Calmann Lévy (p. 104-106).
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XXV


Ce dimanche-là, 17 février, j’eus un réveil singulier. Vers huit heures du matin, j’entendis du bruit dans ma chambre, une sorte de frétillement pareil à celui que produisent, aux soirs d’été, les ailes des papillons nocturnes qui entrent par les fenêtres ouvertes, et cherchent violemment une issue. Mes yeux s’ouvrirent, mais se refermèrent aussitôt ; une forme noire se tordait, semblable à un gigantesque insecte, dans les premières lueurs du jour, et cherchait en quelque sorte à s’échapper.

Le souvenir de cette vision, d’ailleurs l’unique de ma vie, vision sur laquelle je m’abstiens de tout commentaire et que je ne cite que pour la singularité du fait, viendra toujours se rattacher dans ma mémoire à la date de la mort de Henri Heine.

Malgré le froid, et les restes d’une indisposition assez sérieuse, je frappais, dès dix heures du matin, à la porte de mon cher poète. En m’entendant dire qu’il n’était plus, je restai comme étourdie et sans comprendre. Le premier moment de stupeur passé, je demandai à le voir.

On me mena dans la chambre silencieuse où, comme une statue sur une tombe, le corps reposait dans l’auguste immobilité de la mort. Plus rien d’humain dans cette froide dépouille, plus rien qui rappelât celui qui avait aimé, haï, souffert : un masque antique sur lequel un apaisement suprême mettait la glace d’une indifférence hautaine, un pâle visage de marbre dont les lignes correctes rappelaient les plus purs chefs-d’œuvre de l’art grec, tel j’ai vu pour la dernière fois celui dont les traits, pour ainsi dire divinisés, faisaient songer à quelque magnifique allégorie. La mort s’était montrée équitable envers celui qui l’avait aimée et l’avait transformé en statue lorsque, semblable à la figure divine qu’il a dépeinte dans le pèlerinage de Kevlaar, la grande consolatrice s’était, à l’heure matinale, dirigée vers le lit du malade pour faire cesser ses souffrances.