Les Femmes (Carmontelle)/Chapitre 03

Delongchamps (tome Ip. 20-22).


CHAPITRE III.

Raisonnable.

Séparateur


« Tenez, il y a une femme qui m’a toujours fait plaisir à rencontrer.

— Comment la nommez-vous ?

— Je ne sais si vous la connaissez : c’est madame de Brécil.

— Madame de Brécil ? elle est fort aimable ; elle a le ton d’une femme très-honnête, et son mari la rend la plus heureuse du monde.

— Est-ce qu’il l’aimait avant de l’épouser ?

— Non ; il ne l’avait jamais vue.

— Et ils se conviennent parfaitement ?

— Rien n’est plus vrai.

— Je ne comprends pas cela ?

— Madame de Brécil n’avait pas été élevée au couvent où se prennent les idées romanesques. Une tante très-sensée et très-aimable l’avait prise chez elle, et s’était essentiellement occupée de son éducation ; elle avait, aux talens nécessaires, joint ceux de pur agrément, et elle lui avait fait envisager le bonheur dans le mariage ; mais en remplissant exactement tous ses devoirs, qu’elle lui avait rendu faciles, en lui faisant épouser un homme essentiel, aimable et de bonnes mœurs, enfin elle lui avait fait autant aimer la vertu qu’elle lui avait préparé de crainte des remords qui suivent tôt ou tard une faute. Les belles dames disent que c’est une femme qui ne connaîtra jamais le sentiment, et qui n’aura qu’une gaieté bourgeoise.

— Tenez, tout libertin que vous pourriez me croire, je respecte une union pareille à celle-là, et je serais réellement désespéré d’avoir seulement la pensée de la troubler.

— Peut-être, d’après ce tableau, auriez-vous le projet de vous marier ?

— Je n’en suis pas encore là.

— Vous voulez toujours voltiger ?

— Non, bien au contraire ; puisque je serais fort aise d’avoir une grande passion.

— Eh bien ! attachez-vous à une veuve.

— Mais…

— N’allez-vous pas vous inquiéter d’avoir été précédé par son mari ?

— Non ; puisque vous m’avez prouvé qu’un mari n’a quelquefois pas seulement effleuré le cœur de sa femme.

— Ne songez donc plus au passé. »