Les Historiettes/Tome 2/46

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 2p. 332-338).


LE COMTE ET LA COMTESSE
DE MAURE.


Le comte de Maure est cadet du marquis de Mortemart de la maison de Rochechouart. Il est un peu fier de sa naissance. Il porta les armes en sa jeunesse ; depuis il se fit comme une espèce de dévot. Il a épousé mademoiselle d’Attichy, fille d’une sœur du maréchal de Marillac, et d’un commis d’Adjacetti, nommé Doni, qui se disoit gentilhomme aussi bien que son maître ; mais on en doutoit un peu plus que de l’autre. Doni avoit mieux fait ses affaires que son maître, et avoit acheté la terre d’Attichy, vers Compiègne. Mademoiselle d’Attichy avoit un frère qui fut tué au commencement de la guerre qui dure encore[1], et elle devint héritière.

Adjacetti épousa mademoiselle d’Atri, de la maison d’Aquaviva, au royaume de Naples. La Reine-mère, en considération des services rendus à la France par ceux de cette maison, qui s’étoient ruinés en suivant son parti, amena cette fille avec elle. Elle voulut bien épouser ce partisan, qui, à cause de cela, acheta le comté de Château-Vilain, et elle disoit assez plaisamment : « Il aura le vilain, et moi j’aurai le château. » Adjacetti mourut trop tôt, et laissa ses affaires fort embrouillées. M. de Vitry voulut avoir Château-Vilain qui étoit à sa bienséance ; cela fit cette grande querelle entre le comte de Château-Vilain, fils d’Adjacetti, et lui, qui alla si loin, que le comte[2] demanda au roi par une requête le combat en champ clos contre M. de Vitry.

Revenons à la comtesse de Maure. Après la mort du maréchal de Marillac, madame d’Aiguillon, qui avoit été amie intime de la comtesse, quand elles étoient toutes deux chez la Reine-mère, envoya savoir de ses nouvelles, et lui fit dire qu’elle n’avoit osé l’aller voir, n’étant pas assurée comment elle seroit reçue. La comtesse, alors mademoiselle d’Attichy[3], lui manda qu’elle la remercioit de son souvenir, mais qu’elle la prioit de ne trouver pas mauvais qu’elle ne vît point la nièce du meurtrier de son oncle.

Elle passoit, quand elle étoit fille, pour la plus déréglée personne du monde en fait de repas et de visites ; mais ce n’étoit rien au prix de ce que c’est à cette heure, car elle a trouvé un homme qui lui dame bien le pion. Il fait tout le contraire des autres ; il voyage aux flambeaux ; il part régulièrement à la Saint-Martin pour aller à la campagne, et en revient au mois d’avril. Il s’amusoit à faire faire une galerie à une terre dont le parc étoit tout ouvert, et où il n’y avoit pas deux toits de murailles entières. Sa femme est toute faite comme lui. On demandoit à l’abbé de La Victoire : « Pourquoi ne reviennent-ils point des champs ? — Hé ! n’en voyez-vous pas la raison ? répondit-il, tandis qu’il fera vilain, ils n’ont garde de n’être pas à la campagne. » Une fois il les rencontra tous deux dans la forêt de Compiègne, qui alloient à Attichy, et à quatre grandes lieues en-deçà, il trouva leurs officiers. Les autres envoient leurs gens devant, eux sont bien aises d’attendre le souper jusqu’à l’aurore. On dîne chez eux quand on goûte ailleurs.

Lorsque mademoiselle d’Atry, fille du comte de Château-Vilain, sa parente, et mademoiselle de Vandy, logeoient ensemble chez la comtesse de Maure, on y faisoit pour le moins trois dîners, car jamais le comte et elles trois n’ont pu parvenir à être prêts ensemble. À six heures, on commençoit à penser à mettre les chevaux ; ils y étoient bien deux heures avant qu’on sortît, et souvent il leur est arrivé de commencer les visites à huit heures du soir. Ils incommodent tout le monde qu’ils vont voir ; les uns se vont mettre à table, les autres y sont déjà ; quelques-uns se couchent quand on leur vient dire que M. le comte ou madame la comtesse de Maure les demandent. Tambonneau, conseiller au parlement, trouva, en revenant d’une assemblée, la comtesse de Maure chez lui qui le venoit solliciter. On se lève chez eux si tard que toute leur peine est de trouver encore des messes.

Mais voici la plus grande folie de toutes, c’est qu’avec soixante mille livres de rente, et pas un enfant, ils n’ont jamais un quart d’écu. Le comte se faisoit toujours de sottes affaires, et faisoit enrager ses juges et ses arbitres, car ce qu’il conçoit n’entre jamais dans la cervelle d’un autre ; il a de l’esprit pourtant, et elle aussi en a beaucoup ; mais quelquefois elle est naïve, et donne dans le panneau tout comme un autre. L’abbé de La Victoire, qui l’appelle la folle, et le mari le bon, lui fit accroire une fois qu’on avoit fait M. Conrart, qui est huguenot, marguillier de Saint-Merry. « Regardez, disoit-elle, sa grande réputation, sa grande probité, ont fait passer par-dessus sa religion ! » Elle a toujours ou croit avoir quelque grande incommodité, et a sans cesse quelque lavement dans le corps. Une de ses parentes[4] lui laissa du bien en mourant, et ce qu’il y avoit de plus considérable étoit un bon nombre d’écus d’or, que cette femme, je ne sais par quelle fantaisie, avoit mis dans une seringue. Madame de Rambouillet disoit : « Voilà du bien qui vient à la comtesse de Maure dans la forme la plus agréable qu’il lui pouvoit venir. »

La comtesse de Maure et madame Cornuel allèrent faire un voyage ensemble. Elles couchèrent chez un gentilhomme qui avoit la fièvre. La nuit que tout le monde dormoit bien paisiblement, la comtesse vint heurter à la chambre de madame Cornuel. « Qu’y a-t-il ? — Hé ! levez-vous vite. — Qu’est-ce ? — Allons-nous-en tout-à-l’heure. — Hé ! pourquoi ? — C’est que je viens d’apprendre que la maîtresse de céans s’est couchée avec son mari qui a la fièvre ; elle la gagnera, et nous la donnera après. Je ne saurois souffrir ces sottes femmes-là ; allons-nous-en. » Il fallut pourtant attendre au lendemain. Madame Cornuel dit qu’elles furent quinze jours entiers ensemble en litière, et qu’elle étoit si lasse d’avoir toujours une même personne devant les yeux, qu’elle eut deux ou trois fois envie de l’étrangler[5]. L’exagération est un peu forte.

Je pense que le désordre de ses affaires, autant que le bien public, engagea le comte de Maure dans le parti de Paris. Durant le blocus, il fut le seul, tant il sait bien la guerre, qui, avec le Coadjuteur, fut d’avis de donner bataille le jour que M. le Prince prit Charenton. Sur cela on fit les triolets que voici :

Je suis d’avis de batailler,
Dit le brave comte de Maure ;
Il n’est plus saison de railler,
Je suis d’avis de batailler.
Il les faut en pièces tailler,
Et les traiter de Turc à More.
Je suis d’avis de batailler,
Dit le brave comte de Maure.

Buffle à manches de velours noir,
Porte le grand comte de Maure ;
Sur ce guerrier qu’il fait beau voir
Buffle à manches de velours noir !
Condé, rentre dans ton devoir,
Si tu ne veux qu’il te dévore.
Buffle, etc.

Bachaumont.

M. le Prince répondit ainsi :

C’est un tigre affamé de sang
Que ce brave comte de Maure :
Quand il combat au premier rang,
C’est un tigre affamé de sang.
Mais il n’y combat pas souvent,
C’est pourquoi Condé vit encore.
C’est, etc.

À la seconde conférence, après les demandes des généraux et des autres chefs de Paris, on fit cet autre triolet à l’honneur du comte de Maure :

Le Maure consent à la paix
Et la va signer tout à l’heure,

Pourvu qu’il ait de bons brevets,
Le Maure consent à la paix.
Qu’on supprime les triolets,
Et que son buffle lui demeure.
Le Maure, etc.

Bautru.

Depuis, il devint, comme on le verra ailleurs, un des plus zélés partisans de M. le Prince.

  1. Ceci a été écrit avant la paix des Pyrénées, en 1659.
  2. J’ai vu le comte de Château-Vilain à Rome, en habit d’ecclésiastique. (T.)
  3. Le comte de Maure ne l’épousa que quand elle fut devenue héritière. Il avoit, lui, douze mille écus de rente, en fonds de terre de partage. (T.)
  4. Une madame de Montigny Bérieux, Italienne. (T.)
  5. Madame de Sévigné a dit quelque chose sur les litières qui peut lui avoir été suggéré par le mot de madame Cornuel : « Vous êtes heureuse d’avoir votre cher mari en sûreté, qui n’a d’autre fatigue que de voir toujours votre chien de visage dans une litière vis-à-vis de lui : le pauvre homme !.... Hélas ! il me souvient qu’une fois, en revenant de Bretagne, vous étiez vis-à-vis de moi ; quel plaisir ne sentois-je point de voir toujours cet aimable visage ! Il est vrai que c’étoit dans un carrosse ; il faut donc qu’il y ait quelque malédiction sur la litière. » (Lettre de madame de Sévigné à sa fille, du 20 mai 1672.)