Texte établi par B. V. (Bagneux de Villeneuve, alias Raoul Vèze), Bibliothèque des Curieux (p. 30-42).
Chapitre III.

Les Cousines de la colonelle, Bandeau de début de chapitre
Les Cousines de la colonelle, Bandeau de début de chapitre


CHAPITRE III


Vers deux heures, la voiture de Georges revint, amenant Mme Briquart et Julia.

Le temps leur avait paru très long.

Il y avait dans l’esprit des deux femmes tout un monde de curiosités éveillées : la cousine se souvenait ; Julia devinait.

L’une et l’autre étaient anxieuses de savoir comment Florentine aurait supporté la crise, dont la vieille cousine n’ignorait point les péripéties probables, mais que Julia se figurait avoir été terribles sans l’enthousiasme que l’âge de Georges rendait impossible à admettre de la fête.

Elles furent un peu désappointées en voyant l’aisance avec laquelle la jeune femme les accueillit. Elle était rose et souriante, une nuance de carmin plus vive s’étendit seulement sur ses traits lorsqu’elle sentit peser sur elle le regard narquois de sa cousine. Quant à Georges, il avait sa figure de tous les jours, et le cercle bleu tracé par les amours n’estompait pas plus que de coutume ses yeux un peu battus naturellement.

La constatation de ce détail plongea Mme Briquart dans de profondes réflexions.

— Tiens, tiens, se dit-elle, est-ce qu’il serait plus gaillard encore que je ne le croyais ?

Le cousin Georges se montra fort empressé auprès de ces dames, et semblait ne pas tenir à laisser sa femme en tête-à-tête avec sa belle-sœur, mais il est dit quelque part : « Ce que femme veut, Dieu et Diable le veulent ». Ici, elles étaient trois, que vouliez-vous que fît Georges ? L’inévitable ! Il se vit forcé et contraint de subir ce qu’il désirait éviter, sous peine de se rendre ridicule, et dut aller donner des ordres de service, dont l’inexpérience de Florentine des aîtres du logis ne lui permettait pas de s’occuper.

Mme Briquart en profita pour entraîner sa cousine dans sa chambre, et, pendant que Julia examinait les mille détails du trousseau de sa sœur, disposé dans les grandes armoires vitrées du cabinet de toilette, elle la fit asseoir près d’elle sur une chaise longue.

— Eh bien, ma pauvre mignonne, dit-elle en lui serrant affectueusement les deux mains, comment te trouves-tu du mariage ?

— Mais, très bien, cousine ; Georges est plein de prévenance et de tendresse pour moi.

— Lui, ah ! je te crois bien ! mais toi, toi, chérie ?

— Moi ? je me sens toute heureuse, et je ne vois pas pourquoi ce bonheur ne continuerait pas.

— Ni moi non plus, mais voyons, a-t-il été brutal envers toi ? l’homme le meilleur, dans certains moments, vois-tu, cesse parfois d’être délicat.

— Lui, brutal ! ah ! certes non, il est, je vous le répète, plein de soins et d’attentions.

— Allons, je vois que tout s’est bien passé et que tu n’as pas beaucoup souffert. Georges a dû consulter son médecin (Mme Briquart allait dire son expérience, mais elle pensa qu’il valait mieux mettre les épaules solides du docteur en situation) ; il lui aura donné un onguent, une eau adoucissante.

— Pourquoi faire, cousine ?

Pour le coup, Mme Briquart regarda Florentine avec étonnement.

— Mais, ma bonne petite, afin de t’épargner les douleurs qui accompagnent toujours, pour la femme, le premier combat d’amour. Le Créateur a mis la lutte comme prix de toute victoire, et le sang est versé aussi bien pour la première sensation amoureuse que pour celle de la maternité.

Mme Briquart aimait assez à discourir ; elle eût peut-être continué sur ce ton si sa nièce ne l’eût arrêtée en lui disant :

— Mais, cousine, je ne comprends rien à ce que vous racontez là. Puisque nous sommes entre femmes — la nouvelle mariée prononçait ce « entre femmes » avec un sérieux qui fit sourire la vieille dame, — je puis bien vous dire que j’ai éprouvé une sensation physique qui m’a ravie en moi-même ; que cela s’est produit sans combat, sans effusion de sang, et renouvelé de même.

— Ah bah ! mais alors…

Une idée atroce traversa l’esprit de Mme Briquart, elle la repoussa comme insensée. Non, cette jeune fille ne l’avait jamais quittée depuis son enfance, et la naïveté avec laquelle elle racontait ses impressions prouvait l’intégrité de sa pureté.

Elle eut une intuition de la réalité des faits et se dit : — Diavolo ! est-ce que mon cher neveu serait au contraire moins vert que je le supposais ?

— Alors, chérie, ton mari n’a pas encore usé de ses droits de mari, il n’aura pas voulu t’effaroucher. C’est bien, cela.

— Mais si, mais si.

— Alors je ne comprends plus.

— Pourquoi ? méchante qui faites l’ignorante, car enfin vous avez été mariée et mon cousin usait de ses droits d’époux.

— Oh, oui ! il en usa si bien même dès la première nuit de nos noces qu’il fallût, quatre jours après, faire venir le docteur, parce qu’il m’avait trop brusquement fait passer de vierge à femme.

— Je ne suis donc pas encore femme, cousine ?

— Je ne le crois pas, chérie : tu es une vierge folle, mais c’est tout, du moins je le suppose.

— Je voudrais savoir… murmura Florentine…

La cousine attira la jeune femme à elle, la renversa à demi sur ses genoux, et glissant sa main sous les jupons de Florentine, toucha d’un doigt léger le clitoris, qui dressa sa petite tête rose. Alors, descendant avec des précautions caressantes entre les deux lèvres de la vulve, elle tenta de pénétrer dans le vagin, mais une barrière résistante s’opposa à ses efforts.

— Vous me faites mal, cousine, dit-elle.

— Tu vois bien qu’il faudra souffrir pour être femme, car tu ne le seras que lorsque Georges aura, par des coups vifs et répétés du membre viril, qu’il possède sans doute, enfoncé cette membrane qu’on appelle celle de l’hymen ; alors, avec des délices que tu ne connais pas encore, il s’enfoncera au plus profond de toi-même, t’inondera de la chaude liqueur de l’amour qu’il porte en lui et fécondera ton sein virginal.

Mais le sang devra couler et tu dois, par quelques moments d’une douleur passagère, acheter et ces jouissances de l’amour et celles de la maternité. Georges aura voulu te ménager.

— Cependant, cousine, j’ai éprouvé…

— Ce que tu vas éprouver encore.

Et la vieille dame promenant son doigt agile sur les parties sexuelles de la jeune femme, provoqua de nouveau ce spasme charmant, que Florentine croyait être celui de la possession.

— Ah ! mon Dieu ! c’est aussi bon qu’avec Georges, murmura-t-elle. Mais alors une femme peut… peut… rendre heureuse une amie.

La cousine réprima sur ses lèvres un sourire énigmatique et du doigt montra discrètement la porte du cabinet de toilette, dans lequel on n’entendait plus le va-et-vient de Julia, furetant les armoires.

Vivement Florentine se redressa, donna à sa cousine un long baiser et appela sa sœur, qui apparut aussitôt à la porte, les joues très rouges et le regard animé.

— Eh bien, sœurette, lui demanda Florentine, trouves-tu tous mes chiffons jolis ? est-ce qu’ils ne te donnent pas envie de te marier ?

— Me marier, cela dépendrait avec qui ; mais d’être aimée, d’aimer, oui, je l’avoue.

— Cela viendra à ton tour, lui dit Mme Briquart, et qui sait ? Je connais un certain vicomte, qui m’a l’air de penser comme toi.

Julia devint cette fois beaucoup plus écarlate ; on entendait la voix de Georges, qui, frappant à la porte de sa femme, demandait la permission d’entrer.

— Non, non, lui répondit-on ; on vous rejoint.

Georges était radieux, Albert était à Paris ; Jean lui avait apporté les précieuses gouttes ; il les prenait suivant l’ordonnance et les digérait, ainsi que la petite lettre spirituelle, mais fort gouailleuse, dont l’ami avait cru devoir les accompagner.

On dîna gaiement. Mme Briquart ne put se défendre de quelques insinuations malignes à l’adresse de Georges, qui feignit de ne pas les comprendre, mais en lui-même se dit :

— Vieille sorcière !

Il était, en général, plus affectueux que respectueux pour sa tante.

— Qu’est-ce qu’elle a bien pu dire à ma femme ? ma femme ! Enfin, patience, ce soir nous allons bien voir. Je ne sais si c’est l’effet du bon vieux vin de Chambertin que j’ingurgite, ou bien si les gouttes agissent, mais je me sens des tressaillements significatifs, même en contemplant les traits vénérables et vénérés de Mme Briquart.

Les dames faisaient largement honneur au champagne. M. Vaudrez refusa énergiquement d’en prendre un seul verre, et la cousine pensa :

— Ne lui disons rien encore ; il est évident qu’il se rend compte de la position et se prépare au combat.

Il avait été décidé que ces dames passeraient quelques jours aux Charmettes. De bonne heure la tante prétexta un peu de fatigue, se retira dans son appartement et pria Julia de venir lui faire la lecture, ce dont Georges lui sut un gré infini.

— Ma petite chérie, dit-il à sa femme, veux-tu que nous suivions l’exemple de ta cousine, et que nous remontions chez nous ? Je me sens fatigué.

— Très volontiers.

— Eh bien ! prends les devants, et, quand tu auras congédié ta femme de chambre, je te rejoindrai.

Georges entra chez lui, se déshabilla, se plaça dans son tub, se versa le long de l’échine, puis sur tout le corps, un broc d’eau glacée, prolongea la douche sur le membre destiné au combat, et après s’être essuyé soigneusement s’humecta le dos, les reins, les bras, les aines, les cuisses, avec une éponge imbibée d’eau de Hongrie dont les émanations opérèrent après l’eau froide un premier mouvement de réaction tonique. Cela fait, il endossa sa robe de chambre, avala une tasse de thé vanillé, au parfum duquel se mêlait celui des gouttes aphrodisiaques qu’on lui avait apportées, et, plein d’audace, vola vers la chambre de sa femme, séparée de la sienne seulement par son cabinet de toilette.

Florentine, assise dans son grand lit capitonné, délicieusement jolie au milieu des flots de dentelles et de batistes parfumées qui l’entouraient, l’attendait accoudée sur son oreiller, un peu inquiète de sa seconde nuit de noces, qui, elle le sentait d’instinct, allait être le grand jour.

Cette fois Georges ne commit pas l’imprudence de s’arrêter aux charmes du prologue ; en passant par le cabinet de toilette de sa femme, il s’était emparé du pot de cold-cream, en avait fait ample usage ; aussi, dès que, par la communication de la chaleur de leurs deux corps enlacés, il sentit que leurs êtres étaient en communion magnétique, il fit quelques caresses sommaires à sa gentille moitié et monta à l’assaut ; décidé à ne se laisser arrêter dans son élan par aucun atermoiement. D’un doigt agile, il mit la jeune femme en bon point, et très fier de l’état brillant dans lequel lui-même se trouvait, grâce à son petit traitement préventif, il s’élança de l’avant et, du premier choc, arracha un cri à Florentine.

— Courage, ma chérie, ce n’est qu’au prix de quelques minutes de souffrance que je puis te rendre heureuse. Aide-moi et tu souffriras moins.

Sans la conversation que la jeune femme avait eue avec Mme Briquart, elle se fût sans doute un peu défendue, mais elle était vexée d’être encore vierge ; il lui avait semblé que sa cousine se moquait d’elle. Plus à l’aise avec son mari que la veille, elle lui obéit, seconda ses efforts d’un mouvement de va-et-vient, entrecoupé de petits gémissements, que Georges étouffait de ses baisers ; bientôt le cold-cream aidant, les mouvements devinrent plus faciles, la dilatation se produisit, un coup vif amena le déchirement désiré. Le cri de triomphe de Georges se mêla à la plainte de Florentine ; elle se sentait transpercée, mais en même temps une sensation de jouissance extrême se produisait ; la douleur cessait sous l’influence de la caresse intérieure que lui prodiguait son mari ; il lui semblait sentir en elle comme le mouvement d’un baiser ; puis quelque chose de chaud, de doux l’inonda ; le spasme déjà connu se reproduisait cette fois avec une intensité particulière ; tout son être tressaillait ; elle perdit conscience de ce qui se passait et ne se réveilla que quelques instants après sous les baisers de Georges.


Les Cousines de la colonelle, Vignette de fin de chapitre
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