Les Entretiens de la grille/Les tétons naissans

(attribution contestée par P. Pia)
(p. 24-26).

Une jeune Penſionnaire
Plus coquette qu’à l’ordinaire
Monſtroit un jour ſes tetons au Parloir.
L’on l’y ſurprit, l’on s’en plaint à l’Abbeſſe
Qui la fit appeller le ſoir
Et ne parla que d’aller à Confeſſe
Pour ſe purger d’un attentat ſi noir.
Quoy ! diſoit-elle à cette jeune fille,
Monſtrer ſes tétons à la Grille,
Non, je ne voudroit pas qu’il m’en advint autant
Pour plus d’un million comptant.
Mais la fille reprit, Ecoutez-moy Madame,
Sans crainte d’allumer de flamme
Les Enfants de vingt mois peuvent ſe monſtrer nuds,
De mes tétons les ans vous ſont connus,
Les vôtres avancez en âge
Ne doivent plus aimer le badinage,
L’on permet tout aux innocens,
Hé bien, les miens n’ont que deux ans.

Cette Hiſtoriette fut jugée bien tournée par Placidie qui avoit le goût aſſez fin. Et la ſcrupuleuſe Angelique la traitta de trop libre. La ſuite du temps & une plus grande familiarité qui ſe contracta de jour en jour luy ôta bien cet eſprit critique. Elle devint celle qui contoit les plus recreatives. Ce recit fut ſuivi de quelque gloſe & de quelques reflections qui finirent agréablement nôtre converſation. Nous nous ſeparâmes là-deſſus & à la même heure le lendemain, m’étant rendu au Parloir, j’y vis entrer mes deux belles qui portoient ſur le viſage quelque choſe d’aſſez gay pour me faire preſumer avantageuſement de leurs galantes préparations.

Placidie plus impatiente & moins retenuë qu’Angelique ſe donnoit à peine le loiſir de prendre un ſiege. Elle crioit, en étouffant de rire : Oh, que j’en ſçay une bonne ! ſon ris augmentoit à meſure qu’Angelique par modeſtie le luy vouloit interdire, & il devint ſi exceſſif que ſa chemiſe courut grand riſque, & que tres-certainement le plancher en ſüa. Elle ne nous donna point le temps de complimenter. Nous étions déja devenus auſſi familiers aprés une premiere entrevuë que ſi nous avions paſſé toute nôtre vie enſemble. Tant il eſt vray que les Cloîtres ſont des écoles d’innocence & d’ingenüité. On s’aſſit & d’abord Placidie nous regala de cette Hiſtoire qui s’étoit paſſée dans la même maiſon huit jours auparavant.