Les Contemporains/Sixième série/Louis Veillot

Boivin & Cie, éditeurs (Sixième sériep. 1-78).

LES CONTEMPORAINS


LOUIS VEUILLOT


I

J’ai dessein de reprendre et de poursuivre cette série des Contemporains, interrompue pendant cinq ou six ans par des besognes à la fois plus ambitieuses et, au fond, plus frivoles. Car c’est sans doute encore la forme de la critique qui, à propos des personnes originales de notre temps ou des autres siècles, permet le mieux d’exprimer ce qu’on croit avoir, touchant les objets les plus intéressants et même les plus grands, d’idées générales et de sentiments significatifs.

Vous me demanderez peut-être pourquoi j’ai choisi, cette fois, Louis Veuillot. J’ai, en effet, un peu peur que toutes vos lumières sur lui ne se bornent à savoir qu’il fut un grand journaliste, le plus violent, le plus éloquent et le plus spirituel des « ultramontains », et qu’il a laissé une page curieuse sur Thérésa. Je pourrais vous répondre simplement que je continue à me laisser apporter mes sujets par le hasard de mes curiosités ou de mes souvenirs… (Hélas ! je sens que je glisse encore dans cette « critique personnelle » qu’on m’a tant reprochée ; mais qu’y faire ?) Donc, les premiers volumes que j’ai reçus comme « livres de prix », c’était Rome et Lorette et les Pèlerinages de Suisse ; et ainsi j’eus de bonne heure ce pli de considérer Veuillot comme un grand homme. Enfant et adolescent, j’ai fréquenté des curés de campagne qui ne juraient que par lui, et pour qui le rédacteur en chef de l’Univers était le Judas Macchabée de notre âge. Et, comme ils l’aimaient et l’admiraient un peu en cachette de leur évêque, ce culte qu’ils me faisaient partager avait pour moi l’attrait de quelque chose de vaguement défendu ; et le Macchabée catholique m’apparaissait avec le prestige d’un héros réfractaire, d’un outlaw, suspect aux puissances établies. Innocente perversité ! J’avais pour Veuillot d’autant plus de considération que je savais qu’il était redoutable à Mgr Dupanloup, lequel m’avait « confirmé ». Ces impressions-là ne s’oublient point.

Mais au reste Louis Veuillot nous est tout à coup redevenu « actuel ». Naguère deux des plus anciens rédacteurs de l’Univers se retiraient du journal, ne pouvant prendre sur eux de conformer désormais leur conduite politique aux instructions du pape Léon XIII. Ces instructions, M. Eugène Veuillot les avait pleinement acceptées. Je me demandai alors : Qu’eût fait Louis Veuillot ? Et quelle serait aujourd’hui son attitude ? Et c’est ainsi que je fus amené à mieux connaître son œuvre, que je n’avais jusque-là qu’effleurée.

Cette œuvre est considérable : cinquante volumes presque tous fort compacts, — sans compter les articles non recueillis et qui, je pense, formeraient une masse au moins égale d’imprimé. De tout cela, je crois avoir exploré et retenu l’essentiel. Ce qui est sûr, c’est que j’ai rarement vu plus immense labeur, ni plus rigoureuse unité d’esprit et de doctrine dans des occasions plus variées, ni plus riche et plus robuste tempérament d’écrivain. Et je l’ai aimé davantage, à mesure que j’ai compris quelle rare et forte et originale espèce de chrétien il avait été.

Mais, pour me retrouver dans cette surabondance de documents, je suis bien forcé de recourir à l’artifice des divisions et d’étudier tour à tour, dans Louis Veuillot, bien qu’en réalité ils s’y confondent (aussi m’arrivera-t-il sans doute de les mêler un peu), l’homme, le catholique et l’artiste.

II

Il était du peuple, du tout petit peuple ; né à Boynes, dans le Gâtinais, d’une mère bourguignonne. Son père était ouvrier tonnelier et ne savait pas lire. Louis Veuillot connut, dans son enfance, la vie humble, étroite, indigente. Comme beaucoup d’artisans de la campagne, ses parents furent contraints par la misère de venir chercher un refuge à Paris. Louis s’éleva tout seul. Écolier de la mutuelle, puis saute-ruisseau, sans nulle éducation religieuse (il fit sa première communion comme la font les gamins de Paris, et ses parents étaient de braves gens qui n’allaient pas à la messe), il se forma principalement dans la rue et dans les cabinets de lecture, au hasard. Il fut un autodidacte, comme quelques-uns des plus originaux esprits de ce temps. Il était sensible et fier, frémissant aux injustices, prêt à la révolte. « Dans mon enfance, dit-il (1re préface des Libres Penseurs), quand certain patron de mon père venait lui intimer durement ses ordres, mon cœur bondissait, j’éprouvais un frénétique désir d’écraser cet insolent. Je me disais : « Qui l’a fait maître et mon père esclave ? mon père qui est bon, brave et fort, et qui n’a fait de tort à personne ; tandis que celui-ci est chétif, méchant, larron et de mauvaises mœurs. Mon père et cet homme, c’était tout ce que je voyais de la société. » Rappelez-vous cette note.

Cependant, le don d’écrire était dans ce gavroche. Après la révolution de 1830, n’ayant pas encore vingt ans, il est journaliste à Rouen, puis, à Périgueux, rédacteur en chef d’un journal ministériel. Il y défendait le gouvernement du « juste-milieu » et y servait la bourgeoisie qu’il haïssait instinctivement. Mais il fallait vivre. « Sans aucune préparation, je devins journaliste. Je me trouvai de la Résistance : j’aurais été tout aussi volontiers du Mouvement, et même plus volontiers. »

C’est lui le petit journaliste vivace, le gamin hardi et généreux dont il nous fait le portrait dans son roman de l’Honnête Femme. À vingt-quatre ans, pour avoir vu de près la basse cuisine politique, la sottise et la vanité des gens en place, l’égoïsme et l’hypocrisie de ceux qui formaient alors le « pays légal », il commençait à connaître les hommes, et il les méprisait parfaitement. Mais sa jeune misanthropie était allègre et goûtait déjà ces joies de la bataille, dont jamais il ne sut se défendre. « Quel plaisir de dauber sur ce troupeau de farceurs illustres et vénérés ! Croirait-on, à les voir couverts de cheveux blancs, de croix d’honneur, de lunettes d’or, de toges et d’habits brodés, fiers, bien nourris, maîtres de cette société qu’ils grugent… croirait-on que leurs calculs sont dérangés, que leur sommeil est troublé par le bruit du fouet dont ils ont eux-mêmes armé un pauvre

petit diable sans nom, sans fortune et sans talent !… Grosses outres gonflées de fourberie et d’usure, je saurai tirer de vous quelque chose qui pourra suppléer au remords ! »

Il rougissait d’être un bourgeois payé par des bourgeois : il se souvenait avec amertume de « cet infortuné peuple de ses frères qu’il avait quitté lâchement ». (Je cite beaucoup, car il est très important de bien connaître le point d’où Veuillot est parti.) « Là, continuait-il, j’ai mon père qu’on a usé comme une bête de somme, et ma mère courbée sous le chagrin… Le hasard a voulu qu’un rayon de soleil réchauffât leurs derniers jours. Je pouvais aussi bien n’être qu’un infirme de plus dans le grabat où la faim nous aurait dévorés… Ah ! j’ai fait une action honteuse quand j’ai vendu ma voix aux artisans des misères publiques, à ceux qui vivent des sueurs populaires et ne se soucient pas de remédier aux tortures que leur égoïsme enfante et perpétue ! Allez chez ces manufacturiers dont je suis ici l’organe : vous verrez dans leurs ateliers ce qu’on y fait de la chair humaine. Si mon père pouvait comprendre sa situation, il refuserait le pain dont je le nourris ; mieux vaudrait pour moi n’avoir ajouté qu’un cri de haine, un gémissement à cette plainte éternelle que n’écoutent ni la terre ni les cieux. » Et le petit journaliste ajoutait : « Ces pensées me jettent dans une espèce de délire ». Et ailleurs, pour se débarbouiller des bourgeois, il se retourne vers le peuple, que nul n’a aimé plus constamment que lui ; il croit découvrir chez les paysans « un fonds d’idées saines et généreuses, le robuste instinct de la justice, de violentes antipathies contre les mensonges du libéralisme, une vague attente de vengeance humaine ou divine contre tous ces petits oppresseurs qui les trompent, les tyrannisent et les humilient ». Et il les appelle contre « les messieurs », comme autrefois l’Église, « effrayée des crimes de la civilisation, se tournait avec une sorte d’espérance vers les barbares. »

Or, parmi toutes ces imprécations, le petit journaliste n’était pas content de lui. Il menait exactement la vie qu’il reprochera plus tard avec tant d’âpreté à beaucoup d’ « honnêtes gens » de ses contemporains. Sans être fort débauché, il n’était point chaste. Sans être formellement impie (dès cette époque il paraît avoir été assez retenu dans ses discours touchant les choses de la religion), il était incroyant, et n’avait pas mis les pieds dans une église depuis sa première communion. Mais du moins il n’était nullement fier de son état moral, et il souffrait de ne savoir où il allait. Il était inquiet, avec d’étranges accès de sensibilité. Son ironie ne lui était souvent qu’un masque ou une attitude. «… Au sortir d’une conversation où j’aurai, par l’excès de mes dédains, étonné des âmes éteintes, j’irai dévorer en pleurant quelque puéril récit d’amour… Un son de voix, un regard, me jettent dans des chimères de tendresse et de mélancolie d’où je ne puis plus sortir. Je ne sais rien à quoi ne morde cette rage d’aimer. L’autre jour, en lisant Plutarque, j’étais épris de Cléopâtre. Jugez par là du reste. »

Si je ne me trompe, Veuillot à vingt-quatre ans était, ou peu s’en faut (car tout recommence), dans la disposition d’âme de ces jeunes gens d’aujourd’hui qui sont inquiets de Dieu et de l’humanité et qui cherchent à la fois la vérité religieuse et la solution des questions sociales, — à cette différence près que ces jeunes hommes dont je parle sont beaucoup plus instruits que ne l’était alors Veuillot, qu’ils connaissent les philosophes, qu’ils sont surveillés et arrêtés, après tout, par leur propre esprit critique, et qu’il est à craindre que leur raison trop exercée ne leur permette jamais de faire ce « saut dans le gouffre », qui est peut-être le saut dans la lumière.

À ce moment où le petit journaliste défendait à Périgueux le gouvernement des satisfaits, tout en songeant à part lui qu’il faisait peut-être une besogne honteuse, — s’il avait rencontré sur son chemin quelque théoricien du socialisme, imposant par sa foi, ardent de langage, austère de mœurs et sacerdotal d’allures, comme il s’en est trouvé, il n’est pas déraisonnable de supposer qu’il eût suivi cet apôtre en lui disant : « C’est vous la vérité et la vie ». Il y avait certes, dans Veuillot, de quoi fournir une carrière admirable de révolté. Comme il était courageux et batailleur, il n’eût pas manqué une barricade et eût fait de la prison autant qu’aucun autre. Il eût composé de merveilleux évangiles de l’avenir tout bouillonnants de la plus redoutable éloquence et pénétrés de la plus tendre poésie. On le citerait aujourd’hui avec les Leroux, les Proudhon, les Lamennais, et il serait le plus grand écrivain de la révolution sociale.

Ou bien, simplement, les tourments sacrés de sa jeunesse se seraient peu à peu apaisés. Et alors il eût été un honnête homme suivant le monde, un vague libéral résigné à un ordre social où sa place n’eût point été mauvaise. Il n’eût été, enfin, qu’un littérateur de premier ordre. Il eût pu donner encore plus largement carrière à son esprit d’ironie et de dérision, car il eût eu moins de choses à respecter ; il eût écrit d’excellents romans satiriques et réalistes ; il eût, fort aisément, mis Edmond About et quelques autres dans sa poche ; il aurait été académicien ; il aurait mené une vie commode ; il n’aurait eu, en fait d’ennemis, que sa portion congrue ; tout le monde saurait aujourd’hui qu’il fut un des maîtres de la langue ; il commencerait à entrer dans les anthologies qu’on fait pour les lycées, et une rue de Paris porterait son nom.

Mais l’inquiétude du petit journaliste ne s’apaisa pas, et il ne rencontra point l’apôtre qui l’eût pu conquérir à l’armée de la révolte. Il alla à Rome, et il s’y convertit.

III

Comment cela se fit-il ?

Dans toute conversion, il y a quelque chose qui nous échappe et qu’il faut bien appeler, comme le font les convertis eux-mêmes, « l’action de la grâce ». Tenons-nous en aux causes apparentes et aux caractères particuliers de la conversion de Louis Veuillot.

Je remarque d’abord qu’elle sortit d’une angoisse morale plutôt qu’intellectuelle, qu’elle n’eut rien de « métaphysique », qu’elle n’est nullement de la même espèce que la conversion (à rebours) d’un Jouffroy ou que la conversion (relative) d’un Pascal. Veuillot n’avait point le cerveau philosophique. C’était un pur sentimental. Il dit dans sa correspondance : «… Quant à moi, j’ai le bonheur d’être complètement inepte en philosophie, et je ne lis rien de tout ce qui se présente sous cette forme. »

Cette conversion ne fut non plus ni soudaine ni tragique. Veuillot n’eut pas, à proprement parler, sa « nuit ». L’illumination qu’il eut à Rome ne fut que l’achèvement d’un travail secret de plusieurs années.

Il avait un grand besoin de certitude. La profession de spectateur amusé n’était point son fait. Il éprouva de bonne heure, de façon aiguë et persistante, ce que nous ne sentons qu’à certaines minutes et mollement : le vide et l’inutilité de la vie d’un journaliste, ou d’un littérateur, ou d’un bourgeois, qui n’est que cela. Faire des besognes auxquelles on croit à moitié ou pas du tout ; écrire des livres où l’on ne met point son âme, mais seulement quelques conjectures ou spéculations sur la vie ; obtenir par là de petits succès ; cueillir en passant de petits plaisirs égoïstes ; vivre au jour le jour ; comprendre ça et là quelques petites choses, mais ignorer en somme ce que l’on est venu faire au monde ; vivre en se passant de la vérité ; vivre sans vouer sa vie à une cause aussi humaine et générale que possible ; c’est-à-dire vivre comme nous vivons presque tous… cela parut très vite misérable au jeune rédacteur en chef du Mémorial de Périgueux. Au temps même où il daubait les bourgeois libres-penseurs de Chignac, il lui arrivait de faire sur lui-même un loyal retour. C’est que le petit journaliste avait déjà une vie intérieure. « Ah ! s’écriait-il, je ris des reproches qu’ils peuvent me faire : mais j’évite de descendre en moi-même, car c’est là que je suis leur égal, et peut-être leur inférieur. Ils savent ce qu’ils veulent, et je ne le sais pas ; et, si j’ai des troubles qu’ils ne connaissent pas, qui m’assure que je ne suis pas traître à mon âme et à ma destinée, autant et plus qu’ils ne le sont eux-mêmes au but final de la vie ? Mais quel est-il, ce but mystérieux, invisible ? »

Il se convertit donc, premièrement, en haine de cette incertitude, parce que la spéculation philosophique, dont il est d’ailleurs peu capable, ne lui suffit pas ; parce qu’il lui faut une règle absolue de ses actes, et dont la sanction soit en dehors de lui : bref, il se convertit pour avoir la paix de la conscience.

Ce besoin de paix intime se confondait avec un autre : le besoin d’être meilleur, de mériter. Même avant d’être chrétien, il se sentait humilié de l’égoïsme, de l’inutilité et de l’impureté de sa vie. Mystérieux phénomène moral : il avait des remords sans croire pourtant qu’il fît des choses défendues ni qu’il transgressât une règle ; il avait le sentiment du péché avant la connaissance et l’acceptation de la loi. « Témoignage d’une âme naturellement chrétienne », selon l’immortel mot de Tertullien. Même au temps de son « erreur », alors qu’il lui arrivait de s’échapper, comme les autres, en facéties et impiétés d’estaminet, ses collaborateurs l’accusaient d’avoir, comme journaliste, « du penchant pour les choses religieuses ». C’est son frère qui nous le dit, et je n’ai aucune peine à le croire. Dès cette époque, il remarquait que les exemplaires les plus complets et les plus assurés de vertu, ceux qui nous inspirent le plus de confiance, nous sont offerts par des croyants au surnaturel, et qu’il n’y a rien de meilleur ni de plus respectable qu’un bon prêtre ou qu’une religieuse sainte. Et secrètement, peut-être à son insu, son sens pratique en tirait déjà des conséquences.

Enfin, la troisième et, il faut le dire à son honneur, la plus déterminante raison de sa conversion, ce fut la « charité du genre humain », ce fut l’amour du peuple, l’amour des humbles, des souffrants, des ignorants, des opprimés. Les textes abondent et surabondent chez lui, par où l’on pourrait le démontrer. Je veux du moins citer une page capitale de la première préface des Libres Penseurs :

Mon père était mort à cinquante ans. C’était un simple ouvrier, sans lettres, sans orgueil. Mille infortunes avaient traversé ses jours remplis de durs labeurs… Personne, durant cinquante ans, ne s’était occupé de son âme… Il avait toujours eu des maîtres pour lui vendre l’eau, le sel et l’air, pour lever la dîme de ses sueurs, pour lui demander le sang de ses fils ; jamais un protecteur, jamais un guide… Au fond, que lui avait dit la société ?… « Sois soumis et sois probe ; car, si tu te révoltes, on te tuera ; si tu dérobes, on t’emprisonnera. Mais si tu souffres, nous n’y pouvons rien ; et, si tu n’as pas de pain, va à l’hôpital et meurs, cela ne nous regarde plus. » Voilà ce que la société lui avait dit, et pas autre chose… Elle n’a de pain pour les pauvres qu’au Dépôt de mendicité ; des consolations et des respects, elle n’en a nulle part…

Mon père avait donc travaillé, il avait souffert, et il était mort. Sur le bord de sa fosse, je songeai aux tourments de sa vie, je les évoquai, je les vis tous, et je comptai aussi les joies qu’aurait pu goûter, malgré sa condition servile, ce coeur vraiment fait pour Dieu. Joies pures, joies profondes ! Le crime d’une société que rien ne peut absoudre l’en avait privé. Une lueur de vérité funèbre me fit maudire, non le travail, non la pauvreté, non la peine, mais la grande iniquité sociale, l’impiété, par laquelle est ravie aux petits de ce monde la compensation que Dieu voulut attacher à l’infériorité de leur sort. Et je sentis l’anathème éclater dans la véhémence de ma douleur.

Oui, ce fut là ! Je commençais de connaître, de juger cette société, cette civilisation, ces prétendus sages. Reniant Dieu, ils ont renié le pauvre, ils ont fatalement abandonné son âme. Je me dis : — Cet édifice social est inique, il sera détruit. J’étais chrétien déjà ; si je ne l’avais été, dès ce jour j’aurais appartenu aux sociétés secrètes.

Jamais conversion religieuse ne fut, dans ses mobiles profonds, plus pitoyable aux hommes, plus soucieuse des souffrants, plus « populaire ». Longtemps avant le coup de la grâce, le catholicisme commençait d’apparaître à Veuillot comme le grand et seul remède aux maux humains : aux troubles de l’âme par la certitude ; aux souffrances et aux injustices sociales, soit par la charité chrétienne, soit par la sanction après la mort.

Ce fut dans ces dispositions qu’il alla à Rome. C’est le lieu par excellence des « retraites », celui où se nourrissent le mieux les rêves : rêves d’art, rêves de volupté, rêves de perfection morale. L’atmosphère y est pleine de souvenirs et comme saturée d’âme. J’ai dit que Veuillot était peut-être par-dessus tout un homme de sentiment, un poète : la Rome catholique s’empara de lui tout entier, et avec une force inouïe. Par la vertu des témoignages sensibles, des symboles qui y sont accumulés, et dont il subissait la magie enveloppante, le catholicisme s’imposa à son esprit comme la seule explication permanente et complète du monde et de la vie ; il y reconnut la vraie panacée de l’universelle misère, le salut de l’ignorante humanité. L’enchantement spirituel de ses sens acheva la transformation de son cœur : il eut d’ineffables attendrissements, il pleura dans les églises. Dans nulle conversion il n’y eut plus d’amour.


IV

La vérité connue et embrassée, il ne la lâcha plus. Catholique, il voulut vivre pleinement en catholique. Cela n’alla pas d’abord tout seul. Le « vieil homme » résistait. Le nouveau converti eut quelques mois de profonde angoisse : il regrettait ce qu’il voulait quitter. Il écrivait à son frère (Corresp., I, p. 25) :

Je suis horriblement triste, et du vieux fonds que tu me connais, et de ce qui s’ajoute chaque jour, et enfin de la peur que me fait éprouver ce continuel accroissement, quand je viens à y songer.

Il dit encore ceci, que l’on sent être très vrai :

C’est justement depuis ce moment-là (celui de sa conversion définitive) que je souffre le plus. Le combat a réellement commencé à l’acte qui devait le finir : ce qui était clair à mon esprit devient douteux ; ce que j’ai abandonné avec le plus de facilité me devient cher.

Et ceci, d’une si belle et courageuse sincérité, et qui me paraît aller loin dans la connaissance de notre misérable cœur :

… Évidemment cette lutte doit se terminer par le triomphe du bien ; mais elle est longue et douloureuse en raison du mal qu’on a commis : car on n’a pas fait une faute, si odieuse soit-elle, qu’on ne désire la faire encore, et faire pis. Chaque vice de la vie passée laisse au cœur une racine immonde, qu’il faut en arracher avec des tenailles ardentes. Cela semble une chose épouvantable d’être tenu à une vie honnête et réglée par le grand devoir divin.

Et cependant, il se sent une force qu’il n’avait pas auparavant :

… Ces actes, ces fautes, ces plaisirs, pour lesquels on avait du mépris, on s’y laissait entraîner : maintenant qu’ils inspirent un attrait horrible, qu’ils vous donnent une soif d’enfer, vous n’y cédez pas. C’est la récompense : elle est lente, elle est rare, elle est maudite parfois lorsqu’elle vient ; mais elle vient.

Ce trouble, ces « tentations hideuses », je ne jurerais pas que Veuillot en fût jamais complètement affranchi. Jusqu’au bout, il aura, çà et là, des aveux sur sa misère intime, pour lesquels nous l’aimerons peut-être plus encore que pour ses généreuses et éblouissantes colères. Cet homme fut d’une étrange franchise et, contre l’opinion commune, doux et humble de cœur.

Il triompha du moins assez vite de ces premiers assauts, plus redoutables, qui suivirent immédiatement son retour à Dieu, de la séduction du péché encore tout proche, des mauvais souvenirs encore tout chauds dans le sang de ses veines. Comment ? Comme il le devait : par la prière, la confession, la communion, par la pratique obstinée de ce mystique « abêtissez-vous » de Pascal, dont il a donné (Mélanges, I) le plus pénétrant, le plus admirable commentaire.

Une des grandes sottises de ses ennemis fut assurément de l’avoir traité de tartufe. Cela ne vaut pas la peine d’être réfuté, pour peu qu’on ait lu Veuillot et que l’on sache lire. Sa conversion eut pour premier effet de lui faire payer ses dettes :

… Sais-tu jusqu’où vont les agréables restes de mon beau passé ?

Sais-tu ce qui me reste de tous mes essais de plaisirs, de mes rages, de mes colères, de tant de pleurs versés et de temps perdu ? Je viens d’en faire le calcul : 5 000 francs de dettes, dont 1 000 francs pressent et devraient être déjà payés. Des dettes oubliées se sont réveillées au fond de ma conscience, et ma conversion n’eût-elle produit que cela, nous devrions tous la bénir. (Lettres à son frère.)

Il se mit à être un très scrupuleux honnête homme. Il s’occupa tendrement de son frère cadet, fit des livres pour constituer à ses deux soeurs une petite dot, ne se maria que lorsqu’elles furent pourvues. Très aimé et employé de M. Guizot, secrétaire, en Algérie, du maréchal Bugeaud, il ne tenait qu’à lui d’avoir une grande situation dans la presse ministérielle. Mais il était de ceux qui ne s’arrêtent pas en chemin, qui ne font pas au devoir sa part, qui vont jusqu’au devoir d’exception. Il repoussa les avantages offerts, voulut se garder libre, et, puisqu’il était catholique et que son don particulier était celui de l’écrivain, fonda un journal catholique : entreprise hasardeuse et qui eut de difficiles commencements. Toujours il dédaigna la fortune. Sa vie, quand on l’embrasse, est harmonieuse et belle, toute d’incroyable labeur et de sacrifices allègrement portés, les uns publics, les autres secrets et que ses lettres révèlent ou laissent deviner.


V

Il fut un des grands catholiques de ce temps ; le plus grand peut-être, si l’on considère la puissance et l’ardente et amoureuse combativité de son talent ; le plus original, si l’on fait attention à l’absolue pureté de son catholicisme, rare et neuf par cette pureté même et cette simplicité.

Il lui fut avantageux, en somme, de n’avoir reçu, dans son enfance, presque aucune éducation religieuse ; d’avoir, en vrai gamin de Paris, fait sa première communion sans y prendre garde et, ensuite, de n’y avoir plus songé. Les hommes qui ont eu une enfance pieuse et qui se sont lentement détachés de la foi par l’insensible travail de leur esprit avec qui conspirent, quelquefois, les exigences de leurs passions de vingt ans, ceux-là ne se convertissent guère ou, s’ils se convertissent, ce n’est pas à vingt-cinq ans, c’est généralement beaucoup plus tard, et c’est par un simple réveil de sentiments qui, au surplus, n’ont jamais été, chez eux, tout à fait spontanés, mais qu’un enseignement exprès avait déposés dans leurs cœurs d’enfants. Leur retour à la foi peut avoir sa douceur et même son ardeur, mais ce ne saurait être le coup de foudre et l’éblouissement du chemin de Damas. Veuillot, lui, ne retrouve pas la vérité : il la découvre réellement, il la conquiert, et cela, par son propre effort et en plein frémissement de jeunesse. Il ignorait le sens de la vie : un jour, il le connaît. Ce n’est pas un ressouvenir, c’est une révélation. C’est pourquoi sa conversion a tous les caractères du plus fervent enthousiasme.

Il est catholique naïvement, — sans respect humain, cela va sans dire, mais même sans rien de cette retenue, de cette discrétion de bon ton qu’observent volontiers les croyants « d’un certain monde » et qui fait qu’on peut les fréquenter longtemps sans soupçonner qu’ils vont à la messe et qu’ils communient. Sa foi, pénétrant toute son âme, est une foi de tous les instants, et il ne craint pas d’en donner des témoignages familiers. Jusque dans ses articles, mais surtout dans ses lettres et dans ses romans, dans ses recueils de petits contes et de « variétés », il ne rougit point d’avoir le style « dévot », à la façon d’un curé de campagne. Il parle sans embarras de ses pratiques religieuses, d’une messe qu’il a entendue, d’un chapelet qu’il a récité, d’une communion qu’il a faite. Le maigre du vendredi joue un rôle important dans ses petits récits d’édification. Sa foi, si souvent sublime de penser et de propos, est, dans le détail journalier, humble et populaire. Et ne croyez pas qu’il outre à plaisir, et par une sorte de défi aux esprits superbes, l’humilité et la simplicité du cœur : on reconnaît, lorsqu’on l’a pratiqué un peu, qu’il est naturellement ainsi.

Or il est bien évident, d’abord, que, parmi les illustres catholiques laïques de ce siècle, les Montalembert, les Falloux, les Ozanam, aucun n’a cet accent ; que ce sont gens bien élevés, dont les discours pieux sentent leur homme du monde et se distinguent toujours de ceux d’un desservant de village, d’un sacristain ou d’une Petite Soeur. Mais cette bonhomie dévote, ces façons candides de frère lai, ce ton de piété plébéienne, je ne pense même pas que vous les surpreniez jamais chez les prêtres célèbres qui furent les contemporains de Veuillot, chez les Lacordaire, les Ravignan, les Dupanloup, ces aristocrates de la foi.

Veuillot, lui, est bien peuple. Les catholiques considérables que je nommais tout à l’heure, clercs ou laïques, appartenaient par leur naissance à la noblesse ou à la bourgeoisie. Certes ils croyaient que le catholicisme est le salut de la société humaine et, par conséquent, des pauvres ; mais ils semblaient préoccupés moins directement de l’âme des pauvres que de celle des riches, et ils gardaient à ceux-ci, malgré leurs vices et leur indignité, une sympathie et une considération involontaires. Ils aimaient le peuple : mais ils le connaissaient à peine, ils ne l’avaient pas vu souffrir, ils n’avaient pas souffert avec lui. Il fut infiniment profitable à Veuillot d’être né de petits artisans, d’avoir été un pauvre petit gosse des rues, d’avoir vu son bonhomme de père maltraité par les patrons, d’avoir assisté et participé aux durs chômages, aux privations, aux angoisses pour le pain du lendemain. Il comprit mieux ainsi pourquoi le peuple est ce qu’il est, que c’est lui, surtout, qui a besoin du Christ, et qu’il est moins coupable que ses guides. Même féroce et impie, le peuple lui inspirera toujours plus de pitié que de colère. Dans ce livre splendide : Paris sous les deux sièges, il écrit, à propos des exécutions sommaires, contre lesquelles il proteste (pour d’autres raisons que les députés de Paris) : «… Devant ces misérables, la société… subit la conséquence horrible de rester sans pitié. Dieu, n’étant jamais sans justice, n’est jamais sans pitié… Parmi les foules qu’il faut engouffrer aux géhennes sociales, se trouvent beaucoup de ces publicains et de ces mérétrices qui entreront avant leurs juges dans le royaume de Dieu. Les anges que Dieu commet à la visite des fanges humaines ne l’ignorent point. Ils y ramassent des perles que peut-être ne contiennent pas en pareil nombre les riches demeures, les cours et les palais… » Nul catholicisme plus anti-bourgeois que celui de Veuillot.

Point d’ascétisme, sinon peut-être dans la partie la plus réservée de sa vie intérieure. Il ne se fit pas uniquement catholique pour orner et sauver son âme, mais pour servir le plus d’âmes possible, propager le bienfait qu’il avait reçu, et leur donner la foi qui seule assure à tous la vie heureuse ou supportable, même en ce monde-ci, en inspirant la bonté aux puissants autant que la patience aux déshérités. Ce trait est fort remarquable chez Veuillot. C’est bien en vue de la vie éternelle, mais c’est aussi, et très formellement, pour diminuer les douleurs de la vie présente (les deux buts devant d’ailleurs être atteints par les mêmes voies) que Veuillot se soucie de l’humanité, étant lui-même trop vivant, trop débordant d’énergie et trop épris de l’action pour se désintéresser, à la façon des ascètes, de cette vie mortelle et transitoire. La cité de Dieu dont il rêve, il ne la rejette pas tout entière par delà la mort. Pour lui, le temps de l’épreuve est déjà le commencement de la récompense. C’est un saint très pratique par tempérament.

Peu de métaphysique, je l’ai dit. S’il en avait une, ce serait la métaphysique imaginative de Joseph de Maistre, qu’il connaît bien et qui est un de ses oracles. C’est avec le cœur qu’il croit. Il reçoit comme mystère ce qui est mystère. La Trinité en est un, le péché originel en est un, et l’incarnation, et la rédemption, et l’eucharistie, et la grâce. Cela va bien : il y a dans ces dogmes quelque chose à la fois d’inconcevable et de fort émouvant. Mais vous savez qu’en ce siècle raisonneur il s’est trouvé des prêtres ou des philosophes chrétiens, ou d’anciens élèves de l’École polytechnique, pour expliquer couramment ce qui est, par nature, inexplicable. Il y a un pseudo-rationalisme catholique. Que trois soient un ; que Dieu ait été homme ; que du pain et du vin soient Dieu ; que Dieu soit juste et qu’il nous fasse porter la peine d’une faute que nous n’avons pas commise ; que Dieu soit bon et que, prévoyant la damnation de la majorité des hommes, il ait créé l’humanité ; que Dieu soit bon et que l’enfer soit éternel, etc., on a vu des moines éloquents qui donnaient de ces choses des interprétations philosophiques : et cela est étrange, car un mystère que l’on comprendrait ne serait plus un mystère, et on ne rend pas raison de ce qui est au-dessus de la raison. (Tout ce qu’on pourrait faire, ce serait de rechercher la formation historique des dogmes et quels états d’esprit ont pu les engendrer : mais cela est besogne d’incroyants.) Veuillot ne donna pas dans le travers de ces chrétiens qui veulent faire au surnaturel sa part. Il accepte tout, il n’en trouve jamais assez. L’Immaculée Conception, et tous les miracles modernes, et la Salette, et Lourdes, il dévore tout. La liberté que l’Église laisse aux fidèles sur certains points douteux, il la refuse, il n’en a que faire. Il n’a jamais été troublé le moins du monde de ce qui indignait si fort un Proudhon ou un Michelet et, par exemple, de ce que suppose d’arbitraire divin la théorie de la grâce. Bon et tendre comme il était, il parle à l’occasion et sans vergogne de l’enfer, sur qui les prêtres « éclairés » glissent volontiers. Il y plonge Voltaire et quelques autres avec une sainte allégresse. Sa foi est intrépide, va jusqu’à lui donner l’apparence de sentiments qui sont peu dans son caractère. Il lui arrive de renchérir sur le charbonnier.

Un des lieux communs de notre littérature lyrique et romanesque, c’est le « supplice du doute ». À mon sens, c’est assez souvent une plaisanterie. Je ne crois que difficilement à la douleur métaphysique. Du moins, j’ai connu des esprits, même éminents, qui ne souffraient pas du tout de ne pas croire, et à qui il ne semblait point nécessaire, pour vivre, de tenir l’explication du monde. Veuillot est aux antipodes de cette famille d’esprits. Oui, le doute pour lui eût été bien réellement « un supplice ». L’intrépidité de sa foi et même la hardiesse des jugements qu’elle lui inspire sur les affaires de ce monde recouvre et suppose, à l’origine, l’horreur de l’incertitude et de la solitude, l’impossibilité de durer dans la non-affirmation, l’impérieux besoin de support et de magistère, en somme le frisson de je ne sais quelle peur irréductible, la peur du noir, celle qui jette les mourants aux bras des prêtres. Il y a de la physiologie dans cette peur-là : il y en avait dans la foi de Veuillot. Il n’aurait rien compris à ce raisonnement que j’ai souvent fait en songeant à la mort : — « Oui, c’est le noir, c’est l’inconnu. Mais s’il y a une destinée humaine par delà la mort, quelle qu’elle doive être pour moi, je serais fou de redouter un sort qui me sera forcément commun avec des milliards d’individus de mon espèce. » Cela ne l’eût point rassuré. On le dirait hanté de la crainte de n’être pas suffisamment orthodoxe. Il a comme la rage de s’en remettre du plus de choses possible à l’autorité du représentant de Dieu ; et il semble qu’il se soit surtout appliqué à concentrer dans le pape seul le privilège d’infaillibilité autrefois épars dans l’Église entière, afin d’être plus tranquille. J’ai entendu des croyants, qui avaient d’ailleurs l’âme très belle, dire à propos de certaines difficultés du dogme : « J’aime mieux ne pas penser à ces choses-là. » Tel Veuillot. Quand il était seul avec lui-même, il fermait les yeux.

Mais, s’il se jette dans la foi par le même mouvement de recours craintif que les femmes et que les plus simples de ses frères, une fois assuré de ce refuge, il se retrouve homme de pensée. Il comprend profondément le rôle social de l’Église et en quoi ses dogmes correspondent aux besoins les plus intimes et les plus nobles de la nature humaine. Sur ce qui est l’âme même du christianisme, il abonde non seulement en sentiments, mais en idées. Lisez, dans le Parfum de Rome, le chapitre sur les Indulgences :

… Par la création de l’Église, les fidèles constituent un corps immense, prolongé dans le ciel, sur la terre et dans les lieux de purification que nous appelons le purgatoire. Triomphante, souffrante, militante, l’Église est une en ces trois états. Jésus-Christ en est la tête. Ainsi se trouve accomplie l’unité des hommes avec Dieu et des hommes les uns avec les autres… Le membre humain de l’Église conserve son individualité. Portion du corps mystique de Jésus-Christ, il a tous les bénéfices de la vie d’ensemble ; homme, il garde la prérogative, mêlée de péril et de gloire, de l’être responsable et libre. Ainsi ce corps de l’Église nous apparaît divinement humain… Le dogme des Indulgences n’est pas l’abri de la paresse : il est le dogme des douces condescendances envers la fragilité humaine… Quand nos mains sont pures, elles sont magnifiquement transformées ; elles deviennent le vase qui peut répandre à larges ondes l’eau du rafraîchissement… Ainsi nous pouvons, par la prière et les bonnes œuvres, descendre dans ce formidable purgatoire, etc.

Mais il faut lire tout le morceau. Cela est d’une théologie grandiose, et si humaine ! Vous y verrez ce qui se cache sous l’une des pratiques les plus exposées aux moqueries des incrédules, sous les mômeries des bonnes femmes dévotes et sous le commerce des scapulaires, des cierges et des affreuses petites images de sainteté… « Vous avez une pointe de panthéisme, dit le pieux écrivain au symbolique Coquelet. Vos erreurs sont souvent des vérités que vous n’entendez pas, et vous vous empoisonnez avec des sucs divins. » Il cite alors à Coquelet un étonnant passage de saint Jean Damascène, et il ajoute : « Quand vous voudrez du panthéisme que vous puissiez comprendre, vous savez où il faut vous adresser. » Et je ne saurais vous dire si l’union de Dieu et de l’humanité dans l’Église est en effet un panthéisme plus facile à « comprendre » que l’autre : mais c’en est un ; et c’est de ce vin que les mystiques ont été ivres. Et, de même, la théorie de la réversibilité des mérites, ce n’est autre chose, après tout, que du communisme, le communisme des âmes, et c’est encore où Veuillot trouve de quoi contenter ce sentiment et cet amour de la solidarité humaine qu’il avait au plus haut point. Car sans doute il se peut que cette théorie des Indulgences heurte la conception de la justice qui a prévalu dans la Révolution et dans la philosophie moderne, et que la mise en commun des mérites et des grâces soit traitée avec dérision par ceux mêmes qui appellent la mise en commun des biens matériels : mais les philosophes qui, comme Proudhon, voient dans le catholicisme la religion de l’injustice, ne prennent pas garde que l’injustice disparaît par le seul fait du consentement et du sacrifice volontaire de ceux qui ont mérité davantage en faveur de ceux qui ont moins mérité ; qu’ainsi c’est l’amour et le renoncement du fidèle qui crée la justice de son Dieu, et que, si la matière, ici, est obscure, la pensée est belle et toute formée de charité.

La théorie des Indulgences, mystère qui implique tous les autres mystères chrétiens, serait, — sans l’éternel enfer, — celle d’une sorte d’universel socialisme moral. Et c’est ce qui enchante l’âme grande, affectueuse et « populaire » de Louis Veuillot. Pour lui, la religion est bien essentiellement, selon l’étymologie, un lien, — lien des hommes entre eux, et des hommes avec Dieu. Souvenons-nous qu’il a été un des premiers à dénoncer l’individualisme :

… Quand nous disons que la France a besoin de religion, nous disons absolument la même chose que ceux qui disent qu’elle a besoin de concorde, d’union, de patriotisme, de confiance, de moralité, etc. Il n’est pas difficile de comprendre qu’un pays où règne l’individualisme n’est plus dans les conditions normales de la société, puisque la société est l’union des esprits et des intérêts, et que l’individualisme est la division poussée à l’infini… Tous pour chacun, chacun pour tous, voilà la société. Chacun pour soi, et par conséquent chacun contre tous, voilà l’individualisme…

Edmond Schérer et d’autres ont dédaigneusement reproché à Louis Veuillot de manquer de philosophie, de n’être point un « penseur ». Il est vrai qu’il s’était retranché, une fois pour toutes, les libres spéculations sur l’origine du monde, sur le libre arbitre, sur la matière et l’esprit, sur la destinée des hommes ou même simplement sur l’histoire ; et j’ai confessé, tout à l’heure, qu’il n’avait pas le cerveau proprement philosophique. Mais enfin, être un penseur, cela sans doute en vaut la peine quand on est Descartes, Kant ou Hegel ; autrement, cela n’est ni si rare, ni si éblouissant. Quand on ne peut pas être un penseur, il reste d’être « un homme ». Schérer était, si vous y tenez, plus intelligent que Veuillot : il s’en faut que sa personne intellectuelle, morale, littéraire, soit aussi intéressante. Il y a quelque chose d’extraordinaire chez l’auteur des Libres Penseurs et de Paris sous les deux sièges : c’est, — étant donné sa foi qui le lie et l’emprisonne, — la puissance, la souplesse et quelquefois l’audace avec laquelle il interprète tous les événements, grands et petits, selon cette foi. Cet homme, qui n’est pas un philosophe, n’a que des sentiments d’un caractère universel. Au fond il ne se soucie que de l’humanité et se soucie de toute l’humanité. Il ne lâche point la croix ; mais, du pied de la croix, il a, sur tout ce qui passe, des vues d’une ampleur souvent surprenante. Il n’a qu’une idée, — et dont il n’est pas l’inventeur, — mais génératrice d’idées harmonieuses, à l’infini.

Cela est peut-être aussi beau et aussi rare que d’avoir beaucoup d’idées personnelles qui se contrarient.


VI

Étant l’espèce de catholique que j’ai dit, le rôle de Veuillot dans la société moderne, telle qu’elle est, ne pouvait être que ce qu’il a été : un rôle de combat. On sait avec quelle vigueur, quel courage et quelle persévérance, quel emportement et quel éclat il l’a soutenu. La belle campagne ! Pendant plus de quarante ans, presque chaque jour, il tient tête à ses ennemis, c’est-à-dire aux ennemis du catholicisme et, pareillement, à ceux qui n’étaient pas catholiques de la même façon que lui ; bref, il tient tête à tout le monde, ou à peu près, successivement.

Son premier adversaire, c’est, bien entendu, la classe qui s’est épanouie après la Révolution et l’Empire, la bourgeoisie rationaliste et libre penseuse ; la bourgeoisie riche, égoïste, jouisseuse, dure aux pauvres, qui a flatté le peuple pour conquérir le pouvoir, mais qui n’aime pas le peuple ; qui l’a abaissé et dépravé en lui volant Dieu, mais contre qui le peuple, inévitablement, se retournera un jour.

Nul n’a été plus dur pour l’esprit de la Révolution que ce fils de tonnelier, d’âme si évidemment démocratique. C’est qu’en effet l’idéal de la Révolution est la constitution de la société en dehors de la croyance à tout surnaturel, et même de la croyance en Dieu. Veuillot y découvre et y déteste l’œuvre finale de l’incrédulité furieuse du XVIIIe siècle, œuvre de l’orgueil et de l’envie, et aussi de ce pédantisme philosophique, ignorant des vraies conditions de la réalité humaine, que Taine appellera l’esprit classique. Et l’on a l’étonnement de voir Louis Veuillot, en plus d’une page, se rencontrer sur ce point, — et sauf la différence des conclusions — avec Taine et avec Renan. De même, il constate que la Révolution a surtout profité aux riches ; il cherche en vain ce qu’elle a fait pour les pauvres : et l’on a la surprise de le voir se rencontrer là-dessus avec les plus décidés révolutionnaires d’aujourd’hui.

Toutes les variétés de l’espèce libre penseuse l’exaspèrent : non seulement le libre penseur militant, celui dont il a férocement tracé le type sous le nom de Coquelet et qui ressemble déjà très exactement à M. Homais bien avant le roman de Flaubert, mais encore et surtout le libre penseur douceâtre, qui a de la condescendance pour la religion. Plus que le Siècle ou le Constitutionnel, il exècre le Journal des Débats et la Revue des Deux-Mondes. J’imagine qu’il se fût étrangement défié de nos néo-catholiques, de ces gens qui font des gestes pieux et qui, mis au pied du mur, confesseraient qu’ils ne croient même pas à la divinité du Christ. Il vous les eût mis dans le même sac que le protestantisme, qu’il considère comme une pure hypocrisie, comme une forme hybride et honteuse du rationalisme. Chose curieuse, c’est aux pasteurs protestants qu’il trouve l’air béat et cafard de Basile ; et il les accable tout justement des mêmes railleries que les libres penseurs vulgaires ont coutume d’adresser aux « curés ». — Bref, il ne comprend pas ou refuse énergiquement de comprendre le sentiment religieux sans la foi, et sans la foi catholique. Et c’est encore une des marques de cette dureté de logique, qui eût pu faire tout aussi bien de lui, certaines circonstances étant données, un sectaire du socialisme ou de l’anarchie, et qui, en tout cas, ne lui permettait pas de s’en tenir à aucune de ces opinions qu’on appelle « modérées » et qui sont comme de faux ménages (souvent commodes) d’idées et de sentiments contradictoires.

Il n’a, comme vous pensez bien, que mépris pour le parlementarisme, chose bourgeoise en effet, et il en démontre avec une force extrême la vanité, les injustices et la stérilité. Sur la sottise et le ridicule des bourgeois « dirigeants », des censitaires, il éclate intarissablement en moqueries étincelantes, et, sur leurs vices et leur malfaisance, en flamboyantes imprécations. Sur la presse impie et libertine, grave ou plaisante, — chose bourgeoise encore, — sur notre littérature romanesque, sur nos arts, sur nos divertissements, et sur ceux qui en vivent, il a tout dit. Il a des galeries de portraits qui sont du La Bruyère au vitriol. Sauf erreur, les Libres Penseurs et les Odeurs de Paris restent nos plus beaux livres de satire sociale. Cela est plein de génie. On pourrait aisément extraire de l’œuvre de Veuillot plusieurs volumes de prose insurgée, que ne renieraient point les adversaires les plus enragés de la « société capitaliste ». J’en avertis ici le directeur du « supplément littéraire » des Temps nouveaux.

Il est vrai que, de ces morceaux choisis, il faudrait souvent retrancher les réflexions préliminaires ou les conclusions. Veuillot n’a guère moins lutté contre le socialisme, sous toutes ses formes, que contre ce qui s’est appelé le libéralisme bourgeois et qu’on nomme aujourd’hui le radicalisme. Au fond, c’est à une conception toute matérialiste de la société que tend la bourgeoisie incrédule. Or, cette conception est grosse de conséquences. Pour servir ses ambitions, la bourgeoisie a ôté Dieu du cœur des souffrants ; puis elle s’étonne qu’un jour les souffrants se révoltent contre elle. Et pourtant les révolutionnaires inassouvis et furieux sont bien les fils des révolutionnaires repus, devenus conservateurs de leur situation acquise et défenseurs de l’ordre en tant qu’ils en bénéficient. Le dernier mot de la politique sans Dieu, c’est le déchaînement de la brute qui a faim, et qui veut jouir, et qui ne sait pas autre chose. Le bourgeois libre penseur engendre le nihiliste qui le mangera. En vain le bourgeois opposera « les lois universelles imposées à l’humanité… la morale que la nature nous a mise dans le coeur… le bon sens, la nécessité de la résignation provisoire, la patrie, etc. ». Que pèsent ces mots pour qui ne croit plus qu’aux besoins de son ventre et aux joies de sa haine ?

Cela est développé, avec la plus sombre éloquence, dans cet admirable dialogue : l’Esclave Vindex. Et certes je ne dis point que Veuillot soit avec Vindex, le gueux révolté qui va jusqu’au bout de sa pensée, contre Spartacus, le « radical » bien mis, qui a du linge et garde des principes : mais Vindex a vraiment, dans ce pamphlet, des airs du Satan de Milton ; et il est certain qu’il y avait en Veuillot un je ne sais quoi de caché, de secret, de dompté et d’étouffé par la foi, mais qui, sous couleur de fiction littéraire, s’épanche, gronde et rugit avec une sinistre allégresse dans les propos sauvages de l’esclave romain. À coup sûr, Veuillot préfère encore Vindex à Spartacus, et Barrabas à Barras. « Je ne me pique d’aucune vertu, fait-il dire à Vindex, et c’en est une au moins que j’ai de plus que toi. » Ce que Veuillot a fait là, c’est la psychologie vivante du nihiliste. Et ce qu’il a exprimé, on ne peut s’empêcher de croire qu’il le découvrait en lui-même, en y descendant jusqu’au fond. J’ajoute tout de suite qu’en y descendant plus loin encore et jusqu’au tréfonds, il y trouvait la foi au Christ et l’amour de la Croix. C’est égal, j’en reviens à mon dire : quel bel insurgé eût été cet homme, s’il n’eût été chrétien !


VII

Il l’était, et si parfaitement, que ses adversaires les plus assidus furent d’autres chrétiens, et qu’il reste plus illustre peut-être pour avoir lutté contre le catholicisme libéral que pour avoir « tombé », durant quarante ans, la Révolution et le rationalisme. Car les querelles de famille sont les plus âpres, et, quand ce sont des frères égarés que l’on combat, le prix tout particulier qu’on attache à la victoire ne permet plus, en conscience, de prendre aucun repos ni d’observer aucun ménagement.

Mais j’ai tort de railler. Dans cette longue et douloureuse bataille, — plus quam civilia bella, — il me semble bien que c’est Veuillot, en principe, qui a raison. Pour lui, être catholique, c’est l’être à toutes les minutes de sa vie et dans toutes ses démarches sans exception. La foi n’est pas faite pour nous servir de règle uniquement dans la conduite privée : nul ordre d’action ne demeure en dehors d’elle. Comme elle est à l’homme une explication totale des choses et de lui-même, elle doit le prendre et le gouverner tout entier. Certes il est permis à un bon catholique et il lui est même recommandé d’être, s’il peut, un bon politique, de se servir avec habileté des circonstances, voire de s’y plier dans l’intérêt de sa foi, mais à une condition : c’est qu’il ne paraisse jamais réduire ou limiter le domaine où cette foi doit s’exercer et qui est, par définition, universel, ni faire à ses adversaires l’abandon de ses propres principes et se diriger d’après les leurs. L’Église étant, aux yeux de Veuillot, la vérité et, par suite, l’empire du monde lui appartenant, l’esprit laïque, c’est-à-dire l’esprit libéral, qui se défie d’elle et qui prétend la cantonner dans le secret des temples ou du foyer domestique, apparaît nécessairement à Veuillot comme l’esprit d’erreur.

La vérité est une, et c’est pur sophisme de distinguer l’esprit qui convient aux prêtres et celui qui convient aux simples fidèles. On parle des droits de l’État, et de les défendre contre l’Église, comme si l’Église n’était pas seule compétente pour définir et fixer tous les droits, y compris ceux de l’État. Un doctrinaire, un catholique libéral, un gallican, est un homme qui, renversant l’ordre des choses, remet à l’État le soin de définir les droits de l’Église. Écoutez Veuillot qualifier l’attitude du duc de Broglie en 1840, dans un des épisodes de la lutte entre l’Église et l’Université : « Il n’y a rien de plus remarquable, dans le rapport de M. de Broglie, que son dédain fastueux pour les réclamations de nos évêques. Malgré l’impartialité qu’il étale, le noble pair n’a pu prendre sur lui de déguiser cette passion qu’il éprouve au même degré que nos ministres en exercice, cette passion gouvernementale et doctrinaire qui ne veut pas que les évêques s’occupent des affaires de l’Église et s’en occupent publiquement d’une autre façon que le pouvoir ne le désire. » Et, trente ans plus tard (car, là-dessus, Veuillot n’a jamais varié) : « Nous n’ignorons pas que, selon la doctrine catholique libérale, la politique est une chose et la religion en est une autre, et que tout homme a le droit de faire ou l’une ou l’autre de ces deux choses, ou de faire l’une et l’autre à part, et même contradictoirement, mais n’a jamais le droit de les confondre. Nous disons, nous, qu’aucun des hommes qui croient ainsi n’est du nombre de ceux qui sauvent les peuples… »

Je me figure qu’ici encore son tempérament « peuple » se retrouve. Un gallican, un doctrinaire, un catholique libéral, c’est d’abord, à ses yeux, un homme qui se trompe. Mais c’est aussi, le plus souvent, un bourgeois riche et « bien pensant » — ce qui ne veut nullement dire un vrai chrétien. — C’est un avocat, un politique de métier, un jurisconsulte disputeur, plein d’orgueil et de défiance, peu fraternel aux hommes, imprégné du vilain esprit laïque des légistes de l’ancienne monarchie ; — ou bien encore un jeune homme élégant et un peu pédant, membre de la conférence Molé, d’existence luxueuse, et pour qui la foi est si peu le tout de la vie que ses mœurs ne sont pas chrétiennes, bref, quelque chose comme le Henri Mauperin des Goncourt ; — ou enfin quelque prêtre « éclairé » et tolérant, trop soigné dans sa mise, trop attentif à plaire, qui a fini par voir dans l’Église une branche de l’administration et par se considérer lui-même comme un fonctionnaire en soutane. J’imagine qu’involontairement (car les idées, chez lui, se faisaient concrètes avec une singulière rapidité), il se représentait le prêtre « libéral » sous les espèces de celui qu’il apostrophe dans les Libres Penseurs, au chapitre des Tartufes : « Pour Dieu ! monsieur l’abbé, ou ne dites plus la messe et ne portez plus ce titre d’abbé, ou habillez-vous en prêtre, et vivez en prêtre… Malheur à vous, race fausse, prêtres mondains, non seulement stériles, mais qui, par votre seul aspect, frappez souvent de stérilité le travail des autres ! Malheur à vous, qui êtes un argument dans la bouche de l’impie ! »

Les différences essentielles d’esprit ou de tempérament par où se séparent de nous les autres hommes, nous les percevons avec plus de colère chez ceux qui professent extérieurement les mêmes doctrines que nous. On enrage d’avoir raison contre ceux qui se réclament de nos propres principes. Et c’est ainsi que, dans l’amer chapitre où il nous raconte les métamorphoses de Tartufe depuis la fin du XVIIe siècle jusqu’à nos jours, Veuillot n’hésite pas à faire finir l’« imposteur » dans la peau d’un « catholique sincère, mais indépendant », c’est-à-dire d’un catholique libéral.

Un épisode caractéristique de cette lutte fut la prise d’armes de Veuillot contre les classiques païens. Il jugeait qu’un peuple baptisé devrait restreindre leur part dans l’éducation de ses enfants, et agrandir celle des auteurs chrétiens. Il osait croire que la pratique de Lucrèce, d’Horace et d’Ovide, de Cicéron, de Sénèque et de Tacite, n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus propre à former des âmes vraiment chrétiennes. Et, en effet, si je consulte là-dessus ma propre expérience, je sens très bien que ce que les classiques de l’antiquité ont insinué et laissé en moi, c’est, en somme, le goût d’une sorte de naturalisme voluptueux, les principes d’un épicurisme ou d’un stoïcisme également pleins de superbe, et des germes de vertus peut-être, mais de vertus où manque entièrement l’humilité. Il est assurément singulier que, depuis la Renaissance, la direction des jeunes esprits ait été presque exclusivement remise aux poètes et aux philosophes qui ont ignoré le Christ. Il est étrange qu’aujourd’hui encore, et jusque dans les petits séminaires, des enfants de quinze ans aient entre les mains la septième églogue de Virgile, — et la deuxième. Les conséquences de cette anomalie, que personne n’aperçoit, sont, je crois, incalculables. Il n’y a pas lieu de s’étonner que les collèges des jésuites sous l’ancien régime aient produit tant de païens et de libres penseurs, y compris Voltaire.

Or Veuillot, dans cette occasion, eut contre lui tout le monde, et notamment la plupart des prêtres. Tant il avait raison, et plus encore qu’il ne croyait ! Tant il est vrai que notre société n’est plus chrétienne que d’étiquette, et tant l’éducation par les païens y pétrit le cerveau même de ceux qui sont préposés par état à la garde de la vérité religieuse !

Comment eût-il pu s’entendre avec ces parlementaires, ces avocats, ces bourgeois, et ces évêques demi-chrétiens qui craignaient, au fond, de passer pour des cléricaux ! Un moment, il se rencontre avec eux pour revendiquer la liberté de l’enseignement ; mais il est vite dégoûté par leurs concessions et leurs habiletés de politiques. Il demandait, lui, tout ou rien. Après le coup d’État, il est contre eux, et pour l’Empire, en homme aux yeux de qui l’intervention directe de la Providence dans les événements de ce monde est une réalité vivante. Il est contre eux dans la question de l’infaillibilité du pape. Et là encore je ne saurais dire à quel point, comme catholique, il me paraît être dans le vrai. Les autres étaient si entêtés du régime parlementaire, qu’ils le voulaient même dans l’Église ; préoccupés d’ailleurs de « garder une mesure », de demeurer des « hommes d’aujourd’hui » jusque dans leur croyance. S’ils avaient osé, ils eussent confessé que l’infaillibilité du pape offusquait leur raison. Que l’instinct de Veuillot était plus sûr ! Il sentait que le dogme de l’infaillibilité aurait pour effet de grandir la situation morale du pontife, de le mettre décidément au-dessus des souverains, de lui rendre quelque chose de son rôle d’autrefois, de son rôle d’arbitre suprême entre les rois et les peuples ; que ce dogme, qui semblait aux « libéraux » rétrograde et gothique, ouvrirait à la papauté une ère de rajeunissement et de puissance renouvelée.

Cela contentait en même temps, chez Veuillot, ce besoin de certitude qui était sa maladie, en concentrant dans un seul homme le phénomène de la Révélation continue ; et cela satisfaisait aussi ses instincts de démocratie spirituelle : il pensait que rapprocher le pape de Dieu, c’était le rendre au peuple. Nous voyons qu’il ne s’est pas trompé. S’il eût vécu, les façons de Léon XIII l’eussent d’abord un peu surpris ; il eût regretté Pie IX, si bon, si généreux, et qui l’aimait tant. Mais l’Encyclique du nouveau pape sur la question ouvrière eût répondu à ses plus chères pensées. Personne, au reste, mieux que M. Eugène Veuillot n’avait qualité pour exprimer les sentiments posthumes, si je puis dire, du fondateur de l’Univers, et l’on sait quelle a été, dans ces derniers temps, la conduite de M. Eugène Veuillot.

Jamais Louis Veuillot n’a lié le sort de la vérité éternelle à celui d’aucune puissance passagère. Il a penché pour la monarchie, traditionnelle ou non, dans le temps et dans la mesure où cette forme de gouvernement lui a paru plus favorable aux intérêts de la religion. Mais il a été contre le régime de Juillet, et contre l’Empire, du jour où l’Empire a trahi l’Église. Ce qu’il a combattu et haï dans la République, ce ne fut jamais la République, mais l’impiété : et, quand il appelait de ses vœux Henri de Bourbon, il n’exigeait point pour ce prince le titre de roi. Toutes ses variations apparentes s’expliquent par l’immutabilité même de sa pensée. Sur Montalembert, Falloux, Lacordaire, Dupanloup, — et sur l’empereur Napoléon III, — et sur beaucoup d’autres, vous le trouverez, tour à tour, débordant de sympathie et d’amertume. Ce n’était pas Veuillot, c’étaient eux qui avaient changé, ou c’étaient les circonstances qui lui montraient ces hommes sous de nouveaux aspects. C’est donc être fort superficiel que de l’accuser de versatilité, comme on a fait. Sa vie me semble, au contraire, admirable et presque surnaturelle d’unité.


VIII

Une autre accusation qu’on ne lui a pas ménagée, c’est d’avoir été un polémiste non seulement violent, mais brutal, mais grossier, mais outrageant, mais cynique. Cette accusation retarde. Elle ferait sourire si l’on comparait la polémique de Veuillot à celle qui s’étale aujourd’hui dans nos gazettes. Violent, certes, il l’était ; grossier et injurieux, je n’y consens pas. Il connut l’ivresse de la bataille, et cette espèce d’exaltation que donne l’impopularité aux âmes bien trempées : mais il n’a jamais combattu dans les hommes que les idées dont ils étaient les représentants, et il ne les a entrepris que sur ce qu’ils avaient livré eux-mêmes de leurs pensées et de leurs personnes. Il a fait, de quelques-uns, de terribles silhouettes « publiques » : jamais il ne les a offensés dans leur vie privée. Tout ce qu’on peut lui reprocher, c’est d’avoir été trop porté à taxer de mauvaise foi ceux qu’il croyait dans l’erreur : mais il est clair qu’en cela il était lui-même de bonne foi. Que s’il a pu lui échapper çà et là quelque allusion désobligeante et gamine aux imperfections plastiques de ses adversaires et à la forme de leur nez, ce sont là, avouons-le, de minces peccadilles, et Dieu sait si l’on se privait de lui rappeler, à lui, qu’il n’était pas joli, joli, et que la petite vérole lui avait quelque peu gâté le visage. Avant de reprocher à Veuillot la violence de sa polémique, il faudrait voir comment il a été traité lui-même pendant quarante ans. Et vous ne me ferez pas croire que c’est toujours lui qui a commencé.

Oui, ce fut un railleur et un peintre redoutable. Mais d’abord, beaucoup de ses portraits (Greluche, Ravet, Tourtoirac, Barbouillon, Galvaudin, Pécora, le Narquois, le Respectueux, etc., etc.) sont anonymes, s’élèvent à la généralité de types. Dans les autres cas, lorsqu’il empoigne et se met à déshabiller, à tenailler, à désarticuler, à démantibuler un homme, que ce soit Thiers, Girardin, Havet, Jourdan, Eugène Suë, Hugo et les fils Hugo, Lamartine même, ou telle vieille barbe de 48, ou tel sinistre pantin du 4 septembre, ou le vieux Pyat, ou Edmond About, ou Henri Rochefort (ah ! les belles exécutions ! et comme on est souvent avec lui ! et comme souvent il fouaille juste !), vous ne le surprendrez jamais, je le répète, à se servir contre ses victimes d’autre chose que leurs paroles et leurs actes publics, d’autre chose que ce qui le blesse et l’outrage, lui, dans sa foi. Ses haines les plus féroces ne sont que l’envers de l’amour, et ses colères sont celles de la charité. À le bien prendre, il n’a point de haines personnelles, et ce n’est pas uniquement parce qu’il le dit que je le crois.

… Quant aux haines personnelles, je les ignore. Nul homme n’avancera dans la vie sans connaître qu’il doit être indulgent envers les autres hommes… Combien plus aisément s’apaisent les griefs particuliers ! J’étais d’ailleurs peu fait pour les ressentir, et trente années de polémique ont anéanti en moi cette faculté dont la nature ne m’avait que médiocrement pourvu. L’idée que je me fais de la haine est celle d’une étrange bassesse par laquelle le haineux s’asservit stupidement au haï. Toute espèce de haine me semble totalement ridicule, sauf une qui est totalement abominable : la haine du bien.

Il a sur lui-même d’émouvants retours. Quand il parle de son œuvre, il a la modestie la plus charmante, une modestie qui n’est plus guère de ce temps-ci, où la vanité littéraire a perdu toute pudeur ; et quand il parle de sa personne, il a l’humilité la plus vraie. J’en pourrais ici multiplier les témoignages. En voici un que je prends véritablement au hasard :

… Non, je n’adresse point à Dieu… les coupables actions de grâces du pharisien. Je ne me crois pas meilleur que cette foule qui rampe autour de moi, cherchant l’or et la volupté. Les mêmes instincts sont dans mon âme ; ils me pressent, ils me tourmentent. Lorsque, paisible, je regarde avec pitié le triste troupeau qui se rue, à travers la fange, sur l’appât des convoitises humaines, tout à coup mon pied glisse, d’humiliants désirs se soulèvent et me rappellent la boue dont je suis fait. Plusieurs, m’écoutant parler, disent : « Celui-ci gagnera le ciel… » Et moi, je voudrais monter sur une tour, et crier d’une telle voix que tous les chrétiens qui sont dans le monde puissent l’entendre : « Oh ! mes frères, mes frères, priez pour moi, je vais périr ! » Mais, si mon âme est faible, elle a du moins embrassé une loi forte ; si elle penche à de vils désirs, elle aime pourtant une loi sainte et pure ; si je me rends coupable dans mon cœur, du moins je ne veux point devenir la pierre où trébuche le pied de l’innocent. Je ne suis point la voix qui gâte le peuple ; je condamne mes fautes et je ne cherche pas, en les justifiant par d’abominables théories, à faire des complices et des victimes…

Continuellement, chez lui, sous l’auteur on retrouve l’homme, et cela est un charme.

Une autre séduction, pour nous, de son œuvre de polémiste, c’est que, catholicisme mis à part, il montre souvent un esprit plus libre, plus « avancé », et — faisons-nous ce compliment — plus rapproché du nôtre que ses adversaires habituels, les routiniers du parlementarisme et de l’impiété bourgeoise. Tandis qu’il s’attache à la vérité éternelle, maintes fois il rencontre la vérité de demain, la vérité généreuse et hardie. Héraut d’une minorité vaincue d’avance, honnie, enserrée d’hostilités croissantes, son rôle fut constamment un rôle de protestation, et son attitude générale est, comme nous avons vu, celle de la révolte. Or, cela ne nous déplaît point. Ce catholique a passé sa vie à combattre quantité de despotismes et d’hypocrisies, et nul n’a plus fréquemment ni plus fortement parlé au nom de la liberté que ce « jésuite », ce « sacristain », ce suppôt de la tyrannie de l’Église. Il a arraché beaucoup de masques, que sans doute on a remis depuis, mais qui ne tiennent plus aussi bien. Il lui a été excellent d’être un vaincu et, dans quelques circonstances, un persécuté : cela lui a donné beaucoup d’idées, et de fort belles. Nombre de ses invectives sont reprises aujourd’hui par des hommes très éloignés de lui par leur foi. Contre le régime de centralisation à outrance issu de la Révolution et de l’Empire, contre l’esprit jacobin, la tyrannie de l’État, la bureaucratie, les chinoiseries administratives, et contre ce qu’il y a, dans l’individualisme moderne, de funeste à la démocratie même, il abonde en magnanimes fureurs et en sarcasmes clairvoyants. On pourrait presque dire qu’il a répandu dans ses articles et ses pamphlets ce que Taine devait ordonner en un corps de théorie dans les derniers volumes de ses Origines de la France contemporaine.

Et Taine eût approuvé, dans son ensemble, le « projet de constitution » que Veuillot écrivit un jour pendant le siège de Paris. À mon avis, Veuillot s’y révèle grand libéral (au sens vrai de ce malheureux mot), bon philosophe, bon psychologue. Il considère la France comme un organisme vivant et qui a un passé. Sa « solution » est exactement le contraire de la solution jacobine et napoléonienne. Tout ce projet est à lire et à méditer. En voici quelques paragraphes :

Le Régent convoquera une assemblée nationale constituante, élue par le suffrage universel.

Les bases morales de la constitution seront la religion, la famille, la propriété, la liberté.

Les bases politiques seront le suffrage universel, l’hérédité de la fonction suprême, la division du territoire en grandes agglomérations territoriales correspondant aux anciennes provinces.

Chaque province ou État s’administrera librement par ses élus, depuis la commune jusqu’à la subdivision départementale et jusqu’à la division provinciale ou État.

La province aura sa magistrature, son budget, sa milice, son université ou ses universités. Elle ne subira de contrôle que celui de l’assemblée générale, et sur les seuls points qui intéresseraient l’unité nationale…

On est électeur à vingt-cinq ans, éligible à trente. Pour être électeur et éligible, il faut être chef de famille. Le célibataire doit payer un cens, à moins d’exemption prévue par la loi.

Le citoyen jouit de la liberté de tester.

Liberté d’association religieuse et civile…

Les corporations ouvrières existent de droit ; elles choisissent leurs officiers, font leurs règlements et exercent leur police intérieure.

La commune et la corporation sont nécessairement propriétaires, et la loi les oblige d’avoir, partie en fonds immobiliers, partie en rentes, au moins de quoi suffire à un établissement hospitalier, selon leur importance, etc.

Il est très beau, ce projet. Je ne pense pas qu’aucune constitution puisse être plus respectueuse de la dignité humaine, ni à la fois plus favorable au développement de l’initiative individuelle et de la « vie en commun », ni mieux faite pour préparer la solution pacifique et graduelle de la « question sociale ». Oui, je suis persuadé que ce serait le salut… Seulement nous y tournons le dos. Un trop grand nombre d’entre nous ont le virus jacobin dans les moelles. Et il n’est pas bien sûr que Dieu ait fait « les nations guérissables ».

Êtes-vous curieux de connaître l’article de cette constitution qui concerne l’Église catholique ? Veuillot lui accorde « toutes les latitudes du droit commun », le droit de posséder, d’acquérir, d’hériter ; l’usage de son droit particulier, de ses tribunaux intérieurs, la liberté de la charité, la liberté d’enseignement à tous les degrés ; le droit de fonder des universités canoniques, une au moins par province. Il admet, il désire la séparation de l’Église et de l’État. « Les propriétés de l’Église sont soumises aux charges communes, et elle devra, dans un temps et moyennant les dispositions transitoires nécessaires, subvenir aux dépenses du culte. »

En somme, il réclame pour l’Église « toute la liberté ». Pensait-il que l’Église est aujourd’hui encore une si grande puissance morale que lui assurer toute la liberté c’est presque lui assurer la domination ? Peut-être ; et c’est pour cela précisément qu’il n’a jamais souhaité, même en rêve, ni gouvernement théocratique, ni religion d’État (il est très net sur ce point), rien ne devant être plus fort que l’Église libre sous la loi commune. Toutefois, certains articles de son projet impliquent que l’État a le devoir de reconnaître, sinon la vérité de la doctrine catholique, du moins le caractère vénérable et bienfaisant de cette doctrine et de lui assurer le respect public. Mais songez que ce traitement spécial, — au cas où il vous plairait d’y voir une atteinte indirecte à la liberté de conscience, — c’est dans un projet tout idéal que Veuillot le sollicite. Ne nous hâtons donc point de crier à la tyrannie cléricale.

Oh ! je connais bien le fond de sa pensée, et je sais que, dans son Icarie, le citoyen serait moins « libre » que l’Église ; je veux dire qu’il n’aurait la pleine liberté ni de l’« immoralité » ni de l’« impiété » publique. Je n’ignore pas que, si Louis Veuillot eût vécu quelques années de plus, certaines pages qu’il m’est arrivé d’écrire eussent pu, encore qu’assez innocentes, exciter son indignation. Il m’eût maltraité, comme tant d’autres, moi qui l’aime tant (et je sens que je ne lui en aurais pas voulu). Les lois de sa république ne nous permettraient pas d’écrire tout ce que nous voulons et nous retrancheraient, par conséquent, un de nos plus chers plaisirs. Et cependant, quand j’y réfléchis, je soupçonne que ce n’est pas peut-être ce qu’il y a de meilleur en moi qui serait gêné par ces prohibitions. Et puis, par un sentiment que je conçois mal, j’ai toujours été tenté d’accorder sur moi, à ceux dont la foi est absolue, des droits que je ne me reconnais pas sur eux. À condition, bien entendu, qu’ils me laissent penser et parler à ma guise dans mon privé. Heureusement, d’ailleurs, les personnes de foi absolue n’ont pas toutes la même. Grâce à cela, nous sommes, nous, tranquilles. Pour le surplus, je m’accommoderais assez de la république de Veuillot.

Sa Constitution est humaine. Si elle peut gêner sur quelques points les riches et les lettrés, elle multiplie les supports, matériels et moraux, autour des humbles. Que dis-je ? j’eusse accepté sa Constitution entière, pourvu qu’il fût chargé lui-même d’en appliquer, en ce qui me concerne, les règles restrictives. Veuillot était bon, Sainte-Beuve lui rend cette justice. Veuillot a parlé du peuple, en maints endroits, avec la plus profonde tendresse, et de la dignité des pauvres avec la grâce de saint François d’Assise. Tout l’essentiel des écrits évangéliques de MM. de Vogüé et Paul Desjardins sur le summum bonum qui est le renoncement, vous le découvrirez en feuilletant les Libres Penseurs, Çà et là et le Parfum de Rome. Il avait l’âme grande. Il faut lire, dans Çà et là (II, 217-267), le chapitre De la noblesse. Ses idées sur ce qui fait la vraie « noblesse » de la vie sont d’une ravissante pureté et d’une fierté tout héroïque. Il a l’âme ardemment française. Les pages que lui inspira la guerre de Crimée sont de la plus haute et de la plus chaude éloquence. C’est peut-être le seul moment de sa vie politique où il ait eu la joie de ne point se sentir isolé et suspect et de pouvoir communier avec toute la France. Il a la haine atavique et instinctive, mais aussi raisonnée et chrétienne, de l’Angleterre et de l’esprit anglais. Car son patriotisme et sa foi ne font qu’un, et souvent sa foi a fait son patriotisme singulièrement clairvoyant : contre la Prusse, contre l’Italie. Enfin, ce fut un idéaliste exquis. Nul n’a mieux compris ni exprimé que c’est par l’âme que nous sommes grands et que « c’est de là que nous nous relevons ». (Pascal.) Nul n’a embelli de plus de dignité intime les soumissions volontaires aux indispensables hiérarchies extérieures qu’il croyait établies ou consenties par Dieu pour le bien du monde. Sans illusion ni sur les représentants ni sur le fondement humain de l’aristocratie, aussi impitoyable aux « mauvais nobles » qu’aux « mauvais prêtres », c’est lui qui, à propos d’un domaine dépecé par un gentilhomme de boulevard et de cabinets de nuit, écrit ces lignes, où se révèle délicieusement la qualité de son âme :

Je ne peux prendre mon parti de ces décadences de la noblesse. C’était une institution si belle, le pauvre petit peuple en avait si grand besoin ! Il me semble que ce grand seigneur qui a vendu à la bande noire sa terre, son château, ses papiers de famille, m’a trahi personnellement.

Je sens en moi une singulière pente, singulière du moins en ce temps. J’ai l’esprit de roture comme je voudrais que les gentilshommes eussent l’esprit de noblesse. Si je pouvais rétablir la noblesse, je le ferais tout de suite et je ne m’en mettrais pas. Je voudrais travailler pour mon compte à rétablir la roture.

En vérité, j’ai joué un rôle de dupe, si je n’y regarde qu’avec l’œil de la raison humaine. J’ai défendu le capital sans avoir eu jamais un sou d’économies, la propriété sans posséder un pouce de terrain, l’aristocratie, et j’ai à peine pu rencontrer deux aristocrates ; la royauté, dans un siècle qui n’a pas vu et ne verra pas un roi. J’ai défendu tout cela par amour du peuple et de la liberté, et je suis en possession d’une réputation d’ennemi du peuple et de la liberté, qui me fera « lanterner » à la première bonne occasion. Cependant ma pensée est droite et logique : mais j’ai trop cru au devoir, et j’en ai trop parlé.

C’est la seule chose qui me console, quand je considère, hélas ! tout ce que je n’ai pas fait.

J’ai quelque idée que, si Veuillot vivait encore, il préférerait le moment où nous sommes, malgré ses misères inouïes, à l’époque de la monarchie de Juillet ou aux dix dernières années du second Empire. Il verrait avec espoir la fin prochaine de ce qu’il a le plus haï, la fin du parlementarisme bourgeois et du catholicisme libéral, et de malentendus et de mensonges également compromettants pour la liberté et pour la religion. Plus menaçante, la situation actuelle lui paraîtrait plus nette. Il serait content, comme Ajax, de combattre dans plus de lumière, fût-ce dans une lumière d’orage. Il penserait que le rationalisme révolutionnaire, étant plus près de porter ses derniers fruits, est plus près de se juger lui-même par là, et que de sa tragique banqueroute peut sortir notre salut.

Certaines inquiétudes morales de ce temps lui sembleraient d’un heureux augure : il les jugerait semées dans les esprits par une suprême «  prévenance » de la bonté divine. Il prendrait enfin son parti, sans trop le dire, — comme fait le Souverain Pontife tout le premier, — de la destruction du pouvoir temporel, qu’il sentirait voulue de Dieu. Il comprendrait que cette destruction et l’affaiblissement de ses liens avec le gouvernement politique des peuples est moins pour l’Église une perte qu’un allègement ; que le catholicisme reprend ainsi son vrai caractère, et que l’annonce de l’éternelle « bonne nouvelle » en peut devenir plus libre et plus efficace. Il n’aurait pas de peine à conformer son apostolat à ce nouvel état de choses ; et, en s’inquiétant avec une charité grandissante de l’âme des petits et des ignorants, il n’aurait pas à changer son attitude…

Voilà bien des raisons pour l’aimer. Mais, si vous lisez sa Correspondance, vous ne vous en défendrez plus du tout. Vos préjugés contre l’homme, si vous en avez, tomberont. Cette correspondance me paraît être, avec celle de Voltaire, — pour des raisons combien différentes ! — la plus extraordinaire qu’ait laissée un homme de lettres[1]. Là, vous le connaîtrez tel qu’il est, et tout entier. Vous serez étonné de la prodigieuse activité de ce cerveau et de la parfaite bonté de cette âme. Vous y goûterez autre chose qu’un plaisir d’amusement, car l’homme, le chrétien et le publiciste ne se séparent guère chez Louis Veuillot, et des idées d’importance et toute sa vie publique s’entrelacent, dans ces causeries, aux détails de ménage et de pot-au-feu. Mais surtout les « lettres à sa sœur » vous seront un délice. (Je voudrais mettre aussi à part les lettres à Olga de Ségur, plus tard comtesse du Pitray.) Vous y aimerez tout : le naturel, la simplicité des moeurs, la bonhomie, l’esprit, le comique, — ce comique invincible qui secouait sur sa base mon bon maître Sarcey, un jour que j’étais chez lui et qu’il lisait le morceau sur les douches ascendantes, à moins que ce ne fût la conversation avec le dentiste ; — et les portraits et les paysages en trois coups de plume, et mille traits spontanés d’un pittoresque intense ; et toutes les vertus que trahissent ces libres expansions, la fierté, le désintéressement, l’indépendance, l’éloignement du monde, la douceur patriarcale envers les serviteurs, et la charité, et les larges aumônes, et la libéralité («…N’oublie jamais qu’un chrétien doit être humble, mais magnifique. » À son Frère, I, page 284) ; et la grâce partout répandue, et, — comme il ne visite guère en voyage que des chrétiens comme lui et des gens d’église ou de couvent, — un sentiment difficile à comprendre pour les profanes, le sentiment d’une sorte de franc-maçonnerie spirituelle, d’une sécurité sereine et très douce dans la communauté des croyances. Vous estimerez la beauté simple de sa vie domestique, la profondeur de ses affections familiales, et son immense labeur, et son courage allègre à le porter. Vous penserez que celui-là fut un vaillant et un tendre. Et vous connaîtrez quelle forte vie intérieure eut ce grand homme d’action ; vous verrez comment il porta la douleur (il perdit en quelques années sa femme et trois filles, et une des deux autres se fit religieuse), et vous jugerez comme moi que les lettres qu’il écrit sur ses filles mortes et à sa fille cloîtrée sont de purs diamants de spiritualité, atteignent au sublime du sentiment religieux et sont assurément parmi les plus incontestables chefs-d’œuvre de la prose chrétienne, — et de la prose sans épithète. J’ose dire qu’aux heures douloureuses il y eut, chez Louis Veuillot, de la « sainteté ».


IX

Il y eut aussi de l’« humanité », et largement. Prenez à la fois le mot dans le meilleur sens, et dans l’autre. Il faut pourtant bien que je finisse par avouer, — au moins une fois, — que, dans l’échauffement de la lutte, Veuillot eut des violences, des injustices, et des erreurs à demi volontaires sur la qualité morale des personnes contre qui il combattait. Plus d’une fois il m’a désolé par la façon dont il traite des gens pour qui j’ai de l’indulgence, de la sympathie, ou même du respect. — Mais il eut en même temps des « faiblesses » charmantes. Une de celles dont je suis le plus touché, c’est son amour pour la littérature. Il écrit un jour à sa sœur : « Tout pour Pierre (le pape), rien pour Pétronille (la littérature). Seigneur ! vous savez si j’ai aimé cette femme-là. »

Oh ! oui, il l’a aimée, — avec crainte, avec remords ; car il savait bien qu’aux yeux d’un chrétien elle ne doit être qu’un instrument : mais, tremblant toujours de l’aimer pour elle-même, il l’adorait avec d’autant plus de passion. Il lui arrivait à chaque instant d’être séduit comme artiste par ce qu’il était tenu de réprouver comme chrétien ; et de là de réelles angoisses.

Son goût, lorsqu’il reste spontané, est à la fois très large et très pur. Il a eu cette chance que, n’ayant point fait d’études régulières, il a pu aborder les classiques d’une âme libre et neuve et, par suite, les sentir du premier coup. Et, comme un grand nombre d’entre eux sont plus ou moins pénétrés d’esprit chrétien, il ne fut pas trop gêné ensuite par ses croyances dans les jugements qu’il porte sur eux. Le chapitre de critique, ensemble chrétienne et impressionniste, qui termine Çà et là, est excellent et original. Veuillot nous y fait l’histoire de ses lectures. On y voit en plein ses préférences instinctives. Il aime Corneille, et surtout le Cid, Racine, et surtout Phèdre. Plus tard, les tragédies de Racine le faisaient pleurer, ce dont je lui sais particulièrement gré, et il écrivit, dans les Odeurs de Paris, des pages singulièrement pénétrantes sur Britannicus. Dans Saint-Simon, l’écrivain lui plaît, mais l’homme lui est odieux. «… Certes ses Mémoires sont un beau pays, et plantureux à merveille : mais il y a des fondrières et des bêtes venimeuses, et je n’aime pas à me promener en compagnie de ce duc enragé… Tout le jour courbé comme le plus souple courtisan, il éponge les souillures et les scandales ; il se sature et, le soir, il dégorge en flots de lave… Il se cache, il fabrique ses prétendues histoires en secret comme on fabrique de la fausse monnaie… On ne connaît aucun autre exemple d’une telle force ni d’une telle lâcheté… » Lisez tout le morceau, qui est superbe, et où se révèle une fois de plus une âme vraiment noble et bonne (j’y reviens toujours). — Il adore Sévigné et lui passe tout. Chose remarquable, il aime peu Molière et son naturalisme ; il le voit déjà comme le verra M. Brunetière. Il n’aime pas La Rochefoucauld (« c’est un précieux peu aimable et peu sincère »), ni Montaigne. Il aurait plutôt un faible secret pour Rabelais. Il témoigne plus de respect que d’affection à Pascal, dont la foi est trop inquiète pour lui. Mais Gil Blas est « le premier livre qui le dégoûta de la littérature du XVIIIe siècle ». L’écrivain qu’il aima le plus quand il commença à savoir lire, ce fut La Bruyère, et son style en demeura pour toujours imprégné. Devenu chrétien, il fut plein de Bossuet. Vous entrevoyez ses naturelles origines littéraires. Veuillot est un classique, d’« écriture » à la fois traditionnelle et audacieuse.

Du XVIIIe siècle, il exècre, et comme chrétien et, par suite, comme littérateur, à peu près tout, — sauf les romans de Mme  Riccoboni. Tout ce qu’il peut accorder à Voltaire, c’est que « sa prose est jolie ».

Sur Chateaubriand : « Il a tenu et mérité une grande place, mais ce n’est pas mon homme. Ce n’est ni le chrétien, ni le gentilhomme, ni l’écrivain tels que je les aime ; c’est presque l’homme de lettres tel que je le hais », etc.

Sur les écrivains du XIXe siècle, il est partagé presque douloureusement. Il n’en est presque pas un sur qui son jugement ne soit double, selon les ouvrages, et aussi selon qu’il les juge davantage avec sa conscience ou avec son goût. Je n’apporterai en exemple que ce qu’il dit de Sand et de Hugo. — Il a, sur la philosophie de George Sand, sur ses femmes émancipées et sur ses catins penseuses, des railleries impayables et impitoyables :

… Il paraît à la comtesse, dès le second entretien, que cette

infinie vague, dont le sentiment la tourmente, prend des épaules et qu’elle sait à quoi s’en tenir… Guillaume est taillé en valet de ferme ; et, je le jure, la comtesse Isidora l’estimerait mince penseur s’il était fluet.


Mais, là même, il a des indulgences :

… C’est toujours George ; et, l’histoire commencée, je suis allé jusqu’au bout. Daniel (Stern) ne me mènerait pas si loin.

Et, après avoir conté l’histoire de la courtisane Afra, qui devint chrétienne et fut martyre :

Mets de côté ta passion, tes systèmes et tes livres, ô George. J’en appelle à cette meilleure part de toi-même, qui t’élève quelquefois au-dessus de tant de misères, j’en appelle à ton génie, qui t’a permis souvent de voir, de sentir et d’admirer ce qui est grand, et beau, et pur. Que dis-tu de cette courtisane ? Ne trouves-tu pas, comme moi, qu’elle vaut bien ton Isidora, et que la foi chrétienne s’entend à relever les âmes encore mieux qu’Helvétius et Rousseau ?

Et ailleurs, et à diverses reprises, il déclare carrément : « Mme  Sand est un grand écrivain. »

De même, personne n’a sans doute, à l’occasion, déchiqueté Victor Hugo avec plus de férocité. Mais, à considérer l’ensemble de ses appréciations, il lui rend justice. N’est-ce pas Veuillot qui a dit que la Chanson des Rues et des Bois est « le plus bel animal de la langue française » ? Il a parlé dignement, et des Contemplations, et de la première partie des Misérables. Et un jour, en 1870, s’étant remis à feuilleter l’œuvre de l’énorme poète, il écrit magnifiquement :

M. Hugo a été « l’homme moderne » plus qu’aucun autre contemporain. Entre ceux qui n’ont qu’un cerveau et ceux qui n’ont que des sens… il est l’homme vrai… On ne trouve point cela chez Lamartine, qui est un orgue ; ni chez Musset, qui est un oiseau… M. Hugo est plein de feu, de sang et de larmes. Il se sent vivre et il se sent mourir… Il prend l’énigme au sérieux ; il va au sphinx, il l’interroge parmi les débris de ceux qui furent dévorés. Il a été vaincu… Quiconque voudra l’étudier le plaindra. Il est plus vaincu que d’autres parce qu’il pouvait mieux vaincre. Les ossements qu’il a laissés sont d’un géant.

Et vous comprendrez mieux la magnanimité de ce jugement, si vous vous souvenez du vers abominable où Victor Hugo avait insulté Louis Veuillot dans sa mère.

Vers la fin du joli chapitre de critique de Çà et là, Veuillot, après quelques jugements sévères sur la littérature de ce temps, rentre en soi :

Je ne crains pas que l’on m’ahonte en m’opposant à moi-même le peu que je vaux. Je connais ma faiblesse. Si je n’aimais la vérité, je me condamnerais au silence ; mais la vérité a encore sa force dans les plus humbles voix, et elle commande la hardiesse aux plus humbles esprits. Sa lumière me remplit d’une aversion sans borne pour les chefs-d’œuvre d’un art où je ne suis qu’un pauvre vieil écolier, lorsque ces chefs-d’œuvre n’ont pas la marque du vrai…

Cette aversion avait ses défaillances. Veuillot céda souvent à la tentation de pardonner beaucoup au talent. Il aima Musset, il ne détesta point Gautier ; il adora Sainte-Beuve, sans le dire tout à fait. Et que d’autres on sent qu’il n’ose pas aimer ! Je crois bien qu’il ne fut sans entrailles, même littéraires, que contre Renan. Et je songe : « Quel pauvre être de volupté suis-je donc, moi, pour aimer à la fois, — et peut-être également, — Renan et Veuillot ! »

X

Telle fut, chez le bon soldat de Pierre, la secrète morsure de passion pour « Pétronille » qu’il glissa au plaisir et qu’il trouva le temps d’être lui-même, on le sait, poète et romancier.

Ses vers (les Satires et les Couleuvres) sont intéressants, souvent très beaux. Mais, quand ils le sont, c’est généralement à la façon de très belle prose. C’était le caprice d’un esprit curieusement « traditionaliste » que de ressusciter ainsi la vieille satire en vers, après que le lyrisme romantique avait ruiné les « petits genres » et que le journalisme les avait rendus inutiles. Veuillot procède des versificateurs du XVIIe et du XVIIIe siècle, avec, seulement, une rime plus nourrie, un vocabulaire plus riche, un peu plus d’images et, comme il était naturel, l’accent d’aujourd’hui. Toutefois vous trouverez, du moins dans la première partie des Satires, un rien de pédantisme classique, trop de métaphores héritées des satires littéraires de Boileau, trop de « sifflets » et le pli trop fréquent de renvoyer les mauvais auteurs sur les quais ou chez l’épicier. En revanche, — et cela surtout dans les Couleuvres et dans les poésies du premier volume de Çà et là, — de beaux coups d’aile, un peu brefs ; quelques sonnets merveilleux de relief et d’énergie incisive ; une abondance de vers-proverbes, ou de « vers dorés ». Que dites-vous de ceux-ci (À un jeune homme) :

  Prends garde, en les aimant, d’aimer l’amour des hommes :
  Combats en pardonnant, mais toutefois combats.

En somme, exception faite pour trois ou quatre pièces (la Pâle jeune Veuve…, J’ai passé quarante ans…, le Cyprès, et l’admirable Épitaphe), c’est plutôt dans sa prose que Veuillot est proprement poète, souvent grand poète. Il est remarquable qu’une de ses meilleures pages en vers soit celle où il définit la prose, page succulente et que Sainte-Beuve prisait si haut :

 Ô prose ! mâle outil et bons aux fortes mains !…

Ajoutez que Veuillot ne s’en faisait pas accroire. Il parle de sa manie rimante avec un mélange de modestie à demi sincère et d’inquiétude tout à fait plaisante et « gentille ».

Romancier, il était fort empêché et se chargeait lui-même de prohibitions et de chaînes. D’abord, il n’avait aucune illusion sur l’amour. « Tout ce que j’ai pu observer de cette fameuse passion de l’amour, tant célébrée, me persuade que sa forme la plus fréquente et la plus saisissable est la jalousie… L’amour est, au fond, un très vif sentiment d’adoration pour soi-même… » Il croyait d’autre part que, si on lisait moins de romans, il y aurait, heureusement, moins d’amoureux. Mais au reste il savait le pouvoir contagieux de presque toutes les peintures des passions humaines. Ainsi, il se retranchait volontairement la plus grande part de la matière ordinaire des romans et des drames. Il se condamnait au roman chrétien, au roman d’édification.

Il est très vrai qu’un roman d’édification peut être sincère, émouvant, vivant. Seulement, le public ne le croit pas ; beaucoup de chrétiens même s’en défient par avance. Une des nombreuses étrangetés de ce temps, c’est que le catholicisme soit à peu près absent de la littérature d’un peuple dont la très grande majorité professe encore, s’il la pratique peu, la religion catholique. Mais le plus étonnant, c’est que ce fut ainsi dès le XVIIe siècle, dès le XVIe, et même avant.

Si, pour les neuf dixièmes des « fidèles », la foi n’était chose d’habitude et de convenance, sans nulle action sur la vie morale, il devrait pourtant leur sembler naturel que, dans une histoire de passion combattue, la prière, le chapelet, la messe, la confession même tinssent une place notable. Car, pourquoi, je vous prie, la lutte serait-elle moins intéressante et moins tragique entre le scrupule religieux et la passion qu’entre la passion et, par exemple, les affections de famille ou le sentiment philosophique du devoir ? Ne peut-il tenir autant d’émotion, de trouble, de douleur, de faiblesse et d’effort, et de « drame » enfin, dans l’examen de conscience d’un catholique tenté que dans le monologue d’Auguste ou dans celui d’Hermione ?

Veuillot le pensait, et il osa en courir l’aventure, L’Honnête femme paraît un roman excessivement bizarre, tout simplement parce que c’est un roman catholique. Ce n’est autre chose que l’histoire d’un Joseph dévot et d’une dame Putiphar circonspecte, dans une petite ville de province. Joseph est toujours ridicule, quoi qu’il fasse : jugez quand il se confesse ! Or, Valère se confesse afin de trouver, dans l’absolution, la force de résister aux entreprises d’une femme mariée. Le sacrement de pénitence est le ressort principal de l’action ; le drame tourne sur ce mot : Absolvo te in nomine Patris. Cela se peut-il souffrir ? Sainte-Beuve lui-même ne se tient pas de traiter Valère de dadais… Et cependant, — si je ne m’abuse, — il y a peut-être, aujourd’hui encore, des âmes qui croient à la révélation, au péché, à la grâce et à tout ce qui s’ensuit, et qui luttent, avec larmes et déchirement, contre elles-mêmes, et qui cherchent le secours où Dieu leur a dit qu’elles le trouveraient. Leur trouble, et leur angoisse, et leur courage, et leur espoir et, si vous voulez, leur illusion sont ils donc en dehors de l’humanité ? Et, parce que vous n’avez pas leur foi, vous sont elles plus incompréhensibles et plus étrangères que les âmes de l’antiquité orientale ou hellénique ?

Il paraît que oui ; et je vous abandonne donc ce sacristain de Valère, qui, chaste comme l’Hippolyte d’Euripide, est évidemment plus grotesque, étant catholique romain. Mais, si cette figure vous offense, d’autres ont de quoi vous retenir. Lucile est un type très vrai, et très finement étudié, de reine de petite ville et de coquette hypocrite et prudente. Je l’appellerais Mme  Tartufe si elle n’était d’esprit laïque. Dans la scène de la clairière, quand elle se déchaîne et laisse éclater, sincère enfin et secouant sa fausse vertu, ce qu’il y a dans son coeur bourgeois de désir brutal, d’égoïsme et de « concupiscence » toute crue (car c’est là, pour Veuillot, le résidu de l’amour proprement « passionnel »), je vous assure que c’est très beau. Il est clair ici que Lucile souffre, et l’auteur, malgré tout, a pitié d’elle. Veuillot a refait, et très bien, la scène de Didon et d’Énée, — avant la grotte et avec une autre Rome à l’horizon. N’importe, il y a dans cet entretien une flamme sombre et des motus deordinati, et plus sans doute que l’écrivain ne l’a voulu. Nous avons beau faire : nous ne détestons pas assez Lucile. Lui non plus peut-être. Il est rentré un instant, bon gré mal gré, dans le roman profane. C’est que la Réalité est une grande païenne…

Un autre endroit a de la grandeur : c’est lorsque le curé de Marsailles, ayant absous Valère, s’agenouille à son tour, se confesse à son pénitent, le remercie de l’avertissement courageux qu’il a reçu de lui sur ses prudences de prêtre-fonctionnaire… Mais vous trouverez que ce sublime-là sent trop la calotte, et vous préférerez sans doute ce doux entremetteur d’abbé Constantin. Je ne vous signalerai donc plus que les vifs croquis des notables de Chignac, tracés, je l’avoue, du temps de Paul de Kock, mais vingt ans avant Madame Bovary. Et enfin, il y a Veuillot lui-même, « le petit journaliste », que je vous ai présenté au commencement de cette étude.

Veuillot s’exprime modestement sur l’Honnête Femme :

Oeuvre d’un jeune homme, d’un converti… ce livre appartient pleinement à la classe des fruits verts. Il est gauche, prêcheur, rigoriste, involontairement entaché d’imitation…

Oui ; et, avec cela, qu’il est curieux !

Mais le chef-d’œuvre, la merveille des merveilles, ce sont les quarante premières pages de Çà et là. C’est l’histoire tout unie d’un mariage chrétien. Idylle franchement pieuse, effrontément édifiante, et exquise cependant. Un jeune homme est présenté par un bon prêtre chez de bonnes gens qui ont une fille à marier. Elle est bonne, timide, pudique ; il est bon, sérieux, un peu inquiet. Il hésite, fait sa demande, est agréé. Rien d’extraordinaire, sinon la rencontre de la sévérité du fond et de la grâce infinie de la forme. Il s’en dégage une conception très belle, — puisque c’est la conception chrétienne, — de l’amour et du mariage, et cette idée que l’amour n’est pas du tout la passion, et cette autre idée que le mariage ne diffère pas essentiellement d’une « prise d’habit » à deux, et que c’est par là qu’il est grand et qu’il est doux. Vous serez surpris de certaines réflexions des deux fiancés : « Je vais donc me marier, se dit Marianne. Voilà mon sort fixé, je ne serai pas religieuse. Que la volonté de Dieu soit faite ! » Selon Silvestre, « le renoncement au monde ne devait guère, en quelque façon, être moins absolu pour l’épouse chrétienne que pour la religieuse. » D’autres remarques vont loin :

… On eût étonné Marianne en lui disant que l’instinct qui souffrait en elle n’était autre que la fierté. Elle ne se trouvait pas entièrement libre en cette rencontre. Mais rien ne l’avait amenée à réfléchir sur les préjudices que l’organisation présente de la société apporte aux privilèges de l’âme, et, par un autre instinct plus parfait dans son cœur et plus connu, elle se soumit humblement à ce qu’elle regardait comme la condition nécessaire de la femme, qui lui ôte le droit de choisir et ne lui laisse que tout juste celui de refuser.

Cette histoire est, quant au fond, précisément le contraire des romans de la bonne Sand. Et cela reste suave, d’une onction mêlée de beaucoup d’esprit qui ne se cherche pas, d’observation exacte, même de pittoresque. Nulle trace de fadeur dans ces fiançailles si austères et si blanches.

C’est que Louis Veuillot est poète éminemment. Une bonne moitié du Parfum et de Çà et là en témoigne. Lisez, dans Çà et là, les chapitres intitulés Dans la montagne, la Plage, et la Campagne, la Musique et la Mer. Il était très sensible à la musique, très amoureux de Mozart et de Beethowen. Sa pente était au rêve mélancolique et tendre. Rêve toujours surveillé par sa conscience de chrétien ; car c’est dangereux, la nature et la musique, et la mélancolie, et même la tendresse. Mais souvent on devine que ses luttes et ses haines lui pesaient et que, sans cette surveillance virile qu’il exerçait sur son âme, il eût aisément glissé à la contemplation chantante, comme un simple poète lyrique, ou à l’indulgence universelle et inactive, et à la douceur des larmes oisives, de celles dont on jouit comme d’une volupté et qui ne purifient point. La poésie n’est pas toujours absente de son oeuvre même de polémiste. Du moins on la sent, par endroits, toute proche, et je pense que Veuillot est le seul de nos grands journalistes de qui cela se puisse dire.

On sait et on convient qu’il fut un remarquable écrivain : est-on persuadé qu’il est de tout premier rang, et par l’importance des idées qu’il a traduites, et par la perfection de la forme ? Ce n’est point sans doute un méconnu ; mais il n’est pas connu tout entier. Dans ce dur monde, on gagne, du moins un temps, à être du côté des plus forts ; et Veuillot, catholique, fut de l’autre.

Entre les écrivains qui comptent, Veuillot me paraît celui qui est le mieux dans la tradition de la langue, tout en restant un des plus libres, des plus personnels. Il n’apprit le latin qu’à vingt-cinq ans mais il était nourri de la moelle de nos classiques. Il est soucieux de pureté et même de purisme, jusqu’à faire volontiers la leçon aux autres là-dessus, — mais d’un purisme large et dont les informations remontent au moins jusqu’au XVIe siècle. Il est aussi préoccupé, et presque à l’excès, de l’harmonie du style, très rigoureux sur ce point, sévère aux cacophonies (cf. Odeurs de Paris, page 213). Sa prose est impeccablement musicale ; et, quand il sortait de la polémique et écrivait pour son plaisir, il aimait à cadencer sa pensée en des sortes de strophes attentivement rythmées (Çà et là, deuxième volume ; le Parfum de Rome). Au reste, une souplesse incroyable, une extrême diversité de ton et d’accent, — depuis la manière concise, à petites phrases courtes et savoureuses, et depuis la façon liée, serrée, pressante du style démonstratif, jusqu’au style largement périodique de l’éloquence épandue, et jusqu’à la grâce inventée et non analysable de l’expression proprement poétique…

Bref, il me semble avoir toute la gamme, et la grâce et la force ensemble, et toujours, toujours le mouvement, et toujours aussi la belle transparence, la clarté lumineuse et sereine. Je note seulement, dans la prose de ses dernières années, quelque abus de l’antithèse et des facettes, du parallélisme verbal et même des allitérations, et aussi un peu de trépidation et de halètement, un je ne sais quoi par où il rejoint Michelet… Somme toute, je n’hésite pas un moment à le compter dans la demi-douzaine des très grands prosateurs de ce siècle.

XI

Et il en est le grand catholique ; pour un peu je dirais le seul. Il a dégagé le catholicisme de tout ce qui n’est pas lui, s’étant gardé soit de le compromettre avec la Révolution, soit de prétendre le ramener, comme d’autres « épureurs » de religion, au christianisme des premiers temps. Veuillot l’a pris tel qu’il est, avec sa hiérarchie, avec ses doctrines autoritaires en politique, même avec les us et traditions qui, pour les inattentifs et les superficiels, paraissent s’éloigner de l’esprit de l’Évangile. Il l’a pris, dis-je, tel que son développement historique l’a fait, parce que ce développement est divin.

Lacordaire, Montalembert, Falloux, Dupanloup sont, auprès de Veuillot, des catholiques à tendances hérésiarques. Ceux-là ont des faiblesses pour l’œuvre de la Révolution : ils se figurent que l’égalité civile, la liberté politique, le régime parlementaire, le suffrage universel sont, peu s’en faut, choses évangéliques. Veuillot, non : il ne pense point que ces institutions soient nécessaires aux âmes ni excitatrices de la bonté humaine, ni qu’elles soient même d’un secours sérieux pour l’amélioration matérielle du sort des pauvres. Il est persuadé et a constamment tâché d’établir que la Révolution est essentiellement rationaliste, c’est-à-dire impie, au surplus purement bourgeoise ; qu’elle n’a profité qu’aux classes moyennes : curée pour celles-ci, mystification pour le peuple ; et qu’elle a rendu la vie plus lourde aux petits en leur enlevant ce qui était l’allégement et faisait la dignité de leur condition. La Révolution est, pour Veuillot, la dernière des hérésies. Et c’est ainsi que, comme je l’ai déjà remarqué, Veuillot, du moins par ses négations, est moins loin du socialisme, si énergiquement qu’il l’ait combattu, que du libéralisme bourgeois.

Bref, il croit que la philosophie ne peut rien pour le bonheur, même terrestre, des hommes (car le matérialisme les dispense de se contraindre, et le spiritualisme ne peut que le leur conseiller, sans leur en apporter les moyens). Reste donc l’Église. Seule elle peut « sauver » le monde, même selon la chair : car seule elle a qualité pour enseigner à la fois au peuple la résignation, et le sacrifice à ceux qui sont au-dessus du peuple.

Veuillot est un grand rêveur. Misanthrope à l’égard du présent, il est d’un optimisme fou dans le passé et dans l’avenir.

Le passé, il le transfigure ; il voit le moyen âge et l’ancien régime comme il lui plaît de les voir. Il ne doute point que le moyen âge n’ait connu la fraternité divine dans l’inégalité apparente des conditions et n’ait presque réalisé l’unité morale nécessaire au bonheur universel. Lui si doux, il absout dans les âges écoulés la répression de l’hérésie, surtout parce que l’hérésie lui paraît attentatoire à cette indispensable unité. Il oublie ou méconnaît les brutalités, les cruautés, les vices, l’affreuse misère ; il oublie que les hommes, même alors, ne furent que des hommes.

Et c’est du même regard visionnaire qu’il considère l’avenir. Évidemment, si tous les pauvres et si tous les riches étaient de vrais chrétiens, la question sociale serait résolue du coup, et toutes les autres pareillement. Il n’y faudrait que deux petites conditions : il faudrait que tous les hommes, dans l’univers entier, eussent la foi ; et il faudrait que la foi communiquât forcément aux croyants la vertu et la bonté.

Ce poète est donc plein d’illusions, et, parfois, d’illusions « à rebours ». S’il doit à l’intransigeance même de sa foi des vues profondes sur l’histoire contemporaine et des clairvoyances terribles sur les personnes, il lui arrive aussi de se tromper fâcheusement sur elles, de nous surfaire leur perversité, et de perdre, pour ainsi parler, la notion du vrai humain. Il a eu, souvent, de la peine à comprendre que l’on pût ne pas croire au surnaturel, et à son surnaturel à lui, sans être un démon d’orgueil ou d’impureté. S’il avait vécu assez longtemps pour qu’un peu de ma prose parvînt jusqu’à lui, j’aurais voulu, après quelque article où il m’aurait traité de simple Galuchet, le prendre à part et lui dire :

— Non, je vous jure, ce ne sont point « mes passions » qui m’ont ravi la foi : je ne leur obéis pas toujours ; et, en tout cas, le prêtre m’absoudrait si j’avais la volonté de mieux vivre. Et ce n’est pas non plus la « superbe de l’esprit ». Sincèrement, je ne me sentirais pas diminué si je croyais ce que Pascal, Racine et Bossuet ont cru. Je suis humble, ou j’y tâche. L’humilité est un sentiment très philosophique : c’est l’acceptation de notre être comme il est, c’est-à-dire nécessairement inférieur et incomplet. Je ne suis pas un « libre penseur », car c’est une grande sottise de s’imaginer que l’on peut penser librement. Et notez bien que vous, je vous comprends, je vous aime, je vous pardonne tout. Et j’aime les saints, les prêtres, les religieuses — non par une affectation de « largeur d’esprit » ou par une espèce de niaise et suffisante coquetterie morale. J’aime réellement presque tout ce que vous défendez, et je le défendrais moi-même à l’occasion. Mais enfin, si je ne puis aller au delà de ce sentiment ?

Vous me direz : « Cherchez la vérité ; instruisez-vous. » Hélas ! tous vos arguments, je les connais ; pendant les six années de catéchisme de persévérance qui ont suivi ma première communion, j’ai entendu réfuter toutes les hérésies, sans compter les schismes. Vous reprendrez : « Alors le mal est dans votre cœur et dans votre volonté. » Mais, voyons, est-ce que, sérieusement, vous me regardez comme un méchant ? Comprenez donc un peu ! La « grâce », je le vois bien, vous a fait une seconde nature, mais est-ce que vous ne l’oubliez pas quelquefois ? Est-ce qu’il n’y a pas eu des moments où, loin de la lutte, aux champs ou sur la grève, ou bercé par la musique, il vous semblait étrange que vous fussiez Louis Veuillot, rédacteur en chef de l’Univers, voué, dans un coin de la planète, à la tâche d’anathématiser des hommes comme vous à cause de certaines affirmations, inconcevables et incontrôlables, sur le monde et la cause première ; des moments où vous ne vous voyiez plus vous-même que de loin, où il vous paraissait à la fois incompréhensible et doux de vivre ? Et est-ce qu’il n’y a pas eu d’autres moments encore, des moments d’angoisse mortelle et d’universel dégoût, où vous admettiez presque que l’on pût totalement désespérer et où vous n’étiez retenu dans votre foi que par une habitude d’âme ?

Dans ces heures-là, heures d’humaine détente ou d’humaine détresse, est-ce que, ayant à me juger, vous m’eussiez envoyé, vous, au feu éternel ? Considérez que je suis justement dans l’état où fut, assez longtemps encore après votre conversion, votre frère Eugène que vous aimiez tant, et qui, je suis tenté de le croire, se convertit, d’abord, un peu pour vous faire plaisir et pour que vous le laissiez tranquille.

Considérez aussi qu’un dixième ou un vingtième seulement

des habitants de notre petit astre sont guidés (et, parmi eux, combien y réfléchissent ?) par le symbole de Nicée et les définitions du concile de Trente et que, depuis trois siècles, ce nombre va décroissant. Considérez enfin que, selon votre orthodoxie même (est-ce que je me trompe ?), Dieu a créé la plupart des hommes, non sans doute pour qu’ils fussent damnés, c’est-à-dire éternellement méchants et malheureux, mais sachant qu’ils le seraient. C’est là une idée si épouvantable… que, justement à cause de cela, on finit par se tranquilliser.

Mais, par cela même qu’il y aura toujours, et forcément, des hommes comme moi — et de bien pires — et en très grande quantité, — vous ferez sagement de renoncer, pour aujourd’hui, à la partie terrestre de votre rêve. C’est ce que vous faites d’ailleurs assez volontiers : maintes fois, à la façon des anarchistes, quoique dans une autre pensée, vous prédisez, vous appelez de vos vœux le « chambardement général »… Le plus probable cependant, c’est que la condition humaine s’améliorera peu à peu par la bonté, mais par la bonté simplement humaine, et aussi par cette notion lentement répandue, que l’intérêt de chacun se confond ou tend à se confondre avec l’intérêt de tous, et que l’égoïsme est une duperie. Et le monde ira comme il pourra. Est-ce qu’on ne voit pas que les sociétés même de brigands arrivent à s’organiser, à assurer à tous leurs membres une vie supportable ? Nous avons des siècles devant nous. L’humanité pourra s’accorder dans la résignation même à l’ignorance métaphysique, et dans le sentiment que votre solution, à vous, est impossible. Seulement, nous profiterons de vos indications : nous serons moins dupes de la « Déclaration des droits de l’homme » ; nous concevrons mieux que c’est sur les cœurs qu’il faut agir et que l’apparente justice géométrique des lois n’est rien si le désir de la justice et si la charité ne sont point en nous.

Les hommes ont horriblement souffert et ont été horriblement méchants, quoi que vous disiez, même dans le temps où votre chimère d’une foi unique était le plus près d’être une réalité. Alors ? Pourquoi n’essayerions-nous pas d’autre chose ? Vous seul êtes logique, c’est entendu : mais, par exemple, pourquoi avez-vous raillé si durement ces chrétiens qui, tout en partageant l’essentiel de vos croyances, en ont accommodé une partie à l’œuvre purement humaine, toujours défaite et toujours recommençante, de construction sociale qui se poursuivait autour d’eux ? On dirait que vous ne voulez nous laisser le choix qu’entre le catholicisme universel (vous savez bien que ces deux mots ne forment pas, hélas ! un pléonasme) — et l’anarchie, le « il n’y a rien ». N’est-ce pas un peu imprudent ?

Mais aussi que cela est rare et fier ! Et que vous eûtes raison de vous entêter dans un rêve qui vous a rendu, vous, si noble, si bon et si grand ! Je relis les vers que vous écrivîtes, un jour, pour votre tombe :

  Placez à mon côté ma plume :
  Sur mon front le Christ, mon orgueil ;
  Sous mes pieds mettez ce volume ;
  Et clouez en paix le cercueil.

  Après la dernière prière,
  Sur ma fosse plantez la croix ;
  Et, si l’on me donne une pierre,
  Gravez dessus : J’ai cru, je vois.

  Dites entre vous : « Il sommeille ;
  Son dur labeur est achevé » ;
  Ou plutôt dites : « Il s’éveille ;
  Il voit ce qu’il a tant rêvé. »
 . . . . . . . . . . . . . . . .

  Ceux qui font de viles morsures
  À mon nom sont-ils attachés ?
  Laissez-les faire ; ces blessures
  Peut-être couvrent mes péchés.
 . . . . . . . . . . . . . . . .

  Je fus pécheur, et sur ma route,
  Hélas ! j’ai chancelé souvent ;
  Mais, grâce à Dieu, vainqueur du doute,
  Je suis mort ferme et pénitent.

  J’espère en Jésus. Sur la terre
  Je n’ai pas rougi de sa loi ;

  Au dernier jour, devant son Père,
  Il ne rougira pas de moi.

Laissez-nous embaumer votre mémoire, respectueusement, dans cette sublime épitaphe.


  1. Il n’en a paru encore que sept volumes, in-8{o} il est vrai, et chacun de 500 ou 600 pages.