Les Historiettes/Tome 3/23

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 177-180).


BERTAUT,
NEVEU DE L’ÉVÊQUE DE SÉEZ.


Ce petit Bertaut, qui étoit de la comédie[1], étoit neveu de Bertaut le poète, qui fut évêque de Séez. Il avoit une sœur, femme-de-chambre de la Reine, qui, pour sa beauté et sa bonne réputation, fut mariée avec le premier président de la chambre des comptes de Rouen, qui étoit fort vieux, nommé Motteville[2]. Elle n’en eut point d’enfants et revint à la cour.

Lui et sa sœur Socratine étoient en nécessité quand quelqu’un dit au cardinal de Richelieu qu’il y avoit des enfants d’un frère de Bertaut qui étoient bien pauvres. Il les fit venir : la fille étoit fort jolie et avoit bien de l’esprit ; le garçon étoit passable. Ils jouèrent quelques scènes du Pastor fido, de fort bonne grâce. Le cardinal donna pension à la fille, et entretint le petit garçon au collége. Ce garçon eut assez d’industrie pour faire habiller un petit laquais, qu’il prit des livrées éminentissimes ; et quand on le rebutoit à la porte du cardinal, il faisoit passer son laquais devant. Cela plut au cardinal, auquel, par ce moyen, il fit fort sa cour ; et quoiqu’il eût découvert que leur mère étoit une mademoiselle Bertaut, qu’il avoit vue chez la Reine-mère, et qu’il haïssoit fort, il continua pourtant à leur faire du bien.

Après la mort du cardinal, au commencement de la régence, madame de Motteville, sa sœur, eut avis d’un prieuré qui vaquoit ; M. de Bassompierre l’avoit eu aussi. Elle le rencontre, comme il l’alloit demander à la Reine. Elle lui demanda, par hasard, quelle affaire l’amenoit ; il le lui dit. « Eh ! monsieur, dit-elle, je l’allois demander pour mon frère ; c’est si peu de chose, et il en a si grand besoin ! » Le maréchal répondit qu’il ne vouloit pas, sur ses vieux jours, être moins civil aux dames qu’en sa jeunesse, et il se retira. Ce prieuré étoit pourtant fort bon. On dit qu’il vaut cinq mille livres de rente. Elle l’obtint. Elle lui fit donner encore la charge de lecteur du Roi qu’avoit eue son oncle, l’évêque de Séez, avant que d’être évêque.

Il fut avec M. de La Tuillerie en Suède. Là, comme c’est un doucereux, il voulut, je pense, dire des fleurettes à la Reine, et il fit si bien qu’elle sut qu’il chantoit et jouoit du luth. Elle l’en pria un jour ; il fit bien des cérémonies ; enfin, il prit un luth, et badina tant avant que de chanter, que quand il voulut chanter tout de bon, la Reine, qui en étoit lasse, ne l’écouta point, ou ne l’écouta que par manière d’acquit. Au retour, comme la Reine lui demandoit des nouvelles de la reine de Suède, il dit qu’elle n’étoit pas laide, qu’elle pouvoit même passer pour agréable. « Mais, dit-il tout bas à la Reine en s’approchant familièrement de son oreille, elle a un peu la taille gâtée. » Quelqu’un dit en riant à M. le cardinal qui étoit là : « Votre Éminence n’a-t-elle point d’ombrage de ce galant homme ? Je m’offre pour votre second. »

Il ne manque pas d’esprit, mais il est ennuyeux en diable et plein de vanité. Par malheur pour lui, il y a un des principaux musiciens de la chapelle nommé aussi Bertaut[3]. Pour les distinguer, on appeloit celui-ci Bertaut l’incommode, et l’autre Bertaut l’incommodé, parce qu’il est châtré. On appeloit ainsi tous les châtrés de ces comédies en musique que le cardinal Mazarin faisoit jouer. Feu madame de Longueville s’avisa la première, ne voulant pas prononcer le mot de châtré, de dire cet incommodé, en montrant un châtré qui chantoit fort bien, et qui vint à la cour du temps du cardinal de Richelieu. « Mon Dieu, disoit-elle à mademoiselle de Senecterre, que cet incommodé chante bien ! »

Ce petit Bertaut fait des vers, mais pas trop bien, et c’est un grand diseur de fleurettes. Quand la cour alla à Poitiers, en 1652, un nommé Du Temple, qui a la plus belle femme de la ville, et qui est fort jaloux, alla au-devant des fourriers, pour les prier de lui donner M. Bertaut ; il entendoit Bertaut l’incommodé ; mais il n’y étoit pas ; eux lui dirent : Volontiers. Il alla faire un tour je ne sais où, et quand il arriva chez lui, il trouva un petit jeune homme qui disoit des douceurs à sa femme.

  1. Voy. l’article qui précède celui-ci, p. 175.
  2. La véritable orthographe du nom est Mauteville ; voir précédemment tome I, p. 288, note 1.
  3. C’est Berthod, mais on prononce Bertaut. (T.)