Les Gaietés/Chant funèbre

Les GaietésAux dépens de la Compagnie (p. 150-152).


CHANT FUNÈBRE.

BORIES À SES CAMARADES[1].


Air de Roland.


Nous allons bientôt nous quitter,
Noirs cachots, affreuse demeure ;
Pour nous le temps va s’arrêter,
Aujourd’hui même, dans une heure.
Salut, brillante éternité !
De l’innocent, dernier refuge.

Dieu paternel, Dieu de bonté,
Salut ! tu seras notre juge !
Amis ! chantons la liberté !
Répétons, en quittant la vie,
Ce cri, des tyrans redouté :
Vivre ou mourir pour la patrie !

Mais j’entends crier nos verroux,
On pénètre dans notre abîme :
Prêtres que nous demandez-vous ?
Nous sommes étrangers au crime.
Le juste voit, sans s’émouvoir,
Sur sa tête éclater la foudre.
Nous avons fait notre devoir :
C’est nos juges qu’il faut absoudre.
Amis, etc.

J’aperçois enfin le licteur ;
Le char funèbre est à la porte ;
Le peuple avide de fureur
S’empresse à grossir notre escorte.
Ô contraste ! il laisse mourir
Ceux dont il va suivre l’exemple,
Et notre vengeur à venir
C’est celui-là qui nous contemple.
Amis, etc.

Voici l’échafaud… Son horreur
N’a rien dont notre âme s’étonne :
L’innocence est ici sans peur,

Le crime tremble sur le trône.
Adieu ! France que je chéris,
Reine des arts et de la guerre,
Ne nous plains pas ! Heureux le fils
Qui peut expirer pour sa mère.
Amis, chantons la liberté,
Répétons, en quittant la vie,
Ce cri, des tyrans redouté :
Vivre ou mourir pour la patrie !



  1. Condamnation des quatre sergents de La Rochelle : Bories, Raoulx, Goubin, Pommier.