Librairie de Tarride (p. 113-126).



CHAPITRE XVIII.


— Et Benedict qui me laisse sans nouvelles ! Que peut-il donc être arrivé ? Quel obstacle imprévu a fait manquer notre plan si bien concerté ? se disait sir Arthur en arpentant l’étroite plateforme pour réchauffer ses membres glacés par la fraîcheur de la nuit. Oh ! mon Dieu ! vivre si longtemps d’une idée, d’une espérance, s’y consacrer avec le dévoûment le plus absolu, l’abnégation la plus entière, renoncer pour elle à l’amour, à la famille, à l’amitié pour alimenter sa flamme, lui offrir en holocauste tous les sentiments humains, lui faire le sacrifice de son génie, mettre à son service la puissance d’une volonté inflexible, des forces qui renverseraient le monde, et puis au moment de la réalisation être misérablement empêché par je ne sais quel obstacle imbécile, hier une tempête absurde, ce matin un incident niais que je ne connais pas, une clé qui ne s’ajuste pas à la serrure, un soldat séduit à qui il vient des scrupules après avoir touché l’argent et qui veut le double, moins que cela peut-être, car nul ne peut prévoir les mille résistances bêtes des choses aux idées et de la matière à l’esprit.

Tout en débitant ce monologue intérieur, Sidney gesticulait fébrilement. Tout à coup il s’arrêta, croisa les bras sur sa poitrine, et resta quelques instants dans une attitude de rêverie profonde.

— Si le hasard avait une volonté ! Oh ! reprit-il après une pause, la mienne la vaincra.

Pendant que Sidney se livrait à ses pensées, Jack et Saunders, personnages beaucoup moins rêveurs, faisaient passer leur chique de leur joue droite à leur joue gauche et réciproquement, et regardaient la mer de cet œil attentif et distrait en apparence, avec lequel le matelot ne peut s’empêcher d’observer, même lorsqu’il est à l’abri de ses atteintes, l’élément dont sa vie dépend.

La tempête s’était calmée et le canot, la proue ensablée et maintenu par le câble, n’était plus soulevé du côté de la poupe que par des ondulations assoupies.

— Allons, Saunders, grimpe le long de cette roche et mets-toi en vigie là-haut ; toi, Jack, entre dans le canot et pompe l’eau qui peut avoir pénétré dans la cabine.

Les deux matelots se séparèrent pour exécuter les ordres de Sidney. L’un monta et l’autre descendit.

L’idée qu’un homme eût pu se hisser au sommet de cet escarpement eût d’abord paru absurde ; mais, en y regardant de plus près, la roche était moins verticale qu’elle ne le paraissait, d’abord. Des pentes formaient rampe, des repos semblaient avoir été ménagés par la main industrieuse de la nature. Aux endroits les moins accessibles, des broussailles, des ronces ou des filaments de plantes offraient des points d’appui. Aussi Saunders eut-il bien vite opéré son ascension ; mais la campagne était déserte au loin, et il fit signe à Sidney qu’il ne découvrait rien.

Jack eut bientôt vidé le canot qui n’avait pas souffert d’avaries, malgré les rudes secousses de la veille.

Si l’empereur venait, rien encore n’était perdu.

Mais la journée se passa sans que personne parût : ce que souffrit Sidney pendant ces mortelles heures d’attente, nul ne peut l’exprimer. Vers le milieu de la journée, il se dit : Ce sera pour ce soir : sans doute la tempête d’hier aura fait penser que je ne viendrais pas. Le vent était si fort et la mer si affreuse ! c’est cela ! il faut que je sois bien stupide de n’avoir pas d’abord pensé à cette raison : en effet, il n’y avait qu’un fou comme moi qui pût se risquer par un temps pareil.

Cette idée le soutint jusqu’au soir. Il reprit même assez de calme pour manger un peu de biscuit et avaler une gorgée de rhum, que Jack tira pour lui de la cabine du canot.

Saunders n’avait rien aperçu du haut de son observatoire. La Belle-Jenny, inquiète de ne pas voir rentrer le canot, s’était rapprochée de l’île peut-être plus que la prudence ne le permettait, et courait des bordées en faisant des signaux.

— Quoique je sois en proie à la plus poignante inquiétude, pensait Sidney, Benedict a bien fait de ne pas venir m’apprendre la cause de ce retard ; ces allées et ces venues auraient pu exciter les soupçons, la surveillance est si active dans cette île damnée ! La moindre imprudence eût compromis cette occasion suprême.

La journée s’écoula dans ces alternatives pour Sidney, avec des transes et des angoisses si vives que les mèches de cheveux de ses tempes en devinrent blanches.

Le soir arriva et le soleil s’enfonça degré par degré à l’autre bout de la mer, après avoir traversé plusieurs étages de nuées comme une bombe crève les planchers d’un édifice. La sanglante traînée de ses reflets s’allongea sur le fourmillement lumineux des flots, puis s’éteignit, et la nuit tomba avec cette rapidité particulière aux régions tropicales.

Ces heures noires semblèrent à Sidney plus longues que des milliers d’éternités, et il faut renoncer à peindre une nuit pareille ; l’attente, l’inquiétude, la rage, le désespoir, les suppositions les plus opposées prirent pour champ de bataille l’âme du malheureux Sidney et y trépignèrent jusqu’au matin en luttant ensemble.

Une idée traversa le cœur de Sidney, et il se sentit froid dans sa poitrine comme au contact d’une lame de poignard.

— L’empereur se serait-il défié de moi ? s’écria-t-il ; c’est juste, je suis Anglais, poursuivit-il avec un rire amer et qui touchait presque à la folie ; ou serait-il plus malade ?

Et sans prendre aucune précaution, au risque de couler dix fois dans la mer, des pieds, des mains se suspendant aux saillies et aux broussailles, enfonçant ses ongles dans les parois lisses, il parvint en quelques minutes au faîte du rocher, et de là se mit à courir dans la direction de Longwood.

Les alentours de la résidence présentaient un aspect inaccoutumé. La tempête de la nuit précédente avait arraché et brisé tous les arbres qui gisaient le feuillage souillé et les racines en l’air. Je ne sais quoi de sombre, de solennel et d’irréparable planait sur l’humble édifice autour duquel se manifestaient une activité discrète, une silencieuse agitation.

Les sentinelles, appuyées sur leurs mousquets, n’envoyaient plus de qui vive ! et semblaient s’être relâchées de leur surveillance. Immobiles à leurs places, elles accomplissaient nonchalamment un devoir inutile plutôt par obéissance à la consigne militaire que par nécessité.

Des officiers passèrent près d’elles et ne leur reprochèrent pas leur négligence. Des habitants de l’île allaient et venaient sans être empêchés, et Sidney put franchir la ligne de surveillance, et personne ne prit garde à lui.

Il approcha de Longwood ; des hommes et des femmes, suspendant leurs pas, parlant à demi-voix, l’air consterné, entraient dans l’habitation et en ressortaient au bout de quelques minutes plus pâles qu’auparavant et les yeux rougis.

Sir Arthur Sidney, le cœur serré d’affreux pressentiments, les jambes chancelantes, s’appuyant au mur de la main, vacillant et comme ivre du vin de sa douleur, suivit le flot de la foule sans trop savoir ce qu’il faisait.

Après quelques détours, un spectacle d’une majesté navrante s’offrit à ses yeux.

Couché dans son manteau de guerre plutôt comme un soldat qui se repose pour la victoire du lendemain que comme un corps acquitté de la vie. Napoléon, étendu sur son lit de parade, revêtu de l’uniforme des chasseurs de la garde, la poitrine couverte de décorations et de plaques étincelantes, sa bonne épée allongée près de son flanc en amie fidèle, faisait son premier rêve d’éternité. Une singulière expression de sérénité et de délivrance planait sur son masque de marbre pâle que les convulsions de l’agonie avaient respecté. Tout ce que l’ivresse du triomphe ou la douleur du revers, les fatigues de la pensée ou de la souffrance peuvent laisser de traces matérielles ou misérables sur le visage humain, s’était évanoui.

Ce n’était plus le cadavre d’un homme, mais la statue d’un dieu : l’enveloppe terrestre touchée par la mort laissait transparaître la portion céleste ; le cachot était devenu un temple et la chambre funèbre un Olympe. Christ sur sa croix, Prométhée sur son roc, n’eurent pas une tête plus noble et plus belle.

Grande âme impériale, oh ! qu’avez-vous vu pendant ces premières heures de votre immortalité ? Qui osa venir à votre rencontre pour vous mener à Dieu ? Alexandre, Charlemagne, Jules-César, votre bien aimé Lannes, qui n’invoquait que vous en mourant, ou encore votre cher Duroc, ou bien quelque pauvre grenadier obscur de votre vieille garde, qui a trouvé son sang bien payé en voyant que vous saviez son nom ?

À cette vue, Sidney eut un éblouissement, les ailes du vertige battirent à grand bruit dans sa tête. Il fit quelques pas en chancelant, et tombant à genoux à côté du lit de parade, il baisa cette main glacée qui avait tenu le sceptre du monde ; on le laissa faire, les baisers ne ressuscitent pas ; — seulement comme il restait un peu trop longtemps abîmé dans sa douleur, on le poussa avec la crusse d’un fusil pour qu’il fit place à d’autres.

Il sortit livide, anéanti, pouvant à peine se traîner, plus semblable à un fantôme qu’à un homme, vieilli de vingt ans en une minute : ses yeux hagards erraient autour de lui tantôt vagues, tantôt se fixant sur un objet insignifiant avec une opiniâtreté puérile. L’empereur mort, Sidney s’étonnait d’être encore vivant. Il trouvait étrange que le soleil éclairât encore, que les montagnes n’eussent pas changé leurs formes et que la nature continuât son œuvre ! Quant à lui, il était faible comme après une longue maladie, le jour lui faisait baisser les paupières, l’air l’étourdissait. Ses facultés, tendues depuis si longtemps vers le même but, s’étaient brisées subitement ; cette volonté si ferme, si puissante, n’avait plus de nord et palpitait comme une boussole affolée ; un immense écroulement s’était fait en lui.

Son corps, par un vague ressouvenir, le mena vers la maison de campagne d’Edith ; il poussa la barrière du jardin, entra dans le parloir et s’affaissa sur une chaise sans dire une seule parole.

Edith, dont une robe noire faisait encore ressortir la pâleur, s’avança vers lui silencieusement et lui prit la main.

À ce témoignage de sympathie, les larmes de Sidney, qui ne demandaient qu’à jaillir, se firent jour avec impétuosité à travers les doigts de la main restée libre, dont il s’était couvert les yeux.

Benedict entra dans ce moment et expliqua à Sidney comment il ne s’était pas trouvé au rendez-vous : il avait été interrogé et retenu à cause des soupçons éveillés par ses démarches. La mort de l’empereur et l’absence de toutes preuves l’avaient fait relâcher aussitôt.

Ces explications, Sidney ne les écoutait guère. Elles n’avaient désormais plus de but.

Il resta encore deux jours dans l’île, et voulant se rassasier de sa douleur jusqu’au bout, il suivit le cortège funèbre dans la vallée du Fermain où descend du pic de Diane ce ruisseau qui plaisait à l’empereur et où s’inclinent les saules dont les feuilles sacrées se sont éparpillées depuis sur l’univers. Il regarda les soldats anglais porter le cercueil sur leurs épaules, il le vit descendre dans la fosse maçonnée, et ne se retira que lorsque la pierre étroite et longue se fut abaissée sur la noire ouverture.

Par tous ces détails funèbres attentivement suivis, il voulait se convaincre de la réalité de son malheur : il avait peur de croire, dans quelque temps, que l’empereur n’était pas mort ; il sentait déjà cette chimère lui naître dans l’esprit, bien qu’il l’eût vu mort sur son lit de parade et qu’il eût touché sa main glacée ; il voulait avoir à opposer à son rêve l’image des funérailles et du tombeau.

Comme il remontait la colline du côté d’Hutsgate, il se retourna une dernière fois pour voir, sous le pâle ombrage des saules, la pierre neuve et blanche, et dit :

— Mon âme est enterrée avec ce corps.

Au même moment, un homme vêtu de deuil et parlant anglais avec l’accent de France tendit un papier à Sidney et lui dit :

— De la part de celui qui n’est plus, prenez ceci.

Sidney ouvrit l’enveloppe cachetée de noir.

Elle contenait une petite mèche de cheveux soyeux et fins, et un billet où étaient écrits ces mots :

« Consolez-vous, nul ne peut prévaloir contre Dieu. N. »

Quand Sidney releva les yeux, l’homme qui lui avait remis le papier avait disparu.

Sir Arthur Sidney s’assit sur le revers de la colline et tomba dans une rêverie profonde. Quand il se releva, sa figure avait repris une expression plus calme ; un changement s’était opéré dans son esprit. Il retourna chez Benedict et lui dit :

— Pardon, ô toi que j’ai détourné du bonheur pour t’associer à mon œuvre chimérique, je te rends ton serment ; et il tira de son portefeuille la feuille jaunie qu’il déchira et jeta aux pieds de Benedict. Retourne en Europe, tu es libre, aucun lien ne te rattache plus à notre association mystérieuse. suis la pente de ton cœur, sois heureux ! Ne cherche pas à raturer le livre du destin ; d’autres mains que les nôtres tiennent les fils des événements, et peut-être ce qui nous paraît injuste est-il l’équité suprême ! Quant à moi, le char de ma vie est sorti de son ornière et ne peut plus y rentrer : je n’étais bon qu’à une chose. Cette chose est manquée, c’est fini : que l’on m’enterre aujourd’hui ou après-demain ou plus tard, peu importe, je suis mort. Idée, sentiment, volonté, tout a fui, tout s’est évaporé. Maintenant, bonne Edith, tâchez de vous trouver un motif de vivre.

— Peut-être est-il déjà trouvé ?

Ici sir Arthur Sidney, regarda fixement Edith, qui ne put s’empêcher de rougir un peu.

— Aimez quelqu’un ou quelque chose, un homme, un enfant, un chien, une espèce de fleurs, mais jamais une idée, c’est trop dangereux.

Ces paroles prononcées, Sidney serra les mains de son ami et reprit le chemin de la roche noire, où Saunders et Jack, qui avaient usé leur provision de tabac, commençaient à s’ennuyer beaucoup.

Arundell et miss Edith, restés seuls dans l’île, ne pressèrent pas leur départ autant qu’on aurait pu le croire d’abord, bien que Sainte-Hélène soit un séjour assez maussade. Edith, jetée à la mer par son mari, n’avait pas grande hâte de retourner en Europe ; Benedict, quoiqu’il se prétendit et se crût toujours extrêmement amoureux d’Amabel, ne s’ennuyait nullement dans ce cottage, qu’un marchand de la Cité eût trouvé inconfortable, mais qu’éclairait la présence d’Edith. La jeune femme s’étonnait de son côté de penser si peu à Volmerange, et tous deux faisaient des efforts incroyables pour retenir dans leurs cœurs ces amours qui s’échappaient.

Déjà Benedict ne retrouvait plus dans sa mémoire les traits charmants de sa belle fiancée ; il s’y mêlait toujours quelque chose d’Edith ; tantôt le doux regard voilé, tantôt le sourire tendre et mélancolique : ces deux images finirent par s’embrouiller tout à fait. Il en était de même pour Edith. Dans ses rêveries, quand elle évoquait Volmerange, c’était bien souvent Benedict qui paraissait. Au bout de quelque temps même, Volmerange se refusa complétement à l’appel : Edith commençait à trouver qu’un mari qui noyait sa femme aussi sommairement n’était peut-être pas l’idéal des époux.

Cela n’empêchait pas les deux jeunes gens de se promettre, dans leur conversation, une grande joie de leur retour à Londres, où Benedict finirait d’épouser Amabel, et miss Edith, suffisamment punie, se réconcilierait avec son terrible mari.

Ces entretiens, commencés gaîment, finissaient en général d’une manière assez mélancolique. Benedict trouvait désagréable l’idée d’Edith retournant chez Volmerange, Edith était médiocrement charmée en pensant au bonheur qui attendait son ami près de miss Vyvyan.

Telles étaient les pensées qui occupaient le jeune couple à Sainte-Hélène, et à deux pas de leur maison le saule pleurait sur la plus grande tombe du monde, si toutefois il y a une différence entre les tombeaux.

Cette nuance de sentiment les occupait bien plus que le contre-coup de cette mort sur les destinées de la terre, et même lorsque le soir ils allaient à la vallée du Fermain contempler la tombe du Titan, écouter le ruisseau bruire à l’angle de la pierre funèbre et voir le vent emporter les feuilles pâles de l’arbre mélancolique, c’était à eux-mêmes qu’ils songeaient. Une boucle de cheveux se déroulant sur le col d’Edith, en faisant ressortir par son vigoureux ton châtain la pâleur rose de sa joue, distrayait Benedict des vastes pensées que doit inspirer la tombe du plus illustre des capitaines, et le regard admiratif de Benedict séchait promptement dans les beaux yeux d’Edith les larmes qu’y faisait naître le souvenir du grand captif.

Ils avaient d’abord pensé à écrire en Angleterre pour prévenir de leur retour ; mais ils se ravisèrent, et se dirent qu’il valait mieux tomber inopinément au milieu de la douleur générale. C’était une expérience philosophique à faire : on jugerait ainsi de la force et de la sincérité des regrets. On verrait si la place laissée vide était déjà remplie, ou si la fidélité avait été gardée en Europe comme en Afrique : Amabel devait être en pleurs, Volmerange dévoré de remords. Cependant, s’il n’en était pas ainsi ? Si miss Vyvyan, choquée de l’inexplicable disparition de Benedict, lui avait retiré son cœur ! et si Volmerange n’éprouvait pas le moindre regret d’avoir laissé choir sa femme dans la Tamise ! quel parti prendre ? Nos deux innocents tartuffes n’osaient pas convenir, dans leur for intérieur, qu’ils en seraient enchantés, et que le parti à prendre serait de continuer à s’aimer en se l’avouant, comme ils l’avaient fait depuis deux mois sans se l’avouer.

Ils laissèrent passer un ou deux vaisseaux allant de Calcutta à Londres, et enfin ils se décidèrent à monter sur le troisième, fin voilier, en bois de teck, doublé, cloué et chevillé en cuivre, qui les mit en six semaines à Cadix, d’où ils continuèrent leur voyage par terre, visitant l’Andalousie, Séville, Grenade, Cordoue, sous cette commode dénomination de M. et Mme Smith. Tout le monde les croyait mariés. Quelques mauvaises langues, en les voyant si unis, prétendaient que c’était deux jeunes amants qui promenaient la lune de miel de leur bonheur. Leurs oreillers seuls savaient la vérité ; ils étaient éperduement amoureux, et l’ange de la pudeur eût pu assister à leur vie.

Seulement ils ne se dépêchaient guère de revenir, et de mosquée en cathédrale, d’alcazar en palais, de tertulia en course de taureaux, ils mirent quatre mois à traverser l’Espagne, et arrivèrent à Paris juste pour la saison d’hiver.

Quand ils n’eurent plus de prétextes plausibles à se donner pour tarder encore, comme ils étaient très consciencieux, un soir ils se dirent : Ne serait-il pas temps d’aller à Londres et de voir si nous sommes aimés et pardonnés, ou remplacés et maudits ?

L’idée de revoir ce qu’ils prétendaient aimer le mieux au monde les rendit si tristes, qu’ils se sentirent près de fondre en larmes et de se jeter dans les bras l’un de l’autre pour ne plus se quitter. Mais la position devenait embarrassante, et sir Benedict Arundell ne pouvait plus toujours s’appeler M. Smith, et lady Edith Harley, comtesse de Volmerange, Mme Smith, nom tout à fait prosaïque et vulgaire.

Le lendemain, ils demandèrent des chevaux de poste pour Calais, et quelques heures après ils attendaient sur la jetée le départ du paquebot.