Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/François Mourene
FRANÇOIS MOURENE, ou LE FAUX MARQUIS DE VILLENEUVE.
La haute naissance, quoique l’effet du hasard, donne des considérations & des prérogatives ; un nom illustre est presque toujours une ressource pour ceux qui ne sont pas favorisés de la fortune. L’imposteur dont nous allons parler sentoit à merveille qu’en se disant de l’illustre famille des Villeneuves, il réussiroit plus aisément dans ses desseins : c’est sous ce nom si avantageusement connu, & si ancien, qu’il quitta Fréjus, sa patrie. Quoique sa véritable origine fût très-obscure, il avoit, ce qui n’est pas incompatible, beaucoup d’élévation dans l’ame. Il embrassa la profession des armes, & parvint à être lieutenant-colonel en France. Son ambition ne se bornoit pas apparemment à ce grade, son cœur n’étoit pas assez satisfait ; voilà sans doute pourquoi il fut se réfugier dans un hermitage où M. de Crequi, ambassadeur à Rome, l’ayant trouvé par hasard, l’emmena avec lui. Arrivé à cette capitale du monde chrétien, ce prétendu marquis de Villeneuve se présenta chez l’ambassadeur de l’empereur, qui lui fit avoir de l’emploi dans les troupes de son maître ; il devint officier général. Il fut appellé par les Vénitiens, & nommé généralissime de leurs troupes ; il commanda en cette qualité au siege de Candie : c’est de-là qu’il envoya son portrait enrichi de diamans au comte de Tourretes & au marquis de Vence. Il fit présent à la ville de Fréjus de son portrait équestre. On y lit cette inscription au bas : Il marchese de Villanova, per la serenissima republica de Venitia, generale de larme in Levante, anno Domini 1658, in Candia. Les armes de Villeneuve y sont pleines, & sans brisure.
Girardin, historien de la ville de Fréjus, dit : « Nos magistrats placerent ce portrait dans la maison-de-ville ».
Les gazettes de ce tems parlent de lui avec le plus grand éloge ; il triompha par ses actions héroïques, des ennemis de la république. On soupçonne peut être à tort que cet homme célebre fut empoisonné par les ordres de sa femme, qui, sans égard pour ses grandes qualités personnelles, & trop entêtée des chimeres de la naissance, fut irritée d’apprendre que son mari n’avoit pas le droit de porter l’illustre nom qui avoit contribué à ion avancement.
Il avoit épousé Anne aliàs Marie de Reyffemberg, fille de Jean-Henri, baron de Reyffemberg, libre baron, baron de Walpot, vice prince d’Efford & de Thuringe pour l’électeur de Mayence, son beau-frere, chambellan de S. M. I. Elle n’eut point d’enfans, & vivoit encore six ans après la mort de son mari, dans la baronnie de Reyffemberg.