Les Historiettes/Tome 2/47

Texte établi par Monmerqué, de Chateaugiron, Taschereau, 
A. Levavasseur
(Tome 2p. 338-340).


M. DE LIZIEUX[1].


Philippe de Cospéan étoit d’une honnête famille de Mons, en Hainaut ; il avoit du savoir. Il vint à Paris, où il enseigna la philosophie, et se mit à prêcher.

Un jour feu madame la marquise de Rambouillet, voulant passer le carême à Rambouillet, pria quelqu’un de lui chercher un prédicateur : celui qu’elle avoit chargé de ce soin s’adressa à M. Cospeau (on l’appeloit ainsi, au lieu de Cospéan[2]), qui lui dit : « Si elle se veut contenter de trois sermons par semaine, je suis son homme. » Il y fut ; et M. et madame de Rambouillet en prirent une telle amitié pour lui, qu’ils lui donnèrent la jouissance, sa vie durant, d’une terre de quinze cents livres de rente, dont il a joui effectivement toute sa vie.

M. Du Fargis, leur neveu, fit son cours de philosophie sous lui, mais M. de Lizieux ne fut jamais son précepteur, ni de feu M. le marquis de Rambouillet, comme a dit l’auteur de la Vie de M. d’Espernon[3]. L’estime qu’en faisoient M. et madame de Rambouillet le fit connoître. Feu M. d’Espernon le goûta, et lui fit donner l’évêché d’Aire. Le cardinal de Richelieu avoit fait amitié avec lui, et en fit cas toute sa vie. Comme il le connoissoit pour un homme franc et sans malice, il ne trouva point mauvais qu’il sollicitât pour M. de Vendôme, avec lequel, comme gouverneur de Bretagne, il avoit fait amitié, étant, comme il fut ensuite, évêque de Nantes, car Son Éminence étoit persuadée qu’en pareil cas il en auroit autant fait pour lui.

Le cardinal souffrit de même qu’il s’attachât à la reine. Cet attachement lui servit au commencement de la régence, car il étoit comme une espèce de ministre ; mais le cardinal Mazarin prévalut, et le fit éloigner ; quand il fit arrêter M. de Beaufort, M. de Cospéan logeoit à l’hôtel de Vendôme.

Quand on lui donna Lisieux, au lieu de Nantes, quelqu’un lui dit : « Mais vous aurez bien plus grande charge d’âmes. — Voire, répondit-il, les Normands n’ont point d’âmes. »

C’étoit un homme fort reconnoissant. Madame de Rambouillet raconte qu’il disoit les choses fort agréablement et fort à propos. Ayant sacré l’évêque de Riez, ce prélat l’en alla remercier : « Hélas ! monsieur, lui dit-il, c’est à moi à vous rendre grâces : avant que vous fussiez évêque, j’étois le plus laid des évêques de France. »

Une fois, en prêchant, il fit une digression fort longue : « Je sais bien, dit-il après, que cette digression n’est pas autrement selon les règles de Démosthène, de Cicéron, ni de Quintilien ; mais Dieu garde de mal Quintilien, Cicéron et Démosthène ! Je ne laisserai pas de poursuivre. »

  1. Philippe de Cospéan ou Cospeau, né à Mons en 1568 ; évêque d’Aire en 1607, de Nantes en 1621, et de Lisieux en 1632, et mort le 8 mai 1646.
  2. Dans la Biographie universelle, on lui donne ces deux noms, de Cospéan, ou Cospeau.
  3. Guillaume Girard, grand archidiacre d’Angoulême, mort en 1663. Sa Vie du duc d’Espernon a été imprimée in-folio en 1655. Elle a eu d’autres éditions.