Paul Lacomblez, éditeur (p. 6-12).


ACTE I.



LA FILLE.

Qui est là ?

UNE VOIX au dehors.

Moi.

LA FILLE.

Qui vous ?

LA VOIX.

Moi !

LA FILLE.

Ça n’est pas un nom, qui êtes-vous ?

LA VOIX.

Ah ! mais… Je suis l’homme, vous savez bien.

LA FILLE.

Je n’attends personne.

UNE VOIX dans le lit.

Ma fille, qu’est-ce que ce bruit ?

LA FILLE.

Petite mère, c’est le vent. — Est-ce pour moi que vous venez ?

LA VOIX.

Bien sûr que non, petite, bien sûr que non !

LA MÈRE.

Ah ! vraiment, j’entends quelque chose.

LA FILLE.

Si vous ne vous nommez pas, je n’ouvrirai pas.

LA VOIX.

Mais… mais… c’est pas pour dire. Je suis l’homme avec l’eau.

LA FILLE.

L’homme avec l’eau ?

LA VOIX.

Ben oui. Voilà !

------(Clapotement d’eau qu’on égoutte.)

LA MÈRE.

Ma fille, j’entends de l’eau. J’entends quelque chose qui coule.

LA FILLE.

L’homme avec l’eau ?

LA VOIX.

Bien sûr et avec l’éponge.

LA FILLE.

Avec l’éponge ?… je n’ai que faire de tout cela.

LA VOIX.

Excusez, petite, excusez… c’est pour laver.

LA MÈRE.

Qui est-ce, ma fille ?

LA FILLE.

Petite mère… c’est… un pauvre… un pauvre qui demande une aumône.

LA MÈRE.

Ah ! donne-la lui. Le pauvre homme ! Qu’il entre un peu et se repose : par une telle nuit. Ah mon Dieu !

(On frappe.)
LA FILLE.

Non ! — Petite mère, j’ai peur, on ne sait pas qui peut venir.

LA MÈRE.

C’est mal cela, ce que tu dis, c’est mal, il faut lui ouvrir, donne-lui du pain.

(On frappe.)
LA FILLE.

Non ! — J’ai peur de ceux qui viennent pendant la nuit, petite mère, si c’était un voleur.

LA MÈRE.

Ma fille, il faut ouvrir, entends-tu, il faut ouvrir. Qui est-ce ? (souriant). Ah ! mère sait bien qui c’est, ma fille. Elle connaît ce son.

(On frappe.)
LA FILLE alarmée.

Tu sais qui c’est ?

LA MÈRE.

Eh quoi ? N’est-ce pas le Seigneur notre bon maître ? Il chasse dans la nuit. Voici qu’il a faim et soif, qu’il est fatigué. Ouvre-lui, ma fille, ouvre-lui vite. J’entends le bruit de ses chevaux noirs !

(Pas de chevaux dans le lointain.)
LA FILLE.

Quel est ce bruit, n’êtes-vous pas seul ?

LA VOIX.

Bien sûr, que j’suis seul ! g’na pas d’bruit… ah si… peut-être bien, là-bas… c’est de ceusse qui viennent… mais ouvrez donc.

(On frappe.)
LA FILLE.

Allez-vous-en.

LA VOIX.

Pour lors que vous ne voulez pas ouvrir ?

LA FILLE.

Je n’ouvrirai jamais.

LA VOIX.

C’est bon, j’attendrai.

LA MÈRE.

Chacun dit, ma fille : demain, demain ; oui, mais l’autre, l’autre qui est là ? Est-ce qu’il va attendre ? Ce que l’un ne sait pas, l’autre le sait, ce que l’un ne voit pas, l’autre le voit et c’est grand péché et folie… ma fille, il est donc parti que je ne l’entends plus ?

LA FILLE regardant la porte.

Oui, mère… oui… oui… il est parti.

LA MÈRE.

Ah ! que Jésus l’ait en sa bonne garde, et la Vierge !… Quel temps il fait au dehors… Viens, ma fille, prions pour lui, pour ce pauvre dans la nuit, le Notre Père et les trois actes. Tourne un peu la croix vers moi, oui… oui.

On entend les deux femmes qui balbutient des prières — bruit du chapelet dans les mains de la vieille. —
La pluie fouette les fenêtres.

10 heures sonnent lentement.

On entend aboyer un chien. La fille souffle les cierges. Ténèbres sur la scène.