Les Entretiens de la grille/L’étrillé

(attribution contestée par P. Pia)
(p. 55-61).

Mon Pere avoit une maiſon des champs éloignée d’environ une lieuë de Saint-Germain en Laye ou tout l’Eté il recevoit les viſites de la nobleſſe voiſine. Ce lieu de plaiſance étoit le rendez-vous d’une infinité de jeunes Demoiſelles Campagnardes qui n’avoient au retour du frais qu’elles prenoient dans le parc le ſoir point d’autre exercice que le jeu auquel elles paſſoient une grande partie de la nuit. Elles s’y attachoient tellement & avec un plaiſir ſi opiniatré qu’il ſembloit qu’elles conſtituoient leur felicité dans le maniment des cartes. Mon Pere qui aimoit ſon repos avoit beau leur reprocher galamment leur attache. Celles qui perdoient le prenoient à parti & celles qui étoient favoriſez d’une meilleure fortune le declaroient l’ennemi de leur bonheur. En ſorte que toutes ſes remonſtrances demeuroient ſans effet. Il s’impatienta un jour, juſqu’à dire qu’il feroit porter la table au milieu du jardin, ce qui me porta à mediter de quelle maniere je luy pourois procurer la raiſonnable ſatisfaction qu’il demandoit. Je forme un deſſein, je haſarde, je l’execute. Nos Dames au nombre de ſept ſont ſi fort attachez au jeu qu’il eſt impoſſible de les en arracher. Une heure aprés minuit ſonne, je convie la Compagnie d’aller prendre du repos. Mes joueuſes font la ſourde oreille & me menacent même de me faire un mauvais parti. Je me raille de leurs menaces, je me deshabille nud en chemiſe & en calçon. Je m’approche de la table & ayant ſauté deſſus je lâche un gros pet & éteins de mes deux mains les deux chandelles. Les tenebres & le bruit entendu jette l’épouvante dans tous les eſprits. Pandant quelque temps regna un ſilence general, que je rompis d’une autre peterade, aprés la quelle je me ſauvai le plus précipitamment que je pûs. Jamais contuſion ne fut ſi grande, les unes penſoient au ſcandale, les autres à l’égarement de leurs jettons & toutes ſe plaignoient de l’inſulte. Je m’imaginois que le ſommeil que je leur procurois effaceroit cette matiere de chagrin de leur eſprit & en effet elles me parurent le landemain incapables de renſſentiment. Mais, helas ! je connoiſſois mal le caractere du genie des Femmes. Moins elles me ſembloient vouloir entrer dans des ſentimens de vengeance & plus la funeſte conſpiration qu’elles braſſoient contre moy étoit-elle à craindre. Il ſeroit difficile de s’imaginer de quelles artifices elles uſerent pour tirer ſatisfaction de l’action loüable que j’avois faite & qu’elles traittoient de crime & d’attentat. Dés le landemain, elles tirerent raiſon de mon innocence de la plus cruelle maniere du monde. Je ne penſois qu’à m’aller repoſer à l’ordinaire dans ma chambre où je couchois ſeul, quand un laquais vint me rapporter que nos Dames n’avoient des penſées que pour le jeu, quoiqu’elles euſſent juré le matin de m’immoler à leur reſſentiment. J’entre dans ma chambre, j’en viſite tous les coins, j’en leve les tapiſſeries. Je regarde deſſous & deſſus le lit & n’ayant découvert aucune embûche, pour ôter lieu à la ſurpriſe je ferme les verroux de la porte & me mets au lit. J’étois enſeveli dans un profond ſommeil, lors qu’environ ſur le minuit un ébranlement de chevet fit que je me reveillay en ſurſaut. J’attribuai d’abord ce reveil à l’effet d’un ſonge ; mais j’entre bien dans d’autres ſentimens lors qu’étant tout-à-fait eveillé, je ſentis mon chevet & mes oreillers dans un mouvement continuel. Tantôt ma teſte étoit élevée en haut & tantôt elle retomboit en bas ſelon le caprice de l’Eſprit corporel qui luy donnoit le branle. Ce jeu dura quelque temps. Il me cauſoit une frayeur mortelle ; Mais ce qui ajoûta à mon épouvante & qui couvrit mon corps d’une ſueur froide fut de me ſentir élevé ſur mon ſeant ſans ſçavoir quels malins eſprits ſe joüoient ainſi du pauvre ſouffleur de chandelles. La peur s’empara ſi fort de moy & je m’oubliai tellement de mon aſſurance ordinaire que j’entrouvris le rideau & ne meditois rien moins que de m’enfuir hors de la chambre quand j’entendis tirer un coup de piſtolet dont je vis le feu ſortir du bout de mon chevet. Ce fut alors que preſque hors de moy-même je ſautai hors du lit en chemiſe que je criay pluſieurs fois : je ſuis mort, je ſuis mort, & que je me jettay à la porte que je n’us pas pluſtôt ouverte pour appeller du monde à mon ſecours de deſſus l’eſcalier, que je me vis environné de ſept ou huit Filles ou Femmes ou pluſtôt de ſept ou huit Diables armez de poignées de verges qui m’en donnerent deſſus & deſſous & m’étrillerent en enfant de bonne maiſon.

Icy Placidie jugeant bien que mon hiſtoire étoit finie, me conſola d’une étrange maniere, le tour étoit plaiſant, me diſoit-elle, vous meritiez bien un pareil traittement. Vous n’avez jamais eu des inclinations bonnes pour nôtre ſexe, il a toûjours été l’objet de vôtre perſecution, temoin l’affront que vous fites à Madame qui trois jours aprés eſtre devenuë l’épouſe de Monſieur le Maitre des Requeſtes… vint rendre viſite à Madame vôtre Mere. Vous ſçavez mieux que moy, ce qui ſe paſſa, ajoûtoit elle & vous nous obligerez d’en vouloir faire le recit. Je m’en deffendis avec tant de chaleur qu’elle reprit la parole & dit qu’elle raporteroit de cette avanture ce qu’elle en avoit appris de la perſonne même qui avoit innocemment donné matiere à mon divertiſſement.