Les Femmes (Carmontelle)/Chapitre 12

Delongchamps (tome Ip. 91-95).


CHAPITRE XII.

La Savante.

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« Savez-vous une idée qui me vient ? J’aurais presque envie d’aimer une savante.

— Eh bien ! essayez ; c’est toujours faire quelque chose.

— J’en connais une, qui a déjà l’air de vouloir me protéger.

— Il y en a qui aiment à faire des élèves ; si elle vous protège, c’est que vous lui avez plu.

— Elle m’a paru admirer quelquefois les sottises que je disais, car je ne sais rien ; avec un air réfléchi, un regard en dessous, fixe, et un sourire doux, qui m’enhardissait ; mais ce n’était que quand nous étions seuls.

— Vous dédaigne-t-elle devant sa société ?

— Non, vraiment : au contraire, elle cherchait à me donner de la considération, et c’était-là ce qui m’embarrassait, parce que je n’entendais rien à ce qu’on y disait.

— Vous serez toujours de même, si vous ne savez pas ce qu’il faut admirer ou proscrire.

— Oui, cela m’embarrasserait l’esprit ; vous avez raison.

— Il y aurait un moyen de réussir, ce serait d’admirer tous ceux qui tiennent le dé chez elle dans la conversation. Mais qui compose sa société ?

— Je ne sais le nom d’aucun.

— Mais celui de la dame ?

— C’est madame de Louvas.

— Ah ! une femme brune, qui n’admire que tout ce qui vient d’Angleterre.

— C’est cela même.

— Est-ce que vous pensez comme elle ?

— Ma foi non, je suis de mon pays, je suis et je serai toujours Français.

— Elle voudra vous convertir, vous obliger à changer d’opinions, et à n’avoir que les siennes et celles de sa société.

— C’est cette même société qui m’a déjà un peu retenu sur le désir que j’avais de m’attacher à elle.

— Laissez-la en paix avec sa coterie, tous ces gens ne feraient que vous envier, vous dédaigner et vous ennuyer.

— Ma foi, je crois que toutes réflexions faites, vous avez raison.

— Occupez-vous d’une manière qui puisse vous convenir et qui vous soit agréable ; soyez gai, cela est rare ; mais pour cela songez qu’il y a toujours des moyens de consolation à votre âge quand on trouve des infidèles.

— Je suis plus certain que jamais que sans vous je n’existerais plus, et je ne serais pas surpris en suivant vos conseils d’arriver un jour au point où vous en êtes.

— Vous ne seriez pas fort avancé, ne vous pressez pas.

— Adieu. Je vais me lancer dans le monde, et vous apprendrez bientôt de mes nouvelles. »

Saint-Alvire au bout de six semaines vint retrouver Dinval, il n’était pas triste ; mais il avait l’air occupé. Dinval fut charmé de le revoir. Il lui dit : « Êtes-vous bien savant à présent ?

— Non, je ne suis pas plus savant que je n’étais, mais j’ai la tête remplie de plus de mille vers.

— Bon ! et comment cela ?

— On me fait jouer la comédie.

— Eh bien ! c’est une occupation fort agréable.

— Oui, lorsqu’on la joue bien.

— Rien n’est plus facile en société, on copie les acteurs de la Comédie française.

— C’est bien ce que font tous ceux avec qui je joue ; mais je n’aime pas cette façon de jouer.

— Il ne faut pas y regarder de si près. »