Traduction par Renée Vivien.
Les KitharèdesAlphonse Lemerre, éditeur (p. 29-33).
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MYRTIS




La mélodieuse amie de Korinna emporta au fond de ses ténèbres le secret de ses rythmes ioniens. Myrtis sourit dans les vers chantants de la Poétesse de Tanagra :

… et je blâme aussi la mélodieuse Myrtis de ce que, étant femme, elle entra en rivalité avec Pindare.

Korinna reprend avec douceur Myrtis aux beaux sons d’avoir négligé le charme et la grâce des hymnes d’amour pour les brutales épopées qui louent les Héros aux mains rouges. La voix féminine ne doit point compromettre sa suavité en des clameurs guerrières. Elle doit s’attendrir aux lentes inflexions de l’idylle et de l’élégie. Elle peut s’exalter jusqu’à l’ode, mais ne doit jamais s’enfler dans l’imitation des rauques clairons masculins.

Myrtis occupa un rang élevé parmi les neuf Kitharèdes que les Anciens honorèrent du titre de Muses Lyriques. Née à Anthédon, elle fut célébrée dans toute l’Hellas pour la beauté de ses chants et de son visage. Des statues de la Piéride furent érigées dans plusieurs provinces.

Quelques auteurs en font la disciple de Korinna ; d’autres affirment qu’elle instruisit la Tanagréenne et Pindare, ses glorieux contemporains, dans l’art des mètres savants. Elle disputa au Poète de Cynoscéphales la Palme, récompense des nobles rythmes. Et, comme Korinna, elle fut victorieuse.

Plutarque nous transmet le thème d’un de ses récits épiques.

« Qui est Eunostos, le héros de Tanagra ? et pourquoi l’accès de son bois sacré est-il interdit aux femmes ? Eunostos était fils d’Elieus, fils de Céphissos, et de Skias, et il reçut, dit-on, son nom d’Eunosta, la Nymphe qui l’avait élevé. Cet Eunostos était honnête[1] et juste, non moins que sage, et sévère de mœurs. Ochna, une des filles de Kolonos, qui était de sa propre race, s’éprit de lui, à ce que l’on rapporte. Et, comme elle le tentait, il se détourna d’elle, et, lui ayant adressé des paroles insultantes, alla vers les frères d’Ochna, afin de l’accuser. Mais la vierge le devança dans ses accusations et excita ses frères, Okémos, Léon et Boukolos, à tuer Eunostos qui, disait-elle, l’avait prise de force. Ceux-ci, donc, lui ayant dressé une embuscade, tuèrent le jeune homme. Elieus les chargea de chaînes. Ochna, repentante et pleine de trouble, voulant soulager son chagrin d’amour, et en même temps prise de compassion pour ses frères, avoua toute la vérité à Elieus, qui, à son tour, la révéla à Kolonos. Et, Kolonos ayant jugé, les frères d’Ochna s’exilèrent. Quant à elle, elle se précipita, comme l’a raconté Myrtis, la poétesse lyrique d’Anthédon. »

Le Temps, le plus aveugle et le plus stupide des Ikônoklastes, a brisé les statues de Myrtis et les tablettes de marbre où furent inscrites ses strophes ioniennes. Il ne reste d’elle que son nom de Kitharède, évocateur comme un parfum, son nom qui est un poème : Myrtis.

Myrtis aux cheveux d’hyacinthe, qui entras en rivalité avec Pindare et qui louas la vertu des héros et des héroïnes, Myrtis qui te dévoilais à travers les odes de Korinna ! Quelques rares Poètes cherchent à entrevoir le reflet de ton visage crépusculaire, le passage de ton ombre musicale… Ils pleurent tes harmonies disparues, et se lamentent de ce qu’elles furent aussi périssables que ta beauté de femme. Et ton nom traîne comme un soupir sur leurs lèvres, Myrtis…



Le soir nuançait l’or d’Hellas
 De pourpre égyptienne :
J’offris la coupe d’hypocras
 À la Musicienne…
Elle errait en riant, auprès
Des aloès et des cyprès
Et des roches aux bleus de grès,
 Myrtis l’Ionienne.

Elle évoquait les bords du Styx,
 Les asphodèles jaunes,
Où les sphinx aux ongles d’onyx
 S’étirent près des Faunes,
Et dans la strophe, comme un choc
De boucliers d’or contre un roc
Où le marbre sommeille en bloc,
 Luttaient les Amazones.


La mélodieuse Myrtis
 Aux paupières divines,
Livre ses cheveux de maïs
 Aux brises des collines.
Elle ressuscite, à travers
La blancheur de ses nobles vers,
Vigoureux comme les hivers,
 L’âme des héroïnes.

J’offris la coupe d’hypocras
 À la Musicienne,
Dont le vers mêle aux ors d’Hellas
 La pourpre égyptienne,
À la vierge qui passe auprès
Des aloès et des cyprès
Et des roches aux bleus de grès,
 Myrtis l’Ionienne.


  1. Καλός représente, en grec, l’ensemble des qualités physiques et morales de l’ « honnête homme » du xviie siècle.