Les Entretiens de la grille/Le chat
Un Moine, oſeray-je le dire, s’interrompoit-elle, un Moine gros & gras & tres-bien fourni étoit aſſis aupres du feu & diſcouroit avec environ cinq ou ſix Dames du cercle deſquelles quelles j’étois. Ce Moine avoit retrouſſé ſa robe ſur ſes genoux à un demi-pied de terre, ce qui fit naître à un petit chat l’inclination de s’aller poſter deſſous. Le chat ſe gliſſe là, y repoſé quelque temps aſſis ſur ſes quatre pates, & s’etant éveillé enfin, leve la teſte & s’apperçoit de je-ne ſçay-quoy au deſſus de luy qui luy pouvoit donner quelque jeu. Il me ſemble que je le voy encore. Il regarde, il admire, il contemple, il tourne la teſte, élargit & reſſerre les oreilles, porte en haut vers le Je-ne-ſcay-quoy une pate & puis l’autre, donne de petits coups d’une pate & de l’autre ; Il redouble ſi doucement que nôtre Moine ſe perſuade que l’action du feu eſt l’unique cauſe de l’ébranlement du Je-ne-ſçay-quoy. Il ne s’en met pas fort en peine. Le chat continuë ſon petit ballottage, jusqu’à ce qu’enfin, comme c’eſt la coutume de ces malicieux animaux apres avoir bien badiné, de jetter en même temps les griffes & les dents ſur la proye. Il ſe lance de dents, de griffes, & de corps ſur le Je-ne-ſçay-quoy, dont la morſure & les égratignures furent reſſenties ſi vivement du pauvre Moine, qu’il ne put s’empecher de lever tout d’un coup ſa robe & ſon froc pour ſecoüer ce miſerable, que toute la Compagnie vit ne pas vouloir quaſi démordre du friand morceau dont il étoit ſaiſi.
Angelique n’eut pas pluſtôt fini, que je m’ecriay que je ne voudrois pas avoir été en ſa place. Que je me plairois d’eſtre mordu d’une bouche ſans dents. Elle fit ſemblant de ne rien comprendre à mon probleſme & me repartit auſſi énigmatiquement qu’une vieille édentée ſerroit bien fort des gencives. Placidie interrompit ce diſcours & nous regala d’une hiſtoire que je ſçavois déja & que je feignis d’ignorer.