Le Rêve (première édition 1853)
Traduction par J.-E. Voïnesco.
Les DoïnasJoël CherbuliezLittérature roumaine (p. 89-90).




XXVIII

LE RÊVE


C’était une plaine vaste et silencieuse, vaste comme le désert, muette comme la mort.

Là-haut, dans un doux mystère, pareille à un vaisseau doré, la lune voguait lentement sur l’azur sombre de la nuit.

J’étais à cheval sur un coursier fantastique qui dépassait les vents ; sa blanche crinière balayait la terre.

Dans la verte prairie mon coursier fuyait, sans toucher de ses pieds l’herbe du sentier.

Nous allions sur notre route avec la vitesse du rêve, comme deux esprits d’un autre monde, comme deux fantômes.

Nous volions aux rayons de la lune avec la rapidité de la pensée quand la douce espérance vient éveiller le cœur.

Tout à coup mon coursier s’arrête ; il avait aperçu trois ombres dans la plaine.

Trois blanches vierges, belles, élancées et plus brillantes que l’étoile de Vénus.

Toutes les trois tournoyaient légèrement dans une hora joyeuse, et leur douce voix chantait ainsi :

« Toi, qui privé des jouissances de la vie, cours dans la plaine obscure, viens trouver des consolations à ma cour brillante ; je te donnerai des palais dorés, des trésors inépuisables, et ton existence s’écoulera au sein du bonheur comme dans un paradis.

« Toi qui cours, exempt de désirs, dans la plaine solitaire, viens que je te couvre de mes rayons resplendissants ; la gloire de ton nom volera à la postérité et sera éternellement entourée d’un divin prestige.

« Toi qui, sans affection dans la vie, cours dans la plaine déserte, viens rehausser ton cœur au flambeau de l’amour ; ton âme et ton esprit éprouveront des jouissances divines au contact d’un cœur enflammé pour toi. »

Ému de ce chant harmonieux, je lançai mon coursier à la rencontre des trois ombres, mais tout à coup je les vis s’envoler dans le ciel.

Elles m’apparurent d’abord comme des aigles, puis comme des hirondelles, et puis comme de petites étoiles qui se perdirent parmi les astres.

Je m’éveillai de ce beau rêve qui m’enchantait… Hélas ! le grillon seul chantait dans le silence de la nuit !