Les Diverses Familles spirituelles de la France/Chapitre III

CHAPITRE III

LES CATHOLIQUES

Il y a vingt-cinq mille prêtres environ dans l’armée. Trois cents d’entre eux sont aumôniers en titre, aumôniers militaires à trois galons.

Trois cents, ce serait peu, mais tout colonel a le droit d’autoriser dans chacun de ses bataillons un soldat prêtre pour le service religieux. Cet aumônier de renfort ne porte pas la soutane et ne jouit d’aucune prérogative spéciale ; il doit en principe remplir les obligations de sa situation militaire, et pourtant il accomplit son ministère plus aisément que l’aumônier à trois galons. Celui-ci, ayant son siège au groupe des brancardiers divisionnaires, ne peut joindre qu’avec peine des hommes trop nombreux disséminés sur un réseau trop étendu, mais lui, qui est attaché au groupe des brancardiers du bataillon, il circule dans les tranchées et vit familièrement avec ses frères d’armes.

Le surplus des prêtres mobilisés est officier ou simple soldat. Heureux s’ils peuvent dire leur messe (et c’est rare), saisissant l’occasion d’assister un malade, un blessé, mais n’ayant pour ce faire ni titre, ni facilités.

Tels quels, vingt-cinq mille prêtres sont un puissant levain d’idées dans une atmosphère si propre à la fermentation religieuse.

Un jeune soldat, Roland Engerand, écrit à ses parents : « Hier soir, l’aumônier de la division est venu manger avec nous dans une cave. Un prêtre admirable, adoré des hommes, qui viennent tous lui serrer la main. Il revenait du plus fort de l’action, car il ne peut pas souffrir de rester loin des combattants. Il m’a demandé des tuyaux sur les hommes que j’avais amenés et qu’il ne connaissait pas encore. Et il m’a dit : « Je vais venir avec vous dans votre tranchée. » Il m’a pris le bras et nous sommes descendus.

» Tout le long de la tranchée, il s’est promené avec moi dans la nuit. Les hommes piochaient : « Donne-moi ta pioche, toi. Je veux pouvoir dire plus tard que j’ai travaillé à creuser une tranchée. » Et il piochait. Il s’arrêtait plus loin ; ils le connaissaient tous, et il avait un mot pour chacun d’eux. Quand il est arrivé à chacun de mes gosses, il leur prenait la tête entre ses mains : « D’où viens-tu, mon petit ? Écoute. » Il s’agenouillait devant lui, lui entourait le cou de ses bras ; leurs deux têtes s’appuyaient l’une à l’autre, et, pendant quelques minutes, on n’entendait plus rien que le chuchotement des lèvres… Puis, après l’avoir entendu, il lui parlait, le fortifiait, l’enthousiasmait, et, quand c’était fini et que le petit était encore mieux qu’avant disposé à tous les sacrifices, il l’embrassait ». (Lettre communiquée.)

Que leur a-t-il chuchoté tout à l’heure à l’oreille ? Il leur parlait de leur pays, de leur village ; il se mettait à leur service pour de menus avis. Cela va bien, mais ce serait trop peu. Le prêtre est un ami, mais un ami qui hausse les âmes, qui apporte aux soldats les promesses et les secours de la religion. « Après tout, si tu meurs, tu ne perdras qu’une vie matérielle précaire pour trouver une vie de meilleure qualité. » Voilà le soldat plus tranquille. S’il vient à mourir, il ne cessera pas d’exister. Mais cette survie ne sera heureuse que s’il devient un homme de devoir, que s’il dompte l’instinct le plus fort qu’il y ait chez nous tous, l’égoïsme. Le prêtre a pour mission de donner l’apaisement et d’élever celui qui l’écoute jusqu’à l’acceptation du sacrifice.

Quel rôle ! Dans l’abstrait, le prêtre est vainqueur. Rien ne peut lui résister ; il a une doctrine éprouvée, puissante, et des sacrements divins. Mais ici, le voilà devant des êtres vivants, dans des circonstances terribles. Le sacrifice, c’est une véritable création pour chacun à faire en soi-même, avec toutes les douleurs d’une création. Les difficultés, les révoltes apparaissent jusque dans la vie des saints. Comment cet aumônier va-t-il, au jour le jour, agir, mettre en œuvre ses trésors ?

Beaucoup de mes lecteurs ont vu des messes en plein air à l’armée ; tous, du moins, en ont lu de nombreuses descriptions.

Le plus souvent, c’est dans l’un de ces innombrables petits bois, à demi détruits par la mitraille, bois d’essences variées ou pinèdes sombres, qui sont semés sur la ligne du front, depuis la mer jusqu’à Belfort. Une planche sur deux caisses de munitions forme l’autel, dissimulé de branchages et décoré d’une grande croix de bois ; les cires brûlent dans deux lanternes d’écurie ; les assistants regardent, écoutent, chantent, prient, masqués aux avions par ce qui subsiste du taillis.

Dans ce cadre peuvent se placer mille variantes de détails, mais toujours, ce qui domine tout, c’est la pensée de la mort. Elle est dans le ciel, dans les cœurs, et crée une émotion de fraternité. La grande prière se déroule et s’élève. Un groupe de soldats vient s’agenouiller au bord du talus ; le prêtre les communie. « Ceux qui sont agenouillés ici, qu’ils succombent à leur devoir, ils se retrouveront au ciel… » Ainsi parle l’Église, et qui pourrait demeurer insensible à ces grandes promesses qu’ont accueillies nos parents, et qui nous relient à leurs tombes ?

Toutefois, aux tranchées, les messes sont rares. L’aumônier se fait scrupule de rassembler dangereusement les hommes, et de créer une obligation de conscience à des enfants qu’il priverait de leurs heures de repos. Il s’en tient le plus souvent à l’apostolat de la parole, au réconfort d’homme à homme, ou bien à la communion portée individuellement.

Le prêtre soldat, s’appuyant sur l’inséparable gourdin des poilus de l’Argonne, porte les hosties sous la capote bleu horizon, et va les donner aux fidèles dans une guitoune abandonnée. (Cf. Lettre de H. R., membre de l’Association catholique de la jeunesse française. Dans le Bulletin de l’A. C. J. F.) Nul n’a remarqué cette visite quasi muette, sans bruit, insignifiante, mais elle ouvre à l’imagination de ces communiants le chemin de leur village et le chemin du ciel. Au soir, comme Jacob, qui dispose une pierre pour son oreiller, et dans son sommeil, voit le monde invisible, ils se sentiront assistés, et, près de s’endormir dans la boue des tranchées, ils remercieront avec effusion une présence divine.

Au cantonnement, les cérémonies du culte se développent plus à l’aise dans leur variété, messes, saluts, sermons ; tout cela bien beau, secourable aux croyants, à tous les gens d’imagination. Mais je vais à l’âme du pauvre homme moyen. C’est elle, la réalité vivante, qu’il s’agit de toucher et de fortifier. Qu’a-t-elle goûté là ? Quelle consolation ? Beaucoup de soldats, même bons catholiques, possèdent-ils l’instruction suffisante pour participer pleinement au sacrifice d’un Dieu sur l’autel ? Une messe où il n’y aurait pas le sermon et le grand chant d’ensemble qui élève, entraîne, émeut, serait d’un faible profit. Pour la masse des soldats, elle vaut surtout pour les rattacher à ce qu’ils faisaient autrefois. Elle rend ce dimanche de guerre à peu près semblable aux dimanches du pays. Dans les minutes de silence, regardez-les : ils sont bien loin de cette église lorraine, champenoise ; ils sont dans l’église de chez eux. C’est dans l’église de leur village qu’en esprit ils assistent à la messe avec leur femme.

Chaque soir, au cantonnement, me dit un prêtre de bataillon, je prêche un quart d’heure, en remuant des idées fondamentales, toujours les mêmes. La grande difficulté est de rester humain, d’échapper aux formules pour entrer dans ces cœurs. Qu’est-ce qui leur est immédiatement accessible ? Tout ce qui donne réponse aux questions qu’ils retournent éternellement dans la boue des tranchées et la solitude du front. Il faut rester avec eux, tout près d’eux. Il faut que les paroles répondent à un besoin. Ils ont horreur de ce qui sent le mot et la formule. Je leur parle de Jésus-Christ, parce que c’est une personne. Ce sont toujours des êtres qu’ils cherchent. Pour mes paysans vendéens, Dieu, Jésus-Christ, l’Église, l’âme immortelle sont des réalités sensibles. Et quand je les sens plus inquiets, quand on a l’air d’annoncer ceci et cela, ce qui les remonte, c’est l’espérance des chrétiens. Ils retrouveront leurs familles, dans leurs villages, après la paix, ou, s’ils tombent, dans le ciel. L’immortalité, conviction tranquille et lumineuse, les rend à peu près capables du sacrifice exigé.

Souvent, des protestants, des libres penseurs, ayant assisté à de tels entretiens, disent au prêtre le profit qu’eux-mêmes en retirent. Un officier, voyant l’auditoire, les chants, le réconfort, s’écriait : « Quelle superbe manœuvre morale ! », et parfois il arrive qu’un grand chef demande aux aumôniers de parler aux hommes à la veille d’une action. (Cf., dans la « Revue des Jeunes », le récit de l’abbé Thellier de Poncheville sur la préparation des affaires de Champagne en septembre 1915.)

Ces interventions, très puissantes sur les troupes recrutées dans les régions de foi vive, ne produisent pourtant leur effet qu’autant que l’orateur, son sermon terminé, s’associe aux risques qu’il a prêché de mépriser. Et il s’associe. Écoutez !

Auffray, aumônier bénévole au 10..e corps colonial : « Venu du Brésil pour réclamer, malgré son grand âge, sa part des dangers de la guerre, s’est fait tuer glorieusement dans les tranchées allemandes, où il avait accompagné les troupes d’assaut. » (Journal Officiel, 9 février 1916.)

Barlet (religieux lazariste), caporal-brancardier au 4e régiment de zouaves : « Au moment où une section s’élançait hors de la tranchée, pour se porter à l’attaque d’une position allemande, s’est précipité pour secourir un lieutenant blessé, puis, encourageant de la voix et du geste les hommes privés de leur chef, les a entraînés jusqu’à la tranchée allemande où il est tombé frappé de quatre blessures. » (J. O., 31 janvier 1915.)

Albert Fournier, aumônier volontaire d’un groupe de brancardiers : « Mort glorieusement le 10 juin 1915, alors que, dans les tranchées il remplissait les devoirs de son ministère et enflammait le courage des soldats de la division qui se disposaient à s’élancer à l’assaut des retranchements ennemis. » (J. O., 19 août 1915.)

Le Rohellec, aumônier au 62e régiment d’infanterie : « Pendant toute la préparation, longue et difficile de l’attaque du 26 septembre 1915, a été l’auxiliaire le plus précieux du commandement en exaltant le moral et le patriotisme de la troupe. Au cours des attaques, a prodigué sans compter ses soins aux blessés, se portant, sous la mitraille et sans souci du danger, jusqu’aux points les plus avancés… » (J. O., 18 décembre 1915.)

L’abbé Salini (F.), soldat au 273e régiment d’infanterie : « Très brave, deux fois blessé, déjà titulaire de la Croix de guerre (deux palmes). Au cours d’une attaque, a entraîné ses camarades en entonnant la Marseillaise et n’a pas hésité à se porter en avant pour occuper un petit poste qui consolida pour nous une position des plus avantageuses. » (J. O., 19 septembre 1916.)

L’abbé Rémy (Louis), au 146e régiment d’infanterie : « Brancardier remplissant les fonctions d’aumônier du régiment : vivant exemple de courage et de dévouement, secondant le commandement par son inlassable activité ; s’est fait remarquer par son mépris absolu du danger au cours des combats du 9 au 23 mai 1915. Au moment des attaques des 16 et 17 juin 1915 est monté sur le parapet pour exciter la troupe au combat, puis son chef de corps ayant été privé de toute communication téléphonique a assuré lui-même le service des liaisons sous un feu très violent. S’est porté ensuite au secours des blessés malgré une fusillade des plus vives. » (J. O., 24 juillet 1915.) Médaille militaire. Sur le même, il est encore dit, pour sa nomination à la Légion d’honneur : « D’une bravoure, d’un entrain et d’un dévouement exceptionnels. Déjà médaillé militaire et cité à l’ordre pour sa superbe attitude sur les champs de bataille. S’est à nouveau distingué, le 1er juillet 1916, en partant en tête de la première vague d’assaut sans armes, encourageant les hommes de la voix et du geste. » (J. O., 13 septembre 1916.) M. l’abbé Rémy est un Lorrain des Vosges, professeur au petit séminaire de Mattaincourt.

Un Lorrain encore, et vicaire à Mirecourt, l’abbé Grosjean, brancardier détaché comme aumônier au 156e régiment d’infanterie : « A insisté auprès du chef de corps pour être autorisé à accompagner les troupes d’assaut à la bataille du 9 mai 1915. S’est montré constamment les 9 et 10 mai aux endroits les plus dangereux, exhortant les uns, encourageant les autres, pansant les blessés, les faisant ramasser rapidement, en un mot, étant un exemple constant de courage, de bonne humeur et de charité. » (J. O., 3 août 1915.)

Le père Deléglise (Jean-Marie), des Pères Oblats de Marie Immaculée, aumônier volontaire au 13e bataillon de chasseurs alpins : « D’un dévouement absolu, exerçant ses fonctions avec un tact et une intelligence au-dessus de tout éloge, apprenant à ses hommes le plus profond mépris de la mort, et montrant la même indifférence complète du danger ; à l’assaut du 14 juin 1915 a suivi la colonne, donnant à tous le meilleur réconfort ; frappé à son tour, en portant un blessé sur ses épaules, s’est relevé pour continuer sa marche avec son glorieux fardeau ; a été tué presque aussitôt d’une balle en plein front. » (J. O., 5 septembre 1916.)

Sainte-Marie, aumônier d’un groupe de brancardiers d’un corps d’armée (329e régiment d’infanterie) : « A volontairement accompagné un régiment en première ligne, au cours des attaques du 4 au 15 juillet 1916. Toujours au poste le plus avancé et le plus périlleux. De jour et de nuit, n’a cessé d’assister les blessés et d’exalter l’enthousiasme des combattants par sa parole et son attitude. Très grièvement blessé, a donné à tous le plus bel exemple d’héroïsme et d’abnégation. » Légion d’honneur. (J. O., 18 septembre 1916.)

Le Père jésuite Pupey-Girard, aumônier titulaire, près du groupe des brancardiers de la 37..e division d’infanterie : « Modèle de dévouement et de courage ; s’est particulièrement fait remarquer à X… et à Y… où il a accompagné tous les assauts, prodiguant ses soins aux blessés qui venaient de tomber sans aucun souci du danger et malgré le feu violent de l’artillerie ennemie. » (J. O., 9 février 1916.)

Voiron (Pierre), aumônier militaire, groupe brancardier divisionnaire : « Sur le front depuis le début de la campagne ; n’a cessé, comme brancardier puis comme aumônier, d’accompagner les régiments de première ligne dans les situations les plus périlleuses. Animé au plus haut degré de l’esprit de sacrifice, il sait le communiquer aux troupes dont il exalte les forces morales. Au cours des opérations, au nord de X…, il s’est particulièrement distingué par sa présence quotidienne au milieu des colonnes d’attaque, sous le bombardement le plus violent, et donnant à tous l’encouragement de son exemple. » (10 juin 1916 ; J. O., 5 juillet 1916.)

Roullet, aumônier militaire d’une division d’infanterie : « Modèle de modestie et de bravoure. À l’attaque du 29 mars 1916 est parti avec la première vague d’assaut et a pénétré en même temps qu’elle dans la position ennemie. N’a cessé de circuler en première ligne les 29 et 30 mars, réconfortant les blessés et mourants, et donnant le plus bel encouragement, ainsi que l’exemple du mépris absolu du danger. » (13 avril 1916 ; J. O., 22 mai 1916.) — L’aumônier Roullet est le R. P. Roullet de la Compagnie de Jésus.

Le Père Brottier (Daniel-Jales-Alexis), des Pères du Saint-Esprit, aumônier volontaire d’une division d’infanterie : « Depuis le début de la campagne, n’a cessé de prodiguer ses soins aux blessés avec un courage et une abnégation au-dessus de tout éloge. Pendant les combats de mars 1916 est resté au premier rang avec les troupes engagées, dans les circonstances les plus difficiles, recueillant les blessés sous un feu meurtrier, les soignant et les encourageant. À apporté à tous le meilleur réconfort moral par sa belle attitude, par son sang-froid et par son admirable dévouement. » (J. O., 3 juin 1916.) — Légion d’honneur.

Le Père jésuite Jean Brémond (Jean-Marie-Luc), aumônier volontaire de la 00e division : « Après avoir accompagné les soldats en première ligne pendant toute la durée du combat, est resté dans un village violemment bombardé pour secourir et encourager plus de cent blessés dont il a assuré et dirigé l’évacuation, ne quittant le village qu’après le dernier convoi. » (J. O., 21 mai 1916.)

Le Queau (Jean), caporal brancardier au 62e régiment d’infanterie : « D’un dévouement à toute épreuve. Au mépris de la mort, a transporté plus de douze cents blessés de divers régiments depuis le début de la campagne, tous identifiés par lui. Dans l’assaut du 25 septembre 1915, n’a cessé d’encourager ses camarades, les aidant à franchir les parallèles de départ. Blessé, ce jour-là même, de balles au bras et à la jambe en donnant ses soins aux blessés. » Médaille militaire. (J. O., 14 novembre 1915.)

Le Gall (François), aumônier volontaire au 118e régiment d’infanterie : « Quoique réformé et de santé délicate, est parti comme aumônier volontaire à la mobilisation ; a été dès le début, pour tous, le modèle incarné du dévouement et de l’abnégation. Est monté à l’assaut le 25 septembre 1915 au matin, en tête du régiment. Depuis ce jour, a passé ses nuits et ses jours à ramener les blessés et à secourir les mourants. Toujours en première ligne, sans aucun souci du danger, a donné le plus bel exemple de magnifique intrépidité et de charité envers ses semblables. Aumônier de la plus haute valeur morale qui a, par son influence personnelle due à ses vertus, rendu les plus grands services. A été blessé le 12 octobre 1915, en allant dans les tranchées de première ligne, identifier les morts et procéder à leur inhumation, sa division étant au repos. » Légion d’honneur. (J. O., 17 novembre 1915.)

Le Douarec (François-Charles-Marie-Joseph), aumônier auxiliaire au 248e régiment d’infanterie : « N’a cessé depuis le début de la campagne de faire preuve d’un dévouement et d’un courage remarquables ; le 30 juin 1916, accompagnait un bataillon qui se portait à l’attaque sous un bombardement des plus violents, légèrement blessé, est venu se faire panser au poste de secours et est reparti immédiatement à l’endroit où le bombardement était le plus intense, faisant l’admiration de tous les officiers des corps voisins. A reçu deux autres blessures. Déjà cité à l’ordre de l’armée. » (J. O., 29 août 1916.)

Gauthier (Yves), aumônier militaire au 115e régiment d’infanterie : « Aumônier volontaire d’un allant et d’un courage au-dessus de tout éloge. Constamment en première ligne, se rit du danger et, par sa présence, communique à tous un réconfort des plus précieux. Déjà cité à l’ordre. Blessé le 2 octobre 1914. » Légion d’honneur. (J. O., 24 novembre 1915.)

L’abbé Batard (Jean-Marie), sergent au 65e d’infanterie : « A été maintenu sur sa demande, alors qu’il devait être brancardier. A demandé son inscription au groupe d’éclaireurs et a toujours recherché les missions dangereuses. Modèle de courage, d’énergie, et d’un exemple communicatif sur tous ceux qui l’approchent. En particulier, les 2 et 3 janvier 1916, sous un feu intense, a donné à tous le réconfort de sa bravoure et de son exemple, se portant toujours aux points les plus menacés, pour encourager les combattants et secourir les blessés. Sergent respecté et admiré de tout le régiment pour sa bravoure et son esprit complet de sacrifice. » (J. O., 7 février 1916.) — Médaille militaire.

Il faut bien que je m’arrête ; rien que pour le mois de septembre 1915 (affaires de Champagne), j’ai dans les mains cent cinquante-six dossiers individuels de prêtres et de religieux morts au champ d’honneur ; pour les batailles de 1916 à Verdun, deux cent six dossiers d’ecclésiastiques glorieusement morts ; et j’ai à ma disposition (au début de 1917) les textes officiels de trois mille sept cent cinquante-quatre citations de membres du clergé et des congrégations, parmi lesquels plusieurs ont jusqu’à six ou sept étoiles ou palmes. Même en me bornant, comme je viens de faire, aux citations pour croix de guerre avec palme, pour médaille militaire et pour légion d’honneur, ces preuves rempliraient un volume…

Ces textes officiels, d’ailleurs, sont immobiles comme des pierres tombales, et c’est dans leur passion et leur frémissement que nous voudrions saisir ces prêtres animateurs.

Le jeune Roland Engerand me raconte :

« Nous nous étions arrêtés un jour dans le village de Mareuil avant de relever le 20e corps dans les tranchées de Neuville-Saint-Vaast. Un matin, après avoir visité l’église blessée par un obus, j’étais allé au cimetière. J’y éprouvais une sensation de gêne, car de très gros obus éclataient assez près, quand devant une tombe toute fraîche, j’aperçus un prêtre, sale, en bonnet de police, avec un écusson 79 sur ce bonnet, à la figure jeune et énergique, étonnamment énergique, qui priait à genoux, en pleurant. Je me dirigeai vers lui, à travers des rangées de tombes d’officiers du 20e corps, une centaine environ, aux croix de bois toutes neuves, et comme je partais à l’attaque, je lui demandai de me confesser. Alors il se leva et me dit : « Cela, c’est la tombe de mon commandant. Ils ont été admirables ! Quel exemple ! » Et me prenant par le bras, il m’emmena après avoir ajouté : « J’ai tenu, avant que le régiment ne parte au repos, à venir leur dire « au revoir », au nom de leurs gosses ». Il pleurait tout en gardant sur le visage une expression d’énergie étonnante… Et, après m’a voir confessé, il me parla longtemps, longtemps. Ses yeux brillaient de fièvre en racontant ce que le 20e corps avait fait. Et sa voix avait un son étrange, un son si douloureux et si fier : « Ah ! quels admirables soldats que les nôtres ! disait-il, quelle beauté ! quel mépris de la mort ! comme le bon Dieu a dû bien les accueillir ! Si vous les aviez vus le 9 mai partir à l’attaque ! Qu’ils étaient beaux ! On m’avait mis au poste de secours, là-bas… Je ne voyais rien, je n’ai pu y rester, et quand j’ai vu mes enfants (le 79e) s’élancer si superbement et puis être fauchés, j’ai couru aux artilleurs… Je leur criais : « Mais plus vite, tirez donc plus vite ; vous ne voyez donc pas que ce sont mes gosses qui se font tuer ! ».

» Toute une heure ce prêtre fiévreux m’a raconté de bien belles histoires. Des histoires de blessés surtout : il insistait sur le mépris devant la mort des jeunes de vingt ans. Il me disait le mot de l’un d’eux après l’opération : « Gardez mon bout de bras en souvenir de moi, monsieur le major, quoique ce soit vraiment à la France et non à vous que je l’ai donné ! » Il insistait sur l’exaltation des blessés de ces journées rayonnantes, qui arrivaient au poste de secours avec de très laides blessures et après des assauts furieux, et qui, tout secoués d’enthousiasme, ne savaient que dire au major : « Les Boches sont percés ; ils sont chassés de France. Nous les avons vaincus, que c’est beau ! » Et ils daignaient alors parler de leurs plaies.

» Et ce prêtre finissait toujours ses histoires par cette phrase fièrement et tristement jetée : « Nous avons fait notre devoir. Vous qui arrivez, faites comme le 20e corps. Et dites-vous bien que les morts au champ d’honneur vont tout droit au ciel. »

Quel élargissement de l’être ! Il y a chez cet aumônier quelque chose de plus que la compassion, la gratitude et les transports d’un patriote et d’un cœur généreux devant des êtres admirables. Il voit ses soldats comme des victimes innocentes et volontaires qui rachètent de leur sang les fautes de l’humanité. Comment s’étonner qu’une telle atmosphère de sacrifice produise en abondance les fleurs les plus rares de la haute spiritualité. On touche au moment où la religion elle-même se dépasse en se réalisant d’une manière parfaite. « Personne n’a plus d’amour que celui qui donne sa vie. » C’est là que le christianisme veut nous amener. Quand des soldats se sont offerts et meurent pour la France, le prêtre les reconnaît pour ses modèles et reçoit d’eux avec prodigalité l’enseignement qu’il leur donnait la veille. « Leur mort leur a valu la sainteté suprême. C’est un dossier de canonisation que le recueil de leurs lettres », dit un aumônier. Un autre écrit : « J’ai été témoin, d’actes grandioses de préparation à la mort, de sacrifices consentis et formulés à l’avance. Je garde dans mon cœur des secrets qui illumineront toute mon existence sacerdotale. Si je dois tomber à mon tour, je remercierai Dieu de m’avoir laissé de la terre une aussi réconfortante vision. »

La conduite héroïque des soldats contribue à exalter la foi des prêtres qui les voient agir. Devant un Ecce Homo, le parfait chrétien se dit : « Voilà ce que le Christ a fait pour moi, et moi qu’ai-je fait pour lui ? » Et la même interrogation lui transperce le cœur devant de tels soldats. Un caporal-prêtre, malgré deux blessures successives a pris le commandement de deux sections privées de leurs officiers : on s’étonne autour de lui : « Vous, si doux ! » « Bah ! dit-il, c’est l’histoire de tous les moutons enragés. » Non, c’est une autre histoire. La vraie réponse à l’étonnement qu’inspirent ces prêtres guerriers, c’est l’abbé Paul Bouyer qui la donne en révélant son angoisse. Adjudant au 69e d’infanterie, il a obtenu une superbe citation à l’ordre de l’armée, la croix de guerre, la médaille militaire et la médaille anglaise. « Prie Dieu, écrit-il à un ami, pour que je porte allègrement la croix qui donne droit à la vraie récompense, la croix de souffrances, celle du Christ. »

Telle est leur sublime ambition secrète. Des dunes du Nord aux Vosges, partout, leur imagination dresse les deux montagnes saintes, celle des Oliviers, qui est la montagne de la résignation où l’on dit : « Non ma volonté, mais la vôtre », et celle du Calvaire, qui est la montagne du sacrifice, où l’on dit : « Je remets mon esprit entre vos mains. » Pour les chrétiens, chaque jour de nos tranchées renouvelle la passion du Christ.

L’abbé Gaston Millon, capitaine au 90e régiment d’infanterie, au milieu des soins du service au Mort-Homme, durant la semaine sainte de 1916, s’associe étroitement aux sept derniers jours de son Dieu.

Mardi saint 1916. — Je médite cette parole de Joffre : « Notre victoire sera le fruit de sacrifices individuels. » Le sacrifice reste la grande loi. Jésus nous a donné l’exemple. L’Église vit des mérites de son Maître et de ses disciples, mérites qu’ils ont gagnés par leurs sacrifices. Sacrifice jusqu’à la mort.

Jeudi saint. — La canonnade devient violente. Peu importe, Je me confie entre les mains de Jésus, prêtre souverain et Hostie. Pendant cette relève, je songerai à la Cène et à cette nuit affreuse du Jardin des Oliviers… Si vous voulez mon sang, ô mon Dieu, je vous l’offre en union au sang de mon divin Sauveur.

Vendredi saint. — La nuit vient de clore la période des combats… À partir de onze heures, le gros calibre commence. Le Mort-Homme, à notre droite, disparaît dans la fumée. Vendredi saint, journée rédemptrice du genre humain, comme nous savons bien passer cette journée ! Nous avons voulu vous oublier, ô Jésus, et vous avez mis de force la mort devant nos yeux. Regarde et choisis ! Je mets ton sort éternel entre tes mains : suis-moi au Calvaire.

Samedi saint. — Jésus au tombeau, mort ! Moi, dans mon abri tombeau, pouvant mourir à tout instant. Un obus vient de tomber à quelques mètres ; lampe éteinte ; soldat tué. Ô mon Dieu, recevez mon âme. La mort est donc toute proche, toujours possible. Mon âme est prête à l’accueillir, elle sera ma délivrance… Si je sors de la guerre, avec quelle ardeur je me livrerai à l’apostolat des âmes… Mais ici je suis encore prêtre ; je dois donner l’exemple de la vaillance… Quelle semaine ! Jeudi saint, fête du sacerdoce ; Vendredi saint, fête du sacrifice ; Samedi saint, fête du recueillement devant la mort. Et puis Pâques, résurrection glorieuse…

Ainsi écrit-il, puis il sort de son abri pour son service. Un obus l’écrase. Pâques fut vraiment pour lui la résurrection glorieuse. (L’Écho d’Amplepluis, numéros de juin et juillet 1916 et lettres communiquées.)

Le Christ a appliqué ses souffrances au salut de l’humanité. Le Père de Gironde, sous-lieutenant de réserve au 81e d’infanterie, tué le 7 décembre 1914 dans la bataille d’Ypres, s’écrie : « Mourir jeune, mourir prêtre, en soldat, dans une attaque, en marchant à l’assaut, en plein ministère sacerdotal, en donnant peut-être une absolution ; verser mon sang pour l’Église, pour la France, pour mes amis, pour tous ceux qui portent au cœur le même idéal que moi, et pour les autres aussi afin qu’ils connaissent la joie de croire… Ah ! que c’est beau… » (Le P. Gilbert de Gironde, aux bureaux du Messager du Cœur de Jésus, Toulouse.)

Et tous ces héros du catholicisme ont des intentions diverses.

L’abbé Ligeard, du grand séminaire de Lyon, caporal au 28e bataillon de chasseurs alpins, avant de partir pour l’action, le jour même de sa mort, écrit : « J’offre ma vie pour que se dissipent les malentendus qui existent entre le peuple de France et les prêtres. » (Communiqué par l’A. C. J. F., Comité de Lyon.) Le Père Frédéric Bouvier, érudit spécialisé dans l’histoire comparée des religions, tué à Vermandovillers, le 17 décembre 1916, en assistant des blessés, offre sa vie « pour ses compagnons d’armes du 86e, pour que tant d’hommes droits et bons à qui il ne manque plus que de vivre en Dieu et de vivre conformément à leur foi, se tournent définitivement vers lui ». (Extrait de sa lettre d’adieu au 86e d’infanterie, 9 mai 1916.) — Joseph Arnoult, soldat au 44e régiment d’infanterie coloniale et dont l’ordre au régiment dit : « a été constamment volontaire pour les patrouilles spéciales », écrit peu avant de tomber au champ d’honneur : « Je suis parti faisant à Dieu le sacrifice de ma vie, lui demandant même avec instance de la prendre bien vite. Je voudrais mourir en martyr pour mon propre salut et pour celui de la France entière. » (Semaine Religieuse, Nantes, 6 juin 1915.)

De cette comptabilité mystique, les exemples sont innombrables. Ces héros catholiques respirent avec la tranquillité la plus familière dans une atmosphère de surnaturel (2). On connaît les prières de la recommandation de l’âme. Ce sont des acclamations que l’Église prononce auprès des mourants. Elle convie en des appels enthousiastes tout le ciel à venir faire cortège à l’âme qui va monter. Par-delà les voiles, le soldat chrétien contemple un monde où sa place lui est réservée. Approchez et lisez cette lettre testamentaire que tient un mort sur le champ de bataille. Marie-Lucien Guillard, élève du grand séminaire de Chavagnes-en-Paillers, a été blessé le 8 septembre 1914, et dans son agonie solitaire voici ce qu’il écrivait et que nous offrent ses mains glacées :

Mes bons chers tous,

Quand vous recevrez cette lettre, votre Doudou sera parti au ciel, ou bien c’est que des Allemands charitables l’auront ramassé sur le champ de bataille. Hier matin, 8 septembre, vers 6 heures et demie, quand vous étiez à la messe, par une attention de la très sainte Providence, j’ai été atteint par une balle qui m’a traversé la cuisse, et je suis tombé. Et à l’endroit même, je suis encore, car, par une ressemblance vraiment très indigne avec mon doux Sauveur Jésus sur la Croix, je suis vraiment cloué à ma croix, n’ayant pu bouger ma jambe d’un seul millimètre. Ma blessure me fait à peine souffrir quand je ne bouge pas, mais je souffre beaucoup de la soif. Mon moral est très bon, je n’ai aucune angoisse. Mon crucifix devant moi, je prie et j’attends la volonté du Bon Dieu. Vous savez qu’avant de partir j’avais fait le sacrifice de ma vie. Je l’ai renouvelé bien des fois, depuis hier matin, je le renouvelle encore une fois, avec tout ce qu’il plaira au Bon Dieu d’y ajouter ou d’en retrancher. Je ne redoute pas la mort ; je l’ai vue et je la vois encore de trop près en ce moment. Elle n’a rien d’horrible, puisqu’elle apporte le bonheur.

Vous-mêmes, je vous en prie, que votre chagrin soit silencieux, résigné et presque joyeux. Ma grande peine est de vous quitter, mais je sais vous retrouver bientôt. (En Avant, bulletin paroissial d’Ardelay, Vendée, et lettre communiquée.)

Les mystiques disent qu’il faut se clouer par le désir à la Croix du Christ, et l’on sait sur ce thème une belle lettre de sainte Catherine de Sienne, mais qu’est-ce que la plus ardente doctrine auprès d’un acte ! Ce prêtre soldat cloué sur la croix et sur la terre de France, c’est un fait en pleine lumière et qui nous transporte ex umbris et imaginibus in veritatem (3).