Les Historiettes/Tome 3/22

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 3p. 174-177).


LE PRÉSIDENT PASCAL
ET BLAISE PASCAL.


Le président Pascal portoit ce titre parce qu’il avoit été président à Clermont en Auvergne ; c’est un homme qui a eu d’assez beaux emplois : il étoit homme de bien et de savoir surtout ; il s’étoit appliqué aux mathématiques ; mais il a été plus considérable par ses enfants que par lui-même, comme nous verrons par la suite.

Quand on fit la réduction des rentes, lui et un nommé de Bourges, avec un avocat au conseil dont je n’ai pu savoir le nom, firent bien du bruit, et à la tête de quatre cents rentiers comme eux, ils firent grand peur au garde des sceaux Séguier et à Cornuel. Le cardinal de Richelieu fit mettre dans la Bastille les deux autres ; pour Pascal, il se cacha si bien qu’on ne put le trouver et fut long-temps sans oser paroître. En ces entrefaites, les petites Saintot[1] et sa fille, qui est à cette heure en religion, jouèrent une comédie, dont cette fille qui n’avoit que douze ans avoit fait presque tous les vers.

Le cardinal de Richelieu en ce temps-là eu la fantaisie de faire jouer le Prince déguisé[2] à des enfants. Bois-Robert en prit le soin. Il choisit, comme vous pouvez penser, cette petite Pascal ; il prit aussi une des petites Saintot, Socratine, et le petit Bertaut, son frère[3]. La représentation réussit ; mais la petite Pascal fit le mieux. Comme on la louoit, elle demande à descendre, et d’elle-même, sans en avoir rien dit à personne, elle se va jeter aux pieds de Son Éminence et lui récite en pleurant dix ou douze vers de sa façon, par lesquels elle demandoit le retour de son père. Le cardinal la baisa plusieurs fois, car elle étoit bellotte, la loua de sa piété, et lui dit : « Ma mignonne, écrivez à votre père qu’il revienne, je le servirai. » En effet, il le servit et le continua dix ans à l’intendance par moitié de Normandie, car il s’étoit défait de sa charge en faveur d’un de ses frères. Ils étoient tous d’Auvergne.

Sa fille fit d’autres vers, j’en ai quelques-uns[4]. Enfin, à dix-huit ans, elle se mit en dévotion, et, comme j’ai dit, elle se fit religieuse.

Le président Pascal a laissé un fils, Blaise Pascal[5], qui témoigna dès son enfance l’inclination qu’il avoit aux mathématiques. Son père lui avoit défendu de s’y adonner qu’il n’eût bien appris le latin et le grec. Cet enfant, dès douze à treize ans, lut Euclide en cachette, et faisoit déjà des propositions ; le père en trouva quelques-unes ; il le fait venir et lui dit : « Qu’est-ce que cela ? » Ce garçon, tout tremblant, lui dit : « Je ne m’y suis amusé qu’aux jours de congé. — Et entends-tu bien cette proposition ? — Oui, mon père. — Et où as-tu appris cela ? — Dans Euclide, dont j’ai lu les six premiers livres (on ne lit d’ordinaire que cela d’abord). — Et quand les as-tu lus ? — Le premier en une après-dînée, et les autres en moins de temps à proportion. » Notez qu’on y est six mois avant que de les bien entendre.

Depuis, ce garçon inventa une machine admirable pour l’arithmétique. Pendant les dernières années de l’intendance de son père, ayant à faire pour lui des comptes de sommes immenses pour les tailles, il se mit dans la tête qu’on pouvoit, par de certaines roues, faire infailliblement toutes sortes de règles d’arithmétique ; il y travailla et fit cette machine qu’il croyoit devoir être fort utile au public ; mais il se trouva qu’elle revenoit à quatre cents livres au moins, et qu’elle étoit si difficile à faire, qu’il n’y a qu’un ouvrier, qui est à Rouen, qui la sache faire ; encore faut-il que Pascal y soit présent. Elle peut être de quinze pouces de long et haute à proportion. La reine de Pologne en emporta deux ; quelques curieux en ont fait faire. Cette machine et les mathématiques ont ruiné la santé de ce pauvre Pascal jeune.

Sa sœur, religieuse à Port-Royal de Paris, lui donna de la familiarité avec les Jansénistes : il le devint lui-même ; c’est lui qui a fait ces belles lettres au Provincial que toute l’Europe admire, et que M. Nicole a mises en latin. Rien n’a tant fait enrager les Jésuites. Long-temps on a ignoré qu’il en fût l’auteur ; pour moi, je ne l’en eusse jamais soupçonné, car les mathématiques et les belles-lettres ne vont guères ensemble. Ces messieurs du Port-Royal lui donnoient la matière, et il la déposoit à sa fantaisie. Nous en dirons davantage dans les Mémoires de la régence.

  1. Ce devoit être la fille de Saintot, le maître des cérémonies de France.
  2. Une pièce de Scudéry. (T.)
  3. Le frère et la sœur de madame de Motteville. On l’appelle Socratine, à cause de sa sévérité. Elle est carmélite à cette heure. (T.)
  4. On lit dans Benserade des stances que mademoiselle Pascal fit à l’âge de treize ans pour une dame de ses amies, sous le nom d’Amaranthe, amoureuse de Thyrsis. Benserade y fit une réponse dans laquelle il suppose que mademoiselle Pascal s’est cachée sous le nom d’Amaranthe, et que Thyrsis n’est pas autre que lui-même. On y lit cette stance, où Benserade nous apprend l’âge que mademoiselle Pascal avoit alors :

    Qu’une fille à treize ans d’amour soupire et pleure,
      C’est souvent un défaut ;
    Mais pour une qui fait des vers de si bonne heure,
      C’est vivre comme il faut.

    (Œuvres de Benserade, 1698, in-8o, t. I, p. 49.)
  5. Blaise Pascal, né à Clermont en 1623, mort à Paris en 1662.