Éditions Édouard Garand (p. 99-100).


NOCTURNE


À Monsieur Émile Coderre,

Au poète des « Signes sur le Sable »


Lasse comme un vieillard alors que vient le soir,
La campagne s’endort sous le silence austère
De la nuit qui s’avance et plane avec mystère,
Déroulant à nos yeux un pan de manteau noir.

Un reste de lumière à l’horizon demeure,
Calme et dernier baiser du soleil sur nos fronts
Qui, penchés sous le poids des terrestres affronts,
Sentent s’évanouir la souffrance avec l’heure.

Et les vieilles maisons, aux toits mousseux et gris,
Semblent se recueillir en fermant leurs paupières
Sous les cils palpitants des rustiques drapières,
Où le rêve s’abrite au fond des cœurs aigris.

Les seuils fleurent entr’eux, dans l’attente cruelle,
Le bruit léger des pas qui tantôt se sont tus.
Les granges aux pignons vétustes et pointus
S’émeuvent au retour d’une blanche hirondelle.




C’est l’heure où l’âme aimante aux siens songe souvent !
Une femme, une aïeule, en priant sous le chaume,
Surveille la cuisson du pain blond dont l’arôme
S’échappe d’un vieux four sur les ailes du vent.

De plus en plus le soir voile le paysage.
Un clocher chante au loin sa prière d’amour.
La lune s’arrondit, et l’on voit tout autour
Un bel halo céleste encercler son visage.

Tout dort. Là-bas, la forge éteint son dernier bruit.
Seule, sur les grands monts dressés comme une enclume,
Scintillante et lointaine, une étoile s’allume,
Clou d’or fixant au ciel le voile de la nuit.