Les Droits de la femme
L’année dernière, j’avais planté ma tente dans une petite ville d’Indiana. Je me tenais sur le seuil de la porte pour recevoir les visiteurs, lorsque je vis arriver une députation de femmes ; elles me déclarèrent qu’elles faisaient partie de l’Association féministe et réformiste des droits de la femme de Bunkumville, et me demandèrent l’autorisation d’entrer dans ma tente sans payer.
— Je ne saurais vous accorder cette faveur, répondis-je ; mais vous pouvez payer sans entrer.
— Savez-vous qui nous sommes ? cria l’une de ces femmes, créature immense, à l’air rébarbatif, qui portait une ombrelle de cotonnade bleue sous le bras ; savez-vous bien qui nous sommes, monsieur ?
— Autant que j’en puis juger à première vue, répondis-je, il me semble que vous êtes des femmes.
— Sans doute, monsieur, reprit la même femme sur un ton non moins revêche ; mais nous appartenons à la société protectrice des droits de la femme ; cette société croit que la femme a des droits sacrés, et qu’elle doit chercher à élever sa condition.
— Douée d’une intelligence égale à celle de l’homme, la femme vit perpétuellement méprisée et humiliée ; il faut remédier à cette situation, et notre société a précisément pour but de lutter avec une énergie constante contre les agissements des hommes orgueilleux et autoritaires.
Pendant qu’elle me tenait ce discours, cette créature excentrique me saisit par le col de mon pardessus et agita violemment son ombrelle au-dessus de ma tête.
— Je suis loin de mettre en doute, madame, lui dis-je en me reculant, l’honorabilité de vos intentions ; cependant je dois vous faire observer que je suis le seul homme ici, sur cette place publique ; ma femme (car j’en ai une) est en ce moment chez elle, dans mon pays.
— Oui, vociféra-t-elle, et votre femme est une esclave ! Ne rêve-t-elle jamais de liberté ? Ne pensera-t-elle donc jamais à secouer le joug de la tyrannie ? à agir librement, à voter… ? Comment se fait-il que cette idée ne lui vienne pas à l’esprit ?
— C’est tout bonnement, répondis-je un peu agacé, parce que ma femme est une personne intelligente et pleine de bon sens.
— Comment ? comment ? hurla mon interlocutrice, en brandissant toujours son ombrelle ; à quel prix, d’après vous, une femme doit-elle acheter sa liberté ?
— Je ne m’en doute pas, répondis-je ; tout ce que je sais, c’est que pour entrer sous ma tente, il faut payer quinze cents par personne.
— Mais les membres de notre association ne peuvent-ils pas entrer sans payer ? demanda-t-elle.
— Non, certes. Pas que je sache.
— Brute, brute que vous êtes ! hurla-t-elle en éclatant en sanglots.
— Ne me laisserez-vous pas pénétrer ? demanda une autre de ces excentriques en me prenant la main doucement et avec câlinerie : « Oh ! laissez-moi entrer ! Mon amie, voyez-vous, n’est qu’une enfant terrible. »
— Qu’elle soit ce qu’elle voudra, répondis-je, furieux de voir se prolonger cette facétie, je m’en fiche ! Là-dessus elles reculèrent toutes et me traitèrent d’« animal » toutes en chœur.
— Mes amies, dis-je, avant votre départ, je voudrais vous dire quelques mots bien sentis : écoutez-moi bien : La femme est une des plus belles institutions de ce bas monde ; nous pouvons nous en glorifier. Nul ne peut se passer de la femme. S’il n’y avait pas de femmes sur terre, je ne serais pas ici à l’heure actuelle. La femme est précieuse dans la maladie ; précieuse dans l’adversité comme dans le bonheur ! Ô femme ! m’écriai-je sous l’effluve d’un souffle poétique, tu es un ange quand tu ne cherches pas à sortir de tes attributions ; mais quand tu prétends intervertir les rôles et porter la culotte (ceci soit dit au figuré) ; lorsque tu désertes le foyer conjugal et que, la tête farcie des théories féministes, tu t’élances comme une lionne en courroux, en quête d’une proie à dévorer ; lorsque, dis-je, tu veux te substituer à l’homme, tu deviens un être infernal et néfaste !
— Mes amies ! continuai-je en les voyant partir indignées, n’oubliez pas ce que Arthémus Ward vous dit !