Les Mémoires du Diable/Édition 1858/12

Michel Lévy (tome Ip. 182-190).


XII

COMMENCEMENT D’EXPLICATION.


Le voyage continua, et naturellement la conversation s’établit sur l’événement qui venait de s’accomplir. Chacun en prit occasion de raconter des aventures plus ou moins extraordinaires dans lesquelles il avait été témoin ou acteur. On comprend aisément que Ganguernet dut être plus fécond qu’un autre en récits de cette espèce. Parmi ceux dont il fatigua le petit cercle de ses auditeurs, il en est un que Luizzi écouta avec un vif intérêt de curiosité.

— C’est une bonne farce, une excellente farce, dit Ganguernet, et je n’ai jamais tant ri de ma vie. Vous devez avoir entendu parler de cela, il y a trois ou quatre ans, vous, monsieur Faynal ?…

— Hum ! hum ! dit le notaire, il y a trois ou quatre ans, est-ce qu’il s’est passé quelque chose d’extraordinaire à Pamiers ?

— Est-ce qu’il se passe jamais quelque chose d’extraordinaire à Pamiers ? dit Ganguernet ; c’est à Toulouse, c’est l’histoire de l’abbé Sérac. Vous connaissez l’abbé Sérac ?

— Vous voulez dire M. de Sérac, Adrien-Anatole-Jules de Sérac, fils du marquis Sébastien-Louis de Sérac ? Si je ne me trompe, je ne connais pas d’autre Sérac vivant encore.

— Eh bien ! c’est celui-là même ; seulement il paraît que vous le connaissez en sa qualité d’homme, et non en sa qualité de prêtre, ce qui est bien différent.

— La dernière fois que je l’ai vu, dit l’ex-notaire en fronçant le sourcil et en clignant les yeux comme pour regarder au loin dans ses souvenirs, la dernière fois que je l’ai vu, il y a dix ans, c’était un beau jeune homme de vingt-cinq ans, fort amoureux, fort peu disposé à entrer dans les robes noires. Hé ! ma foi, je crois que je pourrais bien préciser la date, ajouta le notaire en appuyant son index sur son front : c’était, pardieu ! l’avant-veille du jour où fut signé le contrat de mariage de mademoiselle Lucy de Crancé, dont j’étais le notaire, avec M. le marquis du Val ; et puisque vous m’y faites penser, je me rappelle, à propos de ce mariage, une scène bien extraordinaire que je vais vous raconter.

— Chacun son tour, s’écria Ganguernet ; si vous dites votre histoire, je garde la mienne.

— Comme il vous plaira, reprit M. Faynal en se remettant dans son coin ; seulement tâchez de ne pas m’endormir, parce que, lorsque je dors, je rêve à ma femme, et ce n’est pas la peine alors de l’avoir quittée. D’ailleurs, je ne tiens pas beaucoup à vous faire ce récit, cela me ramène à un temps qui a été si malheureux… si malheureux pour moi, le temps où j’étais notaire, que je ne suis pas plus pressé d’en parler ou d’en entendre parler qu’un galérien du bagne.

— Pardon, Monsieur ! dit Luizzi, je crois que votre histoire sera fort intéressante, et je serai, pour ma part, très-charmé de vous l’entendre raconter ; cela n’empêchera pas monsieur Ganguernet de nous dire la sienne.

Or, Ganguernet commença ainsi :

« C’était il y a trois ans à peu près ; je me trouvais à Toulouse, un jour de Fête-Dieu où il y avait grande procession. Moi et quelques autres farceurs nous nous étions postés, pour la voir passer, dans une maison dont je ne vous dirai ni la rue, ni le numéro, ni le nom : une maison entre le ziste et le zeste, où il se vendait beaucoup de choses prohibées, mais que la douane n’a pas l’habitude de saisir ; au rez-de-chaussée et à côté de l’allée, un café-estaminet ; au premier, un magasin de bretelles, de cols et de cravates, tenu par les deux sœurs, de vingt à vingt-deux ans ; au second, magasin de cols, de cravates et de bretelles, tenu par trois amies intimes, de vingt-cinq à trente, plus une vieille femme ; au troisième, magasin de cravates, de bretelles et de cols, tenu par deux grisettes dont j’ignore absolument l’âge et la tournure, ce qui d’ailleurs serait fort inutile à vous narrer, puisqu’elles ne furent pas de notre farce. C’est seulement pour vous faire comprendre que la maison était bien habitée et que la marchandise n’y manquait pas. Seulement, plus le magasin montait, plus les marchandises baissaient… Vous comprenez le calembour ? »

Ganguernet rit tout seul ; la femme qui était dans le coin lui lança un regard qui perça le voile épais sous lequel elle se cachait. Cependant le farceur continua :

« Nous nous étions réunis quatre ou cinq bons vivants, et nous avions dit au second : Tu descendras au premier ; ou au premier : Tu monteras au second, parce qu’au premier ou au second, comme vous le voudrez, il y aura noces et festins, jambons et pâtés, volailles et godiveaux, blanquette, vin de Roussillon et punch en abondance, ce qu’on appelle un beau gueuleton ! Bien que le premier et le second fussent en dispute éternelle, parce qu’on s’arrachait souvent les chalands sur les marches de l’escalier, du moment qu’il s’agit de manger, on s’entendit à merveille. J’en suis fâché pour le sexe de Madame, ajouta Ganguernet en s’inclinant vers la femme qui occupait un des coins de la voiture et qui n’avait pas levé son voile ; j’en suis fâché pour le sexe de Madame, mais la femme est gourmande de sa nature. Je ne sais pas si les duchesses et les marquises aiment la bonne chère et le riquiqui, mais je ne connais rien de vorace comme une grisette devant une table bien servie ; ça absorbe les ailes de poulet comme un conducteur de diligence, et ça boit sa goutte comme des invalides.

« Mais ce n’est pas là l’affaire. Il suffit de dire qu’à neuf heures du matin la table était servie, les vins à la glace, et que moi et mes camarades nous nous étions faufilés au premier de ladite maison en passant par l’estaminet, sous prétexte d’acheter un cigare, parce que, tout en s’amusant, il faut encore garder les apparences.

« Or, la procession était en train de défiler. Les jeunes personnes à leurs fenêtres faisaient des mines aux officiers de la garnison, tandis que nous étions prudemment à une fenêtre à côté, regardant passer le bon Dieu à travers un rideau, lorsque tout à coup le ciel devient noir comme de l’encre, et en moins de rien voilà une pluie battante qui inonde et disperse la procession. Cela fut si rapide et la pluie tomba avec tant d’abondance, que chacun se réfugia au hasard dans la première porte ouverte qu’il trouva devant lui. Plusieurs personnes, parmi lesquelles un prêtre, entrèrent dans l’allée de notre maison ; beaucoup d’autres les y suivirent, de façon que les premiers arrivés furent refoulés jusqu’au pied de l’escalier. En me penchant par-dessus la rampe, je vois le calotin qui était entré à la première goutte, et tout de suite il me pousse l’idée d’une farce excellente : Il faut que le curé déjeune avec nous ! me dis-je aussitôt. Je fais part de mon projet aux camarades des deux sexes, et je suis applaudi avec transport. Je recommande à tous une tenue décente, et moi-même je donne à mon visage un air de sainte componction. Je descends auprès de notre abbé :

« — Mon Dieu ! Monsieur, lui dis-je, cette place est bien peu convenable ; si vous vouliez monter chez nous et y attendre que l’orage fût passé, nous serions très-honorés, ma femme et moi, d’avoir pu vous donner un asile. — Je vous remercie de votre obligeance, me répondit-il, j’attendrai fort bien où je suis. »

« J’insistai en lui disant que son refus nous ferait beaucoup de peine, et le pauvre homme finit par me suivre, rien que pour ne pas me désobliger. Ô prêtre, que tu es bête ! Au moment où il passa la porte et entra dans l’atelier de nos demoiselles, j’étendis la main sur lui, et je me dis en moi même : Prêtre, mon ami, si tu n’es pas damné en sortant d’ici, je veux y perdre mon âme au lieu de la tienne ! Sur ce, je prends ma vieille par la main, et je dis au curé : J’ai l’honneur de vous présenter madame Gribou, mon épouse. Gribou est un nom que je me suis fait pour éviter au mien le désagrément de certaines connaissances, et que je prends dans mes voyages grivois ; quant à Mariette, c’était une épouse d’occasion à laquelle j’avoue qu’il ne manquait que le sacrement pour m’être unie par tous les liens possibles. C’était dans ce temps-là une belle fille avec de grands yeux noirs, fendus en amande ; des lèvres rouges, épaisses comme des cerises ; des cheveux superbes ; une taille de reine avec tous ses accessoires, et qui portait avec elle un entrain d’amour, de joie et de bombance que je ne puis vous dire. Je n’ai jamais pu toucher du bout du doigt la peau brune et veloutée de cette femme sans en être frappé comme d’un coup d’électricité amoureuse.

« Au premier regard qu’elle jeta sur l’abbé, je vis qu’elle entrait très-parfaitement dans les intentions du tour que je lui voulais jouer. L’abbé était un beau garçon, cuivré comme un mulâtre, avec une épaisse forêt de cheveux, et qui, pour une fille comme Mariette, valait bien la peine de lui apprendre autre chose que le mystère de l’Eucharistie. D’abord je fus un peu vexé, et j’aurais aimé autant que ce fût une des autres qui se fût chargée de la leçon ; mais enfin, comme l’idée venait de moi, je ne pouvais pas demander à un de ces messieurs de se sacrifier à ma place. Seulement Mariette m’avait semblé accepter son emploi avec trop de facilité. Quoi qu’il en fût, la farce me paraissait trop bonne pour y renoncer, et nous commençâmes le feu. D’abord l’abbé avait très-chaud, attendu qu’il portait une chasuble où il y avait bien vingt livres d’or pesant ; nous lui offrîmes de se rafraîchir, et, sous prétexte d’un verre d’eau et de vin, je lui arrangeai une petite boisson amalgamée de vin de Roussillon, de blanquette de Limoux et d’eau-de-vie. Il y avait de quoi griser un mulet. Le pauvre prêtre avala le tout sans y faire trop attention ; mais, une minute après, je le vis devenir tout rouge de pâle qu’il était, et ses yeux me semblèrent papilloter légèrement.

« — Vous souffrez, monsieur l’abbé ? lui dis-je d’un air doux et patelin. — Oui, me répondit-il, ce vin m’a fait mal. — Ce n’est pas étonnant, répliquai-je aussitôt, vous êtes peut-être à jeun, et le vin fait toujours cet effet-là sur un estomac vide. Si vous vouliez me faire l’honneur de prendre quelque chose, vous verriez que cela se passerait tout de suite.

« Il eut la bêtise de me croire et daigna prendre place à notre table ; je n’en voulais pas davantage. Je le mis entre Mariette et moi. La table était très-étroite, de manière que, pendant que du côté gauche je lui versais un peu de vin de ma façon, Mariette lui faisait du côté droit des agaceries de la sienne. Il y a une chose que je ne puis pas vous dire, parce qu’il y a des choses qu’il faut voir, c’est la figure de ce pauvre homme entre ma bouteille préparée et les yeux de Mariette. Le diable tombé dans un bénitier n’aurait pas été plus embarrassé. Je voyais la tête qui s’en allait peu à peu, et enfin je compris que les choses étaient montées à un point satisfaisant, lorsque je m’aperçus qu’il avait oublié sa main dans la main de sa voisine. Au lieu de nous regarder, comme il faisait un moment auparavant, avec des yeux tout effarés, il considérait Mariette d’un air qui eût pu la faire devenir plus rouge qu’elle n’était, si c’eût été possible ; car je crois que la farceuse s’était grimpée aussi de bonne foi, et qu’outre la beauté de l’abbé, qui l’avait charmée de prime abord, elle avait un peu bu dans son verre de ce vin d’apothicaire que j’avais si bien arrangé. Sûr à peu près de mon affaire, je fais signe aux autres, et les voilà qui se lèvent, celui-ci pour aller regarder à la fenêtre, celui-là pour aller chercher une bouteille, tel du sucre, tel n’importe quoi, mais les uns après les autres pour n’avoir l’air de rien, jusqu’à moi, qui en sortant fermai la porte à double tour, quoique assurément la précaution fût inutile. L’abbé n’était pas dans des mains à le laisser échapper, et je connaissais trop Mariette pour n’être pas sûr qu’il sortirait de chez elle damné comme un juif… »

— Quoi ! dit Luizzi en interrompant le récit de Ganguernet, vous avez usé de pareils moyens pour commettre un crime si abominable ?

— Allons donc ! dit Ganguernet, histoire de rire, mon cher Monsieur ! Est-ce que vous croyez à la vertu de tous ces farceurs de prêtres, qui ont des nièces et des petits-neveux dont ils font des enfants de chœur ? Celui-là était peut-être assez jeune pour croire encore à toutes les bêtises de la religion, mais ça ne lui aurait pas duré longtemps, et, si ce n’eût pas été Mariette, ç’aurait été quelque vieille dévote qui l’aurait déniaisé d’une manière moins agréable. D’ailleurs, moi, je ne cache pas mon opinion : je suis libéral et je déteste les jésuites, et je ne me repentirai jamais d’avoir fait une bonne charge à des gueux qui voudraient rétablir chez nous la dîme et les billets de confession.

— Mais, dit Luizzi avec une vive impatience, car il sentait que lui moins qu’un autre pouvait répondre à l’inepte grossièreté de cet homme, qu’arriva-t-il de tout cela ?

— Ah ! voici le drôle de l’affaire ! répondit Ganguernet ; je continue :

« Après avoir laissé passer une heure ou deux pour donner aux fumées du vin et autres le temps de s’évaporer, je descendis dans l’estaminet, et là, tout en buvant un petit verre d’eau-de-vie et en jouant une partie de dominos, je me mis à raconter d’un air tout à fait détaché et sans prétention, qu’en descendant du second il m’avait semblé entendre chez Mariette une voix inconnue :

« — Je ne suis pas jaloux, ajoutai-je d’un air mortifié ; mais j’ai regardé par le trou de la serrure, et je parierais cent doubles pistoles en bon or d’Espagne contre deux pièces de six liards que j’ai vu une chasuble de prêtre sur une chaise en face de la porte.

« — C’est impossible ! C’est une farce ! C’est une craque ! C’est ci ! C’est l’autre, s’écriait-on de tous côtés.

« — Je ne sais pas, répondis-je ; mais je parie deux bols de punch qu’il y a du prêtre là-haut.

« — Je serais trop content de les payer, répondit un autre, pour ne pas les parier si j’étais sûr de les perdre.

« — Et moi aussi, lui dis-je, je les payerais bien volontiers pour que Mariette n’eût pas fait un coup comme celui-là.

« — Et moi, j’en payerais dix et je donnerais cent francs pour qu’elle l’eût fait. Oh ! si jamais je peux attraper un de ces calotins qui ont fait donner l’héritage de ma tante à l’hôpital de la ville, il en recevra une suée, le gredin !…

« — Eh bien ! soit, parions, lui dis-je.

« — Parions.

« Qui fut dit fut fait. Pendant ce temps, tous les gens du café, il y en avait bien une trentaine, s’étaient amassés autour de notre table ; on avait fixé le pari à dix bols de punch pour toute la société.

« — Or, dis-je, puisque toute la société est du régal, il faut qu’elle soit témoin de la chose.

« Cela parut juste à tout le monde, et nous voilà gagnant l’escalier par l’arrière-boutique et montant tous à pas de loup jusqu’au premier. J’avais pris une bonne précaution. Après avoir fermé la porte, j’avais mis la clef sous le paillasson. En piétinant, me dis-je, ils la sentiront, ils la trouveront et ils s’en serviront. Bien m’en avait pris ; car, à vrai dire, on ne voyait rien à travers la serrure, et on allait décider que je m’étais trompé, quand celui qui avait autant envie de perdre que moi de gagner découvrit la fameuse clef. Il s’en empara et ouvrit la porte. La première chose que nous vîmes, en effet, fut le bonnet carré de l’abbé. Nous nous précipitâmes tous vers la chambre de Mariette ; mais il paraît qu’on nous avait entendus, car les verrous étaient tirés, et nous ne pûmes surprendre le couple flagrante delicto, comme on dit dans le jus romanum. Mon parieur voulait à toute force enfoncer la porte ; et, comme je voyais l’affaire en bon train, sans avoir besoin de m’en mêler plus longtemps, je redescendis dans l’estaminet. Tout le monde n’était pas monté avec nous, quelques-uns de ceux qui étaient dans le café étaient demeurés à causer sur la porte. Peu à peu ils en avaient amassé d’autres, des connaissances, des amis qui passaient, et déjà se formait un groupe assez nombreux, où l’on s’entretenait de ce qui arrivait en haut. Comme je n’aime pas à rester dans les bagarres quand je suppose que cela peut aller aux coups, j’allai me poster de l’autre côté de la rue pour voir l’effet de ma petite comédie. Ceux du premier criaient comme des enragés en frappant à la porte de Mariette, et ceux du rez-de-chaussée leur répondaient en criant : « Jetez-nous le prêtre !… »

— Mais, Monsieur, c’eût été un assassinat, interrompit Luizzi.

— Bon ! dit Ganguernet, histoire de rire. D’ailleurs l’étage n’était pas haut, et puis, les prêtres c’est comme les chats, ça retombe toujours sur les jambes, et celui-là en est une fameuse preuve, car s’il ne sauta point par la fenêtre de la rue, il sauta par la fenêtre du jardin : si bien qu’au bout d’une demi-heure, et quand il y avait déjà plus de quatre ou cinq mille personnes dans la rue, la police étant arrivée et ayant forcé la porte de Mariette, on trouva l’oiseau déniché. Mais il avait laissé ses plumes dans la cage, et, si elles ne purent pas faire reconnaître l’individu, elles apprirent du moins de quelle espèce il était.

— Ainsi, dit Luizzi, on ne trouva pas l’abbé de Sérac ? Mais comment sut-on que c’était lui ?

— Pardieu ! répondit Ganguernet, on le sut parce que je le reconnus deux jours après à l’église de Saint-Sernin, où je le rencontrai dans un coin priant et pleurant comme un fou. Il me reconnut aussi, car il se leva, et peut-être, si nous eussions été dans un endroit écarté, aurait-il essayé de prendre sa revanche.

— Et peut-être n’aurait-il pas eu tort, dit Luizzi.

— C’est possible, repartit Ganguernet, mais je vous garantis que je l’aurais ramené à la raison après la lui avoir fait perdre. Après tout, ça ne lui a pas fait grand mal, ça ne l’a pas empêché d’être nommé grand vicaire, parce que sa famille a assoupi l’affaire, et surtout parce que les jésuites n’ont pas voulu donner aux libéraux la satisfaction de voir punir un prêtre. On ne l’a pas même envoyé un mois ou deux en retraite : c’eût été reconnaître le coupable et le désigner au mépris public, qu’il avait certes bien mérité.

— Vous trouvez ? dit Luizzi.

— Enfin, dit Ganguernet, sans faire attention à l’interruption de Luizzi, il y a gagné de savoir ce qu’il ne savait peut-être pas et d’avoir eu pour maîtresse la plus belle fille de Toulouse.

— Quoi ! reprit Luizzi, l’abbé de Sérac a revu cette Mariette ?

— Si bien, repartit Ganguernet, que j’ai été obligé un soir de le mettre à la porte à grands coups de pied.

— Si bien, repartit la femme voilée qui était remontée dans la voiture, qu’il vous a jeté au bas de l’escalier un jour que vous vouliez entrer chez Mariette.

Ganguernet et Luizzi tressaillirent à cette voix qu’il leur sembla reconnaître, et tous deux sans doute allaient interroger la femme voilée qui se cachait dans un coin, lorsque le notaire, à qui l’histoire de Ganguernet avait donné l’envie de raconter la sienne, dit d’un ton doctoral :

— Voilà qui est très-drôle ; mais ce que vous ne savez pas, assurément, c’est le motif pour lequel M. Sérac s’est fait prêtre ?

— Vous le savez ? s’écria Luizzi, qui croyait voir s’éclaircir pour lui le mystère dont était entourée l’histoire de la malheureuse Lucy.

— Hum ! dit le notaire, je le sais n’est pas le mot ; mais il me semble que je le devine, car voici ce qui se passa le jour même du mariage de mademoiselle Lucy de Crancé avec le marquis du Val.