Paul Lacomblez, éditeur (p. 13-21).
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ACTE II.



Sonnerie de cor dans le lointain. Roulement de tambours. Orgues. Coups répétés. Les cierges sont rallumés et l’on voit la jeune fille qui est restée debout contre le lit, immobile dans une attitude de veille, le visage tourné vers la porte.
(On frappe.)
LA FILLE se précipitant vers la porte.

Ah ! taisez-vous, taisez-vous donc ! grand-mère dort maintenant.

(On frappe.)
VOIX au dehors.

Ça m’est égal !

LA FILLE.

Vous avez dit que vous attendriez.

LA VOIX éclatant de rire.

Moi ! je viens d’arriver.

LA FILLE.

Quoi ! n’êtes-vous pas l’homme de tantôt !

LA VOIX.

Certes non.

LA MÈRE.

Ma fille, j’entends du bruit.

LA FILLE vers la porte.

Cela n’est pas vrai.

LA VOIX.

Ah par exemple !

LA MÈRE.

Ma fille, j’entends quelque chose qui bouge.

LA FILLE.

Qui êtes-vous donc ?

LA VOIX.

Mais…

LA MÈRE.

Oui, il y a là quelque chose, oui.

LA FILLE.

Je n’attends personne.

LA MÈRE écoutant.

Oui, oui, il y a quelque chose qui frôle, comme ça, là, sous la porte, sûr, il y a quelque chose qui traîne. Qu’est-ce qu’il y a, ma fille ?

LA FILLE.

C’est un oiseau de nuit, petite mère. — Qui êtes-vous donc ?

LA VOIX.

Mais… l’homme avec le linge.

LA FILLE.

L’homme avec le linge ?

LA VOIX.

Oui.

LA MÈRE.

Mais non, ma fille, mais non, j’entends quelqu’un qui parle. Qui est-ce qui est là, ce n’est pas ta voix, cela : mais non, il y a quelqu’un ! Qui est-ce, ma fille ?

LA FILLE.

Petite mère, ce n’est rien, te dis-je.

LA MÈRE.

Si, si, il y a là quelqu’un.

(On frappe.)

Tu entends ! on frappe. Qui est-ce ? demande qui c’est.

LA FILLE.

Petite mère, c’est un homme égaré qui demande son chemin.

LA MÈRE.

Ah ! miséricorde ! Par une telle nuit, ah ! mon Dieu ! ouvre lui vite, ma fille, à ce pauvre homme, qu’il se repose et mange un peu, ah mon Dieu ! Écoute.

(On frappe.)

Ah ! il faut lui ouvrir, cela, ma fille, cela est charitable, va.

LA FILLE.

Petite mère, j’ai peur, voilà la seconde fois, on ne sait pas qui peut venir.

LA MÈRE.

N’aie pas peur, ma fille, cela est bien et il faut faire le bien.

(On frappe.)
LA FILLE vers la porte.

Non !

LA MÈRE.

N’entends-tu pas des chevaux ?

LA FILLE.

Quel est ce bruit ?

LA VOIX.

G’na pas d’bruit… ah ! là-bas. J’sais pas, moi, c’est de ceusse qui viennent.

LA MÈRE.

Mais, ma fille, écoute, il y a quelque chose qui frôle, là-dessous.

LA FILLE rapidement.

C’est la pluie contre la porte, petite mère.

(On frappe.)

Non !

LA MÈRE.

Mais non ! petite mère n’est pas sourde, elle entendrait croître les herbes, c’est le bruit de quelque chose qui traîne, ah oui, je sais bien, moi ! C’est la belle Dame du château qui est là, la belle Dame à cheval : elle est venue ! Ne l’a-t-elle pas promis ? Oui, oui, sans doute, ma fille, c’est elle, je l’entends bien, c’est elle, ouvre-lui vite.

(On frappe.)
LA FILLE vers la porte.

Non !

(Se rapprochant de sa mère
dont elle prend les mains.
)

Ah ! petite mère, j’ai peur de ceux qui viennent la nuit.

LA MÈRE après un silence et la regardant dans les yeux.

Pourquoi, ma fille ? Jésus est avec nous.

LA FILLE.

Ah ! petite mère, qu’as-tu donc que tu trembles ainsi ?

LA MÈRE.

C’est de joie, ma fille, car Elle est là.

(On frappe.)
LA FILLE.

Je n’ouvrirai pas.

LA VOIX.

Ah ! nom de nom !

LA MÈRE.

Celle qui vient est bien venue.

LA FILLE.

Ne tremble pas ainsi, petite mère.

LA MÈRE haletant.

Mais c’est mal, cela, oh, oh ! oh ! c’est mal… cela, ce n’est pas le bonheur, oh, oh ! je te dis qu’il faut… ouvrir ! oh ! qu’il faut ou…vrir ! ouvrir !

(On frappe.)
LA VOIX.

Ça fait que vous ne voulez pas ouvrir ?

LA FILLE.

Non ! allez-vous-en. — Oh ! qu’as-tu donc, petite mère, que tes mains sont toutes froides ?

LA VOIX.

C’est bon, j’attendrai !

LA FILLE.

Je n’ouvrirai jamais.

LA VOIX.

C’est ce que nous verrons.

LA FILLE.

Oh ! petite mère, tu…

LA MÈRE avec halètement et toux.

Ma fille, j’ai fait un beau rêve, oh ! soulève un peu mon oreiller… oui ! un beau rêve ! J’étais dans le paradis (toussant) et le jardin (toux), tous les anges (faisant avec ses deux mains le geste de danser)… dansaient ! (fredonnant) moi, avec la Sainte Vierge (faisant toujours les gestes avant les paroles), je dansais… au milieu ; (toux) une fête, une belle fête, oh ! oh ! oh ! (elle fait de grands efforts pour s’agiter)

LA FILLE l’arrêtant et essuyant la sueur de son visage.

Mère ! oh, petite mère !

LA MÈRE.

Au milieu des fleurs du Paradis (toux) — (après un silence et changeant d’idée :)

Est-ce qu’Elle est partie que je ne l’entends plus ?

LA FILLE regardant la porte.

Oui, mère, oui… oui… Il est parti.

LA MÈRE.

Que Dieu l’ait en sa sainte garde.

LA FILLE.

Oui, petite mère, je prierai pour lui.

LA MÈRE se laissant retomber et lentement.

Oui… faut prier pour Elle… faut prier pour Elle (longue aspiration) la sainte Vierge Marie dans sa maison (toux). Disons le Notre Père et les trois actes. Approche un peu le crucifix, je ne le vois plus bien, oui, comme ça, oui.

On les entend balbutier les prières. Encore le bruit du chapelet et de la toux. Le bruit de la pluie contre les vitres.

Onze heures sonnent lentement.

On entend aboyer le chien. La fille souffle les cierges.
Ténèbres sur la scène.