Éditions Édouard Garand (p. 37).


SEMAILLES


À. M. L. J. Doucet,

Au poète philosophe.


Jusqu’à ce que là-bas le soleil disparaisse
Par-delà l’horizon des coteaux vaporeux,
Un robuste vieillard, par les sillons pierreux
Et revêches et durs, se promène sans cesse.

Dans un bain de lumière où s’annonce le soir,
L’homme puisant à même un sac de toile grise
Va, vient, lance toujours aux baisers de la brise
Le grain qui ne saurait à son œuvre surseoir.

Et dès que dans sa fosse étroite et peu profonde
A chu le blé vermeil des futures moissons,
Les merles, aux aguets, s’échappent des buissons,
Et becquettent, craintifs, dans la glèbe féconde.

Suivant de quelques pas à peine le semeur,
Sur la herse courbé, son fils guide sa marche.
Aiguillonnant les bœufs dont l’ombre se détache
Plus vague en l’infini d’un beau jour qui se meurt.

Et chacun d’eux chantant une vieille romance,
Poursuit son dur labeur plein de fécondité,
Évoquant dans le grain bientôt ressuscité
La douce vision d’une récolte immense.

Puis tout s’éteint : du ciel l’ombre descend sans bruit…
Et par les verts sentiers, à travers les broussailles,
Reviennent les semeurs assis sur leurs aumailles ;
Et l’on entend leur voix se perdre dans la nuit…