Éditions Édouard Garand (p. 33-35).


APRÈS LES LABOURS


À M. Alfred Descarries,

Au peintre et poète.


L’heure solaire a fui : le calme règne aux champs.
Des outils sont restés appuyés aux clôtures.
Dans le lointain, l’on voit défiler des voitures
Par les chemins ombreux pleins de nids et de chants.

Dans les sillons nouveaux, de craintives corneilles,
Sans relâche, aux aguets, becquettent le bon grain.
D’un val monte dans l’air la voix du grave airain ;
Au rûcher bourdonnant reviennent les abeilles.

Accélérant leur marche en l’obscur incertain,
Des cavales s’en vont vers le proche village
D’où, seul, un vieux clocher émergeant du feuillage,
Dessine son profil sur l’horizon lointain.

En traversant le pont d’un cours d’eau qui sommeille,
Le pas lourd du bétail résonne dans la nuit ;
On entend le plongeon d’une loutre, à ce bruit
Que l’onde répercute ; et le ruisseau s’éveille.

Connaissant par instinct le moment du retour,
Les bœufs lèvent la tête et meuglent vers l’étable
Où, dans la paix du soir, à quelque écho semblable,
D’autres voix à leur voix répondent tour à tour.


Puis, tel un fin bijou, chef-d’œuvre d’un grand maître,
Des rayons ont surgi, là-bas, vers l’horizon.
C’est du bon laboureur l’humble et chaude maison,
Dont la lampe furtive éclaire la fenêtre.

Sur le seuil de la porte, un enfant dans les bras,
Une fermière au teint de rose, au large buste,
Agite la menotte du poupon robuste,
Tandis qu’à l’abreuvoir s’arrêtent les bœufs gras.

L’homme entre. Le foyer s’emplit de sa présence.
Puis, baisant sur le front l’épouse, par deux fois,
Il parle du sol qu’il a soumis à ses lois,
Et de riches moissons lui promettent l’aisance.

« Quelle chaleur ! dit-il, là-haut, en plein soleil.
« Dix fois j’ai cru prudent de quitter mon ouvrage.
« Mais le sillon fini, je reprenais courage,
« À mon travail obscur mais noble sans pareil. »

« Femme, j’ai labouré tous le flanc de la « Butte, »
« Et tu le sais, le sol est plus fertile en rocs
« Qu’il ne l’est en épis. Aussi, combien de socs
« Reviennent émoussés de cette ardente lutte ».


« Il fallait voir les bœufs après chaque sillon,
« — Rides marquant le front de nos terres nouvelles —
« Faire sous leurs sabots voler des étincelles,
« Et s’arrêter, parfois, las des coups d’aiguillon. »

« Ils ont bien mérité de mon humble clémence,
« Ces vaillants compagnons de mes rudes labeurs.
« Aussi, je leur promets repos et jours meilleurs
« Quand j’aurai terminé mes labours et semence. »

« C’est pourquoi, je renonce à les vendre tous deux.
« Jacques, notre voisin, m’offre en retour Éole.
« Qu’il garde son cheval ; jamais pour telle obole
« Je ne puis lui donner en échange l’un d’eux. »

Ainsi, de son travail l’homme entretient les siens,
Car, s’étant mis à table au sein de sa famille,
Il dit de gais propos et le rire pétille
Sous ce toit où sont nés, où sont morts les anciens.

Puis il soigne ses bœufs, prépare leur litière,
Caressant de la main chacun des animaux
Dont luisent les bons yeux ainsi que des émaux ;
Il chante, et sa voix monte en la nuit, douce, altière.

Alors, qu’il sait fini pour ce jour son labeur,
Ce service amoureux à la glèbe jalouse,
Après avoir prié près de sa chère épouse,
Il s’endort dans la paix sereine du Seigneur.