Les Femmes (Carmontelle)/Chapitre 04

Delongchamps (tome Ip. 23-29).


CHAPITRE IV.

Coquette.

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« Voilà qui est fini ; je ne songerai pas même à m’en informer. Connaissez-vous madame de Clairfond ?

— Oui, elle est jolie et assez piquante.

— Eh bien ! c’est une veuve.

— Je vous vois venir ; mais elle ne conviendra pas à vos projets.

— Pourquoi cela ?

— C’est qu’elle n’est pas femme à sentiment.

— Vous ne la croyez pas sensible ?

— Je la crois un peu trop coquette, et le désir de plaire à tous les hommes, ne rend pas digne d’une grande passion, il en rend même incapable.

— J’en suis fâché ; car elle me plairait fort.

— Vous ne lui conviendriez pas moins.

— Vous le croyez ?

— J’en suis certain ; quand ce ne serait que pour avoir le plaisir de vous citer à tout propos à ceux avec qui elle vit.

— Quelle folie !…

— Elle leur dirait : Le marquis de Saint-Alvire est fort aimable ! je ne le connaissais pas ; je l’ai vu ce matin aux Tuileries ; il m’a demandé la permission de venir chez moi ; je crois qu’il y soupera demain à son retour de Versailles ; c’est un homme du meilleur ton.

— Il n’est pas possible !

— On lui dira vainement que vous avez toujours vécu avec des filles, elle soutiendra le contraire.

— Quelles gens voit-elle donc ?

— Mille petits robins qui l’entourent sans cesse, plus ridicules les uns que les autres, sans aucun ton, ni bon goût, et par qui elle se laisse flagorner en leur disant qu’elle ne peut pas les souffrir. Alors ils la trouvent charmante, divine, délicieuse ; ils frappent du pied, éclatent de rire, se jettent sur ses mains et les dévorent. Ils ne soupirent pas auprès d’elle, mais ils semblent la respirer ; il est vrai qu’elle est toujours parfumée comme une comédienne.

— Et elle est flattée de leurs hommages ?

— Elle les considère comme autant d’esclaves attachés à son char. Il faut la voir sur l’escalier de l’Opéra, où ils font foule autour d’elle. Sa voiture passe et repasse plusieurs fois avant qu’elle songe à sortir du spectacle.

— Et elle n’en distingue aucun particulièrement.

— Pardonnez-moi, les maîtres des requêtes ; parce qu’ils vont souvent à la cour.

— Réellement ?

— Sans doute ; aussi ont-ils un air plus suffisant, plus capable, plus instruit de tout ce qui arrive. Ils ont toujours des histoires qui ne finissent pas, et qui ennuient les autres. Ils sont forcés à une certaine tenue ; mais ils dédaignent ce ton magistral, et ils s’en dédommagent en pensant qu’ils ont l’air militaire, parce qu’ils sont toujours en frac, qu’ils savent parler chevaux, jockeis et wiskis.

— J’ai rencontré mille fois de ces messieurs-là qu’on appelait présidens.

— Eh bien ! oui, c’est cela.

— Je croyais toujours que c’étaient des sobriquets qu’on leur donnait.

— Mais point du tout.

— Allons, me voilà guéri du désir de plaire à madame de Clairfond : sa façon de penser, ses manières et les gens qui l’environnent ne me conviennent nullement.

— Eh bien ! cherchez ; voyez parmi les femmes que vous connaissez si elles ne vous plaisent pas ; vous en trouverez d’autres chez elles.

— C’est que depuis long-temps je suis peu répandu.

— On vous recevra partout ; vous avez des parens, des amis, qui sont mariés.

— Sûrement, mais je ne voudrais pas trahir la confiance de mon ami en lui enlevant sa femme ni même sa maîtresse. Vous me trouverez peut-être une façon de penser bien provinciale.

— Non, je trouve que c’est celle d’un honnête homme.

— C’est un secret pour vous seul.

— Et pourquoi rougiriez-vous d’un principe fait pour vous faire distinguer par la femme la plus honnête ?

— Si c’était un moyen de plaire, il me coûterait bien peu. Savez-vous que j’ai entendu quelquefois des filles raisonner sentiment, et que j’ai été tout prêt de m’y attacher.

— Et qui vous en a garanti ?

— Les hommes que j’ai su qu’elles avaient ruinés.

— Et aimeriez-vous des femmes qui se seraient laissé ruiner par des hommes ?

— Non sûrement ; je les plaindrais de leur aveuglement ; mais je n’estimerais pas leur faiblesse, et je ne sais pas même si je ne les mépriserais pas de s’être ainsi laissé subjuguer par des fripons.

— Je pense comme vous ; je trouve même les hommes avilis lorsqu’ils se laissent ruiner par des filles, qui n’ont pas de tort, puisqu’elles font leur métier et qu’on doit s’y attendre.

— Voilà de quoi je ne m’étais pas occupé jusqu’à présent, et je suis actuellement si effrayé de cette idée, que puisque je leur ai échappé, je vous réponds bien que c’est pour toujours. »