Les Eaux de Saint-Ronan
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 25p. 387-394).


CHAPITRE XXXV.

L’EXPLICATION.


Post équitem sedet atra cura.
Horace.
Le souci monte en croupe et galope avec lui.
Boileau.


Aussitôt qu’il fut arrivé au château, Mowbray se rendit dans l’appartement de sa sœur. Le bruit de ses pas dans le corridor éveilla miss Clara d’une rêverie peut être mélancolique. Il marchait si lentement qu’elle eut le temps d’arranger sa lampe et d’attiser le feu avant qu’il entrât dans la chambre où elle était.

« Vous êtes un bon enfant, mon frère, lui dit-elle, de revenir de si bonne heure, et pour votre récompense j’ai de bonnes nouvelles à vous apprendre. On a retrouvé Trimer : il avait poursuivi un lièvre jusqu’à Drumlyfort… un berger l’avait renfermé dans son étable jusqu’à ce qu’on vînt le réclamer. — Je souhaiterais de tout mon cœur qu’il l’eût pendu, dit Mowbray. — Comment… pendre Trimer… Trimer, votre favori… le meilleur chien du pays : et ce matin, parce qu’il était perdu, vous aviez l’air de vouloir battre toute la maison. — Plus j’ai d’affection pour une créature, répondit Mowbray, plus j’ai de motifs de souhaiter qu’elle soit morte, et pour toujours en repos ; car ni moi ni aucune créature que j’aime ne serons jamais heureux. — Vous ne pouvez m’effrayer par de tels propos, John, » répondit Clara tremblante, quoiqu’elle s’efforçât de paraître tranquille « vous m’en avez trop souvent dit autant. — Tant mieux donc ; vous apprendrez votre ruine sans en être troublée ! — Mon Dieu, oui, répondit Clara, quand on a si souvent


« Vu la pauvreté en perspective, elle n’effraie plus quand elle approche. »


C’est ce que je dis avec Robert Burns. — Au diable Burns et ses vers ! » s’écria Mowbray avec l’emportement d’un homme déterminé à se fâcher contre tout le monde, excepté contre lui-même, qui était la véritable cause du mal. — Et pourquoi au diable le pauvre Burns ? » répliqua Clara avec sang-froid ; est-ce sa faute si vous avez perdu ce soir au jeu ? car c’est là, je suppose, la cause de tout ce tapage. — Qui ne perdrait patience, répondit Mowbray, en entendant citer les rapsodies d’un paysan sans souliers, quand on parle de la ruine d’une ancienne famille ? Votre garçon de ferme, je suppose, s’il devenait un degré plus pauvre qu’il ne l’était, en serait quitte pour ne pas dîner, ou pour se passer de sa ration d’ale ordinaire. Ses camarades diraient : « Le pauvre garçon ! » et ils le laisseraient manger à leur plat et boire à leur pot jusqu’à ce que le sien fût rempli de nouveau. Mais le gentilhomme pauvre… l’homme comme il faut ruiné, l’homme bien né… tombé dans sa misère, l’homme puissant… dépouillé de sa puissance et de son crédit, c’est lui qui est à plaindre, car il ne perd pas seulement un dîner, il perd son honneur, son rang, sa position sociale, sa considération, son nom même. — Vous parlez de la sorte, répondit Clara, pour m’effrayer ; mais, mon cher John, je vous connais, et je me suis préparée à tout ce qui peut arriver. Je vous dirai plus… je suis demeurée si long-temps sur le pinacle chancelant du rang et de la fortune, si l’on peut appeler ainsi notre situation dans le monde, que ma tête commence à tourner. Je sens le désir de m’en précipiter, comme on dit que cela arrive à certaines personnes quand elles sont au haut d’une tour. Je voudrais que le saut fût déjà fait. — Soyez donc satisfaite, si pareille nouvelle peut donner de la satisfaction. Le saut est fait et nous sommes… ce qu’on appelle en Écosse… des nobles mendiants… des gens à qui nos cousins du second degré, du troisième, du quatrième et du cinquième, s’il leur plaît, donneront une place au bas bout de la table, et dans leur voiture à côté de la femme de chambre, si nous pouvons aller à reculons sans être indisposés. — Ils peuvent donner cette place à ceux qui la voudront, répondit Clara, mais je suis déterminée à ne manger que le pain que j’achèterai. Il y a cent choses que je peux faire, et je suis sûre que l’une ou l’autre me procurera le peu d’argent dont j’ai besoin. J’ai essayé de calculer, pendant plusieurs mois, combien il me faudrait pour vivre, et vous seriez étonné, John, si vous voyiez à combien peu cela se monte. — Il y a de la différence, Clara, entre un essai fait à plaisir et la pauvreté réelle : l’une est la fiction que nous pouvons terminer quand il nous plaît, l’autre est la misère pour toute la vie. — Vous feriez mieux, mon frère, répondit miss Mowbray, de me donner l’exemple en fait de bonnes résolutions, plutôt que de tourner les miennes en ridicule. — Et que voulez-vous que je devienne ? » s’écria-t-il avec véhémence… « postillon, cocher, ou piqueur ? la manière dont j’ai profité de mon éducation ne m’a pas rendu capable d’autre chose, et alors mes anciennes connaissances me donneront, j’ose y compter, un écu pour boire de temps en temps à leur santé. — Ce n’est point de la sorte, John, répondit sa sœur, que des hommes sensés parlent de malheurs réels ; et je ne puis croire que celui-ci soit aussi sérieux qu’il vous plaît de le dire. — Croyez-le aussi grand que vous pouvez l’imaginer, et ce ne sera pas encore assez ! Il ne vous reste pas une guinée… pas un asile… pas un ami… encore un jour, et peut-être ne vous restera-t-il pas de frère. — Mon cher John, le vin vous a porté à la tête, ou vous êtes revenu trop vite à cheval. — Très vite… de telles nouvelles méritent d’être apportées en poste, surtout à une jeune fille qui les reçoit si bien, » répliqua Mowbray avec amertume. « Je suppose que vous m’écouterez avec la même indifférence si je vous dis qu’il est en votre pouvoir de détourner notre ruine. — En consommant la mienne, je suppose mon frère ; je vous ai dit que vous ne pouviez me faire trembler, mais vous en avez trouvé le moyen. — Comptez-vous que je vais vous presser de nouveau de permettre les assiduités de lord Étherington ?… À la vérité, c’était un moyen de nous sauver… mais le jour de grâce est passé. — Je m’en réjouis, et de tout mon cœur, répondit Clara, et puisse ce jour emporter avec lui tous nos sujets de discussion !… Mais jusqu’ici je croyais que c’était là que tous ces préliminaires devaient aboutir, et qu’en vous efforçant à me convaincre de l’imminence et du danger de la tempête, c’était pour me réconcilier avec le port que vous m’offrez. — Je crois que vous êtes folle, en vérité ! Pouvez-vous être réellement assez extravagante pour vous réjouir de ce qu’il ne vous reste aucun moyen de nous sauver, vous et moi, de la ruine, de la misère et de la honte ? — De la honte, mon frère ? il n’y a pas de honte, j’imagine, dans une honnête pauvreté. — Cela dépend de la manière dont on a usé de la prospérité. Clara, il faut vous parler sans détour… il court des bruits étranges… par le ciel ! ils sont capables de troubler les cendres des morts ! Si je les répétais, je croirais évoquer notre pauvre mère dans cette chambre… Clara Mowbray, comprenez-vous ce que je veux dire ? »

Ce ne fut qu’avec une peine extrême, et après un effort inutile qu’elle parvint à articuler d’une voix défaillante le monosyllabe Non.

« Par le eiel ! je suis honteux !… je tremble d’exprimer ma pensée !… Clara, quel motif vous fait si obstinément rejeter toute proposition de mariage ?… est-ce que vous vous sentez indigne d’être la femme d’un honnête homme ?… Parlez… la mauvaise renommée s’est attaquée à vous… Parlez… donnez-moi le droit de faire rentrer les mensonges dans la gorge de leurs inventeurs ; et demain matin, quand je me retrouverai parmi eux, je saurai comment traiter quiconque se permettra des réflexions sur votre compte… La fortune de notre maison est détruite, mais qu’aucune langue ne puisse attaquer son honneur… Parlez… parlez, malheureuse fille ?… pourquoi vous taisez-vous ?… — Restez chez vous, mon frère, restez chez vous, répondit Clara, si vous tenez à l’honneur de votre maison… le meurtre ne peut effacer la honte… restez chez vous, et laissez parler de moi comme on le voudra… on n’en saurait dire plus de mal que je n’en mérite. »

Les passions de Mowbray, toujours violentes et indomptables, étaient en ce moment excitées par le vin et par sa course rapide à cheval, et surtout par la perte qu’il avait faite. Il serra les dents et ferma les poings, fixa les yeux à terre, comme s’il eût formé quelque résolution hostile, et murmura d’une voix à peine intelligible : « Ce serait une charité de la tuer. — Oh ! non… non… non ! » s’écria la jeune fille épouvantée, en se jetant à ses pieds, « ne me tuez pas, mon frère ! j’ai souhaité la mort… j’ai pensé à la mort… j’ai demandé la mort dans mes prières… mais il est effroyable de penser qu’elle est si près… Oh ! pas une mort sanglante, mon frère ; pas la mort de votre main ! »

En parlant ainsi elle serrait les genoux de son frère ; ses gestes et son accent exprimaient la plus violente terreur. Ce n’était pas sans raison : la solitude, l’heure avancée, les passions violentes et fortement excitées de son frère, la situation désespérée où il était réduit, tout portait à rendre vraisemblable que quelque acte de fureur serait la conclusion de cette étrange entrevue.

Mowbray leva les mains, sans ouvrir les poings ni lever la tête, pendant que sa sœur restait à terre, tenant ses genoux embrassés de toute sa force, implorant sa compassion et lui demandant la vie.

« Folle, » lui dit-il enfin, « laisse-moi ! Qui s’occupe de ta méprisable vie ?… qui s’inquiète que tu vives ou que tu meures ? Vis, si tu peux, objet de mépris pour tout le monde comme tu l’es pour moi. »

Il la saisit par l’épaule et la repoussa d’une main. En se relevant elle voulut encore lui passer ses bras autour du cou ; il l’éloigna de lui du bras et de la main en la poussant ou en la frappant (on pourrait dire l’un comme l’autre) avec tant de violence que, faible comme elle l’était, il l’eût encore jetée par terre si une chaise ne l’avait reçue dans sa chute. Il la regarda avec férocité, mit la main dans sa poche, puis courut à la fenêtre, l’ouvrit avec emportement et s’avança en dehors autant qu’il le pouvait sans tomber. En proie à une vive frayeur, Clara continuait à s’écrier : « Oh, mon frère ! dites que vous n’aviez pas cette intention !… oh ! dites que vous n’aviez pas l’intention de me frapper… Oh ! quoi que j’aie mérité, ne soyez pas mon bourreau ! nous ne sommes que nous deux au monde ! »

Il ne répondit rien ; et observant qu’il continuait à sortir presque tout son corps par la croisée qui était au second étage du château et qui donnait sur la cour, une nouvelle cause d’appréhension se joignit en quelque sorte à ses terreurs personnelles. Timidement et les yeux baignés de larmes, les mains levées au ciel, elle s’approcha de son frère furieux, et tremblant au fond de l’âme ; mais d’une main forte, saisit le pan de son habit, comme pour le préserver des effets de ce désespoir qui semblait si récemment se diriger contre elle, puis à présent contre lui-même.

Il sentit qu’elle le retenait, et, se retournant avec colère, lui demanda d’un ton sévère ce qu’elle voulait.

« Rien, dit-elle en lâchant la basque de son habit ; mais que… que cherchez-vous donc si ardemment à voir ? — Le diable ! » répondit-il d’un air furieux ; puis retirant la tête de la fenêtre et lui prenant la main : « Sur mon âme, Clara, dit-il, c’est la pure vérité, si les histoires qu’on raconte sont vraies !… il était tout-à-l’heure là près de moi et me pressait de t’assassiner ! Quel autre que lui m’aurait fait songer à mon couteau de chasse… oui, par Dieu ! et me l’aurait mis dans la main… À un pareil moment ? Je m’imaginais le voir s’enfuir, et le bois, le rocher, l’eau réfléchissaient la vive lumière rouge dont étincelaient ses ailes de dragon ! Sur mon âme, c’est à peine si je puis croire que c’est une illusion !… mais il est parti, qu’il ne revienne plus… et toi, instrument de mal, va-t’en après lui. » À ces mots, il tira de sa poche sa main droite dans laquelle il avait toujours tenu le fatal couteau, et le lança dans la cour ; puis, d’un air tranquille et solennel même, il ferma la fenêtre et conduisit sa sœur par la main vers le siège qu’elle occupait d’ordinaire, et que sa faiblesse lui permit à peine d’atteindre. « Clara, » dit-il après un intervalle de silence, « il nous faut penser à ce qu’il convient de faire, sans passion ni violence… il peut y avoir encore quelque chose pour nous dans les dés si nous n’abandonnons pas la partie. Une tache n’est pas une tache tant quelle est cachée… le déshonneur ignoré n’est pas déshonneur sous un certain rapport… M’entends-tu, fille misérable ? » dit-il en élevant tout-à-coup la voix d’un ton sévère.

« Oui, mon frère… oui vraiment, mon frère, » s’empressa-t-elle de répondre, craignant de réveiller encore, par un délai même, son caractère irritable et féroce.

« Voici donc ce qu’il faut faire, reprit-il : il vous faut épouser cet Étherington… il n’y a point d’alternative, Clara… vous ne pouvez vous plaindre d’une chose que vos fautes et vos folies ont rendue inévitable. — Mais, mon frère… » dit la malheureuse en tremblant.

" Silence ! Je sais tout ce que vous pourriez dire. Vous ne l’aimez pas, direz-vous. Je ne l’aime pas plus que vous, moi. Même, qui plus est, il ne vous aime pas. S’il vous aimait, je me ferais scrupule de vous donner à lui, après l’aveu que vous venez de faire. Mais vous l’épouserez par haine, Clara, ou dans l’intérêt de votre famille, ou pour toute autre raison que vous voudrez… mais il faut l’épouser, et vous l’épouserez. — Mon frère, mon très cher frère, un seul mot. — Point pour un refus ! point pour des récriminations ! le temps en est passé. Quand je vous croyais ce que j’ai pu vous croire encore ce matin, j’aurais pu vous conseiller, et non vous contraindre ; mais depuis que l’honneur de notre famille a été flétri par vous, il est de toute justice que cette flétrissure soit réparée, s’il est possible ; et elle le sera… oui, dussé-je ne parvenir à l’effacer qu’en vous vendant comme esclave. — Vous me traitez plus cruellement, bien plus cruellement encore ! Une esclave au marché peut être achetée par un bon maître… Vous ne me donnez pas cette chance… vous me mariez à un homme qui… — Ne le craignez pas, ne redoutez rien de sa part. Je sais ses raisons pour vous épouser ; et une fois redevenu votre frère (comme votre obéissance sur ce point me le fera redevenir), mieux vaudra pour lui qu’il s’arrache sa propre chair avec ses dents, que de vous causer le moindre déplaisir. Par le ciel ! je le hais tellement que c’est une consolation, ce me semble, de penser qu’il ne vous possédera point telle que je vous croyais !… Déchue comme vous l’êtes, vous êtes encore trop bonne pour lui… »

Encouragée par le ton plus calme et presque affectueux que prenait son frère, Clara ne put s’empêcher de dire, quoiqu’à voix très basse : « J’espère qu’il n’en sera point ainsi ; j espère qu’il considérera son rang, son honneur et son repos, avant de me faire partager sa fortune. — Qu’il ait un seul scrupule, s’il l’ose, mais il ne peut hésiter ; il sait que, dès l’instant où il cesserait de consentir à vous prendre pour femme, il signerait sa sentence de mort ou la mienne, et peut-être celle de tous deux. En outre, ses vues sont d’une nature qui ne lui permettra pas d’y renoncer par une scrupuleuse délicatesse. C’est pourquoi, Clara, n’entretenez pas dans votre cœur l’idée de pouvoir échapper à un tel mariage. Il est écrit sur le livre fatal… jurez que vous n’hésiterez pas. — Eh bien, non ! » répondit-elle presque hors d’haleine, et craignant qu’il ne retombât encore dans un des accès de fureur qui l’avaient déjà saisi.

« Ne murmurez pas, n’énoncez pas la moindre objection ; mais soumettez-vous à votre destinée : elle est inévitable. — Je… m’y… soumettrai, » répondit Clara, toujours d’une voix tremblante.

« Et moi, je vous épargnerai, du moins quant à présent, toute question sur la faute que vous avez confessée. Des bruits relatifs à votre conduite sont parvenus à moi lorsque j’étais en Angleterre. Qui aurait pu les croire en vous voyant tous les jours, en connaissant comme moi la vie que vous meniez ? Mais je veux garder le silence sur tout cela pour le moment… peut-être n’y reviendrai-je jamais, c’est-à-dire si vous ne contrariez pas mes volontés, si vous ne cherchez pas à éviter un destin que les circonstances rendent inévitable. Voilà qu’il se fait tard… allez vous mettre au lit, Clara… Songez à ce que je vous ai dit, comme à une chose qu’exige la nécessité, et non pas mon caprice. »

Il lui tendit alors la main, et elle y posa la sienne en tremblant. De cette manière et avec une espèce de solennité lugubre, il accompagna sa sœur à travers une longue galerie où étaient suspendus de vieux portraits de famille, et au bout de laquelle se trouvait la chambre de Clara. La lune qui, en ce moment, perçait une masse épaisse de nuages, éclairait les deux derniers descendants de cette ancienne famille, pendant qu’ils traversaient en silence et se tenant par la main, plutôt comme des ombres que comme des êtres vivants, le long corridor où étaient rangés les portraits de leurs aïeux. Les mêmes pensées agitaient leur esprit, mais ils n’essayèrent ni l’un ni l’autre de dire, tandis qu’ils jetaient à la dérobée un regard sur les peintures pâles et décolorées, combien peu leurs ancêtres prévoyaient qu’une telle catastrophe affligerait leur maison ! À la porte de la chambre à coucher, Mowbray lâcha la main de sa sœur, et dit : « Clara, vous devez ce soir remercier Dieu qui vous a préservée d’un grand danger, et moi d’un forfait épouvantable. — Je le remercierai, répondit-elle, je le remercierai. » Et comme si ses frayeurs eussent été de nouveau éveillées par cette allusion à la scène qui venait d’avoir lieu, elle se hâta de souhaiter le bonsoir à son frère, et ne fut pas plus tôt entrée dans son appartement, qu’il l’entendit tourner la clef dans la serrure et tirer les deux verroux.

« Je vous comprends, Clara, » dit Mowbray entre ses dents, lorsqu’il entendit les deux verroux tomber l’un après l’autre. « Mais dussiez-vous creuser un terrier sous Ben-Nevis, vous n’échapperiez pas au destin qui vous est réservé. Non ! » répéta-t-il, en traversant d’un pas lent et solennel la galerie éclairée par la lune, ne sachant s’il allait retourner au salon ou se retirer dans sa chambre solitaire. Tout-à-coup son attention fut attirée par un grand bruit dans la cour.

La nuit n’était pas, il est vrai, fort avancée, mais il y avait si long-temps qu’on ne recevait plus de visites au château de Shaws, que, si Mowbray n’avait pas entendu le roulement d’une voiture sur le pavé, il aurait cru que c’étaient des brigands et non des visiteurs qui arrivaient. Mais lorsque le bruit des roues et des chevaux devint plus distinct, il se figura que ce devait être le comte Étherington qui venait l’entretenir des bruits désavantageux qui couraient sur le compte de sa sœur, et lui déclarer qu’il ne voulait plus la prendre pour femme. Avide de connaître la vérité et d’obtenir un éclaircissement, il rentra dans l’appartement qu’il venait de quitter, et où les lumières brûlaient encore ; puis appelant à haute voix Patrick qu’il entendit parler au postillon, il lui ordonna d’introduire dans le salon de sa sœur la personne qui arrivait. Ce ne fut point le pas léger du jeune comte qui parcourut la longue galerie, et monta les deux ou trois marches qui la terminaient, mais une démarche grave et lourde ; ce ne fut pas non plus la gracieuse figure d’Étherington qui se montra quand la porte s’ouvrit, mais les membres vigoureux et carrés de M. Pérégrin Touchwood.