vie d’un homme. La malheureuse ! s’écria Fernand en ricanant tragiquement ; savez-vous que ce mot qu’elle a dit en tombant, c’est moi qui l’ai jeté dans son âme ? c’est moi qui, pour adieu, et lorsqu’un tigre aurait eu pitié de ses sanglots, lui ai crié en la quittant : « Tu es damnée ! »

Luizzi tressaillit. Il regarda Fernand comme pour s’assurer si ce n’était pas Satan lui-même qui avait pris ce masque et ces traits. La mouche riait en le piquant avec acharnement. Il sembla à Luizzi que M. Fernand jouait la comédie, et qu’il faisait d’un grossier désir de jeune homme un épisode romanesque de poëme satanique. Il voulut s’en assurer, et repartit d’un ton plein de conviction :

— Ah ! c’est épouvantable !

— Que voulez-vous ? reprit Fernand sans s’émouvoir. La pensée de lutter avec le Seigneur, l’orgueil d’insulter à son sanctuaire et de flétrir à sa face, et sans qu’on pût la défendre, sa plus belle et plus douce créature, tout ce délire m’a brûlé comme un feu de l’enfer, et j’ai rêvé que le Satan de Milton n’était pas impossible.

Luizzi se troubla malgré lui à cette parole, et regarda l’Indien de Berlin, qui secoua paisiblement la cendre d’un cigare en disant : « La petite était assez jolie sans que le Diable se mît de la partie. »

La mouche regarda de Mérin de travers, comme pour prendre acte de cette incrédulité.

— Nous sommes arrivés ! cria Henri en ce moment, puis il jeta les rênes à un palefrenier, appela le conducteur et prit ses pistolets.

Qui de nous a été témoin d’un duel ? qui n’a senti dans son âme cette angoisse que donne la certitude d’une existence qui va s’éteindre ? À peine Luizzi connaissait-il Fernand, et cependant il obéit à toutes ses volontés comme à celles de l’ami le plus intime. Bientôt tout ce qui appartenait à Fernand fut remis au baron. Une chaise de poste fut attelée, et Armand se rendit auprès de Henri. Il était assis sur une pierre, la tête entre les mains. Luizzi regarda ce jeune homme, et il se prit de peur pour lui en se rappelant l’attitude bien différente de Fernand. Il appela le conducteur, et, cherchant à concilier l’affaire :

— Laisserons-nous ces jeunes gens se tuer, lui dit-il, pour une fille d’auberge ?

— Une fille d’auberge ! répondit le conducteur ; assurément c’est son état, quoiqu’on puisse dire qu’elle est faite pour être servie plutôt que pour servir les autres… Mais c’est toute une histoire.

— Parlez ! s’écria le baron, parlez !

— Ce serait trop long, et puis le temps nous presse. Tout ce que je puis vous dire, c’est que mon capitaine a son idée, et que votre jeune homme ne l’aura pas volé.

— Quoi donc ?

— La balle qui lui cassera le crâne.

— Prenez garde ! reprit Luizzi ; si je crains pour quelqu’un, ce n’est pas pour Fernand.

— Lui ! dit le conducteur avec un sourire de dédain, un blanc-bec qui n’a pas tiré à la conscription, se frotter à un vieux, à un de la garde, à un grognard de Moscou et de Waterloo, car il y était, M. Henri, avec ses vingt-cinq ans ! et adroit ! je lui tiendrais un verre de champagne dans mes dents à trente pas, avec ces pistolets-là.

Et il ouvrit la boîte d’Henri.

— Ils sont donc bien sûrs ? dit à côté des deux interlocuteurs la voix calme de Fernand.

Et, les prenant dans ses mains, il en fit jouer les batteries et les remit tranquillement au conducteur.

— Monsieur, dit-il à Luizzi, l’excellence de ces armes m’afflige, elle me force à être impitoyable ; je n’ai pas envie de jeter ma vie à ce furieux. Faites les préparatifs.

Henri s’aperçut de l’arrivée de Fernand, il fit un geste silencieux, et les témoins le suivirent. Luizzi comprit qu’entre ces deux hommes il n’y avait pas d’explication possible. Il reçut des mains de Fernand quelques lettres soigneusement pliées, et dont l’écriture était ferme et pure, puis tous arrivèrent dans un petit bois où se trouvait une clairière très-propre au combat. Les conditions furent que les adversaires se mettraient à trente pas l’un de l’autre, qu’ils marcheraient, à un signal donné, chacun l’espace de dix pas, et qu’ils tireraient à volonté pendant cette marche. Les pistolets, chargés avec soin et cachés sous un mouchoir, furent donnés par Luizzi aux combattants, qui se posèrent aussitôt à leur place. Un coup frappé dans la main les avertit, et à peine Fernand avait-il fait un pas que l’on entendit l’explosion d’un pistolet, et on le vit tressaillir et s’arrêter.

— Cet homme est adroit, mais il n’est pas brave, sans cela il m’aurait tué, dit Fernand en montrant son bras droit percé d’une balle.

Et il reprit son pistolet de la main gauche.

— Dépêchez-vous, cria Henri, nous recommencerons !

— Je ne le crois pas, dit sourdement Fernand.

Et soudain, sans profiter du terrain qu’il pouvait gagner, il tira, et Henri tomba frappé au cœur, sans qu’un souffle, une convulsion, vînt attester qu’il avait cessé d’exister.

Une heure après, Fernand était en chaise de poste, et le Diable avait repris sa place auprès du baron, qui l’avait appelé.

— Veux-tu me dire, maître Satan, pourquoi tu as soufflé dans l’âme de ce jeune homme ce désir infâme ?

— Ceci est mon secret. D’ailleurs ce n’est pas une histoire que je puisse te raconter, puisque tu as vu tout ce qui en existe.

— Oui, mais les acteurs de cette histoire ont des antécédents que je voudrais connaître.

— Aucun. Fille d’auberge, orpheline et jeune ; étourdi et gâté par une mauvaise littérature : voilà tout.

— Mais pourquoi les avoir choisis pour cette détestable action.

— Parce que j’ai besoin de deux êtres merveilleusement beaux, afin qu’ils puissent devenir merveilleusement méchants sans qu’on s’en doute.

— Ce qu’ils viennent de faire n’est donc que le commencement d’une vie de mauvaises actions ?

— Ou de mauvaises idées, ce qui est bien plus subversif de votre morale humaine et qui sert bien mieux mes intérêts de Diable. Je donnerais tous les crimes d’un siècle pour une mauvaise idée ; aussi je viens de condamner deux êtres d’une nature puissante et active à mener une vie d’exception, une vie exilée du monde, une vie en guerre avec la religion, le mariage et le respect des inégalités sociales. L’un de ces êtres est une femme pleine de passions, de volonté et d’ambition, malgré l’obscurité de son origine. Déjà elle a plus de regrets de son avenir perdu que de remords de son crime. Encore huit jours de sagesse dans cette âme pleine de ressources vives et soudaines, et Henri le capitaine devenait son mari, et elle eût fait peut-être d’Henri un homme distingué, considérable, illustre, pour être avec lui une femme distinguée, considérable, illustre. Maintenant cela lui est impossible, car Jeannette n’est pas une de ces filles qui croient le repentir une force. Jetée dans une position perdue, elle voudra imposer cette position au monde.

— Et pour cela sans doute elle poussera Fernand à commettre des fautes graves et peut-être des crimes ?

— Oui, vous devriez, selon votre morale, appeler cela des crimes.

— Me les feras-tu connaître ?

— Tu n’auras pas besoin de moi.

— Comment en serai-je informé ?

— Tu liras un jour les ouvrages de Fernand, et tu le retrouveras peut-être.

— Comment ?

— Je le destine à être homme de lettres.