Les Deux Amiraux/Chapitre XVIII

Traduction par A. J. B. Defauconpret.
Furne, Gosselin (Œuvres, tome 20p. 239-254).



CHAPITRE XVIII.


Ce fut par de belles flatteries que le tentateur rendit son poison agréable. Ses paroles pénétrèrent dans le cœur d’Ève, quoique cette voix la plongeât dans une grande surprise.
Milton



Ce fut probablement une sorte de pressentiment qui porta Bluewater à congédier le midshipman, quand il vit s’approcher de lui le partisan de la famille détrônée. Ce qui s’était passé entre eux avait suffi pour convaincre chacun d’eux des dispositions secrètes de l’autre ; et par cette espèce de franc-maçonnerie qui accompagne ordinairement l’esprit de parti porté à un certain point, le contre-amiral était persuadé que l’entrevue qui allait avoir lieu entre eux aurait rapport aux événements politiques du jour.

La saison, l’heure et le lieu étaient particulièrement favorables à une entrevue entre des conspirateurs. Il faisait alors presque nuit ; il ne restait personne sur le promontoire, Dutton l’ayant quitté pour aller, d’abord caresser sa bouteille, puis ensuite se mettre au lit. Le vent était très-vif sur le plateau, et on l’entendait siffler dans les cavernes des rochers ; des nuages de mauvais augure, qui flottaient dans les airs, voilaient la lune et n’en laissaient apercevoir la lumière que par instants et d’une manière indistincte, ce qui donnait à toute cette scène un caractère sombre et presque sauvage. Il n’est donc pas très-étonnant que Bluewater, quand le baronnet s’approcha, se soit senti plus disposé qu’il ne l’avait jamais été à prêter l’oreille aux discours du tentateur ; car, dans les circonstances du moment, ce n’est pas excéder les bornes de la justice que de donner ce nom à sir Reginald.

— En vous cherchant dans un tel endroit et au milieu de ce paysage agreste, dit le baronnet, je pouvais être sûr d’y trouver un homme qui aime réellement la mer et sa noble profession. Wychecombe-Hall est en ce moment un séjour mélancolique. Quand je vous ai demandé, personne n’a pu me dire de quel côté vous étiez allé. Il paraît que j’ai bien fait de suivre ce qu’on peut appeler l’instinct d’un marin. Mes yeux me trompent-ils, ou n’y a-t-il plus là-bas que trois vaisseaux à l’ancre ?

— Vos yeux sont encore bons, sir Reginald. Il y a déjà plusieurs heures que l’amiral Oakes est parti, et toute la flotte l’a suivi, à l’exception des deux vaisseaux de ligne que vous voyez et d’une frégate. C’est moi qui dois quitter le dernier ce mouillage.

— Est-ce un secret d’état, ou vous est-il permis de dire pour quel point une force si imposante a mis à la voile si soudainement ? demanda le baronnet, ses yeux noirs et perçants fixés sur ceux du contre-amiral de manière à lui donner, au milieu de l’obscurité croissante, l’air d’un inquisiteur. On m’avait dit que la flotte attendrait des ordres de Londres ?

— Tel était le premier dessein du commandant en chef ; mais ayant appris que le comte de Vervillin a mis en mer, sir Gervais a changé d’avis. Un amiral anglais commet rarement une erreur quand il cherche et qu’il bat un ennemi actif et dangereux.

— Cela est-il toujours vrai, amiral Bluewater ? répondit sir Reginald, se promenant à côté de son compagnon sur un endroit que Dutton avait coutume de nommer son gaillard d’arrière, ou n’est-ce qu’une généralité insignifiante qui rend souvent les hommes dupes de leur propre imagination ? Ceux qui peuvent paraître nos ennemis le sont-ils toujours, ou sommes-nous assez infaillibles pour devoir attribuer tous nos sentiments ou tous nos préjugés à une impulsion à laquelle nous devions céder sans examiner si elle est juste ?

— Croyez-vous que ce soit un préjugé de regarder la France comme l’ennemie naturelle de l’Angleterre, sir Reginald ?

— Oui, de par le ciel, Monsieur. Je crois même que l’Angleterre peut devenir sa propre ennemie plus que la France ne l’a jamais été. Accordant ensuite que des siècles de guerre peuvent avoir contribué à éveiller un sentiment du genre de celui auquel vous venez de faire allusion, n’y a-t-il pas aussi la question du droit et du tort à examiner ? Réfléchissez combien de fois l’Angleterre a envahi le territoire français ; combien de maux elle y a occasionnés tandis que nous avons eu si peu de plaintes semblables à faire contre la France. Songez que le trône de ce pays a même été occupé par nos princes, et que nos armées se sont mises en possession d’un grand nombre de ses provinces.

— Je crois que, dans tous ces différents cas, vous ne jugez pas assez équitablement. Une partie de ce qui est aujourd’hui la France était l’héritage légitime de monarques assis sur le trône d’Angleterre, et les querelles entre ces deux pays n’étaient que celles qui naissent souvent du voisinage. Quand nos prétentions étaient justes en elles-mêmes, vous n’auriez sûrement pas voulu nous voir y renoncer.

— J’en suis très-loin ; mais quand des prétentions sont contestées, n’est-il pas naturel que celui qui perd se croie lésé ? Je pense que nous aurions eu un bien meilleur voisinage, comme vous l’appelez, avec la France, si les difficultés modernes relatives à la religion ne fussent sur venues.

— Je présume que vous savez, sir Reginald, que toute ma famille et moi nous sommes protestants ?

— Je le sais, amiral Bluewater, et je me réjouis sincèrement en voyant qu’une différence d’opinion sur cette grande question n’en entraîne pas nécessairement une sur toutes les autres ? D’après quelques petites allusions qui ont eu lieu entre nous, je suis porté à penser que nous avons les mêmes sentiments sur certaines affaires temporelles, quelque grande que soit la différence, qui nous sépare en matières religieuses.

— J’avoue que je suis arrivé à la même conclusion ; et si j’ai eu tort, je regretterais beaucoup d’être détrompé.

— Pourquoi donc userions-nous encore de réserve ? Deux hommes d’honneur peuvent sûrement sans danger se confier l’un à l’autre leurs sentiments secrets dans un moment qui exige de la franchise et de la résolution. Je suis jacobite, amiral Bluewater, et si je risque ma vie et ma fortune en faisant cet aveu, je mets l’une et l’autre à votre merci.

— Elles ne peuvent être en des mains puis sûres, Monsieur, et je ne connais pas de meilleur moyen pour vous donner toute l’assurance possible que je n’abuserai pas de votre confiance, que de vous dire que je sacrifierais volontiers ma vie pour voir la famille exilée rétablie sur le trône.

— Ce langage est noble, franc et loyal, et c’est ce que j’attendais d’un marin, s’écria sir Reginald plus enchanté qu’il ne savait comment l’exprimer en ce moment. Cette simple assurance, sortie de votre bouche, a plus de poids que tous les serments et toutes les garanties des conspirateurs vulgaires. Nous nous entendons l’un l’autre à présent, et je serais bien fâché de vous inspirer moins de confiance que je n’en éprouve.

— Quelle meilleure preuve puis-je vous donner de ma confiance en vous, que la déclaration que vous venez d’entendre, sir Reginald ? Ma tête tomberait avant la fin d’une semaine, si vous me trahissiez ; mais jamais je ne l’ai sentie mieux assurée sur mes épaules qu’en ce moment.

Le baronnet lui saisit la main et ils se la serrèrent mutuellement d’une manière suffisamment expressive. Ils continuèrent à se promener pendant une bonne minute, d’un air pensif, et en silence.

— L’apparition soudaine du prince en Écosse nous a pris tous un peu par surprise, dit enfin sir Reginald, quoique quelques-uns de nous n’ignorassent pas qu’il avait quelque projet semblable. Peut-être a-t-il bien fait de venir sans être suivi d’une force étrangère, de se jeter presque seul entre les bras de ses sujets, et de tout confier à leur générosité, à leur loyauté et à leur courage. Quelques-uns le blâment, mais je ne suis pas de ce nombre. Il fera naître un nouvel intérêt dans tous les cœurs généreux de ses royaumes ; au lieu que, par un appel moins franc et moins mâle à leur affection et à leur fidélité, il aurait pu trouver de la froideur dans le cœur de quelques-uns. Nous apprenons de tous côtés que Son Altesse Royale fait des merveilles en Écosse ; et les amis de sa maison sont pleins d’activité en Angleterre, quoiqu’ils soient encore forcés d’être prudents et circonspects.

— Je me réjouis du fond du cœur d’apprendre de si bonnes nouvelles, dit Bluewater, reprenant longuement haleine, en homme dont l’esprit est tout à coup délivré d’un pesant fardeau ; mais beaucoup dépend encore de la promptitude et de la résolution des principaux chefs du parti. Nous sommes assez forts pour maîtriser la nation, si nous pouvons mettre en avant des hommes qui soient en état de conduire les autres et de se maîtriser eux-mêmes. Tout ce qu’il nous faut à présent, c’est cent à deux cents hommes éminents, qui sortent de leur état d’inertie, et qui nous montrent le chemin vers des exploits honorables et un succès certain.

— De pareils hommes peuvent-ils manquer dans un moment comme celui-ci ?

— Je crois que nous sommes sûrs de la plus grande partie de la haute noblesse, quoique les grands risques qu’elle a à courir puissent la rendre d’abord un peu circonspecte. Mais c’est parmi les hommes des professions libérales, les braves soldats, les intrépides et ardents marins, que nous devons trouver les premières démonstrations de vrai patriotisme et de loyauté. Pour vous parler franchement, Monsieur, je suis las d’être gouverné par un Allemand.

— Savez-vous s’il y a quelque intention de faire des recrues dans cette partie de l’Angleterre, sir Reginald ? Si cela est, vous n’avez qu’un mot à dire. Indiquez-moi l’endroit où l’étendard sera déployé, et je m’y rallierai aussitôt que les circonstances me le permettront.

— C’est précisément ce que j’attendais de vous, Bluewater, répondit le baronnet plus charmé qu’il ne jugea prudent de le montrer, quoique ce ne soit pas précisément de cette manière que vous pouvez nous être le plus utile. Séparés du Nord, comme nous le sommes dans cette partie de l’Angleterre, par toutes les ressources du gouvernement actuel, ce serait le comble de l’imprudence de montrer nos mains avant d’être prêts à jouer nos cartes. Des agents confidentiels actifs travaillent l’armée ; Londres ne manque pas d’hommes adroits qui s’occupent de notre affaire, et il s’en trouve dans les comtés qui font de leur mieux pour mettre les choses en état d’arriver heureusement à la fin que nous désirons tous. J’ai parcouru tous ces environs avec quelques amis pour préparer les voies à une insurrection future, et je me disposais à venir sur ce domaine, pour voir si mon nom pourrait avoir quelque influence sur les habitants, quand feu sir Wycherly m’appela près de son lit de mort. Savez-vous quelles sont les opinions politiques du jeune homme qui se trouve à présent le nouveau chef de ma famille, — le lieutenant de vaisseau, — le baronnet actuel ?

— Pas précisément, mais je doute qu’elles soient favorables à la maison de Stuart.

— C’est ce que je craignais. – J’ai reçu ce matin une lettre anonyme que je crois venir de son compétiteur, et qui me donne à entendre assez clairement que, si je veux admettre et faire valoir ce qu’il appelle ses droits, tous les habitants du domaine de Wychecombe-Hall et du voisinage immédiat se déclareront dans la lutte qui va avoir lieu pour le parti que je désirerai.

— C’est un coup hardi et décidé. — Puis-je vous demander quelle a été votre réponse ?

— Je n’en ai fait ni n’en ferai aucune. Dans quelques circonstances que ce puisse être, je n’aiderai jamais un bâtard à se mettre à la place qui ne doit être occupée que par un descendant légitime de ma famille. Nous voulons rétablir des droits légaux et naturels, mon cher amiral, et les moyens à employer ne doivent pas être indignes du but que nous nous proposons. D’ailleurs, je sais que le drôle ne mérite aucune confiance, et je ne ferai pas la sottise de me mettre en son pouvoir. J’aurais désiré que notre jeune marin pensât différemment ; mais en le laissant aller sur mer, comme il en a le désir, nous le mettrons du moins hors d’état de nous nuire.

En tout cela, sir Reginald était parfaitement sincère ; car, quoiqu’il n’hésitât pas toujours sur le choix des moyens en affaires politiques, il était rigoureusement honnête en tout ce qui concernait la propriété privée ; espèce de contradiction morale qu’on trouve fréquemment dans les hommes qui visent à administrer les affaires de ce monde, puisqu’il arrive souvent que ceux qui sont presque irréprochables sur tout autre point, cèdent alors à un faible qui les domine. Bluewater fut charmé d’entendre le baronnet faire cette déclaration, son caractère simple et franc le portant à s’imaginer que c’était un indice de la probité de son compagnon en toute chose.

— Oui, dit le contre-amiral, nous devons dans tous les cas, soutenir les lois du pays dans une affaire de droit privé. Ce jeune marin n’est peut-être pas en état de se faire une juste idée de ses devoirs politiques dans une crise comme celle-ci ; et il vaut peut-être mieux pour lui que nous le laissions aller en mer, de peur qu’en embrassant le parti qui aura le dessous, il ne compromette ses droits sur son domaine avant d’en être en possession paisible. – Et maintenant que nous avons pris un parti à l’égard de sir Wycherly, que puis-je faire pour servir une cause si juste et glorieuse ?

— C’est en venir au point franchement, sir Richard. – Je vous demande pardon de vous donner ce titre ; mais je sais de bonne part que votre nom a été mis il y a déjà quelque temps sous les yeux du Prince comme celui d’un des hommes qui méritent de recevoir le ruban rouge d’un souverain réellement autorisé à l’accorder. Si j’ai parlé un peu prématurément, encore une fois pardon. Mais, je le répète, c’est en venir franchement au point. Oui, sans doute, vous pouvez nous servir, et cela très-efficacement et de la manière la plus importante. Je regrette beaucoup maintenant que mon père ne m’ait pas fait entrer dans l’armée quand j’étais jeune, j’en serais plus en état de servir mon prince comme je le désire dans cette entreprise dangereuse. Mais nous avons un grand nombre d’amis habitués à porter les armes, et votre honorable nom paraîtra parmi les leurs, illustré par le passé, et encourageant pour l’avenir.

— Il est très-vrai que j’ai porté les armes presque depuis mon enfance, sir Reginald, mais c’est dans un service qui ne peut être d’aucun usage en cette occasion. Le prince Charles-Édouard n’a point de vaisseaux, et je ne vois pas qu’il en ait besoin.

— Mais s’il n’a pas de vaisseaux, mon cher Monsieur, le roi George en a. Quant au besoin que peut en avoir le prince, permettez-moi de vous dire que vous vous trompez. Il sera bientôt très-important de tenir ouverte la communication avec le continent. M. de Vervillin a sans doute mis en mer avec quelque objet semblable en vue.

Bluewater tressaillit, et il retira brusquement son bras sur lequel le baronnet, dans la chaleur de la conversation avait appuyé une main : c’était la suite du même instinct qui fait qu’on recule avec dégoût, quand on touche sans le savoir quelque reptile. L’idée d’une trahison comme celle que lui semblaient impliquer les paroles de son compagnon ne s’était jamais présentée à lui, et son esprit la repoussa avec une sorte d’horreur. Cependant il ne savait pas encore précisément à quoi sir Reginald voulait l’engager, et il crut juste de s’assurer de ses vues réelles avant de lui répondre. Quelque plausible que cela parut, c’était un délai dangereux pour un esprit aussi droit que simple se trouvant en contact avec un homme aussi adroit et aussi expérimenté que le baronnet. Sir Reginald eut assez de tact pour s’apercevoir que son nouvel ami avait déjà pris l’alarme, et il résolut sur-le-champ d’être plus prudent.

— Comment dois-je entendre, ce que vous venez de dire, sir Reginald ? demanda le contre-amiral. — Quel rapport puis-je avoir avec les ressources navales de la maison de Hanovre, quand mon intention est de quitter son service ? Les flottes du roi George ne serviront pas la cause des Stuarts, et du moins elles obéiront à leurs officiers.

— Je n’en ai pas le moindre doute, amiral Bluewater. — Quel glorieux privilège ce fut pour Monk d’avoir en son pouvoir de remettre sur le trône son souverain légitime, et d’éviter ainsi à son pays, par un coup de main, les maux et les souffrances d’une guerre civile ! De tous les noms glorieux mentionnés dans les annales britanniques, je regarde celui de Monk comme le plus digne d’envie. C’est une grande chose d’être prince ; d’être né pour être le substitut de Dieu sur la terre en tout ce qui concerne la justice et le pouvoir des hommes ; mais c’en est une encore plus grande à mes yeux d’être né sujet pour rétablir l’ordre de ces successions presque divines, quand il a été interverti par des hommes pervers et présomptueux.

— Cela est assez vrai, Monsieur ; cependant j’aurais préféré rejoindre le prince à son débarquement, n’ayant à lui offrir qu’une épée sans tache, plutôt que d’y arriver ayant une armée sur mes talons.

— Quoi ! quand même cette armée vous suivrait avec joie, et aurait le même zèle que vous pour le service de son souverain ?

— Cela pourrait changer quelque chose à la question ; mais les soldats, comme les matelots, cèdent ordinairement à l’influence qu’exercent sur eux ceux que les autorités supérieures leur ont donnés pour commandants.

— Sans contredit, et c’est ce qui doit être. — Nous avons lieu de croire que dix à quinze capitaines de marine sont déjà bien intentionnés à notre égard, et qu’ils conduiront leurs bâtiments respectifs au point qui leur sera indiqué, dès qu’ils seront assurés d’avoir un bon commandant quand ils seront réunis. En nous concertant à propos, nous pouvons commander la mer du Nord, et maintenir ouvertes des communications importantes avec le continent. On sait que le ministère a dessein d’employer autant de troupes allemandes qu’on pourra lever, et une force navale sera essentielle pour tenir à une certaine distance ces étrangers à moustaches. La querelle est entièrement anglaise, Monsieur, et elle doit être décidée par les Anglais seuls.

— Sur ce point, je pense entièrement comme vous, sir Reginald, répondit Bluewater respirant plus librement. Je croiserais tout un hiver dans la mer du Nord pour retenir les Allemands chez eux et laisser aux Anglais le soin de décider qui doit être roi d’Angleterre. Suivant moi, une intervention étrangère, dans une affaire semblable, est le plus grand des maux après une rébellion contre un prince légitime.

— Vos sentiments sont exactement les miens, mon cher Monsieur, et j’espère, vous voir les mettre en pratique. — Mais à propos, comment se fait-il que vous soyez resté seul ici, et de quelle manière l’autorité se partage-t-elle entre deux amiraux qui servent ensemble sur la même flotte ?

— Je ne sais pas trop si je comprends bien votre question. — Je suis resté ici pour partir le dernier à bord du César, et sir Gervais conduit l’avant-garde à bord du Plantagenet pour former une ligne en travers de la Manche afin d’empêcher le comte de Vervillin d’avancer à l’ouest.

— À l’ouest ! répéta le baronnet avec un sourire ironique que l’obscurité empêcha son compagnon de remarquer. — L’amiral Oakes pense donc que l’escadre française gouverne dans cette direction ?

— Telle est l’information que nous avons reçue. Avez-vous quelque raison pour supposer à l’ennemi des intentions différentes ?

Le baronnet se tut et eut l’air de réfléchir. Ce qui s’était déjà passé avait suffi pour lui faire sentir qu’il n’avait pas affaire à un esprit d’une trempe ordinaire, et il éprouvait quelque embarras pour lui répondre. Il avait bien résolu de faire tomber Bluewater dans ses filets, et les esprits qui aident les intrigants lui suggérèrent en ce moment le plan qui était le plus propre à faire réussir son projet. Le contre-amiral avait laissé voir son aversion pour toute intervention étrangère, et il pensa avec raison qu’en touchant de nouveau cette corde, les vibrations s’en feraient sentir jusqu’au fond du cœur de son compagnon.

— Nous avons certainement reçu aussi nos informations, répondit-il du ton d’un homme qui ne pouvait dire tout ce qu’il savait, mais la bonne foi exige que je ne les fasse pas connaître en ce moment. Cependant on peut raisonner d’après les probabilités. Le duc de Cumberland va réunir ses auxiliaires allemands, et il faut qu’ils arrivent en Angleterre de telle manière qu’ils le pourront. Un ennemi intelligent, et ayant à ses ordres une flotte bien équipée, souffrira-t-il cette jonction, s’il peut l’empêcher ? Nous sommes certains du contraire ; et si nous prenons en considération le moment précis où le comte de Vervillin a mis en mer, l’ignorance probable où il est de la présence de votre escadre dans la Manche, et toutes les autres circonstances de l’affaire, quelle intention peut-on lui supposer, si ce n’est celle d’intercepter le convoi des régiments allemands ?

— Tout cela paraît plausible, et pourtant les signaux de l’Actif nous ont informés que les Français gouvernaient à l’ouest, et cela par un vent léger d’ouest.

— Les flottes, de même que les armées, ne font-elles pas souvent de fausses démonstrations ? N’est-il pas possible que M. de Vervillin, tant que ses vaisseaux ont été en vue du rivage, se soit dirigé vers l’ouest avec l’intention de retourner à l’est dès que les ténèbres les couvriraient, et de remonter la Manche peut-être sous pavillon anglais ? Ne peut-il pas même passer ainsi le détroit de Douvres, en se faisant prendre pour une escadre anglaise, la vôtre par exemple, et tromper ainsi vos croiseurs, jusqu’à ce qu’il trouve l’occasion de prendre ou de couler à fond les bâtiments de transport amenant les troupes hanovriennes ?

— Cela serait, difficile, sir Reginald, répondit Bluewater en souriant. – Un bâtiment français ne peut pas plus être pris pour un bâtiment anglais, qu’un Français ne pourrait se faire passer pour un de nos compatriotes. Nous ne sommes pas si faciles à tromper, nous autres marins. Il est pourtant vrai qu’une flotte peut gouverner d’un côté jusqu’à ce qu’elle soit à une distance convenable de la terre, ou que la nuit couvre ses mouvements, et alors changer de route tout à coup ; et il peut se faire que le comte de Vervillin ait eu recours à quelque stratagème de ce genre ; cela est même tout à fait probable, s’il est instruit du projet de jeter des troupes allemandes en Angleterre. En ce cas, je lui souhaiterais, quant à moi, tout le succès possible.

— Eh bien ! mon cher Monsieur, qu’est-ce qui pourrait l’empêcher de réussir ? demanda le baronnet avec un ton de triomphe qui n’avait rien d’affecté. — Rien, direz-vous, à moins qu’il ne rencontre sir Gervais Oakes. Mais vous n’avez pas répondu à ma question sur la manière dont l’autorité se partage en mer entre deux amiraux.

— À peu près de même que dans l’armée de terre ; l’officier supérieur commande, et l’inférieur obéit.

— Cela est vrai ; mais ce n’est pas répondre à ma question. Il y avait ici ce matin onze vaisseaux de ligne : Oakes et vous, vous avez chacun sous vos ordres un certain nombre de ces bâtiments ?

— Sans contredit. Sir Gervais a sous ses ordres une division de six vaisseaux de ligne, et il m’a laissé les cinq autres. Chacun de nous a en outre une frégate et quelques petits bâtiments. Mais tout ordre que le commandant en chef peut juger à propos de donner à tel capitaine que ce soit, doit être exécuté, car l’officier inférieur doit toujours obéir au dernier ordre ! c’est la règle.

— Et vous, reprit sir Reginald avec vivacité, quelle est votre situation à l’égard des capitaines de la division de sir Gervais.

— Si je donnais un ordre direct à l’un d’eux, il serait certainement tenu d’y obéir. Mais les circonstances pourraient l’obliger à me faire, savoir qu’il a des instructions différentes de notre commandant en chef, et alors mon devoir serait d’y déférer. Mais pourquoi toutes ces questions, sir Reginald ?

— Un moment de patience, mon cher amiral. Quels vaisseaux avez-vous spécialement sous vos ordres ?

Le César qui est celui que je monte ; le Dublin, l’Élisabeth, l’York et le Douvres ; à quoi il faut ajouter le Druide, le cutter la Mouche et un sloop armé en guerre ; ce qui porte ma division à huit bâtiments.

— Quelle force magnifique et l’avoir à sa disposition dans un tel moment de crise ! Mais où sont tous ces bâtiments ? je n’en vois que cinq : et deux seulement paraissent être des vaisseaux de ligne.

— Le feu que vous apercevez là-bas, le long de la terre à l’ouest, est le fanal de l’Élisabeth et celui qui est plus au large est à bord de l’York. Le fanal du Douvres a disparu plus loin au sud. Ah ! voici Dublin qui fait son abattée et qui va suivre les autres.

— Et vous avez dessein d’en faire autant ?

— Avant une heure d’ici, ou je perdrai de vue ma division. Dans l’état présent des choses, j’ai réfléchi s’il ne convenait pas de rappeler les vaisseaux les plus éloignés et de les réunir en escadre serrée ; car l’augmentation du vent rend probable qu’ils perdront de vue le vice-amiral, et que le point du jour trouvera la ligne rompue et en confusion. Un seul esprit doit diriger les évolutions des vaisseaux comme celle des bataillons, sir Reginald, lorsqu’ils doivent agir de concert.

— Dans quelle vue réuniriez-vous les vaisseaux que vous venez de mentionner, et de la manière que vous avez indiquée, si cette question ne vous paraît pas trop indiscrète ! demanda le baronnet avec vivacité.

— Simplement pour les maintenir ensemble et être sûr de les avoir à portée de mes signaux particuliers. C’est un devoir qui m’est spécialement imposé comme commandant cette division.

— Et avez-vous le moyen de le faire ici, sur ce promontoire ?

— Ce serait une grande négligence d’avoir oublié une précaution si importante. Mon lieutenant chargé des signaux est couché là-bas sous ces buissons et deux aides-timonniers sont à portée pour aider à faire tous les signaux qui pourraient devenir nécessaires ; car cette nécessité a été prévue et elle semble réellement approcher. Si je prends cette mesure, il faut même qu’elle soit prise promptement ; le fanal de l’York commence à s’obscurcir dans l’éloignement. Oui, j’y suis décidé, Monsieur ; la prudence l’exige, et vous allez voir de quelle manière nous faisons passer des ordres à des bâtiments éloignés.

Bluewater n’aurait pu annoncer une nouvelle plus agréable à son compagnon. Sir Reginald n’osait lui proposer à découvert la trahison qu’il méditait ; mais il pensait que si le contre-amiral éloignait sa division de celle de sir Gervais, celui-ci se trouverait trop faible pour risquer un engagement avec les Français, et qu’il pouvait en résulter la séparation des deux parties de l’escadre, ce qui rendrait plus facile la défection de celle que commandait le contre-amiral. Il est vrai que Bluewater agissait d’après des motifs diamétralement contraires aux désirs de sir Reginald ; mais comme tous deux suivaient la même route jusqu’à un point donné, l’intrigant baronnet n’était pas sans espoir de déterminer son ami à l’accompagner plus loin.

La promptitude est une vertu militaire ; et parmi les marins c’est une maxime de faire tout ce qui doit être fait, avec vigueur et activité. On la mit en pratique en cette occasion. Dès que le contre-amiral eut pris sa détermination, il s’occupa des moyens d’exécution. Il chargea lord Geoffrey, qui était revenu sur le promontoire, et qui se tenait à quelque distance par discrétion, de porter ses ordres à son lieutenant et aux deux aides-timonniers. Les fanaux n’avaient besoin que d’être allumés, et on les hissa ensuite au haut du mât de Dutton, avec autant de régularité que si le même devoir eût été accompli sur la dunette du César. Trois fusées furent lancées immédiatement après, et l’on se servit de la pièce d’artillerie qui était toujours sur le promontoire pour tirer un coup de canon, afin d’appeler l’attention sur les signaux. À peine se passa-t-il une minute avant que le César y répondît en tirant un coup de canon de fort calibre, et en hissant les mêmes signaux en tête du mât. Le Dublin était encore si près, qu’il n’y eut pas un seul instant de perdu ; mais, d’après les ordres qu’il avait reçus, il répéta aussi les signaux ; car il avait été arrangé que pendant toute cette nuit, tout ordre de cette nature serait transmis sur toute la ligne d’un vaisseau à l’autre.

— C’est le tour de l’Élisabeth, dit Bluewater ; et elle ne peut manquer d’avoir entendu nos canons et vu nos signaux.

L’York l’a gagnée de vitesse, s’écria le midshipman ; le voilà qui répond déjà aux signaux.

Tout cela se passa en quelques minutes, les derniers vaisseaux, en mettant à la voile, s’attendant à recevoir quelque ordre de rappel semblable. Une minute après, le canon et les fanaux de l’Élisabeth annoncèrent que le même ordre lui était parvenu.

On ne voyait plus ces deux derniers vaisseaux du haut du promontoire, quoique leur position fût indiquée par leurs fanaux ; mais nul signe n’indiquait sur quelle partie de l’Océan se trouvait le Douvres. Deux ou trois minutes s’écoulèrent en silence.

— Je crois que c’est tout ce que nous pourrons réunir de ma division, dit enfin Bluewater ; un de mes vaisseaux devra chercher demain matin à rejoindre le commandant en chef. Ah ! voici qui signifie quelque chose.

Tandis qu’il parlait ainsi, une faible lueur parut un instant à une très-grande distance. Toutes les têtes se penchèrent en ayant pour écouter, et bientôt un coup de canon, qu’on entendit à peine, annonça que l’ordre était arrivé jusqu’au Douvres.

— Que signifie cela, Monsieur ? demanda vivement sir Reginald qui avait donné la plus vive attention à toute cette scène.

— Cela signifie, Monsieur, que toute ma division est encore sous mes ordres. Nul autre bâtiment que le Douvres n’aurait répondu à mes signaux. Tous ceux de la première division ne doivent recevoir leurs ordres que du vice-amiral, à moins qu’ils ne soient spécialement désignés par leur numéro. Lord Geoffrey Cleveland, ma barge est-elle arrivée ?

— Oui, amiral ; ainsi qu’un canot pour M. Cornet et les deux aides-timonniers.

— Fort bien. – Messieurs, nous allons nous rendre à bord. Il faut que le César appareille pour rejoindre les autres bâtiments au large. Je vous suivrai jusqu’à l’embarcadère ; mais vous partirez à l’instant, et vous ordonnerez de ma part au capitaine Stowel d’appareiller sur-le-champ en abattant sur bâbord. Nous prendrons ensuite tribord amures, et nous gagnerons le large.

Tous ceux à qui cet ordre s’adressait se hâtèrent de descendre du promontoire pour l’exécuter, laissant Bluewater et le baronnet les suivre plus à loisir. C’était un moment critique pour sir Reginald, qui avait été si près d’arriver à son but, qu’il aurait éprouvé un double désappointement s’il avait tout à fait échoué dans son projet. Il résolut donc de ne pas quitter l’amiral tant qu’il aurait quelque espoir de succès, et l’accompagnant vers le rivage, ils marchèrent en profond silence pendant une ou deux minutes.

— Vous avez une grande partie entre les mains, amiral Bluewater, dit enfin le baronnet et si elle est bien jouée, elle peut assurer le triomphe de la bonne cause. Je crois pouvoir dire que je connais le but de Vervillin, et que, si son projet réussit, il replacera les Stuarts sur le trône de leurs ancêtres. Un homme qui leur est dévoué doit y réfléchir sérieusement avant de rien faire qui puisse empêcher un si grand résultat.

Ce discours était aussi hardi qu’artificieux. En point de fait, sir Reginald ne savait pas plus que son compagnon ce que M. de Vervillin se proposait de faire ; mais il n’hésita pas à affirmer qu’il le savait, afin de s’assurer un grand avantage politique dans un moment si important. Obtenir que Bluewater et ses capitaines se déclarassent ouvertement en faveur des Stuarts, ce serait déjà remporter une grande victoire ; et rendre infructueux les plans de sir Gervais pour la maison de Hanovre en serait une autre ; D’ailleurs toutes les probabilités étaient que l’amiral français ne s’était pas mis en mer pour rien, et que ses opérations avaient pour but de faciliter celles du jeune prince. Le baronnet, quelle que fût sa droiture en toute autre chose, n’avait aucun scrupule en cette occasion ; car il s’était persuadé depuis longtemps qu’il était permis de sacrifier des considérations morales inférieures pour arriver à un but aussi important que celui qu’il avait en vue.

Cette astuce ne produisit pas peu d’effet sur Bluewater. Le tentateur avait placé l’appât devant ses yeux sous la forme la plus séduisante, car il n’avait qu’à tenir sa division en réserve pour rendre un engagement moralement impossible. Il ne pouvait ni ne voulait laisser son ami lutter seul contre des forces supérieures ; mais nous avons à remplir le devoir pénible d’avouer que des éclairs passagers, brillant dans son imagination, lui faisaient voir la possibilité de rendre un grand service au prince aventureux qui était en Écosse, sans faire un grand mal au vice-amiral, ni même à l’avant-garde de la flotte. Entendons-nous pourtant bien. Le contre-amiral ne méditait ni une trahison ni une défection d’aucune espèce ; mais, par suite de cette fragilité qui est dans la nature même de l’homme, il ne pouvait fermer les yeux sur la perspective des résultats grands et glorieux que l’esprit du mal présentait à son imagination.

— Je voudrais que nous fussions réellement certains des projets de Vervillin, dit-il, et ce fut la seule concession que les nouvelles idées qui s’offraient à son imagination pussent arracher à ses lèvres. Cela pourrait jeter un grand jour sur la marche que nous devons suivre nous-mêmes. Je déteste tous ces Allemands, et je renoncerais au service avant de convoyer ou de transporter un seul de ces drôles en Angleterre.

Sir Reginald prouva ici combien il était expert dans l’art de mener les hommes. Il avait fait naître dans l’esprit de son compagnon une suite d’idées et de sentiments qui pouvaient le conduire au but où il désirait le voir arriver, et il craignit, en faisant de nouveaux efforts pour le porter à se déclarer, de ne réussir qu’a éveiller en lui un esprit d’opposition, et à le confirmer dans sa première détermination. Il résolut donc de laisser les choses dans l’état où elles étaient, espérant que le penchant vif et décidé du contre-amiral pour la maison des Stuarts agirait puissamment sur lui, de concert avec les vues flatteuses à son amour-propre qu’il allait finir par lui développer.

— Je ne connais rien en marine, dit-il modestement, mais je sais que le comte est occupé à nous servir. Il me conviendrait mal de donner des conseils à un homme ayant votre expérience, sur l’usage qu’il doit faire d’une force qui est en ce moment sous ses ordres : mais un de mes amis, qui est à présent dans l’ouest de l’Angleterre, m’a dit que le prince a montré une grande satisfaction en apprenant combien il pouvait être en votre pouvoir de le servir.

— Croyez-vous donc que mon nom soit arrivé jusqu’à son oreille royale, et que le prince connaisse mes sentiments véritables ?

— Rien que votre extrême modestie, mon cher amiral, ne peut vous en faire douter. D’ailleurs, demandez-vous à vous-même comment il se fait que je sois venu vous trouver ce soir, le cœur sur la main, en quelque sorte, et vous rendant maître de ma vie et de mon secret. L’amour et la haine sont deux sentiments qui ne tardent pas à se trahir.

C’est une vérité historique que des hommes doués des principes les plus nobles, et de la plus grande force d’esprit, ont cédé aux flatteries partant d’un rang élevé. Les opinions politiques de Bluewater l’avaient rendu insensible aux caresses de la cour de Londres ; mais son imagination, sa déférence chevaleresque pour l’antiquité et pour des droits poétiques, qui étaient la base de son jacobitisme, et la compassion que lui inspirait toujours le sort de la famille exilée, ne le disposaient que trop à devenir la dupe d’un langage semblable. S’il eût été plus homme de faits, et moins sous l’influence de son imagination ; s’il avait eu la bonne fortune de voir de plus près ceux qu’il adorait presque du moins dans un sens politique, leur pouvoir sur un esprit aussi juste et aussi clairvoyant que le sien aurait bientôt cessé d’exister. Mais comme il passait tout son temps sur mer, ils avaient le meilleur auxiliaire possible dans la faculté qu’il possédait de se figurer que les choses étaient ce qu’il désirait qu’elles fussent. Il n’était donc pas étonnant qu’il entendît cette fausse assertion de sir Reginald avec une émotion de joie, et même avec un tressaillement de cœur, tel qu’il n’en avait pas éprouvé depuis longtemps. Ses sentiments plus louables furent quelque temps étouffés par cette sensation nouvelle et traîtresse.

Ils arrivaient en ce moment sur le rivage, et il devint nécessaire qu’ils se séparassent. Ce n’était pas sans peine qu’on empêchait, à l’aide des avirons et des gaffes, la barge de l’amiral de s’élancer sur le rocher ; et chaque instant rendait l’embarquement plus difficile. Les moments étaient précieux pour plus d’une raison, et les adieux furent courts. Sir Reginald ne lui dit que quelques mots, mais il donna toute l’expression nécessaire à la manière dont il lui serra la main.

— Dieu soit avec vous, amiral, lui dit-il, et qu’il vous accorde des succès proportionnés votre fidélité ! — N’oubliez pas ! — un prince légitime — des droits consacrés par la naissance. — Dieu soit avec vous !

— Adieu, sir Reginald. Quand nous nous reverrons, l’avenir sera probablement couvert de moins de nuages pour nous tous. Mais qui nous arrive ici en courant comme un fou ?

Un homme accourait vers le rivage dans l’obscurité, et ce ne fut que lorsqu’il arriva à deux pas de Bluewater qu’on reconnut Wycherly. Il avait entendu les coups de canon et vu les signaux. En devinant la raison, il était sorti à la hâte du parc dont il était alors le maître, et où il se promenait pour calmer son émotion et craignant d’être laissé à terre, il avait couru sans s’arrêter jusqu’au rivage ; il arrivait à temps car, une minute après, la barge s’éloigna du promontoire.