Les Contemporaines (1884)/La petite Épinglière

II. LA PETITE ÉPINGLIÈRE


— J’sis assés gentille ; ça parle tout seul, ignia qu’a m’voir : Tout en vendant des épingues d’sus l’boul’vard, i’s’trouva qu’un jour un monsieu’ben joli m’dit comme ça : — La jolie marchande, n’vous nommez vous pas la jolie Suzette du boul’vard ? — Oui dà, mon sieu’. — Un d’mes amis m’a dit comme ça qu’vous étiez rétive en diable ! j’voudrais ben voir ça ! — Quand i’vous plaira, monsieu’: en fait d’ça, j’sis toujous prête. — En fait d’quoi donc, la belle ? — En fait de rétiverie. — Ha ! j’entends ! mais j’n’entendais pas comme ça. — Et i’s’mità rire. — Vous êtes ma foi gentye ! — Croyez-vous ça, monsieu’  ? — D’honneur, et si vous voulez ête ma bonne amie, j’sis tout prêt à vous ben aimer. — Savoir comment, monsieu’ ? — En bonne amitié d’amant pour sa maîtresse ; car en fait de pour c’qui est d’mariage, je n’donne pas là d’dans et j’crais, ni vous non pûs, la belle ? — C’est s’lon : qu’est-c’qu’vou’êtes, vous, monsieu’ ? — Qu’est-c’qu’j’sis ? mais un joli garçon, comme vous voyez, la belle ;


Par un dimanch’qui zétait fête,
Moi qui cherchais tun tête-à-tête,
J’trouv’ aux Porch’rons tun’  bell’enfant,
Ç’était joufflu, c’était zavenant :
Sarpéguienn’ moi qu’aime ç’ qu’est friand,
Et qui sait qui’ faut zêtre honnête,
J’vous y troussis tun compliment :
        Vantez-vous-en !


— La chanson zest jolie, lui fis-je, mais a’ n’ répond pas à ma quesquion. — Hé ben, puisqu’vous v’lez l’savoir :


J’li fis voir clair dans ma tendresse :
J’vis qu’all’ en riait ; v’là que j’me redresse :
V’là qu’a m’fait mette à son écot ;
V’là que’je m’rechauffe à son fagot ;
Moi qui n’me mouche pas d’l’œil d’un sot,
J’vis qu’all’ aimait la politesse :
J’en mis tun peu pûs en avant,
        Vantez-vous-en !


— Mais c’n’est pas là c’que j’vous d’mande ! répondez-moi donc ? Êtes-vous au d’sus d’moi ? êtes-vous mon égal ? J’marranj’rai en conséquence. Vous avez soif, a c’qui’ m’paraît, la belle ? J’vais vou’ en verser :


I’ prit zun’ soif à mon Aminte ;
J’voulus que c’te soif fût zéteinte.
J’li verse un coup…, c’qu’est d’singulier,
À c’ premier coup zas’fit prier !
Pardin’ j’eus mon tour au dergnier.
A’m’dit, — J’sommes à la grand’pinte ;
J’li dis, — Je l’voi-ben, mon enfant :
        Vantez-vous-en !


— Vou’ êtes en vérité insupportable, et vous f’rez c’que vous voudrez, je m’en inquiète non pus que d’mon premier pet : — N’voulez vous donc pas l’dire ? — Ma foi si fait, m’fit-i’. — J’suis l’coureur de M. l’marquis de***. — Un coureur ! faire tant de façons ! touche la ; j’somme’ égaus, et je n’ten aimerai qu’mieux, si tu l’merites.


Tout’ Fiye qui fait la Saint’Nitouche,
Que l’on n’dirait pas qui z’y touche,
Ça n’a pas d’faim z’en commençant :
Mais l’appetit vient z’en mangeant :
Pardin’, Suzon, profites-en,
Car tout ça qui zest su’ sa bouche
Ne tient pas cont’ un Regalant :
        Vantez-vous-en !


La chanson est finie, ma’m’selle, et j’vais vous parler raisonnablement. — À la bonne heure, comme ça. J’sis le coureur de M. l’marquis, comme j’ai dit : mais vous sentez ben qu’un coureur ne s’marie pas : comment guiabe pourrirait-i’ courir, s’il était chargé d’eune femme et d’cing à six enfants ? Là, j’vous l’demande, m’am’selle Suzette ? — C’est zeun peu vrai, da ! lui fis-je ; mais vous n’les porterez pas su’ vot’ dos ? — J’vous en fais la jugesse : si je n’les porte pas su’ mon dos, j’les porterai dans ma tête ; et quand n’on a la tête pesante, n’on court mal… De d’pûs qu’ça, c’ment qu’n’on appellerait la femme d’un coureur ? la coureuse ! ça n’serait pas décent. T’nez, soyons amant et maîtresse, ça vaut mieux ! j’vous’aimerai ben. — Tope ! j’vous’aimerai ben aussi : mais à la condition, qu’tout comme vous n’voulez pas épouser, d’crainte d’charge de corps ou d’esprit ; moi d’même,… suffit… que j’n’arai pas d’charge non pûs. — J’verrons ça. — Oui, j’verrons ça, ben dit ! — Quoi donc, la belle ! mais, vous donnez là des entendures !… qui sont drôles, au moins !… Pas d’charge !… Ha ha ha !… Ps !… Allez ! allez !… L’bon bidet ! comme ça se r’muerait d’sous l’cavalier !… Hump !… Comme çà arait l’ mouvement bon ! N’est-ce pas ? hem ? — Paix donc ! c’m’i’fait claquer son fouet !… En attendant, ne m’voulez-vous pas aimer tout seul, et de perférence ? — Tout seul ! ha ! si j’vou’aime, ça s’ra ben tout seul ; je n’sis pas un cœur d’hôpital, ni eune demoiselle Chitchit ; fi donc ! vous m’dites là une sottise, Monsieu’ ! Non-pas, dà, m’fit-i’ : mais c’est la crainte qui m’a fait parler ; car vous m’plaisez, et j’n’aimerai que vous ; les femmes de chambre et les cuisinières, fussiont-elles des Vinus, ne m’sentiront pas pûs qu’ça… pumh ! Pour vou’ abreger ça, j’convinrent que j’nous aimerions. Mais dam’ ! c’est qu’dès la seconde fois, i’m’fit des cadeaux, qui n’équions pas d’un coureur ! c’est lui qui m’a montée, comme vous voyez, qui m’a mise, fournie de marchandises de mon négoce, logée, meublée. Et pis, quand tout ça a été fait, savez-vous c’qu’il était ?

— Mais, dit le comte, le coureur du marquis de***. — C’était ben l’marquis li-même ! Dam’ ! c’est qu’j’ai été ben étonnée ! mais je n’me sis-pas démontée. J’vous ili ai parlé comme i’faut, et il a été si content, qu’i m’a donné en sa place, c’t’amoureux qu’vous m’voyez, qui est un d’ses vassaux. Un de ses vassaux ? dit le comte. — Oui, un d’ses gens, sans être laquais, ni cocher, ni coureû, ni cuisinier ; et i’nous f’ra not’établissement : c’est un honnête homme : n’est-ce pas donc, monsieu’ Saint-Jean ? Oui, sûrement, ma’m’selle Suzette : car il est ben sûr qu’i’ m’a dit qu’tout s’était honnêtement passé entre vous deux. — Comment donc, honnêtement ! mais encore pûs qu’honnêtement. I’faudrait avoir vu comme ça s’est passé, pou’l’savoir !

Le comte sourit, en serrant la main de Mignonne.