Les Gaietés/Le Cordon sanitaire

Les GaietésAux dépens de la Compagnie (p. 148-150).


LE CORDON SANITAIRE[1].

Air : À soixante ans on ne doit plus remettre.


Un Espagnol, du haut de la frontière
Où nos soldats se trouvaient arrêtés,
Leur demanda, d’une voix libre et fière :
Qu’avez-vous fait de votre liberté ?
Nos vieux guerriers lui rappellent leur gloire,
Mais l’Espagnol leur dit : Parlez plus bas ;
Soldats français, il n’est qu’une victoire :
C’est d’être libre et vous ne l’êtes pas. (bis.)


Le Catalan près de nos preux s’avance,
Et malgré l’ordre on le laisse approcher.
Lors il leur dit : Eh ! qu’ont fait pour la France,
Tous vos succès qu’elle paya si cher ?
Que lui sert-il de fatiguer l’Histoire,
À répéter vos marches, vos combats ?
Soldats, etc.

Un roi couvert d’une gothique rouille,
Insolemment vient vous tyranniser,
Et vous tremblez sous un sceptre en quenouille
Qu’un faible enfant suffirait à briser ;
À vos exploits je refuse de croire,
Puisque la peur enchaîne encor vos bras.
Soldats, etc.

Au mot de peur, nos guerriers en furie
Allaient lancer un plomb sûr et mortel ;
Mais l’Espagnol, sans s’émouvoir, leur crie :
Ce n’est pas moi qui dois rougir l’autel.
Si l’honneur veut un sang expiatoire,
À vos tyrans envoyez le trépas !
Soldats, etc.

Comme le vent chasse un léger nuage,
De nos guerriers le courroux a passé,
Et le Français répond avec courage,
À l’Espagnol qu’il tenait embrassé :
La Liberté repassera la Loire,
Nous la suivrons, vieux et jeunes soldats,

Chacun de nous jure par la Victoire,
De vivre libre ou de ne vivre pas ! »

Soudain, pour faire un drapeau tricolore,
Un colonel donne un manteau d’azur ;
Un grenadier, sur le lys qu’il abhorre
Ouvre sa veine et répand un sang pur ;
Comme un fanal du haut d’un promontoire,
Le drapeau saint brille sur nos climats,
Et tout Français jure par la Victoire,
De vivre libre ou de ne vivre pas. (bis.)



  1. Corps de troupes françaises, chargé en 1821 de fermer à la fièvre jaune les passages de la frontière de Catalogne.