Les Gaietés/Le Cordon sanitaire
LE CORDON SANITAIRE[1].
Un Espagnol, du haut de la frontière
Où nos soldats se trouvaient arrêtés,
Leur demanda, d’une voix libre et fière :
Qu’avez-vous fait de votre liberté ?
Nos vieux guerriers lui rappellent leur gloire,
Mais l’Espagnol leur dit : Parlez plus bas ;
Soldats français, il n’est qu’une victoire :
C’est d’être libre et vous ne l’êtes pas. (bis.)
Le Catalan près de nos preux s’avance,
Et malgré l’ordre on le laisse approcher.
Lors il leur dit : Eh ! qu’ont fait pour la France,
Tous vos succès qu’elle paya si cher ?
Que lui sert-il de fatiguer l’Histoire,
À répéter vos marches, vos combats ?
Soldats, etc.
Un roi couvert d’une gothique rouille,
Insolemment vient vous tyranniser,
Et vous tremblez sous un sceptre en quenouille
Qu’un faible enfant suffirait à briser ;
À vos exploits je refuse de croire,
Puisque la peur enchaîne encor vos bras.
Soldats, etc.
Au mot de peur, nos guerriers en furie
Allaient lancer un plomb sûr et mortel ;
Mais l’Espagnol, sans s’émouvoir, leur crie :
Ce n’est pas moi qui dois rougir l’autel.
Si l’honneur veut un sang expiatoire,
À vos tyrans envoyez le trépas !
Soldats, etc.
Comme le vent chasse un léger nuage,
De nos guerriers le courroux a passé,
Et le Français répond avec courage,
À l’Espagnol qu’il tenait embrassé :
La Liberté repassera la Loire,
Nous la suivrons, vieux et jeunes soldats,
Chacun de nous jure par la Victoire,
De vivre libre ou de ne vivre pas ! »
Soudain, pour faire un drapeau tricolore,
Un colonel donne un manteau d’azur ;
Un grenadier, sur le lys qu’il abhorre
Ouvre sa veine et répand un sang pur ;
Comme un fanal du haut d’un promontoire,
Le drapeau saint brille sur nos climats,
Et tout Français jure par la Victoire,
De vivre libre ou de ne vivre pas. (bis.)
- ↑ Corps de troupes françaises, chargé en 1821 de fermer à la fièvre jaune les passages de la frontière de Catalogne.