Texte établi par B. V. (Bagneux de Villeneuve, alias Raoul Vèze), Bibliothèque des Curieux (p. 18-29).
Chapitre II.

Les Cousines de la colonelle, Bandeau de début de chapitre
Les Cousines de la colonelle, Bandeau de début de chapitre


CHAPITRE II


Le coupé filait rapidement, et bientôt les fortifications de Paris se perdirent dans le brouillard.

Georges avait pris dans les siennes une des mains de sa femme et la tenait étroitement pressée ; de temps à autre sa tête s’inclinait sur le jeune front qui venait de se donner à lui ; il y déposait un baiser, reçu sans rougeur et sans embarras.

Tout cela était fort chaste, infiniment plus, il faut l’avouer pour être vrai, que le marié ne l’eût désiré.

M. Vaudrez n’appartenait pas au genre sentimental. Avant tout sensuel, en épousant Florentine il visait principalement la résurrection de sensations qui devenaient de jour en jour plus difficile à se produire.

Mais, en même temps, comme un gourmet émérite, il voulait savourer des joies qui désormais allaient être les siennes.

Pour deux bons chevaux il n’y a pas loin de Paris à Montmorency ; c’est dans les environs de cette localité que sont situées les Charmettes, le château des Vaudrez.

On y arriva bientôt.

Le nouvel époux avait fait le vide autour de la mariée ; elle ne rencontra sur ses pas qu’une discrète et prévenante femme de chambre, à la mine délurée, dont les traits gardaient une gravité irréprochable, mais dont les yeux en disaient beaucoup plus long.

La chambre destinée à Florentine avait été restaurée, et les plus coquets bibelots s’y trouvaient réunis.

— Que vous êtes donc aimable, dit avec conviction la jeune femme, quand le soir, après un dîner des plus soignés, elle se trouva dans son appartement, offrant une tasse de thé à son époux de quelques heures.

— Moi ? non, c’est vous qui l’êtes, ma chère adorée, vous, qui avez bien voulu me confier le soin de votre vie. Oui ! vous ! Aussi, comme j’ai hâte de prendre possession de ma chère femme !

— Comment cela ? Mais n’êtes-vous pas dès maintenant mon seigneur et maître ?

— Pas absolument, chérie. J’ai acquis le droit de le devenir, voilà tout.

« Ah çà ! se dit en lui-même Georges Vaudrez, est-ce que la chère enfant serait absolument ignorante ?… Mme  Briquart aurait-elle laissé échapper cette excellente occasion d’occuper son imagination de choses depuis longtemps devenues pour elle du fruit défendu ? Mais ce n’est pas possible ! Soyons cependant prudent. »

— Ainsi, mignonne, tu crois que ce qui s’est passé ce matin à la mairie et à l’église constitue les suprêmes joies de l’amour ?

La jeune femme rougit et baissa la tête.

— Je ne sais pas, murmura-t-elle.

« Elle est délicieuse, se dit Georges ; quel bonheur suprême d’effeuiller cette innocence. »

— Non, vrai ? reprit-il. Eh bien, je vais te l’apprendre. Mais pourquoi ne te mets-tu pas à l’aise ? ce corset doit te gêner ; as-tu besoin de ta femme de chambre pour l’ôter ?

— Non ! non !

— En ce cas, donnons-lui son congé, et faisons nos petites affaires tout seuls.

Mariette fut congédiée, et Georges poussa les verrous de la porte de l’appartement.

Florentine était déjà entrée dans son cabinet de toilette et se mettait en devoir de suivre le conseil donné.

Georges, caché par une portière, la regardait faire, et tout son sang s’échauffait à la vue de ces bras, de ces épaules, qui, dépouillés du voile qui les recouvrait, se montraient dans leur juvénile splendeur.

Quand il ne resta plus que la chemise, tout à coup il émergea de son refuge et la saisit dans ses bras.

— Ah ! que vous m’avez fait peur, fit la jeune fille, très confuse et toute rougissante.

Elle avait bien, dans son for intérieur, supposé que la vie de femme cachait quelque mystère, mais elle ne savait pas en quoi consistait cet inconnu, que sa tante d’un côté son confesseur de l’autre, lui avaient dit devenir son devoir, et pour l’accomplissement duquel ils lui prêchèrent la plus grande soumission aux désirs de son mari.

Georges était très pâle, il la prenait dans ses bras et couvrait de baisers les lèvres, les épaules, les seins, qu’elle s’efforçait en vain de dérober à sa vue. Tout à coup ses doigts brûlants glissèrent le long du corps de la jeune femme, et, saisissant à pleines mains les gracieuses proéminences qui forment la chute des reins, il se tordit de volupté, en posant sur les lèvres roses de Florentine sa bouche sèche et ardente.

Puis, continuant ses promenades, il réussit, malgré les efforts de la jeune femme pour reprendre possession d’elle-même, à enlacer ses cuisses, ses genoux. Deux jarretières de velours blanc retenaient le fin réseau de soie qui recouvrait ses mignonnes jambes ; il les détacha et fit glisser sur le tapis le tissu recouvrant encore la partie inférieure du corps délicat de Florentine, qui, semblable à un oiseau effarouché, se mit à pousser de petits cris d’effroi et à s’enfuir au fond de la chambre.

Georges la contemplait avec adoration, ses yeux brillaient de tous les feux de la concupiscence poussée à l’extrême.

— Florentine, ma chérie, dit-il, tu as donc peur de moi que tu me fuis ainsi ? ne suis-je pas ton mari ? Pourquoi me refuses-tu d’être ma femme ?

— Encore ? mais je ne vous comprends pas.

— Eh bien, viens ici, je vais t’expliquer en quoi consiste la différence qui existe entre une jeune fille et une femme.

— Je n’ose pas comme cela… répondit la jeune épousée, en jetant un regard désespéré sur son léger costume.

— Enfant, de quoi vas-tu t’occuper ? de ta toilette sommaire ? mais n’est-ce pas la plus belle qui existe ? celle réservée aux fêtes de l’amour ? Tiens, je vais te donner du courage, et moi aussi jeter loin tout ce qui peut gêner l’ardeur de nos transports amoureux.

Joignant l’action à la parole, Georges se débarrassa promptement de ses vêtements masculins et se trouva près de sa femme en costume analogue au sien.

— Viens, fit-il, en l’enlaçant d’un bras caressant et en l’entraînant sur un divan, là, bien près de moi… c’est cela ; je vais te faire comprendre ce que mon amour demande du tien ; car tu m’aimes, tu m’aimeras, ma jolie, mon adorée petite femme. Dans l’Écriture, tu l’as souvent lu, il est dit que l’homme et la femme ne formeront qu’une même chair, qu’un même sang, lorsqu’ils seront unis par le mariage.

— Oui.

— Eh bien, que faut-il faire pour cela ? laisser ton mari prendre possession des trésors que renferme ton sein, pas ce globe charmant que je caresse, mais celui qui est là, au plus profond de ton être, et dont l’entrée est où ma main se place, là où je mets le doigt.

Georges avait saisi la jeune néophyte dans son bras gauche et la tenait à demi renversée, près de lui, pendant que sa main droite se livrait à des explorations, à des démonstrations touchantes, dont Florentine commençait à ressentir l’impression nerveuse.

— Pour que tu sois à moi, trésor, il faut que je pénètre en toi.

— Mais comment ?

— Tu ignores donc jusqu’à la façon dont la conformation de l’homme diffère de celle de la femme ?

— Oui.

— Tiens, touche, regarde.

Georges découvrit l’instrument perforateur que Dieu a mis à la disposition de ses créatures mâles, pour leur permettre d’exercer leur domination, et la jeune femme, effrayée, dut passer ses doigts mignons sur la chair rébellionnée de son mari.

— Tu es le carquois de cette flèche mignonne ; c’est elle qui entrera victorieuse en toi pour féconder ton sein et l’initier à toutes les voluptés de l’amour.

Maintenant, tu sais ; veux-tu être ma femme ? veux-tu accomplir la promesse que tu m’as faite ce matin ?

— Oui, murmura une voix à peine distincte.

— Tu seras courageuse, car, vois-tu, le premier combat d’amour est une lutte ; la porte du paradis est fermée, et je dois en forcer l’entrée.

Georges n’écouta pas ce qu’on lui répondit, il prit Florentine dans ses bras, l’entraîna dans sa chambre et la posa sur le grand lit, qui les attendait pour être témoin de leurs ébats.

Puis, d’un élan victorieux, il se plaça d’abord près d’elle, allongeant ses jambes velues le long de ce corps moite, souple, se grisant de son contact ; enfin, montant sur elle et, de ses mains nerveuses, écartant les cuisses, qui, inhabiles ou effrayées, se serraient l’une contre l’autre, il se dit : « L’heure de vaincre sonne. »

M. Vaudrez était encore très vert et pouvait brillamment faire sa partie dans une guerre d’escarmouches, mais ici il s’agissait de grandes manœuvres, pour lesquelles il est de toute nécessité d’être parfaitement monté : il le constata avec effroi.

La lutte, les explications avaient pris un certain temps, et l’état conquérant du nouveau marié se modifiait d’une façon inquiétante ; l’énervement prenait le dessus ; il lui allait devenir impossible de prendre possession de la forteresse, qui se rendait à merci.

— Imbécile, pensait-il, aussi pourquoi n’ai-je pas pris les gouttes fortifiantes que m’offrait Albert ?

— « Tu as tort », me disait ce brave ami.

— Sacrebleu ! oui, j’avais tort ; heureusement que ma femme est ignorante comme l’enfant qui vient de naître ; je lui ferai prendre le change.

Et, continuant à s’agiter devant le sanctuaire, Georges sentit tout à coup le petit bouton charmant, dont son traître ami chatouillait les aspérités, se raidir, se gonfler ; des soupirs étouffés s’échappaient des lèvres de Florentine, qui se tordait comme une couleuvre. Georges n’était pas novice ; il comprit la situation ; elle était à la fois horrible et charmante. Saisissant d’une main ferme le délinquant, il le contraignit à un exercice de va-et-vient raisonné, qui amena bientôt le paroxysme du spasme amoureux.

La jeune femme jeta un cri.

Elle était encore vierge, et cependant n’était plus ignorante, car elle venait d’éprouver les premières sensations de l’amour.

Georges se dépitait. Il se fût battu. Il regarda tristement sa femme, à demi pâmée sur le lit, sa piteuse allure à lui, et, philosophiquement, se coucha près d’elle, attendant que Cupidon daignât le secourir, et… il s’endormit jusqu’au matin.

Quant à Florentine, énervée elle-même par ces premières crispations, elle se reposa, et, le matin, ce fut avec un visage riant qu’en s’éveillant elle s’enhardit jusqu’à poser un baiser sur les lèvres de son époux.

Le mariage ne lui semblait pas si terrible chose, et elle ne conservait de sa nuit de noce que fort douce souvenance.

Georges, lui, ne se sentait pas assez remis de son assaut de la nuit pour tenter une nouvelle bataille ; aussi préféra-t-il user de ruse et répondre aux caresses de Florentine, qui se pressait toute câline contre lui, en réitérant la petite scène de la nuit. Son doigt s’égara dans la toison fauve du chat doré de la jeune femme, et, s’attardant sur la clef des jouissances, la fit osciller dans sa serrure de velours rose, puis pénétrant, non sans un peu de peine, dans la direction du sanctuaire, il se rendit compte des difficultés qui l’attendaient pour le moment de la bataille finale, celle où, sous peine de ridicule, il fallait vaincre ou mourir.

Florentine, cette fois, moins novice, se prêtait parfaitement à ses empressements et fut récompensée par un spasme d’une intensité plus prolongée, plus délicieuse que n’avait été celui de la nuit.

« Demain, se dit Georges, j’aurai mes gouttes et nous en finirons.

« Cet animal d’Albert va se moquer de moi, c’est certain ; mais bast ! l’essentiel est de ne pas faiblir en route. »

Albert n’était pas à Paris ; il devait n’y revenir que le lendemain.

Il fut décidé qu’en allant chercher Mme  Briquart et Julia, qui avaient promis de venir dîner aux Charmettes, Jean rapporterait la commission demandée à l’ami Albert.


Les Cousines de la colonelle, Vignette de fin de chapitre
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