G. Charpentier, éditeur (p. 122-124).

XX

Gianni avait associé Nello tout petit à quelques-uns de ses tours pour amuser l’enfant, et dans le dessein de l’encourager et de développer en lui le goût et l’émulation du métier. Plus tard, il sentait en son jeune frère un si ardent désir d’avoir sa part dans ce qu’il exécutait, lui ! qu’il l’avait successivement introduit presque dans tous ses exercices, et il était arrivé en ces dernières années, où Nello était devenu un jeune homme, que l’aîné avait complètement perdu l’habitude de travailler seul, et se serait trouvé tout dépaysé, s’il n’avait eu le travail de son frère noué au sien. Maintenant quand Gianni jonglait, il prenait Nello sur ses épaules, et cette superposition de deux jongleurs n’en faisant qu’un, amenait dans le voltigement des boules, des jeux bizarres et inattendus, des jeux doubles, des jeux alternés, des jeux contrariés. Au trapèze Nello répétait tout ce que Gianni faisait, tournoyant dans l’orbite de son grand frère, tantôt confondu en sa vitesse, tantôt attaché de loin à la lenteur de son flottement mourant. Dans de nouveaux exercices que l’aîné avait étudiés pour produire et mettre en scène « le petit gymnaste », Gianni, couché sur le dos, faisait tourbillonner Nello, saisi, lancé, ressaisi par ses pieds : des pieds qui ressemblaient, en ces moments, avoir des préhensions et le doigté de véritables mains. Et c’étaient encore des tours communs et partagés, où se mariaient leurs forces, leurs souplesses, leurs agilités, et où, une seconde seulement, le manque d’entente de leurs deux corps, l’inintelligence de leur contact, pouvait amener pour l’un et pour l’autre, et quelquefois pour tous les deux, le plus grave accident. Mais il y avait une telle compréhension physique entre les deux frères, que cet accord de la volonté avec les fléchisseurs, les extenseurs et leurs aponévroses pour la production d’un mouvement dans un corps, cet accord semblait seul et unique pour les deux corps.

De ces communications absconses et secrètes entre les membres des deux hommes dans l’exécution d’un tour de force, de ces attouchements de caresses paternelles et filiales, de ces interrogations de muscle à muscle, de ces réponses d’un nerf disant à un autre nerf : « Go ! » de cette inquiétude et de cette sollicitude perpétuelle des deux sensitivités, de cet abandon de sa vie, à tout instant, par l’un à l’autre, de cette continuelle mêlée sauve dans le même péril de deux chairs, naissait une confiance morale qui resserrait les attaches d’instinct entre Nello et Gianni, et développait encore la propension naturelle que les deux frères avaient à s’aimer.