Les Heures claires, 1896/8

chez l’Éditeur Edm. Deman (p. 21-22).


Comme aux âges naïfs, je t’ai donné mon cœur,

Ainsi qu’une ample fleur
Qui s’ouvre, au clair de la rosée ;
Entre ses plis frêles, ma bouche s’est posée.

La fleur, je la cueillis au pré des fleurs en flamme ;
Ne lui dis rien : car la parole entre nous deux
Serait banale, et tous les mots sont hasardeux.

C’est à travers les yeux que l’âme écoute une âme.

La fleur qui est mon cœur et mon aveu,
Tout simplement, à tes lèvres confie
Qu’elle est loyale et claire et bonne, et qu’on se fie
Au vierge amour, comme un enfant se fie à Dieu.

Laissons l’esprit fleurir sur les collines,
En de capricieux chemins de vanité ;
Et faisons simple accueil à la sincérité
Qui tient nos deux cœurs clairs, en ses mains cristallines ;
Et rien n’est beau comme une confession d’âmes,
L’une à l’autre, le soir, lorsque la flamme
Des incomptables diamants
Brûle, comme autant d’yeux
Silencieux,

Le silence des firmaments.