Les Contemporaines (1884)/La jolie Gazière

LA JOLIE GAZIÈRE



Parmi cette foule d’arts et de métiers que le luxe des grandes villes emploie à la parure, il n’en est pas qui paraisse plus futile que celui de faire la gaze. Si l’on considère ce frèle tissu, il n’a guère que la solidité de la toile d’araignée ; il ne peut supporter un blanchissage, et lorsqu’il a paré quelques instants la beauté coquette, qui veut plutôt montrer que voiler ses appas, il n’est plus propre qu’à servir de jouet aux enfants. Cependant une multitude de bras sont occupés de ce travail ; on y voit des garçons, des jeunes filles, des gens de tous les âges : mais le gain que procure aux ouvriers cette étoffe légère, est aussi peu solide qu’elle-même ; ceux ou celles qui fabriquent ce qui doit orner le sein des belles inutiles et de ces filles richement soldées pour le crime, languissent dans la misère. C’est le plus pauvre des métiers que celui qui pare l’opulence. Il résulte du trop petit gain des gazières, qu’elles sont presque toutes libertines, ou prêtes à l’étre, dès qu’il se présente un tentateur ; il ne reste de matériellement sages, parmi elles, que les sujets d’une repoussante laideur. Ce n’est pas la médisance qui me fait tenir ce langage : loin de moi ce moti coupable ! Je ne prétends, en exposant aux yeux du public la misère où croupissent certaines professions, qu’engager à augmenter leur salaire, et à ne pas souffrir qu’elles deviennent, par leur pénurie de moyens, des pépinières de corruption : je n’écris qu’en faveur des mœurs : il n’y a que les aveugles et les fanatiques qui ne le verront pas[1].



Il y avait rue d’Ablon, faubourg Saint-Marcel, une jeune et jolie gazière, nommée Colette. Sa mère, pauvre blanchisseuse, lui avait donné ce métier, parce que le sien lui paraissait trop rude pour sa fille. En effet, Colette était délicate ; elle avait le teint fin, le sourire doux et charmant. Elle était presque blonde, mais elle avait dans la physionomie quelque chose de l’agrément des brunes, par la noirceur de sa prunelle et de ses sourcils. Elle était entrée en apprentissage dès l’âge de dix ans. Elle ne se ressentit pas d’abord de la misère, parce que sa mère la nourrissait. Mais elle ne jouit de ce précieux avantage que durant cinq ans. À l’age de quinze, elle perdit sa mère, et se trouva réduite à ce qu’elle pouvait gagner. C’était peu de chose ! La petite Colette, qui était adorée de sa mère, ne travaillait qu’autant qu’elle le voulait, et elle n’avait pas acquis l’habitude de la main ; elle fut plus à plaindre qu’une autre, et tomba bientôt dans une triste situation.

Elle avait pour compagne une belle brune, qui lui témoignait beaucoup de bonne volonté. Cette fille, environ dans le temps où Colette sentait plus vivement la perte de sa mère, quitta le maître gazier où elle travaillait, et fut quelque temps sans paraître dans le quartier. Colette, qui l’aimait beaucoup, allait tous les dimanches s’informer d’Hélène chez la mère de celle-ci, qui était aussi blanchisseuse. — Ho ! répondait cette femme, ma fille a de l’industrie, à’ s’ pousse : i’ n’est pas défendu de faire son chemin quand n’on l’ peut.

Colette se contentait de cette réponse, parce que lors qu’elle allait plus loin, et qu’elle demandait où était Hélène, on ne lui répondait pas. Mais un jour, tandis qu’elle était à son travail, elle vit entrer Hélène. Cette fille n’avait pas changé son costume de faubourienne ; mais ce qu’elle portait était d’une jolie étoffe et bien fait ; elle était d’une propreté appétissante, et tirée à quatre épingles. Colette fut ravie de la voir : elle se leva, courut à elle avec vivacité, l’embrassa, et lui témoigna mille fois combien sa venue lui faisait de plaisir. — C’est pour toi que je viens (lui dit Hélène) ; je connais ta situation, ma chère amie, et a’ m’ fait réellement compassion : mais i’n’ quienra qu’à toi d’en sortir. Je ne t’ai pas oubliée, depuis que je n’suis pus ici : au contraire, i’ n’y a pas eu d’jour que j’n’aie pensé à toi. Je vais t’ laisser finir ta journée : viens-moi trouver à c’ soir chez ma mère, et nous jaserons.

Colette n’y manqua pas. Mais comme elle était à la porte de sa bonne amie, elle entendit qu’Hélène se disputait avec sa mère : — T’as ben affaire de te mêler de ça ! (disait celle-ci) qu’est-q’ t’en f’ras ? C’est bête comme un chaudron de gueuse ; et pis, ça rapportera tout dans le quartier ! — Laissez-moi faire, ma mère, (répondit la fille), elle est jolie, et j’en tirerai parti : je prendrai mes précautions. Me croyez-vous eune bête ? Vous voyez ben par ma conduite que je ne la suis pas. Fais donc, pisque tu l’ veux : mais c’est moi qui te l’ dit, tu t’en repentiras. Colette est eune sournoise. — Ça n’est que niaise et ça n’est pas sournoise, allez, ma mère : au reste, laissez-moi faire ; je sais mieux qu’vous c’ qui faut dans note méquier ; et dų depuis que je l’ fais, j’ n’y suis pas gniolle : c’est que j’ vous ai planté là la Moucharde, qui n’ travaillait qu’ pour elle, et ben vite dà ! A’ m’a m’nacée : c’est que j’ m’en suis battu l’œil ! J’ connais son monde, et j’y ai été tout comme elle, dà !

Colette ne comprit pas grand’chose à cette conversation ; et ayant entendu en cet endroit quelqu’un monter derrière elle, pour ne pas avoir l’air d’écouter aux portes, elle frappa. Hélène ouvrit, et la reçut avec les marques de la plus vive amitié. — Ah çà, Colette, j’allons souper : tiens, aimeras-tu ce filet de porc, qui sort du four, avec des oignons dessous, et une bonne remoulade ! Mets-toi là : j’allons souper tout de suite. — J’attendons encore queủqu’un (dit la mère). — Voici la principale, les autes n’avaient qu’à venir… T’as faim, n’est-ce pas, Colette ? — Mais (dit la mère), t’attends ton amant ? — ľ’ m’en pend des amants ! j’ n’attends personne ; et mettez-vous là, sans quoi j’ n’ vous attendrai pas vous-même… Allons, n’ faites donc pas tant vote embarras, ma mère ! Pendant ce discours, la pauvre Colette regardait l’excellent souper de l’œil du désir : d’un autre côté, elle était honteuse, parce qu’elle croyait s’apercevoir que sa présence ne faisait pas plaisir à la mère. Enfin, comme on allait se mettre à table, il entra un jeune faraud du quartier, que Colette connaissait superficiellement. En entrant, et avant de parler à personne, il retourna s’appuyer sur la rampe, d’où il siffla. On entendit aussitôt, dans l’escalier, le bruit d’une marche rapide. C’était un autre faraud, arrivé depuis deux jours en semestre à Paris. Au moyen de ces deux convives, la compagnie fut complète. Cependant la mère ne faisait pas bonne mine au semestre : — Qu’est-q’ça vient donc faire ici, manger notre souper, un avale-dru comme ça ? Paix ! il en faut, ma mère (lui dit sa fille). On se mit à table, et la compagnie mangea d’abord et but, sans prononcer que quelques monosyllabes. Lorsque les estomacs furent lestés, la joie bruyante succéda, de la part des deux hommes : le semestre voulut hasarder quelques libertés avec Colette ; mais il fut vivement repoussé. Monguieu ! comme tu fais la bégueule ! (lui dit Hélène) : Tiens, regarde-moi ? Et elle embrassa son faraud. — Tu le connais. (lui dit Colette), et moi je ne connais pas monsieur. — Oh ! si n’ quient qu’à ça, ignia qu’à faire connaissance ! On versa une ronde ; on but et on tâcha de faire boire Colette. Mais elle était sobre naturellement, et la compagnie où elle était l’obligeait à se tenir sur ses gardes. Lorsqu’on eut bu outre mesure, on proposa de chanter ; c’est-à-dire de crier à tue-tête quelques chansons grivoises. Le faraud beugla la sienne, qui n’était qu’une grossière polissonnerie. Le soldat croassa une de ces chansons de guerre, composée par ces malheureux qui les crient dans les rues, et où le goût, la rime, la raison et la langue sont à tout moment souffletés. Vint enfin le tour d’Hélène. — Ha ! pour moi, je ne chante pas de chanson de guerre ; ça est trop martial : mais j’en sais une toute neuve et ben jolie, conte les filles qui font les sucrées mal à propos. C’est sur l’air de la Fricassée de Nicolet : Dame ! c’est que j vas au spectaq, depuis un queuque temps, et c’est là qu’on voit de belles choses ! — Surtout cheux Nicolet : (dit le faraud) : c’est le premier spectaq de l’Hirope. — De l’Hirope ! ( s’écria le soldat) : Tu badines ! Et les Variétés donc ! C’est là qu’on voit Jeannot ! Ignia pas dans l’ monde, je n’dis pas l’Hirope, moi, je dis dans l’ monde, de spectaq qui vaille Jeannot. C’est qu’ignia de l’esprit dans c’te pièce-là ! Et puis l’acteur, c’est un acteur, ça !… Si j’savais ête acteur comme c’t acteur-là est acteur, je m’ferais tout à l’heure…… comédien de bois cheux Audinot…… C’est en core eune belle chose que les comédiens de bois !…… Et puis ces enfants ? C’est qu’i vous y a là des p’tites filles qui n’ sont pas mal jolies, dà ! J’vous en ai vu une qui s’ nommait la… la… p’tite Henriette… qui… qui… — Ah çà, avez-vous bientôt assez parlé, vous autes (s’écria Hélène), et m’ laisserez-vous chanter ma chanson ? Quant à moi j’ vous dis et r’dis qu’ignia rien comme Nicolet ; j’y vas tous les jours, et j’y ai mon entrée, da ! et aux premières loges ! où je vas m’quarrer quand j’veux… J’ t’y mènerai, va, Colette, laisse faire, et j’ te ferai aussi donner des entrées, si t’es bonne fille, entends-tu ? — Mais chante donc (lui cria sa mère). — Allons, allons, maman. — Maman ! maman ! ah ! je n’veux pas de c’ nom-là. — Pourquoi donc ça, ma mère ? — Dame ! c’est qu’une maman… Tu sais ben c’ que j’veux dire ? — Moi ! eh ! c’ment la sarais-je ? vous ne l’ savez pas vous-même. — Tant mieux ! tant mieux ! mais chante. — Heu hum ! je suis enrhumée : mais ça s’passera : Voyons l’air : Hum hum hum, hum hum !

Quand on va boire à l’Écu
N’ faut pas tant tortiller des fesses,
Quand on va boire à l’Écu
N’ faut pas tant tortiller du cu.

S’as vous c’t’ histoire advenu’ 
À mam’sel’ Manon Frelu ?
J’ pouvons la conter, j’ lons vu :
Ca vous jou’ la princesse,
Et c’est un cu tout nu.
Quand on va boire, etc.

Quand all’ entre au cabaret,
Sur un banc aussitôt s’ met ;
C’est trop dur pour son cadet ;
C’te gu’non fait la duchesse,
L’li faut un tabouret.
Quand, etc.

Ça n’ veut pas d’ table à tréteaux,
Ça l’a trop long ou trop haut,
Ça ne s’ branle pas comme i’ faut :
Chien ! queû délicatesse !
À moi ça m’ si’ ledos !
Quand, etc.

— Tirez-nous pinte, garçon !
Allons vite et qu’ça soit bon…
Ha ! queû compagnie ! fi donc — !
— Est-c’ paç que j’some en veste
Que j’ vous déshonorons — ?
Quand, etc.

Les verr’s sont crasseux com’ tout,
Les prendre on n’ sait par queû bout
— Prenez gard’, mon petit bijou,
N’as-vous pas peur d’ la gale ?
On la gagne avec vous —.
Quand, etc.

— Mam’sel’danse-t-elle un p’tit brin ?
— Hé hů donc, pas d’ça, matin — !
M’ fit-elle en retirant sa main

Avec impolitesse ;
Aussi lui dis-je ben :
Quand, etc.

J’avons fait fouiner c’ p’tit cœur,
Tant j’lli avons fichu malheur ;
C’est un avis au lecteur ;
Cheù nous faut d’ la simplesse
Et surtout d’ la rondeur.
Quand etc.


Qu’en dis-tu, Colette ? c’est ça eune chanson ! — All’ est bonne (dit le faraud). Et bien chantée (ajouta le soldat). — Ah ! et si je n’étais pas enrhumée donc !… Mais c’est que je vous en sais d’autr’ encore pus belles, dà ! J’en apprends, où que suis, ou bien où que j’étais, n’importe. Tenez, je vas vous en chanter eune : mais dame, c’est que c’est eune chanson, ça ! Je la tiens d’un monsieu ben comme i’ faut, qui me la chanti pour une que je lui avais chantée, qui c’mençait :


Quels traits brillants, jeune Fanchon,


et qui est gaillarde, dame ! — Ah ! je la sais, je la sais, (dit le faraud), et j’ m’en vas vous la chanter ! — Pas d’ ça que j dis ! ignia des oreilles châsses ici… n’est-ce pas Colette ! Et pis j’ crais que j’ la chanterais ben, s’i la fallait chanter ! mais voici celle-là que j’voulais dire ; all’est sur l’air du Maréchal, qui est un bel air !


la femme du monde.


(L’Innocence.)


La jeune Elmire, à quatorze ans,
Livrée à des goûts innocents,
Voit, sans en deviner l’isage,
Éclore ses attraits naissants ;
Mais l’amour effleurant ses sens
Lui dérobe un premier hommage ;
Un soupir
Vient d’ouvrir
Au plaisir

Le passage,
Un songe a percé le nuage ;

(L’Amour.)


Lindor, épris de sa beauté,
Se déclaré, il est écouté ;
D’un songe, d’une vaine image,
Lindor est la réalité ;
Le sein d’Elmire est agité,
Le trouble a couvert son visage ;
Quel moment !
Si l’amant
Plus ardent,
Ou moins sage,
Avait hasardé davantage !

(Le Mariage.)


Mais quel transport vient la saisir !
Cet objet d’un secret désir,
Qu’avec rougeur elle envisage,
C’est l’époux qu’elle doit choisir ;
On les unit ; Dieu ! quel plaisir !
Elmire en fournit plus d’un gage :
Les ardeurs,
Les langueurs,
Les fureurs,
Tout présage
Qu’on veut un époux sans partage,

(L’Infidélité.)


Dans le monde un essaim flatteur
Vivement assiège son cœur ;
Lindor est devenu volage,
Il a méconnu son bonheur :
Elmire fait choix d’un vengeur ;
Il la prévient, il l’encourage :
Vengez-vous ;
Il est doux,
Quand l’époux
Se dégage,
Qu’un amant répare l’outrage.


(La Galanterie.)


Voilà l’outrage réparé ;
Son cœur n’est que plus altéré ;
Des plaisirs le fréquent usage
Rend son désir immodéré ;
Son regard fixe et déclaré
À tout amant tient ce langage :
Dès ce soir
Si l’espoir,
De m’avoir
Vous engage,
Venez, je reçois votre hommage.

(Le Désordre.)


Elle épuise tous les excès :
Mais au milieu de ses succès
L’époux meurt, et pour héritage
Laisse des dettes, des procès ;
Un vieux traitant demande accès ;
L’or accompagne son message :
Ce coup d’œil
Est l’écueil
Où l’orgueil
Fait naufrage ;
Un écrin consomme l’ouvrage.

(Les regrets.)


Dans ce fatal abus du temps,
Elle a consommé son printemps ;
La coquette d’un certain âge
N’a point d’amis, n’a point d’amants ;
En vain de quelques jeunes gens
Elle ébauche l’apprentissage ;
Tout est dit,
On en rit :
Elle s’aigrit.
Quel dommage :
Elmire, il fallait être sage !


— Ah ! voilà une jolie chanson (s’écria le soldat) et je veux l’avoir par écrit ! — Si je savais écrire, je ferais ton affaire, mon enfant (dit Hélène) : mais tiens, Colette le sait, et elle te l’écrira… À toi, Colette, dis-nous la tienne, ma fille ? N’en sais-tu pas quelqu’une ? — Tu sais bien celles que je sais ; dis-moi toi-même celle que tu veux que je dise. — Oui, mais tes chansons sont toutes vieilles comme ces rues, et j’en voudrais en tendre de ta bouche une qui fût un peu gaillarde. — Oh ! je n’en sais point, Hélène. — Si fait, si fait, tu en sais une qui n’est pas si mauvaise, que je chantions quelquefois ensemble : tiens c’est sur l’air de la Furstemberg :

Quand aurai-je l’avantage
De pouvoir enfin me venger
D’un berger
Qui m’a pris mon pucelage
Dans un coin de notre verger !


Allons, chante ! — C’est trop libre, Hélène, et c’était bon quand nous étions enfants. — Bon, tu fais la scrupuleuse ! Elle est pourtant jolie : écoute bien :

J’eus beau m’en vouloir défendre,
Avant de lui laisser prendre !
Je lui dis, Colas,
Quand tu l’auras,
En seras-tu plus gras ?


— Elle avait raison (dit le soldat), et sa remarque était juste. — T’es poli, toi, de m’interrompre quand je chante ! (lui dit Hélène). — Ce que j’en ai dit, c’était pour approuver la chose : car c’est bien dit !

En seras-tu plus gras ?


C’est bien dit ! N’est-ce pas donc, mon fieu ? — Non on est que plus maigre (répondit en ricanant le faraud). — Laissons cette chanson-là, ma bonne amie (dit Colette), et si tu veux le permettre, j’en vais chanter une à mon goût. — Soit, je le veux bien. (Au soldat) : Et toi, si tu l’interromps, tu porteras ma main, entendstu, soldat du pape, qui monte la garde en parasol ? Enfin Colette chanta l’antiquité suivante :


« N’écoutez jamais un amant,
Me dit maman, à tout moment,
Le plus fidel n’est qu’un volage,
Qui cherche à donner de l’amour,
Sans jamais payer de retour ».
Hélas ! maman ! c’est bien dommage !

Hé quoi ! cet aimable berger
Qui chaque jour dans ce verger
Vient me tenir un doux langage,
Est un perfide, un inconstant !
Il est dit à d’autres autant !
Hélas ! maman ! c’est bien dommage !

Mais peut-il être un inconstant ?
Il en si beau, je l’aime tant !
On ne sait pas feindre à notre âge ;
S’il me fallait vivre sans lui,
Je sens que j’en mourrais d’ennui !
Mourir si jeune ! c’est bien dommage.

Il m’a souvent juré sa foi,
Que jamais à d’autre qu’à moi,
Il ne porterait son hommage,
Et que j’avais seule son cœur ;
Il ne saurait être un trompeur :
Mais s’il l’était, ah ! quel dommage !

Hier ici, dans son transport,
Il faisait un nouvel effort
Pour obtenir de moi le gage,
Qu’il dit qu’on doit à son amant ;
Je l’ai cru, j’ai cédé, maman !
S’il m’a trompée ! ah ! quel dommage !


Toute la compagnie applaudit fort à cette chanson, surtout Hélène, qui se leva pour embrasser Colette deux ou trois fois, en lui disant — Il faut faire comme ta chanson, ma poulette ; il faut céder, et tu verras que ça te fera plaisir. Quant à moi, demande à ma mère ; j’ai cédé, mais de la bonne manière, et je m’en trouve bien. Vive ta chanson, elle vaut mieux que toutes les nôtres ! Colette rougit à ces louanges, et crut avoir donné une chanson fort indécente ! Le souper était à sa fin. On voulut rire et badiner ; Hélène en donnait l’exemple avec son faraud ; mais Colette repoussa le semestre, toutes les fois qu’il s’approcha de trop près. — Tu vois bien ! ( disait la mère d’Hélène) : Va, ça n’est bon à rien ! — Peut-être ! si elle peut s’en passer, ça n’en sera que mieux… Enfin on se sépara, et les deux hommes reconduisirent Colette, quoiqu’elle les remerciât.

Lorsqu’ils furent arrivés à sa petite chambre, le semestre voulait absolument y rester, et Colette fut obligée d’appeler les voisines à son secours. On renvoya le soldat scandaleux : mais on fit des reproches à Colette d’avoir été en sa compagnie. Elle raconta la chose comme elle était arrivée. — Vous étiez avec Hélène ! C’est une gueuse, qui raccroche à présent dans la rue Grenetat, après avoir été avec la moucharde dans la rue Saint-Honoré. Colette manqua de se trouver mal, elle remercia ses voisines, et leur promit qu’elle ne reverrait jamais Hélène.

Colette avait quitté la rue d’Ablon, pour se loger dans celle de l’Arbalète. Au même étage sur le devant demeurait une blanchisseuse, nommée la Wallon, veuve d’un cordonnier, et ancienne connaissance de la mère de Colette. C’était une bonne femme : elle élevait comme siens deux enfants de son mari, qui étaient en même temps ceux de sa meilleure amie. La fille s’appelait Manon. Elle était une de celles qui étaient venues au secours de Colette. Manon était d’une figure charmante ; elle avait l’âme douce, sensible, et paraissait fort touchée de la misère de Colette, depuis que celle-ci avait perdu sa mère : elle en parlait quelquefois à la mère Wallon : — Colette est bien gentille (lui disait-elle) ; c’est une fille bien sage ! j’aurais bien envie de la fréquenter. — Il faut prendre garde, quand on fait de nouvelles connaissances, ma fille ! vous ne voyez que les dehors ; que savez-vous ce qu’elle est au fond ? Cette réponse de sa belle-mère avait réduit Manon au silence. Mais le soir de l’expulsion du semestre, Manon revint à la charge : Hélas ! maman (dit-elle à sa belle-mère), sans vous, je serais peut-être exposée comme cette pauvre Colette ! C’est une orpheline comme moi, permettez que je la reçoive ? Ses pleurs m’ont fendu le cœur : ma chère maman, ayez compas sion d’une pauvre orpheline ! — Il faut auparavant que je la connaisse (répondit la prudente Wallon), et quand je la connaîtrai, si elle est ce qu’il vous faut, nous verrons.

Le lendemain Colette, avant d’aller à l’ouvrage, songea qu’il fallait aller remercier ses bonnes voisines : Elle commença par madame Wallon, parce qu’elle se sentait aussi disposée à aimer Manon, que cette jeune fille l’était à aimer Colette. — Je viens, madame, pour vous remercier, ainsi que mademoiselle Manon, du service que vous avez bien voulu me rendre hier au soir, en me débarrassant de ce vilain soldat. — Ah ! mam’zelle Colette, il ne faut plus voir de ces compagnies-là ! — Oh ! je vous en assure bien, madame ! j’aimerais mieux mourir de faim, que d’aller encore souper chez Hélène, dès qu’elle est ce qu’on m’a dit qu’elle était. Mais, madame, je suis toute seule dans ma pauvre chambre : si je pouvais obtenir de vous la permission de venir quelquefois chez vous, sans vous être incommode, ça me ferait bien plaisir ? La mère Wallon ne put refuser ; elle le permit. Et aussitôt Manon alla embrasser Colette, en l’assurant qu’elle voulait être sa bonne amie.

Il faut dire un mot de cette jolie petite Manon, qui avait l’âme si bonne et si compatissante. Elle avait un frère : ce garçon était connu d’un homme de lettres estimable, qui, lui ayant trouvé de bonnes dispositions, s’y était attaché : Théophile (c’est ainsi que s’appelait le frère de Manon) avait donné à celle-ci la connaissance de son protecteur, qui venait souvent chez la mère Wallon, pour former le caractère de sa belle-fille, lui montrer à écrire, lui faire faire des lectures, en un mot en prendre soin. Son but était légitime, comme on le verra dans l’histoire de la Jolie Blanchisseuse : tout ce qu’il faut dire ici, pour l’intelligence de l’histoire de Colette, c’est que Manon avait des sentiments conformes à la manière dont elle était élevée par cet homme d’un mérite distingué.

Colette fut enchantée de l’accueil que lui faisait Manon ; car cette dernière avait les larmes aux yeux. En la reconduisant, Manon lui fit des offres de service, et l’assura qu’elle connaissait quelqu’un qui s’intéresserait à elle : — Vous verrez ici dimanche cette personne-là, ma chère Colette : venez dîner avec nous, je vous y invite, et vous serez bien reçue ; c’est moi qui vous en réponds. La jolie gazière se retira toute consolée par ces marques d’intérêt ; et, après avoir remercié en peu de mots les autres voisines, elle s’en fut à son ouvrage.

En la voyant entrer, toutes ses compagnes qui étaient déjà au travail, se mirent à claquer des mains. — Te voilà donc, ma pauvre Colette. Ah ! que nous sommes bien aises ! Va, va, nous savons à cette heure ce que c’est que la belle Hélène ! C’est mam’zelle Chitchit. Ah ! la guenon, si elle revient, je lui arracherai son chien de bonnet monté en battant-l’œil. — Il n’y a plus rien à craindre pour moi, mes bonnes amies (leur dit Colette) ; dès que je la connais, je ne la verrai plus : je préfère de gagner tout doucement ma vie honnêtement avec vous, quand je devrais ne manger que du pain, à vivre dans la bonne chère aux dépens de l’honneur. Toutes les gazières se levèrent aussitôt, et quittèrent leurs métiers, pour venir l’embrasser : ce fut la première récompense de sa vertu. Ensuite, comme Colette n’était pas habile, les plus expéditives convinrent entre elles de mener son ouvrage pendant qu’elle dinerait, afin qu’elle fût aussi avancée que les autres. Mais Colette les remercia : elle les pria seulement de lui montrer leur manière, qui était meilleure que la sienne, les assurant qu’elle tâcherait de l’attraper. Les plus adroites s’y prêtèrent avec empressement, et l’on vit ces jeunes infortunées, qui toutes languissaient presque également dans la misère, faire tout ce qu’elles pouvaient pour une d’entre elles, qui était jolie, et qui voulait conserver sa vertu ! Combien parmi les gens qui passent pour les plus honnêtes, n’auraient pas cette générosité !

À peine Colette était-elle à son ouvrage, qu’elle commençait à faire plus habilement qu’à l’ordinaire, qu’on vit entrer Hélène, qui la demandait : les gazières se levèrent aussitôt : ces sortes de filles sont très grossières ; c’est la lie du peuple : toutes se mirent à faire des huées à la corruptrice : — Qu’est-ce qu’elle demande donc, cette marchande de casse-noisettes ? — Pardi ! elle vient chercher Colette ? — Elle est bien gentille, dà, Colette ! dame, cela lui profiterait ! — Quoi donc qu’elle en veut faire ? — Ce qu’elle en veut faire ? Que sais-je, moi ? une curiosité de la foire, car elle aura des aboyeuses, qui tireront le monde par la manche pour les faire entrer. — Je crois, moi, qu’elle en fera plutôt la princesse des soupirs, qui s’étendra sur son sofa, où on viendra la manier : Ma reine, ma princesse, ma mignonne, ma poule ! Bon ! ma princesse ! ma reine ! elle en fera cet acteur de parade qu’on nomme paillasse… Hélène interdite par ces propos, malgré son ef fronterie, n’osait avancer. Une de ses anciennes compagnes fut la prendre par la main, trois ou quatre autres, la poussèrent par le dos, et la conduisirent auprès d’un monstre de laideur, qui travaillait dans un coin… Tiens, la Hélène, tiens la Des-Allures, voilà celle que je vais te donner, si tu veux : mais pour Colette,


On t’en ratisse, tisse, tisse, on t’en ratissera !


Ce mot fut le signal : toutes les ouvrières s’avance rent et se jetèrent sur Hélène, qu’elles écharpèrent ; l’une lui enleva son battant-l’œil qu’elle mit en pièces ; l’autre lui déchira son fichu ; celle-ci coupa le falbala de son jupon avec les forces qui leur servent à découper ; d’autres lui jetèrent au visage de l’eau sale, et la barbouillèrent de suie et de cendre. On la mit à la porte dans cet état, en lui défendant de jamais remettre le pied dans l’atelier. Colette seule n’avait point pris de part au juste traitement qu’on faisait à cette libertine ; au contraire, elle avait prié ses compagnes pour elle et tâché de les engager à plus de modération, mais on ne l’avait pas écoutée.

C’était un samedi, et le lendemain était le jour où le frère de Manon venait dîner chez sa belle-mère avec son protecteur. Manon, que Colette vint voir, avant de se coucher, pour lui rendre compte de ce qui s’était passé au sujet d’Hélène, invita de nouveau son amie à dîner : elle s’informa si elle avait du linge blanc, et les autres choses les plus nécessaires. Colette en était assez mal fournie, et l’obligeante Manon y suppléa, d’une manière si généreuse, que Colette attendrie ne put refuser. Le lendemain, sur les huit heures, Colette habillée et propre, vint offrir ses services à la mère Wallon, qui les accepta. Il y avait encore beaucoup de choses à faire pour Manon, qui repassait : Colette lui aida, et la grande envie qu’elle avait d’être utile à son amie, la rendit adroite après la première leçon : elles eurent fini avant dix heures. Manon fut habillée à onze, et le jeune Wallon arriva presque aussitôt avec son protecteur. Le jeune homme fut très surpris de voir Colette si jolie et si propre ! Pour M. de S** (le protecteur), il ne fit d’abord attention qu’à Manon, pour laquelle il avait les sentiments les plus vifs. Il la salua comme un tendre père salue sa fille, et après avoir parlé à la mère Wallon, il revint auprès de sa jeune élève, pour la faire écrire, lire, chanter ; car il lui montrait la musique ; il lui enseignait la géographie, etc. Ce fut ce moment, où Manon se trouvait seule avec M. de S** et son amie, qu’elle choisit pour la lui présenter. — Voilà, monsieur, lui dit-elle, une jeune voisine, que vous aimerez, dès qu’elle vous sera connue ; c’est une pauvre orpheline, qui n’a plus personne au monde. Vous voyez comme elle est jeune et d’une agréable figure : mais ce n’est rien ; elle est encore plus méritant : je vous prie de permettre qu’elle soit ma seule amie, ma compagne, et qu’elle reste avec moi quand je recevrai vos leçons. Elle sait assez bien écrire, et elle lit parfaitement. Elle a eu bien du malheur de perdre sa bonne mère ! et, cette semaine, elle a manqué de perdre plus encore… Elle raconta ensuite ce qui venait d’arriver à Colette. L’honnête homme écoutait avec complaisance sa jeune amie, enchantée de lui trouver une âme sensible. Il jeta les yeux sur Colette. Il fut surpris de sa beauté ; il admira en lui-même l’honnête confiance de Manon dans sa probité, puisqu’elle lui montrait une fille si capable de rendre infidèle un amant ordinaire. — Vous m’êtes recommandée par une personne qui m’est trop chère (dit-ilà Colette) pour que je ne m’intéresse pas à vous de tout mon pouvoir ; je le ferai aussi pour vous-même : outre que vous êtes une aimable personne, je trouve tant de douceur et d’honnêté dans votre physionomie, que je ne suis plus le maître de me refuser à vous servir. Soyez l’amie de Manon : j’y consens et je vous en prie : c’est une charmante fille (ajouta-t-il avec attendrissement) ; elle est orpheline comme vous : mais il lui reste une mère d’amitié, et un père, qui, je vous assure, est très tendre ! elle est moins à plaindre que vous… Que fait-elle ? (dit-il à Manon). — Elle est gazière. — Cette profession, ma chère fille, est dangereuse, non par elle-même, mais parce que des filles et des garçons réunis dans le même atelier, souvent en très grand nombre, se corrompent mutuellement : je n’aime pas cet état-là pour votre amie. D’ailleurs, il n’est exercé que par ce qu’il y a de plus grossier dans ce faubourg. Ne pourrions-nous pas la mettre à autre chose ? — Ou la faire travailler à elle ? (dit Manon). — Cela est très bien vu, ma fille : je vous entends : vous serez inséparables : allons, j’y consens : j’acheterai, dès demain, tout ce qu’il faut à votre amie, et je vous le remettrai. Sa chambre est-elle convenable ? — Non, mais elle travaillera dans celle-ci ; maman ne s’en sert pas. Cette vilaine Hélène m’effraie. Si vous saviez comme on l’a traitée quand elle est retournée pour chercher Colette ! Et elle raconta cette scène.

Il ne s’agissait plus que d’avoir l’agrément de la mère Wallon pour tous ces arrangements. Elle le donna, mais avec quelque répugnance, parce qu’elle ne pouvait rien refuser au protecteur de son beau-fils et à l’amant de sa belle-fille : elle craignait Colette, qui effectivement était plus belle que Manon. Celle-ci était moins grande ; elle avait une jolie figure, de belles couleurs ; mais elle était un peu marquée de petite vérole. Cependant, quand on aimait Manon, il était impossible de lui être infidèle : c’était le plus charmant caractère ! elle possédait naturellement ces petits riens enchanteurs qui sont autant de liens invisibles qui retiennent un amant ; elle était faite au tour ; elle avait un goût exquis, et sa propreté naturelle ne permettait jamais de rien trouver en elle qui ne donnât appétit d’aimer. Colette avait ces mêmes qualités : mais les moyens lui manquaient encore pour les faire valoir : elle avait plus de douceur dans le son de voix que Manon ; celui de Colette remuait l’âme, même en disant des choses indifférentes : pour un cœur qui n’aurait pas été pris, elle l’aurait sans doute emporté.

M. de S** commença, dès le même jour, à partager ses soins entre les deux amies : Manon, déjà savante, se faisait un plaisir d’être maîtresse en second de sa Colette, et elle se fortifiait elle-même en l’instruisant. On dina ensuite tous ensemble. M. de S**, qui avait trop d’esprit pour ne pas s’apercevoir de ce qui se pas sait dans l’ame de la bonne Wallon, s’attacha surtout à la rassurer. Il parla de ses vues pour Manon, et fit entendre que leur exécution ne serait pas encore longtemps différée : Il se félicita ensuite de l’amie que mademoiselle Wallon s’était choisie : il déclara qu’il y avait longtemps qu’il lui désirait cet avantage qui contribuerait à leur bonheur à toutes deux : enfin, il dit qu’il fallait que Manon eût un goût conforme au sien, pour avoir si bien découvert la personne qu’il aurait préférée lui-même pour elle. Quand nous serons mariés (ajouta-t-il), ma femme aura quelqu’un qui la dédommagera de la solitude qui m’est nécessaire : je serai tranquille, en sachant qu’elle est avec une compagne qu’elle chérit, d’un caractère sûr, d’une honnêteté sans nuage, et d’une douceur qui n’a d’égale que dans le cœur de ma bonne amie.

Ce langage ne rassura pas la mère Wallon, qui aimait passionnément sa belle-fille, et qui avait de l’expérience. Elle se proposa de faire éloigner Colette, en la rendant odieuse à M. de S**. Cette femme n’était cependant pas méchante, mais elle manquait d’éducation. Elle laissa Colette s’établir tranquillement avec Manon. Les deux amies enchantées d’être ensemble, sûres de la droiture de leurs cœurs innocents, étaient dans une sécurité profonde ; Colette eut, dès le lundi, tout ce qu’il lui fallait pour travailler. Manon mit sa table à repasser auprès d’elle, et, au lieu de s’occuper de médisance, elles s’entretenaient de leurs lectures, et de ce que leur avait appris leur maître. La mère Wallon, occupée dans sa chambre à son ouvrage, en tendait leur conversation : mais plus Colette montrait de mérite et de qualités, plus cette femme la redoutait. La semaine se passa tranquillement. Plusieurs fois, lorsque Manon avait été pressée, Colette l’avait aidée à repasser, pour l’empêcher de veiller trop tard : ces petits services attachaient les deux nouvelles amies l’une à l’autre, et elles attendaient le dimanche avec impatience, pour faire part de leur bonheur à celui qui le leur avait procuré. Elles avaient la même table, c’est-à-dire, que Colette était pensionnaire de la mère Wallon, chez qui l’ordinaire était réglé, parce qu’on nourrissait M. de S** : Théophile, le frère de Manon, ve nait tous les jours chercher le dîner et le souper de son protecteur, et ils mangeaient ensemble, chez ce dernier, qui ne paraissait à la maison que les dimanches et fêtes.

Enfin la semaine finit, et M. de S** vint à son ordinaire. Les deux amies, dès qu’il fut seul avec elles, lui firent une peinture intéressante de leur situation. L’honnête homme en fut enchanté : les qualités précieuses que lui montrait la petite Manon, dans cette circonstance, l’attachèrent plus que tout ce qu’il avait encore trouvé d’aimable en elle. Il le lui témoigna, et lui dit les choses les plus obligeantes, en présence de Colette. — Vous serez, l’une ma femme, l’autre ma fille (leur dit-il) : c’est un bonheur qui me paraît si grand, que je vais forcer les obstacles qui m’arrêtent encore, pour en jouir plus tôt : soyez tendrement unies, et lorsqu’il s’agira d’établir Colette, je tâcherai que ce soit avantageusement.

La journée fut agréable, comme l’avait été le dimanche précédent : on alla se promener au Jardin des Plantes, au moyen d’une robe que Manon avait prêtée à Colette, en attendant qu’elle eût une de celles que M. de S** lui faisait faire. La mère Wallon apprit cette nouvelle marque d’intérêt que l’amant de sa belle-fille donnait à la jolie gazière, dans la soirée du dimanche, et elle l’apprit, sans la circonstance que c’était à la sollicitation de Manon. Elle en fut effrayée ; se rappelant toutes les attentions que M. de S** avait eues pour elle au jardin, elle crut que l’abandon de sa belle-fille était assuré. Dès le lundi, elle lui chercha querelle sur tout ; elle témoigna ensuite qu’elle ne se souciait pas de l’avoir dans sa chambre. Manon fut au désespoir de ce caprice, dont elle ignorait la cause : mais enfin, elle n’était pas la maîtresse ; il fallut céder : avant la connaissance de M. de S**, elle aurait disputé contre sa belle-mère, et peut-être l’aurait-elle emporté sur cette femme, qui était bonne, et qui avait un grand faible pour elle : mais son amant l’avait rendue timide, respectueuse, reconnaissante. Colette, désolée, alla s’établir dans sa petite chambre, qui n’était pas fort claire, et assez malsaine. Manon vint l’y consoler. Sa belle-mère, au lieu d’être touchée de sa douceur et de son obéissance, dont les femmes de cette espèce ne connaissent pas le prix, en abusa, pour lui défendre d’aller voir Colette. Le second jour, la jeune gazière voyant qu’elle ne pouvait travailler chez elle, retourna chez son maître, qui la reçut mal, et refusa de l’occuper. Elle s’en revenait très affligée, lorsqu’au milieu de la rue de l’Oursine, elle rencontra le faraud d’Hélène et son ami le semestre. Elle voulut les éviter, en se glissant dans une allée. Mais ils l’avaient aperçue ; et comme Hélène était furieuse contre elle, depuis son avanie dans la gazerie, elle les avait animés, et leur avait fait promettre de la venger. Ils poursuivirent donc Colette dans l’allée, et, l’ayant attrapée au milieu d’un escalier obscur, ils lui firent des indignités qui excitèrent ses cris. On vint à son secours. Les deux scélérats dirent que c’était une débauchée, compagne de la moucharde, qui était connue de tout le quartier, et qu’on ne devait pas s’intéresser à elle. Ils furent crus. Les gens de la maison fermèrent leurs portes, et Colette n’eut d’autre ressource que de tâcher de s’échapper dans la rue. Elle y réussit avec peine. Lorsqu’elle y fut parvenue, elle s’enfuit de toutes ses forces. Au coin de la rue Mouffetard, elle fut arrêtée par un carrosse de place, et les deux libertins allaient l’atteindre, quand celle qui était dedans ouvrit la portière, et la reçut. Elle fit sur-le-champ avancer son fiacre et s’éloigna. Colette remercia sa libératrice, et la pria de la descendre chez elle, rue de l’Arbalète. La femme le lui promit, après qu’elle aurait terminé une petite affaire qui l’amenait dans le quartier. En chemin, elle lui demanda le sujet qui la faisait fuir devant deux hommes ? Colette, simple et naïve, qui voyait une femme bien mise, quoique dans le costume de faubourienne, ne crut pas être imprudente que de lui exposer sa situation. Elle lui raconta tout ce qui lui était arrivé depuis quinze jours ; et elle insista particulièrement sur ce que les deux libertins l’avaient accusée d’appartenir à la moucharde : — Hélas ! je ne la connais seulement pas (ajouta l’innocente), et je ne l’ai jamais vue. — Pour moi, je la connais (répondit la femme qui avait reçu Colette dans son fiacre) : elle n’est pas si noire qu’on vous l’a faite. Mais cette Hélène, dont vous m’avez parlé, est une malheureuse, une libertine, une escroqueuse, qu’on doit faire arrêter. Vous avez bien fait de rompre avec une créature de cette espèce. Pendant cette conversation, on roulait toujours, et l’on n’arrivait pas. Colette en témoigna de l’inquiétude. — Je retourne chez moi (lui dit la Moucharde, car c’était elle-même), et je veux vous y donner un logement, s’il vous convient : vous m’avez gagné l’âme, et je vous aime autant que le fait mademoiselle Manon : c’est une aimable fille, et que je connais beaucoup : elle doit épouser dans peu un homme comme il faut, qui est le protecteur de son frère. Je le connais aussi ; j’ai eu l’honneur de le recevoir chez moi deux ou trois fois. La voiture s’arrêta en ce moment, et quoique Colette fût toute tremblante de se voir entre les mains d’une inconnue, elle était si timide qu’elle n’osa refuser d’entrer.

La moucharde lui montra plusieurs appartements : entre autres, un petit fort joli au troisième, qu’elle lui offrit. Colette la remercia, et la pria de lui permettre de s’en retourner. — Je vous remmenerai (lui répondit la moucharde) ; mais il faut souper avec moi : il est tard ; on va servir : nous causerons en mangeant ; j’enverrai ensuite chercher un fiacre et je vous reconduirai. Il fallut bien que la jolie gazière cédât. Le couvert était déjà mis : la maîtresse fit servir ; deux jeunes filles dans le costume du faubourg vinrent se mettre à table, avec un vieillard en cheveux blancs.

Ces deux filles avaient l’air fort enjoué. Elles rirent ; elles dirent des choses plaisantes et tâchèrent de divertir celle qu’elles croyaient déjà leur nouvelle compagne. Mais Colette avait le cœur serré ; à peine, malgré le besoin qu’elle avait de nourriture, pouvait-elle avaler ses morceaux. On la fit boire : mais elle trempa son vin. Personne ne s’y opposa. Cependant, malgré cette précaution, Colette ne tarda pas à se trouver dans une situation qui lui était inconnue : elle sentit une gaieté involontaire ; l’appétit lui vint ; elle mangea de tout ce qu’on lui servit. On proposa de chanter, comme au souper d’Hélène : les deux jeunes filles s’en acquittèrent fort bien ; l’une par l’ariette de la Fée Urgelle,

Ha ! que l’amour
Est chose jolie, etc.,


sa compagne par la romance de Sancho Pança :


Je m’en revenais en chantant,
J’aperçus une fillette :
V’là, dis-je, un morceau tentant ! etc.


Le vieillard surpassa les deux jeune filles, dans la chanson suivante :

J’ai blanchi dans ces hameaux,
Entre les amours et les belles :
J’ai vu naître ces ormeaux,
Témoins de vos ardeurs fidèles ;
Du plaisir que j’ai goûté,
J’aime à vous voir faire usage ;
Tout plaît de la volupté,
Jusques à son image.


La moucharde chanta aussi d’une voix rauque et enrouée une chanson de guerre, relative à l’amiral anglais Vernon :

Écoutez la relation
Sincère et véritable,
De la grande expédition
À jamais mémorable,
Qui fera l’admiration
La faridondaine, la faridondon,
De tous les siècles à venir, biribi,
À la façon de Barbari, mon ami, etc.


On voulut faire chanter Colette ; mais il lui fut impossible : elle était… ivre, au moyen de ce qu’on avait mis dans son verre. Elle parlait cependant encore de s’en retourner, mais en balbutiant : elle s’endormait. On la déshabilla, et on la mit au lit.

Cependant Manon, qui savait où avail été son amie, l’attendait avec impatience : elle avait pleuré, en parlant pour elle à sa belle-mère ; elle avait répondu aux craintes de cette bonne femme, et elle l’avait assurée, que Colette était incapable de lui nuire, tant par elle même qu’à raison des dispositions de M. de S**. : elle était enfin parvenue à gagner la mère Wallon, et elle désirait le retour de Colette, pour lui annoncer cette bonne nouvelle ; à sept heures, à huit, à neuf heures, son inquiétude augmentait toujours : mais à dix, et enfin à onze, elle fut persuadée qu’il était arrivé quelque malheur à son amie. Elle en versa des larmes, et ne ferma pas l’æil de la nuit. Le lendemain, en voyant partir son frère qui avait couché à la maison, elle le pria de la conduire chez son protecteur : car elle ne voulait confier ses inquiétudes qu’à lui. M. de S** fut très surpris de voir entrer Manon dans sa chambre ! elle n’y était jamuis venue ; et s’avancer jusqu’à son lit, la douleur peinte sur son visage. Qu’avez-vous, ma chère fille ? — Mon amie… Ses larmes coulèrent. Elle raconta en peu de mots tout ce qui s’était passé, les craintes de sa belle-mère ; le renvoi de Colette dans sa chambre ; la démarche que cette jeune fille avait faite pour rentrer chez son maître : elle ajouta qu’elle ne l’avait pas revue. M. de S** ne fut pas aussi effrayé que sa jeune amie ; il ne pouvait non plus en vouloir beaucoup à la mère Wallon de ce qu’elle craignait si fort de le perdre pour sa belle-fille : cependant il s’habilla promptement et sortit avec Manon.

Ils allèrent d’abord à la chambre de Colette : elle n’y était pas revenue. Ensuite chez le maître gazier, qui avoua qu’il avait refusé de la reprendre, mais qu’il en était fâché. — On ne sait ce qu’elle est devenue ! (dit Manon). Je le sais, moi (dit une gazière) : ma petite sœur l’a vue poursuivie par un bandit du quartier, et un semestre de la connaissance d’Hélène : elle s’est sauvée ; elle a rencontré un fiacre, où elle est montée, et ma petites sœur dit que la moucharde était dedans, et qu’elle l’a emmenée : et nous savons ici toutes, que Colette ne connait pas la moucharde ; ainsi elle s’est jetée, sans le savoir, dans la gueule du loup. À ce discours, qui rassura un peu Manon, les inquiétudes de M. de S** s’accrurent au double. Il s’informa de la demeure de la moucharde ; une vieille gazière, qui n’avait pas été fort sage autrefois, l’assura qu’elle en avait trois ou quatre, et que s’il voulait lui payer sa journée, elle l’y conduirait. — Je vous en paierai deux (répondit M. de S** et dix si je la retrouve : c’est la bonne amie de ma prétendue (ce qu’il dit exprès, parce qu’une partie de ces filles connaissaient Manon), et je ne saurais trop faire pour la tirer de péril. — Comme il achevait ces mots, une jeune gazière assez gentille, mais effrontée, qui paraissait ne pas avoir de meilleures dispositions qu’Hélène, se leva, et vint à M. de S** : — Ne prenez pas cette vieille sorcière qui ne sait plus où demeure la moucharde ; si vous voulez me donner les dix journées, je vous mènerai droit où Colette a couché cette nuit ! M. de S** paya la journée de la vieille, lui dit de rester, et prit la jeune, qui paraissait plus sûre de son fait. Et ce fut très heureusement. On prit un fiacre et on se rendit chez la moucharde, rue Champfleuri. —

Laissez-moi faire (dit la gazière) : nous mettrons le nez à la portière, Manon et moi, et vous ne paraîtrez pas. Elle frappa en maîtresse. Aussitôt la moucharde ouvrit un carreau, caché par une jalousie, et regarda. La gazière lui fit un signe d’intelligence, et Manon montra son joli minois. La moucharde descendit empressée, et vint ouvrir. La gazière fit sortir M. de S** du fiacre. — Ne paraissez pas être avec nous, mais entrez, et demandez une Nouveauté. M. de S** se conforma aux avis de cette fille. Il entra dès que la moucharde eut ouvert, et fit sa demande. — Ma foi, vous ne pouviez pas mieux vous adresser qu’aujourd’hui ; en voilà une qui m’arrive dans ce fiacre et j’en ai une autre là-haut. Elle est encore au lit. Je vais voir celle d’en haut. Cependant réservez-moi celle-ci dans le cas où l’autre ne me conviendrait pas, vous serez contente. L’honnête homme frémissait d’indignation et de rage, d’en être réduit à ce rôle pour ravoir plus promptement et plus sûrement Colette. On l’introduisit. La jeune amie de Manon était encore plongée dans le sommeil. — Elle dort ; profitez du moment ; car elle est un peu farouche. M. de S** fut effrayé ; il trembla que Colette n’eût été souillée. Il fit, en feignant de rire, des questions pour s’en assurer. L’infame lui jura qu’elle était encore telle qu’elle était entrée chez elle. — Hier (ajouta-t-elle), cette fille est venue se jeter dans mes bras, en sortant d’avec une certaine Hélène, avec laquelle je ne sais pas ce qui s’est passé ; elle s’est trouvée mal après souper ; on l’a mise au lit, et la voilà. Il n’est venu personne depuis que je l’ai chez moi ; vous êtes le premier. Voyez un peu ce que devient l’autre (dit M. de S** qui entendit Manon parler très haut), et faites-la venir ici. Comme la moucharde ouvrait, Manon entra fort inquiète, suivie de sa conductrice la gazière. — Voyez, monsieur ; voilà du joli ! Malheureuse ! s’écria M. de S** d’une voix terrible, c’est avec elle que je suis venu, pour chercher cette jeune fille que tu veux perdre : mais tu es perdue toi-même, infâme !… Manon, et vous mam’selle (dit-il à la gazière), éveillez Colette, qu’elle s’habille, et partons. La moucharde voulut sortir ; M. de S**, qui n’était cependant pas un spadassin, la retint, en lui présentant la pointe de son épée, et il la força de s’asseoir au fond de la chambre.

On eut beaucoup de peine à éveiller Colette, qui ne se reconnut qu’avec peine : M. de S** fut obligé d’aider à la soutenir. Enfin elle revint à elle : mais elle resta comme accablée. Son sommeil était de nature à durer encore au moins six heures. Manon et la gazière, aidées du cocher, la portèrent dans la voiture, tandis que M. de S** contenait la moucharde. Ensuite au lieu d’aller sur-le-champ chez un commissaire, il ne s’occupa que de Colette. Quand on fut arrivé chez la mère Wallon, on la mit au lit dans la chambre de son amie, où on lui laissa achever son sommeil.

Prêt à partir pour aller faire sa plainte, M. de S** pria les femmes de s’assurer si l’innocence de Colette n’avait souffert aucune atteinte, il eut la satisfaction d’apprendre qu’il ne lui était encore rien arrivé. Il partit alors, ravi d’avoir un crime de moins à dénoncer à la justice. Il fit sa plainte ; les ordres furent donnés : mais quand on alla pour arrêter la moucharde, on trouva des gens qui se dirent les maîtres de l’appartement, et qui assurèrent qu’ils ne connaissaient pas cette femme. La gazière conduisit aux trois demeures : partout on trouva des gens établis, qui ne savaient ce qu’on voulait leur dire. On a depuis éclairci ce mystère : mais dans le moment il fallut se retirer : on a su que c’étaient des arrangements pris entre plusieurs malhonnêtes gens qui logent des femmes de mauvaise vie, d’avoir des demeures communes, qu’ils soustraient, en les habitant à propos, aux recherches de la police, lorsqu’on veut enlever des maîtresses de débauche. La moucharde a depuis été prise, et punie comme elle le méritait. On a compté qu’elle avait débauché, dans le faubourg Saint-Marcel, environ 60 ouvrières.

Colette ne s’éveilla que le soir. On lui donna un vomitif qui acheva de la guérir. Son amie, à qui elle était devenue plus chère par le danger qu’elle venait de courir, jura de ne plus la quitter, et M. de S** lui promit de la garder chez lui, lorsqu’il serait marié. Cette considération lui fit même avancer son mariage, car la jeune Colette était si’intéressante qu’on ne pouvait l’aimer à demi.

Etablie chez M. de S** après son mariage avec Manon, Colette devint un sujet d’admiration pour tous ceux qui la connaissaient, autant par sa beauté que par ses vertus. M. de S** avait pour ami particulier un homme de sa profession, nommé M. D.-r.-n.-d, qui le voyait souvent. Cet aimable homme avait journellement Colette sous les yeux, et il en devint d’autant plus facilement amoureux, que son genre d’occupation contribuait à lui attendrir le cœur. Il parla de ses sentiments à madame de S** qui en parut enchantée. Elle ne prévoyait aucun obstacle, et le flatta d’une réussite aisée. Avant de s’expliquer avec Colette, elle fit part à son mari des vues de M. D.-r.-n.-d. Je ne crois pas que notre ami réussisse (répondit M. de S**) et j’en suis fâché pour lui : mais Colette aime quelqu’un. — Ah ! ciel et qui est-ce ? — Votre frère. — Ah ! cela me rassure ! je craignais, je vous l’avoue, que ce ne fût un autre homme, qui m’intéresse encore plus ! — Moi ? — Vous-même, mon cher mari. — Hé bien, vous ne vous êtes pas absolument trompée. Colette m’aime malgré elle, et c’est à sa prière que je la donne à votre frère. — Mon frère est jeune ; il est sans état ; il peut s’en faire un, avec votre secours : Colette ne peut que nuire à son avancement, au lieu d’y aider. Donnons-la plutôt à votre ami ! — Mais votre frère adore Colette. Mon Dieu ! que faire ! Mon cher mari, je m’en rapporte à votre prudence : mais si mes vœux étaient remplis, ce serait M. D.-r.-n.-d, qui aurait mon amie ! Je vais tâcher de la déterminer : vous, consolez votre frère.

Ce parti pris, M. de S** parla de M. D.-r.-n.-d, à Colette : il lui fit envisager les avantages de cette alliance : elle ne se rendait pas, et préférait Théophile ; mais M. de S** lui ayant dit que Manon était absolument pour M. D.-r-n.-d, elle répliqua : Disposez de moi au gré de mon amie : je lui dois tout ; je veux tout lui donner ; qu’elle fasse ce qui lui plaira de sa Colette, qu’elle a si tendrement et si généreusement aimée : je suis à elle ; qu’elle me donne à qui elle voudra. M. de S** depuis qu’il avait avoué à sa femme les sentiments de Colette pour lui, voulait qu’elle entendit tous leurs entretiens : elle écoutait donc celui-ci. Elle entra comme son amie achevait de parler, et lui fit mille caresses. — Tu es un trésor (lui dit-elle) : je sais que tu aimes mon mari ; mais je n’en suis point jalouse ; tu es juste en l’aimant, et tes sentiments pour lui ne font qu’augmenter ceux qu’il m’inspire : c’est la vertu que tu aimes. Je me félicite d’avoir les mêmes sentiments en commun avec toi à son égard. Mais épouse son meilleur ami, qui m’a chargée de te demander pour lui. — C’est donc un point décidé (dit Colette) : il m’a demandée ? — Oui, ma bonne amie, et je t’ai promise. Quant à mon frère, je lui ferai entendre raison. Mais comme il ne m’a encore rien dit de ses vues à ton égard, nous allons te marier, sans lui en parler : il lui sera plus aisé de se vaincre après, qu’avant ton mariage.

Colette ne répliqua rien ; elle se laissa conduire par son amie. Elle a épousé M. D.-r.-n.-d.{{{2}}}, qui l’adore, et qui tous les jours trouve une source inépuisable de félicité dans la douceur et les autres vertus de sa charmante épouse. Les deux amies sont inséparables. Quant à Théophile, il n’a pas supporté le mariage de Colette, comme sa sœur s’y attendait : mais la raison doit reprendre insensiblement son empire sur ce jeune homme raisonnable.



  1. Je sais plusieurs de ces Nouvelles, que je suis plus glorieux d’avoir composées, que la tragédie de Mahomet ou la Henriade.