Les Flaireurs/Acte III
ACTE III.
Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu ! taisez-vous donc, sinistre que vous êtes, vous allez faire mourir ma mère !
Me v’là !
Mais je vous en supplie, taisez-vous, je vous en supplie, oh mon Dieu !
Hé ben quoi ! me v’là !
Mais que voulez-vous donc ?
Ben, entrer.
Vous m’avez promis d’attendre jusqu’au jour !
Ah ! par exemple ! Je viens d’arriver ! Pas vrai, vous autres ?
Ma fille, allume le cierge.
Cela n’est pas vrai.
Ah ! cré nom ! est-ce qu’on se f… de moi ici !
Ma fille, allume l’autre cierge aussi, car Elle est là.
Que vous n’allez pas me planter ici avec ?
Je n’ai pas besoin de vous.
Bon, bon, chacun à son tour. C’est pas pour vous que j’suis-là, voyons !
Ma maison n’est pas digne de la recevoir.
Ah ! ça, voulez-vous bien ouvrir ou je cogne avec ?
Mais, ma fille… lève le rideau… et laisse entrer le soleil… que ce soit un peu beau ici. (Ouvrant les bras en un geste radieux.)
Tout en fête, car Elle va entrer.
Oui, mère.
projetées sur le mur.)
Qu’est-ce que ces ombres ?
Ah !…
(Elle fait vivement retomber le rideau.)
Ma fille, prends l’eau bénite.
Non ! qui êtes-vous ?
Mais sacré nom ! l’homme avec… la chose…
Quelle chose ?
J’suis l’homme avec le cercueil, v’la !
Ah ! l’homme avec…
Oui, oui, est-ce qu’on ne m’attendait pas peut-être ?
Ouvre-lui la porte, ma fille, Elle peut entrer.
Petite mère, ce n’est pas une dame… c’est… quelqu’un… qui est poursuivi et qui demande un asile.
Ouvre-lui vite, ma fille, oh ! oh ! ouvre… lui vite vite, oh ! oh ! elle est la bien-venue. Oh ! de l’eau, donne-moi de l’eau.
Cré nom que c’est lourd !
Ah ! j’étouffe, ma fille… où est le crucifix… je ne le vois plus, oui, oui, faut lui ouvrir.
Il sera tout mouillé à la fin.
Va, couvre la table… mets la belle nappe. (Se frappant la poitrine.) C’est ici, tiens ici ! (D’une voix rauque.) Ho… va, va cueillir quelques fleurs, oui, Elle est là… ouvre-lui donc.
Faudra que j’enfonce la porte !
Oui, là, je la vois, je la reconnais, ô belle Dame !
Hé ben, vous autres ?
La belle Dame… pour mes yeux, vois-tu les portes maintenant… il n’y en a pas ! ouvre…
Oui, elle a quelque chose là, quelque chose là sur son épaule.
Oh, petite mère !
Puisqu’il faut, ben v’là !
Allez-vous-en ! allez-vous-en, qui que vous soyez ! Allez-vous-en, vous dis-je, je ne vous ouvrirai pas, vous dis-je, jamais, jamais, jamais ! Est-ce que vous venez tuer ma mère, vous ? (Craquements.) Est-ce que vous nous apportez la mort, vous ? Ah, mon Dieu ! Mais qu’est-ce que je vous ai donc fait. Ah, mon Dieu ! Ah, mon Dieu !
tombe à genoux devant la
porte en sanglotant.)
Entrez, belle Dame, voici le jour et je suis prête.
Oh ! oh ! j’ai peur, cessez de grâce ! nous sommes de pauvres femmes. Nous n’avons rien. Ma mère est malade. Vous ne venez pas nous prendre, n’est-ce pas ? Vous n’êtes pas de méchants hommes. Je vous ouvrirai, mais dites, vous n’êtes pas des hommes sans cœur, n’est-ce pas ? Vous ne voudriez pas que ma pauvre mère meure !…
Ah, petite mère, reste donc, que fais-tu, ne hurle donc pas ainsi, tu me fais mourir, je suis à tes genoux, près de toi, petite mère, regarde, regarde-moi, c’est moi, ta petite ange, pourquoi est-ce que tu ne me réponds plus ?
Qui es-tu, petite ange ?
Il est l’heure ! Il est l’heure !
Et vous n’entrerez pas, ni vous ni les autres !
Faudra voir !
Oh ! petite mère, comme tu trembles, comme tes mains sont glacées, n’aie pas peur, vois, je suis ta chère petite ange qui te garde, n’aie pas peur, ils ne peuvent te faire aucun mal, ne me reconnais-tu plus ? oh ! ne me regarde pas ainsi avec ces yeux fixes, petite mère, j’ai maintenant peur de toi-même !
tandis que de la main droite elle montre la porte.
C’est le carrosse !
Sainte Vierge Marie !
Petite mère, c’est moi qui t’embrasse, regarde et bénis-moi, petite mère, tu es dans mes bras, oh, regarde-moi, regarde-moi donc !…
Ah !…