Les Imposteurs démasqués et les Usurpateurs punis/Dolianus

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DOLIANUS, vers l’an 1040.


Les Bulgares las de porter le joug que l’empereur Basile le Macédonien leur avoit imposé, cherchoient une occasion de le secouer. Ils la trouverent bientôt sous l’empire de Michel le Paphlagonien. Un esclave de cette nation, nommé Dolianus, qui quitta Constantinople pour se sauver dans son pays, y publia avec hardiesse qu’il étoit fils de Gabriel, & petit-fils du grand Samuel, princes distingués parmi ces peuples. Une taille avantageuse, un esprit vif & pénétrant, un air d’assurance singuliere appuierent l’imposture. Les Bulgares reçurent Dolianus avec de grands applaudissemens, ils le reconnurent pour leur Roi, & massacrerent tous les Grecs qui se trouverent parmi eux.

Il arriva dans le même tems à Dirrachium une dispute entre le tribun de l’armée & le gouverneur de la ville, qui favorisa le parti de Dolianus. Lorsqu’ils marchoient tous deux à la tête des troupes contre les Bulgares, ce premier rival ou ennemi reprocha au gouverneur d’être d’intelligence avec les révoltés : il en écrivit en cour. Le gouverneur fut rappellé, & sa place donnée à l’accusateur ; mais celui-ci se comporta avec tant de hauteur, d’avarice & de dureté, que les habitans se souleverent, & le chasserent de la ville. Cette premiere rébellion les entraîna dans une autre plus considérable. Pour se mettre à couvert du juste ressentiment de l’empereur, ils choisirent Tricomere pour leur roi. Ils lui ôterent ses habits de soldat, lui en donnerent de conformes à sa nouvelle dignité, & se mirent tout d’une voix sous la protection de sa valeur.

Son parti devint bientôt assez puissant pour donner de l’ombrage à Dolianus qui se voyoit en même temps deux ennemis sur les bras. Il pressentoit qu’en se déclarant ouvertement contre Tricomere, ils se détruiroient l’un & l’autre, & avanceroient le triomphe des Grecs. Il essaya d’obtenir par la ruse ce que la fortune sembloit lui refuser par la force. Il écrivit au roi de Dirrachium en termes obligeans, pour lui témoigner le plaisir qu’il ressentoit de l’avoir pour collegue & pour appui : il le pria avec instance de venir partager avec lui la souveraine autorité sur toute la nation des Bulgares. Tricomere, plus soldat que politique, crut que ce discours partoit d’un cœur sincere, & se rendit aussi tôt auprès du fourbe qui l’appelloit.

Lorsque Dolianus l’eut ainsi éloigné de ses partisans, il chercha le moyen de haranguer les Bulgares, & leur fit entendre que jamais le royaume ne pourroit jouir de la paix, tant qu’ils auroient deux rois. « Vous ne pouvez vous dispenser de sacrifier Tricomere ou moi à votre tranquillité : si vous me regardez comme un imposteur, ne me faites point de grace, je ne la mérite pas ; mais si vous croyez que je suis du sang de Samuel, défaites-vous de Tricomere, & le traitez comme un usurpateur ». Les Bulgares sans différer plus long-temps, enleverent celui-ci, & le mirent en pieces.

Sa mort rendit l’ambitieux Dolianus souverain absolu des Bulgares. Il s’avança à leur tête vers Thessalonique où l’empereur étoit campé. Dès que ce prince eut appris sa marche, il se sauva avec précipitation à Constantinople, laissant ses équipages & ses trésors sous la conduite de Manuel-Ibatza, l’un de ses domestiques, avec ordre de le suivre ; mais Ibatza trahit sa confiance, & les livra à Dolianus qui s’agrandissoit de jour en jour par de nouvelles conquêtes. Ne croyant pas qu’il fût à propos d’attaquer Thessalonique où étoit l’armée impériale, il tourna ses armes du côté de Dirrachium dont on lui ouvrit les portes ; il envahit Nicopolis & les environs, & pénétra jusques dans la Grece où le mécontentement des peuples lui soumit plus de villes que la force de ses armes.

Le soulevement étoit général dans les provinces de l’empire par la dureté & les exactions du ministre principal. Au lieu de lever des troupes, & de gagner l’affection des officiers pour pouvoir réduire les rebelles, il sembloit n’être occupé qu’à se faire craindre, & à proscrire les premieres personnes de l’état. Alusien fut une de ses victimes. Il étoit Bulgare de nation, frere de Jean, le dernier de leurs rois. Basile voyant qu’il s’étoit soumis de lui-même & de bonne foi, l’avoit mis au rang des patriciens. On le dénonça à la cour comme coupable de quelque injustice, & aussi-tôt il fut interdit de ses fonctions. Il sollicita long-temps une audience pour se justifier ; il ne l’obtint qu’en payant une grosse somme d’or à l’eunuque ; on ne lui rendit pas justice, & on lui enleva d’ailleurs une très-belle femme qu’il gardoit à la campagne.

Alusien indigné de la conduite que l’on tenoit à son égard, prit les habits d’un Arménien, & se sauva en Bulgarie où le peuple le reçut avec beaucoup de joie. Dolianus ne pouvoit se dispenser de lui rendre les honneurs dûs à sa naissance ; mais il souffroit impatiemment un homme si estimé, & reconnu pour descendant de cette famille royale dont il prétendoit être lui-même. Voyant qu’il alloit être effacé par le mérite d’Alusien, & par l’affection que les gens de guerre lui témoignoient, il crut que le parti le plus sûr étoit de lui offrir une partie de cette autorité que toute la nation reconnoissoit lui appartenir légitimement. Il le déclara son collegue, & l’envoya avec une armée de 4000 hommes faire le siége de Thessalonique. Alusien n’y fut pas heureux. Il trouva dans les Grecs une valeur, une constance auxquelles il ne s’étoit pas attendu. Il fut contraint de se retirer après avoir perdu presque la moitié de ses troupes.

Le mauvais succès de cette expédition augmenta la jalousie & la haine des deux rivaux. Dolianus l’attribuoit à la trahison, & Alusien ne pouvoit souffrir qu’on soupçonnât sa fidélité. Irrités l’un contre l’autre, ils chercherent à se perdre mutuellement, quoiqu’ils fussent attentifs à ne point faire éclater leur dessein. Dolianus plus dangereux dans sa politique & plus animé, prévint son ennemi : il le pria à souper, l’enivra, & lui fit arracher les yeux.

Incertain toutefois de la maniere dont les Bulgares prendroient ce coup hardi, Dolianus eut recours à l’empereur, & se mit sous fa protection : il lui manda qu’il renonçoit à la couronne de Bulgarie, & qu’il se soumettoit à sa puissance, à condition qu’il lui pardonneroit, & qu’il le récompenseroit du service important qu’il avoit rendu à l’empire en faisant cesser la révolte. Michel lui accorda sans peine ce qu’il demandoit. Il fut donc sous la protection de l’empereur qui le traita avec distinction, & qui soumit bientôt après les Bulgares,