Les Entretiens de la grille/L’emplatre du Bobo

(attribution contestée par P. Pia)
(p. 61-63).

Une Jeune Dame de qualité âgée de ſeize ans au plus, mariée feulement depuis trois ou quatre jours, alla rendre viſite à la Mere du bon Apoſtre que voila, diſoit-elle, en me monſtrant. Quelques autres perſonnes de marques s’y rencontrant auſſi formerent un cercle auprés du feu. On diſcouroit de choſe & d’autre quand Louiſon aujourd’huy appellé le Reverend Pere Louis fut ramené de l’Ecole. Il ſe poſta ſelon la coutume des enfans au coin de la cheminée dont le Cercle étoit aſſez éloigné. La nouvelle Mariée uſoit du privilege ordinaire des Femmes qui eſt de retirer leurs juppes ſur leurs genoux enſorte qu’elles puiſſent reſſentir l’action du feu. Louiſon jettant les yeux de côté & d’autre s’apperçut de Je-ne-ſçay-quoy qui de deſſous la juppe de la nouvelle Mariée luy frappoit la vuë. Il temoigna d’abord eſtre ſaiſi de quelque frayeur, mais s’étant raſſuré dans la ſuite, il repeta avec importunité ſans qu’on comprit rien à ſon langage, que l’Emplaſtre du Bobo de Madame… étoit tombée. Il ſe rendoit ſi importun dans la repetition de ce bon avis, qu’on fut obligé d’appeller ſa Sœur pour luy ſervir de truchement. Sa Sœur qui n’étoit pas plus capable que luy de rendre raiſon de ce qu’il diſoit, courut chercher une grande poupée. Cepandant Loüiſon s’avançant directement vers la nouvelle Mariée alloit toucher du bout du doigt la playe que les Enfans appellent Bobo, quand ſurpriſe de l’action de Loüiſon elle laiſſa tomber ſa juppe juſqu’à terre. La Compagnie rioit de l’innocence de ſon deſſein quand ſa Sœur arriva qui relevant la cotte de ſa poupée, luy arracha de deſſus un certain endroit une emplaſtre de tafetas que la Fille de chambre leur avoit dit devoir eſtre toûjours appliquée là pour la guériſon du Bobo ; Ce qui fit comprendre à toute l’Aſſemblée que la nouvelle Mariée avoit bien ſelon Loüiſon une ſemblable playe mais qu’elle n’y avoit point d’emplaſtre.

Angelique dit icy, qu’il étoit vray, qu’il y avoit bien de la ſimplicité & de l’innocence dans les Enfans, que cette Hiſtoriette luy avoit plû & qu’elle ſouhaitoit que celle dont elle alloit faire le recit & à la quelle elle avoit fourni de matiere eut pour nous autant d’agrément dans ſon expoſition. Or voicy ce qu’elle nous raconta.