Traduction par Edmondo Fazio alias Edmond Fazy.
E. Sansot (p. 28-29).

9. — LE HOBEREAU ET LE MARCHAND[1]

Nous étions une vingtaine à nous humecter de vin blanc d’Alsace, en disant des gaudrioles. Un gentilhomme du pays taquinait Bernard, le marchand :

— « Je vous plains. Pendant que vous êtes en voyage, avec vos ballots, vous laissez vos femmes à la ville, parmi tant de jouvenceaux mignons qui cherchent fortune. Nous autres nobles, nous sommes plus prudents : lorsque nous guerroyons en France ou en Italie, nos femmes nous attendent, enfermées dans leur château. »

Bernard demande la permission de répliquer franchement. Notre gentilhomme la lui accorde. Alors, le marchand :

— « Vous connaissez le proverbe : « La noblesse est difforme, et la laideur lui marche sur les talons. Au contraire, les bourgeois ont de beaux enfants. » Eh bien, quand nous voyageons, nous autres citadins, ce sont les plus jolis garçons du monde qui nous cocufient : voilà pourquoi nos femmes ont de si beaux poupons. Mais vous, quand vous êtes à la guerre, vos femmes n’ont à leur disposition que des valets de cuisine et des palefreniers : voilà pourquoi elles vous donnent de pareils crapoussins ! »

Nous avons tous bien ri, ce soir-là, dans le cabaret au plafond bas, et aux boiseries enfumées.

  1. Livre I, 71. De mercatore et nobili.