Les Entretiens de la grille/L’accouchement

(attribution contestée par P. Pia)
(p. 41-44).

Toute la Cour faiſoit des vœux pour la fécondité d’une Princeſſe étrangere, lors qu’un jour apres avoir pris pluſieurs remedes violens pour le même effet, les remedes luy ayant enflé le ventre d’une infinité de vents, elle crut eſtre enceinte. Tout le monde en fait des feux de joye. On benit le Ciel, on la felicite, les Medecins y ſont pris eux-memes. L’enflure croiſſant par l’augmentation de ces vents, qui luy cauſoient de temps en temps d’horribles tranchées, on prepare tout l’equipage neceſſaire pour recevoir un Duc au monde. Les douleurs augmentent, la Princeſſe ſe croit proche du terme. Les Medecins, les ſages-femmes & tout l’attirail eſt diſpoſé pour le ſoulagement de ſon Alteſſe. Madame eſt au lit. Tout le monde garde le ſilence ; On chauffe & rechauffe force linges dont on frotte le ventre de la Princeſſe. La chaleur s’inſinuë, penetre, émeut, produit un bon effet, diſpoſe le fruit à ſortir. Des tranchées cruelles enlevent la parole à Madame ; Elle eſt ſur le point d’accoucher. On luy crie, courage, courage, Madame, efforcez vous, criez de toutes vos forces, aidez comme une bonne Mere à l’Enfant. Elle touſſoit, crioit, s’efforçoit, quand tout d’un coup, un Pet, mais un Pet, un maître Pet vint au monde, qui ſoulagea ſi fort la Princeſſe, qu’elle ne s’imagina rien autre choſe, ſi non qu’elle étoit délivrée de ſon fruit. Il n’eut pas pluſtôt frappé les oreilles du premier Medecin qui étoit le plus proche de l’alcove, qu’il s’écria pour mettre la Princeſſe en belle humeur. Qu’il eſt gros ! Elle qui croioit qu’il parloit de l’Enfant, cria auſſi d’abord, apportez, apportez, que je le baiſe. Et ſur ce que le Medecin qui ne croioit ce pet qu’un prélude repeta pluſieurs fois, fy, fy, fy, la tendre Mere ajoûta, hé, qu’on le lave donc, qu’on le lave.

Nous devenions de jour en jour plus familiers. Elles donnoient tout leur temps à de belles meditations. Nous nous rendions ſans y manquer tous les jours au Parloir à la même heure, quand une fois nous y fumes ſurpris dans un temps où par je ne ſçay qu’elle inſpiration de nôtre bon deſtin nous ne nous entretenions que de ſpiritualité. Une vieille Mere écoute qui nous épioit ayant entendu le commencement de nôtre converſation ſe retira doucement fort édifiée de nôtre pieux commerce & fit des raports à l’Abbeſſe avantageux à la liberté des deux Sœurs & favorables à mon accez au Parloir. Cette bonne Mere n’eut pas plûtôt tourné le dos que nous reprimes nôtre belle humeur & qu’Angelique ferma en riant de ſa main la bouche de Placidie pour avoir la liberté de conter la premiere ſon hiſtoire. Elle nous dit que ſes yeux étoient les temoins de ce qu’elle alloit declarer à nôtre curioſité, ce qui me fit ajoûter qu’elle meritoit une attention toute particuliere.