Librairie de Tarride (p. 127-140).



CHAPITRE XIX.


Le cheval accroché au passage par Volmerange était de noble race et léger comme le vent ; en quelques minutes, il emporta son cavalier hors du centre de la bataille, ou plutôt de la boucherie, car ce n’était plus qu’un massacre confus d’éléphants, de chevaux et d’hommes. La déroute était complète.

Pendant quelque temps, Volmerange entendit hurler les éléphants dans le lointain, et vit sur le terrain rougi par les reflets du bois incendié galoper devant lui l’ombre de son cheval comme un monstre fantasmagorique qu’il aurait poursuivi ; le cheval lui-même s’irritait de cette ombre difforme, s’élançait avec fureur et penchait la tête pour la saisir aux dents.

Peu à peu les fuyards qui, dans les premiers élans de la course de Volmerange galopaient à ses côtés, étaient restés en arrière : le cri des éléphants ne se faisait plus entendre, et la nuit avait repris sa couleur bleuâtre. Volmerange courait toujours à fond de train le long du Godaveri. Son cheval, avec un instinct merveilleux, évitait les fondrières, sautait par-dessus les troncs d’arbres renversés, devinait les terrains peu solides et cela sans ralentir aucunement sa rapidité.

Après avoir mis cinq ou six lieues entre le champ de bataille et lui, Volmerange diminua le train de sa monture, et guidé par une lumière qui brillait au bord du fleuve, il arriva à la cabane d’un pêcheur occupé à raccommoder ses filets, et qui se prosterna devant lui après l’avoir aidé à descendre de cheval.

Un banc recouvert de saptaparna s’adossait à la hutte : le comte s’y assit, et s’adressant au pêcheur en idiome indostani, il lui demanda s’il ne pourrait lui donner d’autres vêtements et lui procurer une barque pour descendre le fleuve.

— Je le puis, répondit le pêcheur, qui avait reconnu sa qualité à ses insignes ; mais votre seigneurie ne voudra peut-être pas revêtir l’humble habit d’un pauvre Indien de la dernière caste, d’un misérable soudra qui n’est pas digne de balayer avec son front la poussière de votre chemin.

— Plus l’habit sera misérable, plus il me convient, dit Volmerange en rentrant dans la cabane.

Aidé par le pêcheur, il se débarrassa de son costume guerrier et revêtit le modeste sayon, sous lequel il eût été difficile de reconnaître le brillant chef de l’insurrection. Le pêcheur, par surcroît de prudence, lui conseilla de se brunir la figure et les mains avec du jus de coloquinte, car son teint un peu blanc aurait pu le trahir.

Ces précautions prises, le pêcheur détacha sa barque, et le cheval qui s’était avancé jusqu’au bord de l’eau, voyant qu’on n’avait plus besoin de lui, s’élança après avoir humé l’air bruyamment, du côté de la colline où se trouvait sans doute son pâturage.

Nous ne suivrons pas jour par jour Volmerange dans sa navigation, qui fut longue ; bornons-nous à dire qu’il regagna heureusement la côte, et après avoir récompensé le pêcheur avec une des pierres précieuses qui ornaient la poignée de son sabre, il monta sur un vaisseau français qui naviguait dans le golfe du Bengale et s’était arrêté à l’embouchure du fleuve pour faire de l’eau.

Comme il revenait seul, ou tout au plus accompagné par le souvenir de deux femmes mortes, Edith noyée par lui et Priyamvada tuée à ses côtés par une balle, il ne mit pas, à beaucoup près, quoique la distance fût grande, le même temps à revenir en Europe qu’Edith et sir Benedict Arundell.

Une force secrète le ramenait malgré lui à Londres, d’où tant de raisons auraient dû l’éloigner. Peut-être obéissait-il à ce magnétisme singulier que les hommes ressentent comme les animaux, et qui les fait revenir au même endroit après chaque violente attaque de la destinée qui les en a fait sortir, comme des taureaux dans la place, qui retournent toujours à leur querencia jusqu’à ce qu’ils meurent.

La fin malheureuse de Priyamvada, quoique dans le tumulte des événements il n’eût pas eu le temps de la pleurer comme elle le méritait, avait beaucoup frappé le comte. Il se voyait comme circonvenu par une espèce de noire fatalité, et se résolut à vivre solitairement, de peur de porter malheur à ceux qu’il aimerait.

Il vivait donc isolé, ne sortant que le soir, ou n’allant que dans les endroits déserts, non qu’il eût besoin de se cacher, car avant de partir pour l’Inde il avait envoyé à lord et lady Harley les lettres d’Edith, avec ces mots au bas : Justice est faite. Cette fable avait été répandue par la famille que la jeune femme, emmenée en Italie par le comte pour savourer incognito les joies de la lune de miel, était morte à Naples, d’une fièvre gagnée dans les marais Pontins.

Cela n’avait rien de précisément invraisemblable, et le monde, qui ne s’occupe pas beaucoup de ceux qu’il ne voit pas, s’était contenté de cette raison spécieuse, que la douleur de lord et de lady Harley rendait d’ailleurs très-croyable.

Un soir, le comte de Volmerange se promenait dans la partie la plus déserte d’Hyde-Park.

Une jeune femme, suivie à quelque distance d’un domestique en livrée et dont la mise élégante et riche annonçait une personne appartenant à la plus haute aristocratie, marchait d’un pas léger le long de la pièce d’eau qui s’étend dans cet endroit solitaire du parc où ne passent ordinairement que les amoureux, les poètes et les mélancoliques, et quelquefois aussi les voleurs ; car un homme de fort mauvaise mine, sortant tout d’un coup d’un massif d’arbres, s’élança vers elle, et saisissant son châle, que retenait une forte épingle de pierreries, fit des efforts pour arracher ce riche tissu.

Le domestique accourut ; mais un coup de poing appliqué en pleine face, d’après les plus saines règles de la boxe, l’envoya rouler à quatre pas, le nez saignant et la bouche meurtrie.

Le voleur tirait toujours le châle à lui, et la jeune femme, presque étranglée, pouvait à peine appeler au secours par de faibles cris étouffés dans sa gorge.

Arrivé au détour de l’allée, Volmerange vit le groupe aux prises, et d’un bond tombant au milieu de l’aventure, rétablit l’équilibre par un coup de canne en travers qui coupa la figure du voleur comme un coup de sabre, et le fit s’enfuir, hurlant de douleur malgré l’intérêt qu’il avait à se taire.

La jeune femme avait éprouvé une frayeur si vive quelle chancelait sur ses jambes et que Volmerange fut obligé d’abandonner la poursuite du larron pour le soin de la soutenir.

Lorsqu’elle fut un peu revenue à elle, Volmerange allait se retirer après avoir salué gravement, mais la jeune femme étendant la main l’arrêta dans son mouvement de retraite et lui dit d’une voix timide et suppliante :

— Oh ! monsieur, soyez chevaleresque jusqu’au bout, et daignez me reconduire à ma voiture. Mon pauvre garde-du-corps Daniel est en assez piteux état, et je crains que me voyant seule de nouveau, les malfaiteurs ne reviennent à la charge.

Il n’y avait guère moyen de dire non à une demande formulée ainsi ; et, bien que Volmerange se fût promis de ne plus désormais s’occuper d’aucune femme, il ne put s’empêcher d’offrir assez gracieusement, pour un misanthrope qui s’était proposé de dépasser les sauvageries de Timon d’Athènes, le bras qu’on lui demandait avec une instance que la frayeur rendait presque caressante.

La voiture stationnait à un endroit assez éloigné du parc, en sorte que le trajet à parcourir pour la rejoindre donna aux deux personnes, aussi brusquement mises en rapport, le moyen de faire une espèce de connaissance.

Une femme avec qui vous avez fait deux cents pas, la sentant sur votre bras, palpitante d’une forte émotion, appuyant sa main parce que ses pieds tremblent, n’est plus une inconnue pour vous.

Aussi Volmerange, qui avait eu le temps de remarquer la beauté de la jeune femme et de deviner son esprit aux quelques phrases échangées pendant la route, ralentit involontairement le pas, lorsqu’il vit arrêtée près d’une des portes du parc la voiture étincelante de vernis et splendidement armoriée au marchepied de laquelle on devait se quitter.

— Me refuseriez-vous cette grâce, dit-elle, après s’être installée dans sa boîte de satin et avant que le valet de pied n’eût refermé la portière, de savoir le nom de mon libérateur ! Je suis miss Amabel Vyvyan.

— Et moi je me nomme le comte de Volmerange, répondit-il en faisant une profonde inclination,

Miss Amabel Vyvyan, car c’était elle, faisait tous les jours, à la mode des jeunes Anglaises, une promenade à pied dans cette portion du parc, et, quoique cet événement eût dû la dégoûter de ses excursions pédestres, elle revint le lendemain à l’heure accoutumée.

Peut-être avait-elle un vague pressentiment que la protection, en cas d’accident, ne lui manquerait pas, car elle prit la même allée que la veille, et longea comme d’habitude la serpentine River. Sans bien s’en rendre compte, elle voulait donner une récompense délicate au courage de Volmerange, et cette récompense c’était de lui fournir l’occasion de la voir encore une fois.

Probablement, de son côté, Volmerange, eut l’idée que miss Amabel Vyvyan n’était pas en sûreté, malgré le laquais qui la suivait de loin, dans cette partie de Hyde-Park, car il vint se promener le lendemain à cet endroit juste à la même heure.

Ni l’un ni l’autre ne parurent étonnés de se revoir, et ils causèrent quelque temps ensemble, peut-être quelques minutes de plus que les strictes convenances ne le permettaient, et Volmerange, de crainte de mauvaise rencontre, reconduisit miss Amabel jusqu’à sa voiture.

Au bout de quelque temps, le comte fut présenté dans les règles à lady Eleanor Braybrooke, qui le trouva charmant et le vit avec plaisir faire chez elle de fréquentes et longues visites, car la positive lady trouvait que miss Amabel poussait trop loin la fidélité à son veuvage imaginaire.

Ce que nous avons à dire blesse la poétique des romans qui n’admet qu’un amour unique, éternel, mais ceci n’est pas un roman ; miss Amabel Vyvyan, qui avait sincèrement cru que, Benedict disparu ou mort, elle ne pourrait jamais aimer personne, fut toute surprise lorsqu’elle sentit battre ce cœur qu’elle pensait à tout jamais éteint sous la cendre d’une première déception. Le nom du comte de Volmerange annoncé par le valet de chambre avait toujours le privilége de faire monter un peu de rose aux joues de camélia de miss Amabel.

Le soir, lorsqu’après deux ou trois heures de charmante causerie avec Volmerange elle noyait sa tête dans son oreiller de point d’Angleterre, et se livrait à ce petit examen de conscience que fait avant de s’endormir toute jolie femme sur les coquetteries de la journée, elle trouvait qu’elle avait répondu par un regard indulgent à une œillade ardente, disserté trop longtemps sur des points de métaphysique amoureuse, et pas retiré assez vite ses doigts de la poignée de main d’adieu. Lorsqu’elle était tout à fait endormie, ses rêves étaient hantés plutôt par l’image de Volmerange que par celle de Benedict.

Les deux couples de Sainte-Margareth avaient fait un chassez-croisez physique et moral, et par une espèce de symétrie bizarre, lorsque Benedict aimait Edith, miss Amabel Vyvyan aimait Volmerange, qui le lui rendait. Le hasard, dans ces combinaisons renversées, semblait se faire un jeu de contrarier la volonté humaine. Aucune union projetée ne s’était accomplie, nul serment juré n’avait été tenu.

Les caractères en apparence faits pour s’entendre s’étaient épris de leurs contraires. Au plan rationnel de ces existences, un pouvoir inconnu avait substitué un scénario fantasque, extravagant, décousu ; l’unité de lieu et d’action avait été violée par ce grand romantique qui arrange les drames humains, et qu’on nomme l’imprévu.

Lady Braybrooke, qui avait à cœur de voir Amabel mariée, après ce qu’elle appelait l’affront de Benedict, ne cessait de vanter Volmerange à sa nièce ; ces éloges étaient naturellement accompagnés d’anathèmes contre le premier fiancé. Rien de formel n’avait encore été prononcé, et cependant les cœurs s’étaient entendus. Volmerange était soupirant en pied ; il donnait le bras à lady Eleanor Braybrooke, et lorsque la tante et la nièce allaient au théâtre, il avait toujours une place au fond de la loge derrière miss Amabel ; et, il faut l’avouer, les plus belles décorations, les scènes les plus pathétiques avaient beaucoup de peine à faire lever ses yeux, occupés à suivre les lignes onduleuses du col d’Amabel et de ses blanches épaules ; aussi, quoiqu’il allât souvent au théâtre, personne n’était moins au fait du répertoire, et lady Eleanor Braybrooke s’étonnait quelquefois qu’un jeune homme si intelligent profitât si peu des belles choses qu’il paraissait écouter avec tant d’attention.

Amabel avait bien de temps à autre de vagues appréhensions que Benedict ne reparût subitement et ne vînt lui reprocher sa trahison, car aucune femme n’admet qu’on puisse lui être infidèle, bien qu’elle ne manque jamais d’excellentes raisons pour justifier de son côté une pareille faute : mais les fautes passaient et l’obscurité la plus profonde planait toujours sur sa mystérieuse disparition. La jeune femme s’était donc rassurée peu à peu à l’endroit de cette revendication posthume, et commençait à aimer Volmerange, sans trop d’épouvante. Celui-ci avait oublié tout à fait Edith et même Priyamvada.

Ses aventures avec cette dernière lui produisaient l’effet d’une hallucination d’opium. Ce teint doré, ces yeux peints, ces colliers de perles, ces parfums exotiques, ces promenades à dos d’éléphant, ces rendez-vous dans les pagodes, ces batailles à travers les forêts barrées de lianes, toutes ces scènes étranges semblaient au comte des souvenirs qui n’appartenaient pas à la réalité.

Si Priyamvada eût vécu, toute charmante qu’elle était, elle eût certainement embarrassé Volmerange. Qu’eût-on dit au bal d’Almack, d’une femme qui avait des boucles d’oreilles dans le nez et un tatouage de garotchana sur le front ?

Cependant le comte ne pouvait s’empêcher d’éprouver un sentiment de tristesse en pensant à la beauté parfaite, à l’amour ardent et au dévoûment sans bornes de la pauvre Indienne : ces qualités, quoiqu’un peu excentriques et choquantes, valaient bien un regret.

Pendant toutes ces alternatives, miss Edith et sir Benedict Arundell que nous avons laissés sur la jetée de Calais, s’étaient embarqués et étaient arrivés en Angleterre.

Avant d’entrer dans Londres, ils s’étaient séparés, et avaient pris chacun une maison dans un square retiré de Londres. La fiction du mariage de M. et Mme Smith ne pouvait être soutenue plus longtemps, et d’ailleurs miss Edith Harley n’était-elle pas comtesse de Volmerange, et sir Benedict Arundell l’époux de miss Amabel Vyvyan, ou peu s’en faut ! Ne venaient-ils pas de Sainte-Hélène avec l’idée de rentrer dans le giron conjugal ? Ne fallait-il pas aussi pousser jusqu’au bout l’épreuve philosophique ?

Volmerange avait reçu un billet d’Amabel, qui lui demandait de venir la prendre avec sa tante, pour aller au concert de la princesse ***. Il était tout habillé et prêt à partir, lorsque son valet de chambre vint lui dire qu’une femme voilée demandait à parler à Sa Seigneurie.

— Une femme voilée ! quelle singulière visite à pareille heure ! Il y a pourtant longtemps que je ne hante plus les coulisses de Drury-Lane, et nous ne sommes pas dans la saison de l’Opéra. Que diable cela peut-il être ? une mère à principes qui vient me proposer sa fille pour demoiselle de compagnie ?


— Mylord, que répondrai-je à cette dame ? dit le valet de chambre, en insistant pour avoir une réponse.

— Dites-lui qu’elle écrive son nom et ce qu’elle demande sur sa carte.

— C’est ce que j’ai eu l’honneur de lui dire, répondit le valet, mais elle a prétendu qu’elle désirait ne pas se nommer et ne voulait parler qu’à vous-même.

— Est-elle jeune ou vieille, laide ou jolie ? demanda le comte, par excès de précaution.

— Mylord, autant qu’on peut juger de la beauté d’une femme voilée, elle est jolie, et à la souplesse de sa démarche on peut juger qu’elle est jeune.

Le comte jeta les yeux sur la pendule et vit qu’il pouvait disposer d’une demi-heure avant de se rendre chez Amabel, et il dit au valet de chambre d’introduire la dame mystérieuse.

Cette visite singulière, cette insistance à ne pas se nommer, ce voile soigneusement rabattu, tout cela avait une tournure romanesque faite pour séduire l’imagination assez vive du comte. Cependant il éprouvait malgré lui une espère de terreur vague et de frisson involontaire ; — il se vit par hasard dans une glace et se trouva pâle.

La pièce où le comte se tenait était vaste, d’un luxe sévère, éclairée par une seule lampe dont la lumière, concentrée sur un seul point, laissait le reste de la chambre dans l’ombre. Il pleuvait, et la pluie battait les vitres avec un tintement qui rappelait une certaine nuit de tempête…

Une attente anxieuse contrastant avec la légèreté de ses réponses au valet de chambre poignait le cœur de Volmerange ; et lorsque la porte s’ouvrit pour donner passage à l’inconnue, le léger craquement des gonds lui fit faire un soubresaut nerveux.

L’ombre gagnait la porte : le comte ne put d’abord bien distinguer la femme qui venait d’entrer.

Avec la politesse d’un gentleman qu’il était, il fit trois pas au-devant d’elle.

La lumière de la lampe éclairait alors en plein la nouvelle venue.

Le valet de chambre avait bien jugé : ce n’était pas une laideur, mais bien un secret ou une pudeur que recouvrait le voile.

La beauté traversait confusément le tissu, comme un feu qui brille derrière une toile métallique. On ne la voyait pas, mais on la sentait belle.

Elle était vêtue d’une longue robe blanche, qui s’arrangeait à petits plis fins et fripés comme ceux des draperies de Phidias, et sur laquelle tranchaient, avec une grâce coquette et funèbre, les réseaux noirs des dentelles de la mantille.

— Madame, dit Volmerange, ne relèverez-vous pas ce voile ? Puisque vous avez la confiance de venir chez moi à cette heure, ces précautions sont inutiles : votre secret ne court aucun danger ; vous me cachez votre nom, laissez-moi au moins voir votre figure.

— Vous le voulez ? répondit l’inconnue d’une voix douce et pénétrante.

Cette voix connue fit courir un frisson dans les cheveux de Volmerange.

La dame, d’une main blanche, fluette, et dont la forme réveillait mille souvenirs dans la mémoire du comte, commença à remonter lentement les plis noirs de la dentelle.

D’abord apparut un menton charmant marqué d’un petit signe qui remplit Volmerange de trouble, puis une bouche d’un rose vivace qui porta sa terreur au plus haut point, et ensuite un nez grec et d’adorables yeux bruns qui le rendirent fou d’épouvante.

Tenant ainsi son voile relevé au-dessus de sa tête avec sa belle main de marbre, dans une attitude digue d’une statue antique, elle s’offrait placidement aux regards égarés de Volmerange, qui s’était reculé de trois pas et tremblait comme la feuille.

— Oh ! râla-t-il d’une voix sourde, qui êtes-vous donc ?

— Je suis lady Edith, comtesse de Volmerange.

— Non, tu mens ; tu es un spectre, ta robe doit être mouillée, tu sors de la Tamise ; va-t’en, laisse-moi. Je t’ai noyée, tu le sais bien, comme j’en avais le droit. Ah ! ah ! quelle étrange aventure ! est-ce que Dolfos va revenir aussi ? ce serait très-drôle ! dit le comte en éclatant de rire.

Il était fou.