Les Eaux de Saint-Ronan
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 25p. 326-327).


CHAPITRE XX.

TABLEAUX DRAMATIQUES.


La comédie, voilà l’affaire.
Shakspeare. Hamlet.


Enfin arriva le jour de la fête donnée par le laird de Saint-Ronan et miss Clara sa sœur à leur demeure de Castle-Shaws.

On avait d’abord eu le projet de représenter une pièce de Shakspeare ou d’un autre auteur, mais on fut obligé d’y renoncer, attendu qu’on trouva une foule d’aspirants aux rôles principaux, et que personne ne voulut accepter les rôles secondaires. On ouvrit ensuite l’avis de jouer l’une de ces pièces usitées en Italie, dont le cadre et les scènes principales sont convenus d’avance, mais où les acteurs improvisent le dialogue sur le théâtre : la timidité de beaucoup de membres de la société, qui craignaient de rester court devant le public, obligea d’abandonner ce projet de divertissement. On eut, par bonheur, la pensée de représenter tout simplement des Tableaux dramatiques, tirés du Songe d’une Nuit d’été, pièce féerie de Shakspeare. Ces tableaux devaient consister simplement en des groupes d’acteurs, revêtus de costumes de théâtre, et figurant, sans paroles et sans mouvements, les scènes les plus importantes de l’ouvrage, Le théâtre devait être un quinconce du jardin de Castle-Shaws ; un boulingrin tiendrait lieu de foyer ; des paravents, convenablement disposés, simuleraient aux yeux d’un public indulgent les coulisses du théâtre.

Dès l’heure indiquée, la foule fut grande au château de Mowbray. Le nabab et le ministre Cargill arrivèrent ensemble dans la voiture de mistress Dods, et excitèrent l’un et l’autre la gaîté des enfans, rassemblés par la curiosité à la porte extérieure de Castle-Shaws.

Le maître de la maison, qui remplissait le rôle de Thésée, duc d’Athènes, reçut ses hôtes avec une courtoisie parfaite. Parmi les actrices, miss Clara, grâce au superbe schall des Indes qu’elle devait à la générosité récente de son frère, excita particulièrement l’admiration du public et la jalousie des femmes. Quant aux acteurs, nul ne fut plus applaudi que le comte d’Étherington. Il n’avait voulu accepter que le rôle peu important de Bottom, espèce de bouffon de bas étage. Mais le bon goût et la fidélité scrupuleuse de son costume, la vivacité comique de sa pantomime, au moment surtout où, par l’ordre d’un génie supérieur, il prenait une tête d’âne, lui attirèrent une triple salve d’applaudissements mérités. En général, tous les acteurs et actrices, quoique moins admirés du public que le jeune comte, obtinrent la somme de bravos à laquelle peuvent aspirer des comédiens de société.

La représentation achevée, la compagnie, en attendant le dîner, se répandit dans le jardin ou dans les appartements du château, pour se livrer aux divers amusements. Quant à Mowbray, il s’empressa de demander au jeune comte, qui déposait en ce moment sa tête d’âne, comment il avait trouvé miss Clara. Le comte répondit par des protestations d’admiration pour la beauté, la physionomie intéressante de cette jeune dame ; il ajouta qu’il n’avait osé, comme il aurait dû le faire, quitter, dans la dernière scène, sa tête d’âne, de peur de se montrer au milieu d’une mascarade, dans un costume trop peu avantageux et trop peu propre à exciter chez la belle miss Clara l’impression qu’il souhaitait produire sur elle. Il ajouta qu’il allait se retirer, pour paraître au dîner dans un costume plus convenable.