Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Le faux Pierre III


LE FAUX PIERRE III, en 1767, 1768 & 1769.


Après la mort de Catherine, impératrice de Russie, Pierre III, son neveu, lui succéda au commencement de 1762 ; mais il ne jouit pas long-tems du trône. Son inapplication, son amour pour les plaisirs & pour les nouveautés, firent murmurer tous les ordres de l’état : des murmures on passa à la révolte. Pierre fut détrôné le 6 Juillet 1761, & l’impératrice fut reconnue souveraine, sous le nom de Catherine II. Ce prince mourut sept jours après d’une colique, à laquelle il étoit fort sujet.

Son regne étoit, pour ainsi dire, déja oublié, lorsque, vers la fin de 1767, un aventurier s’avisa de le faire revivre. Ce nouveau Demetrius, sous prétexte de protéger la religion Grecque, fit révolter une partie de l’Albanie Turque, quelques villages de la république de Venise, & tous ceux de la province de Montenero. Cet imposteur, connu ci-devant sous le nom de Stephano Picolo, exerçoit la profession de médecin dans cette province. Né avec de l’esprit, une belle figure & des richesses, il crut pouvoir s’annoncer pour le Pierre III ; il prétendit qu’on avoit, dans le tems, fait courir à dessein le bruit de sa mort ; mais qu’il avoit trouvé le moyen de s’échapper de la prison. À la faveur de ce nom, & secondé par les Caloïers, moines Grecs schismatiques, qui ont beaucoup de pouvoir sur l’esprit des habitans, il parvint à se faire reconnoître publiquement pour le czar, non-seulement par le peuple, mais encore par l’évêque, & par tous les autres ordres. Il se trouva bientôt à la tête d’une armée : tout d’ailleurs lui étoit favorable.

On comptoit, dans la province de Montenero, 30,000 hommes en état de porter les armes ; & sa situation est très-avantageuse, parce qu’elle est renfermée entre deux montagnes inaccessibles ; les peuples y sont très attachés au nom de la Moscovie, tant à cause de la conformité de religion, que parce que les souverains de Russie ont toujours employé les moyens nécessaires pour y conserver une grande influence. Picolo profitant de toutes ces dispositions, n’a donc pas eu de la peine à s’y soutenir quelque tems. Il entretenoit les gens de son parti des rapines & des pillages qu’il faisoit sur les Turcs. Des communautés de la Dalmatie Vénitienne ne tarderent pas à se joindre aux Grecs. Pour arrêter des progrès qui commençoient à donner de l’ombrage, la bacha de Bosnie reçut ordre de faire avancer des troupes. Ces premiers détachemens furent défaits par les rébelles. Les Vénitiens étant soupçonnés d’être d’intelligence, il a fallu, pour détromper la Porte, qu’ils envoyassent des troupes contre eux. Les rébelles furent battus à leur tour : un Tartare porta en toute diligence à Constantinople des drapeaux, des étendards, des têtes, des nez, des oreilles, comme autant de trophées qui annonçoient une grande victoire ; elle n’avoit pourtant pas été décisive.

On livre de nouveaux combats ; les rébelles succombent véritablement, & laissent le champ libre. Mais bientôt le désespoir les ramene : ils se réunissent, chassent les Turcs des montagnes, & les obligent de se retrancher dans la plaine. Bientôt se forment de nouveaux partis dans la Basse-Albanie, dans la Morée, & aux environs de Misytra, l’ancienne Lacédémone, où les Grecs, ennemis irréconciliables des Turcs, quoique sous leur domination, se trouvent en grand nombre. Ces nouveaux mouvemens alarmant l’impératrice de Russie autant que la Porte, elle fit signifier à l’évêque de la province de Montenero qu’elle suspendoit les aumônes qu’elle envoyoit tous les ans en assez grande abondance aux églises de son pays, si lui & ses Coloyers continuoient à demeurer attachés à l’imposteur. Peu-à-peu les peuples l’ont abandonné ; & les soldats eux-mêmes qui le soutenoient, l’ont livré pour être conduit à Moscou. Cet événement s’est passé en septembre 1769. Nous ignorons quel a été le sort de ce misérable, dont la ridicule & funeste ambition a fait répandre beaucoup de sang.